II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. La part croissante des restes à payer

Les restes à payer de la mission « Culture » correspondent au solde des engagements n'ayant pas donné lieu à consommation de crédits de paiement au 31 décembre. Les rapporteurs spéciaux avaient déjà mis en lumière l'augmentation de ceux-ci au cours des exercices 2017 et 2018, dans un contexte de reprise des grands chantiers culturels.

Après avoir atteint 808,43 millions d'euros en 2018 (soit une augmentation de 58,12 millions d'euros par rapport à 2017), le montant des restes à payer de la mission en 2019 s'élève à 981,2 millions d'euros, soit une progression de près de 21 %.

77 % de cette somme correspondent à des engagements portés par le programme « Patrimoines ». Les restes à payer du programme s'élèvent à 752,57 millions d'euros (+ 18 % en un an). 60 % du total consistent en des restes à payer sur crédits déconcentrés. Les restes à payer sur crédits centraux visent principalement les travaux menés par l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC), la rénovation du Grand Palais, la restauration du château de Villers-Cotterêts et la construction du centre de conservation et de ressources du musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM).

Le programme « Création » voit également se poursuivre une montée en charge des restes à payer. Après avoir plus que doublé en 2018 (106,58 millions d'euros contre 52,09 millions d'euros l'année précédente), ils atteignent désormais 117,80 millions d'euros (+ 10,5 % en un an). Le Centre national des arts plastiques (CNAP) et le projet de Cité du théâtre constituent les deux principaux postes de dépenses concernés.

Les restes à payer du programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » présentent, en 2019, la plus forte progression, pour s'établir à 110,83 millions d'euros, contre 66,34 millions d'euros au cours de l'exercice précédent (+ 67 % en un an). Plus de la moitié de ces restes à payer (66,05 millions d'euros) relèvent des travaux de réhabilitation ou à des projets immobiliers :

- travaux de construction de l'école d'architecture (ENSA) de Marseille (29,43 millions d'euros) ;

- travaux de construction-réhabilitation de l'ENSA de Toulouse (10,61 millions d'euros) ;

- travaux de réimplantation de l'école d'art de Cergy (10,51 millions d'euros) ;

- travaux au sein des ENSA de La Villette et de Paris-Malaquais ainsi que sur l'école nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris-Malaquais et l'école nationale supérieure de création industrielle (9 millions d'euros) ;

- projet Quartier de la connaissance et de la Créativité avec la Métropole Toulon Provence Méditerranée (3,19 millions d'euros) ;

- travaux de construction du pôle culturel de Micheville (3,31 millions d'euros).

Évolution du montant des restes à payer de la mission « Culture »,
par programme, de 2016 à 2019

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Une telle progression des restes à payer peut susciter une certaine interrogation quant à la fiabilité de la programmation des grands travaux présentée chaque année au Parlement. Les rapporteurs spéciaux ne peuvent, dans ces conditions, que partager les observations de la Cour des comptes qui relève, dans sa note d'exécution budgétaire, la nécessité de procéder à une programmation pluriannuelle plus réaliste et plus exacte.

2. Une consommation des crédits en faveur du patrimoine appuyée par le Sénat

L'exécution budgétaire du programme « Patrimoines » en 2019 s'inscrit, en AE, dans la continuité de celle observée l'an dernier et traduit une tendance favorable à l'entretien et à la restauration des monuments historiques . La consommation est en revanche plus faible qu'en 2018, en ce qui concerne les crédits de paiement.

Comparaison des crédits consacrés à l'entretien et à la restauration des monuments historiques entre 2017 et 2019 (hors grands projets)

(en millions d'euros et en %)

Prévisions LFI

Exécution

Taux d'exécution

AE

CP

AE

CP

AE

CP

2017

313,08

293,20

260,09

245,60

83,1 %

83,8 %

2018

326,24

292,85

284,91

274,77

87,3 %

93,8 %

2019

326,24

296,78

284,79

265,99

87,3 %

89,6 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les rapporteurs spéciaux constatent ainsi un niveau important de reports de crédits de 2019 à 2020 s'agissant des monuments historiques (grands travaux compris) : 61,7 millions d'euros en CP.

Le Sénat a souhaité inciter à la consommation des crédits lors de l'examen de la loi de finances rectificative pour 2019, en faisant adopter un amendement permettant de revenir sur l'annulation de 25,4 millions d'euros en AE et de 21,3 millions d'euros en CP au sein du programme 175 de crédits initialement prévue. Ces sommes étaient comprises dans la réserve de précaution. Le dégel de ces sommes a permis :

- le financement à hauteur de 4 millions d'euros des travaux de restauration du château de Villers-Cotterêts ;

- le versement de 3,3 millions d'euros au Centre des musées nationaux (CMN), au titre de la compensation des moindres recettes induites par la fermeture des tours de la cathédrale Notre-Dame de Paris (2,3 millions d'euros) et de la tour Saint-Nicolas de La Rochelle (1 million d'euros) ;

- le provisionnement de 14 millions d'euros au CMN afin de mener à bien les opérations de restauration des monuments retenus dans le cadre de la mission confiée à Stéphane Bern « Patrimoine en péril » 97 ( * ) . Cette somme correspond à la compensation des recettes fiscales engendrées par le Loto du Patrimoine. Les gains - 16,8 millions d'euros au 31 décembre 2019 - ont, de leur côté, abondé le fonds géré par la Fondation du patrimoine.

3. Un suivi des travaux de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris à renforcer

Le programme 175 « Patrimoines » a bénéficié de fonds de concours et d'attributions de produits conséquents en 2019 , atteignant 85,84 millions d'euros en AE et 87,06 millions d'euros en CP. Sur ces sommes, 74,92 millions d'euros (AE=CP) ont été ouverts par voie de fonds de concours au titre de la souscription nationale instituée pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Le fonds de concours pour les dons nationaux a atteint 52,14 millions d'euros et celui pour les dons internationaux 22,78 millions d'euros.

Ces sommes ont permis de couvrir les premiers travaux de sécurisation et de consolidation de l'édifice : frettage des deux piliers de la nef fragilisés, dépose des éléments les plus fragiles et mise en place de filets de protection. 50,41 millions d'euros en AE et 31,11 millions d'euros ont été exécutés en 2019 :

- 31,20 millions d'euros en AE et 31,11 millions d'euros en CP ont été versés à la DRAC Île-de-France durant la période pendant laquelle elle a exercé la maîtrise d'ouvrage ;

- 19,21 millions d'euros ont été versés en AE à l'établissement public chargé de la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, entré en fonctions le 1 er décembre dernier.

Les rapporteurs spéciaux regrettent que le rapport annuel de performances ne fasse pas un état des lieux précis des dons enregistrés par la souscription nationale au 31 décembre 2019, même s'ils ne constituent pas stricto sensu des crédits budgétaires. Il est également regrettable que le document ne propose pas une estimation du coût des travaux à mettre en oeuvre .

La Cour des comptes indique dans sa note d'exécution budgétaire que 176,9 millions d'euros auraient été collectés au 31 décembre 2019 par la fondation du patrimoine, la fondation de France, la fondation Notre-Dame, le Centre des monuments nationaux et le Trésor public. D'après le ministère de la culture, cité dans la même note, le montant total des dons enregistrés et promesses de dons s'élèverait à 910 millions d'euros, 107 millions étant effectivement collectés. Un tel écart interroge.

Les rapporteurs spéciaux rappellent que l'article 8 de la loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris du 29 juillet 2019 98 ( * ) prévoit que l'établissement public chargé de la gestion des fonds recueillis en rende compte à un comité réunissant le Premier président de la Cour des comptes et les présidents des commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances et de la culture ou leurs représentants.

Ce comité n'a pu se réunir que tardivement. Il a donc été impossible de dresser rapidement un état des lieux précis des dons effectivement enregistrés et de leur affectation au cours de la première année, dans un contexte par ailleurs troublé par l'arrêt des travaux.

4. Un développement limité du Pass culture

Expérimenté depuis juin 2019 dans 14 départements 99 ( * ) , le Pass Culture consiste en une application gratuite, qui révèle et relaie les possibilités culturelles et artistiques accessibles à proximité. L'année de ses 18 ans, jusqu'à la veille de ses 19 ans, chaque jeune résidant en France pourra demander l'octroi d'une enveloppe de 500 euros à dépenser sur cette application, parmi un large choix de spectacles, visites, cours, livres, musique, services numériques... 520 000 propositions sont présentées par 2 500 offreurs.

Au 31 décembre 2019, 44 000 comptes ont été ouverts (sur 150 000 personnes éligibles environ) , 28 000 d'entre eux ont effectué au moins une réservation. 149 000 réservations ont été faites au total, les choix les plus populaires étant le livre (54 %) et la musique (17 %). Le dispositif semble cependant avant tout profiter aux professionnels du numérique : le bouquet de chaînes OCS, Canal+, le site de musique en ligne Deezer et la plateforme de streaming FilmoTV figurent ainsi parmi les cinq prestations les plus demandées.

L'ambition affichée par le Gouvernement consiste en une généralisation du dispositif à l'horizon 2022. Il tablait à cet effet sur un objectif de 35 000 comptes ouverts à la fin de l'année 2019, le seuil de 50 000 devant être atteint pour poursuivre l'expérimentation. Cet objectif n'a pas été atteint.

S'agissant du dispositif en tant que tel, le projet a d'abord été porté par le ministère lui-même, par l'intermédiaire d'une start-up d'État. Une société par actions simplifiées (SAS) chargée du développement du Pass Culture a finalement pris le relais courant 2019, en vue notamment d'élargir son financement à des acteurs privés 100 ( * ) . La SAS reste pour l'heure détenue à 70 % par l'État et à 30 % par la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

La loi de finances pour 2019 prévoyait une dotation de 28,77 millions d'euros (AE=CP) pour le financement de ce dispositif. In fine , seuls 11,91 millions d'euros en CP ont été consommés, principalement en vue de financer des dépenses de fonctionnement :

- 5 millions d'euros au titre de prestations informatiques et d'ingénierie administrative et technique ;

- 4 millions d'euros aux fins du démarrage de l'activité de la SAS Pass Culture ;

- 1,20 million d'euros au titre de dépenses de personnels et autres dépenses de fonctionnement.

Dans ces conditions, les remboursements aux offreurs se limitent à 1,71 million d'euros.

L'exécution des crédits 2019 renforce les doutes exprimés par les rapporteurs spéciaux lors de l'examen des projets de loi de finances pour 2019 et 2020 sur la stratégie mise en oeuvre pour rendre accessible ce dispositif. Si celui-ci peut représenter un véritable outil d'émancipation culturelle - même si une étude des offres devra cependant être rapidement proposée pour en juger - il est, pour l'heure, mal connu. Son caractère expérimental fragilise le lancement d'une campagne de publicité nationale.

Le ministère de la culture a annoncé, fin 2019, des actions de communication à destination des jeunes dans les territoires concernés, en lien avec les DRAC et les rectorats pour qu'un plus grand nombre de jeunes activent effectivement leurs comptes et bénéficient du Pass. Il peut apparaître regrettable qu'elle n'ait pas été lancée au cours de l'exercice 2019, les crédits étant disponibles. Pour l'heure, au plan budgétaire, le Pass culture semble se limiter au financement d'une structure administrative et ne remplit pas son objectif initial de renforcer l'accès des jeunes à la culture. L'exercice en cours ne devrait pas permettre de corriger cette tendance. L'élargissement de la phase d'expérimentation, prévu le 20 avril dernier, a en effet été différé en raison de la crise sanitaire. La totalité des départements des régions Île-de-France et Grand Est devait initialement mettre en place le dispositif à cette date.

Les rapporteurs spéciaux rappellent leur crainte que le Pass Culture tende à résumer l'effort de l'État en faveur de l'éducation artistique et culturelle et que sa montée en charge budgétaire ne s'effectue au détriment des moyens qui lui sont traditionnellement dédiés. Il aurait pu paraître opportun que les 10 millions d'euros de crédits finalement reportés en 2020 soient plutôt réorientés.

Le rapport annuel de performances 2019 souligne en effet que les objectifs en matière d'éducation artistique et culturelle ne sont pas atteints. Il en va ainsi de la part des enfants et adolescents ayant bénéficié d'une action d'éducation artistique et culturelle ou de l'effort de développement des crédits d'éducation artistique et culturelle dirigés vers les territoires prioritaires (indicateurs 2.1 et 2.2 de l'objectif n°2 assigné au programme 224).

Indicateurs Éducation artistique et culturelle - Prévision et réalisation 2019

Indicateur

Prévision PAP 2019

Réalisation

Part des enfants et adolescents ayant bénéficié d'une action d'éducation artistique et culturelle (%)

88

75

Effort de développement des crédits d'éducation artistique et culturelle dirigés vers les territoires prioritaires (coefficient)

5,72

5,09

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires


* 97 Sur 3 500 sites en péril signalés par la Mission Bern, 390 projets (y compris monuments non-inscrits ou classés) ont été sélectionnés en 2018 et 2019.

* 98 Loi n° 2019-803 du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet

* 99 Ardennes, Bas Rhin, Côtes d'Armor, Doubs, Finistère, Guyane, Hérault, Ille-et-Vilaine, Morbihan, Nièvre, Saône-et-Loire, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Vaucluse.

* 100 Décret n°2019-755 du 22 juillet 2019

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