II. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
1. Le désendettement du budget annexe s'est accéléré en 2019, de sorte que la dette ne représentait plus que 30 % des produits d'exploitation au 31 décembre 2019
Alors que la dette du BACEA avait connu une augmentation très forte dans les années qui avaient suivi la crise du transport aérien de 2009 pour atteindre un pic à 1,28 milliard d'euros au 31 décembre 2014 , son encours a diminué de 137,7 millions d'euros en 2019, soit une baisse de - 17,1 %, supérieure de 66,7 millions d'euros à la prévision de la loi de finances initiale, pour s'établir à 667,4 millions d'euros au 31 décembre 2019 contre 805,1 millions d'euros au 31 décembre 2018.
Le niveau suffisant de trésorerie et la bonne exécution des recettes ont en effet permis, pour la deuxième année consécutive, de ne pas procéder au tirage d'emprunt de 59,7 millions d'euros prévu dans le budget du BACEA pour 2018.
La dynamique de résorption de la dette du BACEA s'amplifie donc : l'encours a baissé de 47,9 % depuis 2015, ce qui a permis de complètement effacer les effets de la crise économique de 2008-2009 ainsi que le rachat d'installations d'Aéroports de Paris en 2005.
Évolution de l'endettement du budget annexe de 2008 à 2019
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
Ainsi, alors que le ratio de l'endettement sur les recettes d'exploitation du BACEA , qui constitue l'un des principaux indicateurs de performance de la mission, s'élevait encore à 44,9 % en 2017 et 36,8 % en 2018, il a significativement reculé en 2019 pour atteindre 30,0 % , un résultat nettement plus favorable que celui qui avait été initialement prévu par la DGAC, qui s'était fixé pour objectif un ratio de 41,0 %, un chiffre d'ailleurs surprenant dans la mesure où il était supérieur au résultat constaté en 2018.
Outre les efforts de réduction de l'encours de dette, ce bon résultat s'explique avant tout par le dynamisme des recettes de la DGAC , et en particulier celles de la taxe de l'aviation civile (TAC) et, plus encore en 2019, celles de la taxe de solidarité (TS).
Ces dernières années, le rapporteur spécial avait systématiquement soutenu la politique de désendettement du BACEA , laquelle lui apparaissait indispensable pour restaurer la soutenabilité de ce budget annexe mais également pour dégager des marges de manoeuvre si la croissance du transport aérien, très dynamique ces dernières années, venait à ralentir.
La crise économique d'une exceptionnelle gravité que connaît aujourd'hui le secteur en raison de la pandémie du Covid-19 est malheureusement venue démontrer à quel point ce désendettement était nécessaire puisque la BACEA va à présent devoir se rendetter dans des proportions sans précédent dans son histoire pour jouer un rôle d' « amortisseur de crise » .
À l'issue des deux premiers projets de loi de finances rectificatifs pour 2020, il est de fait déjà prévu que la DGAC pourra emprunter cette année 1 250 millions d'euros , ce qui pourrait porter sa dette à près de 2 milliards d'euros (contre un maximum historique de 1,3 milliard d'euros atteint en 2014).
Tout porte à croire que cette somme sera malgré tout insuffisante et que le BACEA devra emprunter encore davantage pour compenser la chute de ses recettes en 2020 et 2021 (voir supra ).
2. La masse salariale de la DGAC demeure en augmentation de 0,8 %, en dépit d'une sous-exécution des mesures catégorielles prévues au titre des protocoles sociaux
Les dépenses de personnel de la DGAC , qui représentent 56,2 % des dépenses du BACEA , se sont élevées à 1 195,4 millions d'euros en 2019, en hausse de 0,8 % par rapport aux 1 182,9 millions d'euros de 2018.
Ce montant est toutefois inférieur de 17 millions d'euros aux prévisions de la loi de finances initiale, qui s'élevaient à 1 212,4 millions d'euros (soit un taux d'exécution des crédits de 98,6 % ).
Cette légère sous-exécution s'explique par des dépenses liées au protocole social plus faibles que prévues, notamment concernant les expérimentations du contrôle de la navigation aérienne, par le non-paiement de jours de grève (28 jours de grève en 2019, dont 8 spécifiques à la DGAC) ou bien encore par des mesures programmées en 2019 qui n'ont pas pu être exécutées dans les dates limites de fin de gestion.
À la suite de cette sous-exécution, 3,8 millions d'euros de crédits de titre 2 ont été annulés dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2019 et 8,0 million d'euros ont été affectés au désendettement du BACEA au titre de la fongibilité asymétrique.
Hors CAS pensions, les dépenses de personnel de la DGAC sont passées de 914,2 millions d'euros en 2018 à 921,7 millions d'euros en 2019, soit une augmentation limitée à 0,8 % sur un an. Selon la Cour des comptes, le coût moyen par ETPT 151 ( * ) de la DGAC a connu une nouvelle hausse de 0,9 % en 2019, contre 2,0 % en 2018 et 2,6 % en 2017.
Ce résultat relativement satisfaisant s'explique en premier lieu par le respect du schéma d'emploi (0 ETP par an pour la période 2016-2019, contre - 100 ETP par an pour la période 2013-2105) qui a permis à la DGAC de réaliser des économies de 0,88 million d'euro par rapport à 2018.
Toutefois, la conformité du solde à la prévision - soit 0 ETP supplémentaire en 2019 - ne doit pas occulter l'existence d'écarts très importants entre les entrées et les sorties programmées et celles qui sont effectivement constatées. Ainsi, 409 sorties et 409 entrées se sont produites en 2019 , alors que seules 318 entrées et sorties avaient été prévus. Cet écart très significatif de 101 ETP montre qu'il est nécessaire d'améliorer rapidement la programmation du schéma d'emploi , l'existence de tels écarts se produisant chaque année (écart de 101 ETP en 2018, de 161 ETP en 2017, de 84 ETP en 2016, etc.).
Deuxième facteur ayant participé à la limitation de la hausse des dépenses, une exécution plus faible que prévue des mesures catégorielles prévues au titre des protocoles sociaux de la DGAC, puisque le coût de ces mesures a représenté en 2019 7 millions d'euros , pour une prévision en loi de finances initiale de 12,9 millions d'euros .
Pour mémoire, les dépenses supplémentaires liées aux protocoles sociaux s'étaient élevées à 15,9 millions d'euros en 2018 et 18,2 millions d'euros en 2017.
Cette sous-exécution de 5,9 millions d'euros en 2019 s'explique par les facteurs suivants :
- la révision à la baisse de l'enveloppe allouée aux expérimentations de 4,5 millions d'euros à 2,6 millions d'euros ;
- le décalage en 2020 de la mise en oeuvre de l'expérimentation au CRNA d'Aix-en-Provence, qui a permis de réaliser 2,6 millions d'euros d'économies .
- le report en paye en janvier 2020 du versement du complément de l'ISQ pour les ICNA, soit 0,9 millions d'euros de dépenses en moins au titre de 2019 ;
- le coût au titre du PPCR revu à la baisse de 0,5 million d'euros .
Même s'il convient de noter le caractère plus limité en 2019 des mesures catégorielles portées par le BACEA, le caractère particulièrement onéreux des protocoles sociaux de la DGAC mérite être rappelé.
La Cour des comptes a en effet calculé que les dépenses au titre des mesures prévues par les protocoles sociaux successifs s'élevaient à 73 millions d'euros depuis 2013 , à comparer avec les économies de 20 millions d'euros réalisées grâce au schéma d'emploi.
À lui seul, le coût pour les finances publiques du protocole social 2016-2019 signé le 19 juillet 2016 dans un contexte social tendu est évalué à 55 millions d'euros sur la période, comprenant environ 45 millions d'euros de mesures catégorielles et 10 millions d'euros correspondant à l'application du protocole interministériel « parcours professionnel, carrières et rémunérations » (PPCR).
Les mesures catégorielles susmentionnées impliquaient des contreparties demandées aux personnels de la DGAC , et en particulier aux ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA), en matière de productivité et d'adaptation du temps de travail , qui devaient leur permettre de faire face à la hausse continue du trafic et à sa saisonnalité de plus en plus marquée ces dernières années.
Or, la DGAC n'a toujours pas produit à ce stade d'étude permettant de comparer les coûts du protocole avec les gains de productivité permis par les expérimentations des nouveaux cycles de travail de ses personnels . Il apparaît nécessaire qu'un tel document soit rapidement conçu et transmis au Parlement.
Alors que la négociation d'un nouveau protocole social pour la période 2020-2024 est actuellement en cours, le rapporteur spécial souhaite que les modalités d'évaluation de son coût et les gains de productivités attendus fassent l'objet de prévisions précises et quantifiées , et que celles-ci soient également communiquées au Parlement.
3. La baisse préoccupante des crédits d'investissements consacrés aux grands programmes de modernisation de la navigation aérienne fait craindre de nouveaux retards
Les dépenses d'investissement revêtent une grande importance pour la DGAC, car elles sont indispensables pour assurer le passage au « Ciel unique européen » , initiative de la Commission européenne qui vise à moderniser la gestion de l'espace aérien européen , en particulier grâce au coûteux programme technologique SESAR .
Or la DGAC a pris du retard dans son programme de modernisation du contrôle de la navigation aérienne , ainsi que le rapporteur spécial l'a mis en lumière dans son rapport d'information « Retards du contrôle aérien : la France décroche en Europe » 152 ( * ) présenté devant la commission des finances du Sénat le 13 juin 2018.
Afin de tenter de combler ce retard, la DGAC n'avait cessé d'augmenter ses dépenses d'investissement depuis 2013, année où ces dépenses avaient atteint un point bas inquiétant à 138,3 millions d'euros .
Ce mouvement s'est interrompu en 2019 puisque les dépenses d'investissement sont passées de 230,8 millions d'euros en 2018 à 194,8 millions d'euros en 2019, soit une baisse de 36 millions d'euros (- 15,6 %).
La hausse des dépenses d'investissement s'est interrompue en 2019
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
Sur cette somme, 180,5 millions d'euros , (soit 92,7 % du total), un montant en baisse de 34,3 millions d'euros (- 16 %) par rapport à 2018, ont été dévolus au programme 612 « Navigation aérienne », et notamment aux grands programmes de modernisation du contrôle de la navigation aérienne (4-Flight, Coflight, Sysat, etc.) qui devaient, avant la crise du transport aérien provoquée par la pandémie de Covid-19, permettre à la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) de faire face dans les années à venir à la hausse du trafic dans de bonnes conditions de capacité, de sécurité et de respect des normes environnementales.
Selon la DSNA, le faible taux de consommation de ses crédits d'investissement ( 58,7 % contre 76,3 % en 2018) s'explique, pour 36,5 millions d'euros , par le décalage de certains projets , dont les marchés ont été engagées mais qui n'ont pas encore fait l'objet de paiements car la constatation des services faits n'a pas pu intervenir en 2019.
Les autres explications avancées sont un retard de facturation de certains fournisseurs et le rattachement tardif , au dernier trimestre 2019 seulement, de la grande majorité des fonds de concours et produits attribués au programme 612.
Cette sous-exécution des dépenses d'investissement de la DSNA laisse craindre que les grands programmes de modernisation de la navigation aérienne connaissent de nouveaux retards , alors que l'avenant signé en 2018 avec Thalès était censé sécuriser la mise en service de 4-Flight (futur outil de contrôle pour faire face à l'augmentation et à la complexité du trafic) dans les centres de contrôle en-route d'Aix-Marseille, Paris et Reims à l'horizon 2021-2022 153 ( * ) et qu'une nouvelle gouvernance avait été mise en place à la suite du rapport d'information sénatorial précité 154 ( * ) .
Si le rapporteur spécial a bien noté qu'une étape importante avait été franchie en 2019 avec le fonctionnement de 4-Flight sur trafic réel en mode dédoublé au centre de contrôle en route de Reims le 18 décembre 2019, il considère que les difficultés provoquées par la pandémie de Covid-19 ne sauraient justifier de nouveaux retards dans la mise en service de ce programme , lancé en 2011, et qui se fait attendre depuis trop longtemps .
Il tient également à rappeler que son coût pour les finances publiques , désormais évalué à 850 millions d'euros , contre 582,9 millions d'euros à son lancement (soit un renchérissement de 45,8 % ), doit désormais être pleinement maîtrisé .
4. Si la sécurité des vols s'accroît, les retards liés au contrôle aérien demeurent trop éloignés des objectifs fixés par la Commission européenne
À l'instar des exercices précédents, l'indicateur de performance relatif à la sécurité aérienne reste satisfaisant, avec 0,06 croisement hors norme pour 100 000 vols contrôlés , en légère amélioration par rapport au chiffre de 0,09 croisement hors norme réalisé en 2018.
Ce progrès , constaté en dépit de l'augmentation du trafic, s'explique en partie par le déploiement du programme Datalink (système de communication numérique sol-bord) qui permet de suppléer la communication radio entre pilotes et contrôleur pour transmettre de façon plus efficace des informations sur le cap, la vitesse et l'altitude des aéronefs.
Ce bon résultat montre que les nouveaux programmes de la DSNA , lorsqu'ils sont enfin mis en service, peuvent significativement améliorer le service fourni aux compagnies aériennes.
Autre indicateur de performance essentiel, celui des retards dus aux services de la navigation aérienne.
Alors qu'ils avaient beaucoup augmenté en 2018 pour atteindre près de 2 minutes par vol contrôlé , ils ont diminué en 2019 pour atteindre 1,33 minute par vol . Le nombre total de minutes de retard généré a ainsi atteint 4 370 551 minutes, soit environ un tiers de moins qu'en 2018.
Ce résultat, supérieur au 1,12 minute de retard moyen enregistré en 2017, demeure toutefois très insuffisant au regard des objectifs fixés à la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) par la Commission européenne dans le cadre de la régulation prévue par le Ciel unique européen, à savoir un retard de 0,5 minute par vol.
Les retards de la DSNA sont imputables pour 18 % au défaut de capacité , 36 % à l'organisation du service , 19 % à la météo (épisodes neigeux en février et mars, forte activité orageuse en mai-juin) et 18 % aux mouvements sociaux (en particulier les grèves nationales de décembre liées à la réforme des retraites).
Pour mémoire, la France demeure responsable de 33 % des retards dus au contrôle aérien en Europe , alors qu'elle ne contrôle que 20 % du trafic du continent.
Incontestablement, la baisse spectaculaire du trafic aérien constatée au premier semestre 2020 en raison de la pandémie de Covid-19, et dont les effets devraient se faire sentir jusqu'en 2023, va considérablement alléger la pression qui pesait sur la DSNA pour faire passer un trafic toujours plus dense et saisonnier . Il est par conséquent probable que les retards baisseront très nettement dans les années à venir .
Loin de se féliciter de cette amélioration en trompe l'oeil , il faudra mettre cette période exceptionnelle à profit pour poursuivre activement la modernisation des systèmes de la navigation aérienne mis à la disposition des contrôleurs aériens ainsi que l'adaptation de leurs tours de services , de sorte que la DSNA puisse enfin redevenir pleinement compétitive le jour où le trafic aérien retrouvera ses niveaux d'avant crise.
* 151 Traitement brut, primes, indemnités et cotisations sociales, hors CAS.
* 152 Rapport d'information n° 568 (2017-2018) « Retards du contrôle aérien : la France décroche en Europe », de Vincent Capo-Canellas au nom de la commission des finances du Sénat.
* 153 Il intégrait par ailleurs des spécifications renforcées en termes de qualité du logiciel et de cyber sécurité.
* 154 Un nouveau directeur a été nommé à la tête de la direction de la technique et de l'innovation (DTI) en mars 2019, l'adjoint du DSNA est désormais chargé de superviser directement les grands programmes et un comité de surveillance externe du programme 4-Flight a été mandaté par la ministre chargée des transports.