B. LES TRANSFERTS PUBLICS AU PROFIT DES ANCIENS COMBATTANTS DÉPASSENT DE BEAUCOUP LES DÉPENSES PUBLIQUES DU FAIT DE RÉGIMES FISCAUX AVANTAGEUX

Quant aux transferts réalisés au bénéfice des anciens combattants à travers les régimes fiscaux dérogatoires qui leur reconnaissent des avantages particuliers, ils sont évalués par le rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement à 750 millions d'euros, soit 32,6 % des dépenses budgétaires de la mission, une proportion en hausse par rapport à l'an dernier (30,5 %).

Dans ces conditions, l'effort public consolidé consacré aux différents objectifs poursuivis par la mission doit a minima être relevé d'un peu plus d'un tiers par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale.

Le rapporteur spécial observe toutefois que les prescriptions détaillées de dépenses de la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques ne s'appliquent pas aux dépenses fiscales 54 ( * ) si bien que leur niveau, quoiqu'élevé, ne conduit pas à réviser l'appréciation portée plus haut sur le respect du triennal par les consommations de crédits.

La dynamique des dépenses fiscales tranche habituellement avec celle des crédits.

Néanmoins, mais sur des bases encore « affinables » (voir à ce sujet la note d'exécution budgétaire 2019 de la Cour des comptes), cette année, les six dépenses fiscales inventoriées dans le rapport annuel de performances passent de 775 millions d'euros en 2018 à 750 millions d'euros en 2019, soit un repli de 25 millions d'euros (- 3,2 %) et une évolution tout de même moins négative que celle des dépenses (- 5,9 % pour les dépenses du seul programme 169).

Depuis 2010 la croissance du poids des dépenses fiscales a été particulièrement forte. Alors, les cinq dépenses fiscales recensées s'élevaient à 430 millions d'euros. Dans un contexte de quasi-homogénéité entre le champ de l'évaluation de ces transferts entre 2010 et 2019, on relève ainsi une augmentation de 74,4 % du poids des dépenses fiscales en neuf ans.

Avec 320 millions d'euros en plus, elles ont considérablement atténué la baisse de 1 124 millions d'euros constatée sur les dépenses de la mission au cours de cette période.

Encore faut-il observer que seules quatre des six dépenses fiscales recensées dans le rapport annuel de performances sont évaluées tandis que l'inventaire des transferts alloués aux anciens combattants et à leurs ayants droits par la Cour des comptes conduit à constater une fois de plus que le recensement proposé par la documentation budgétaire continue d'être incomplet.

Exemples de dépenses fiscales et sociales
non mentionnées par les documents budgétaires selon la Cour des comptes

L'impôt sur le revenu (IR)

Le rapport annuel de performances (PAP) ne fait pas figurer :

- en l'isolant, la part des dépenses fiscales découlant des dispositifs prévus par le programme 158 qui correspondrait à 3,5 % de la dépense n° 120126 ; le ministère de la défense, la direction du budget et le Secrétariat général du Gouvernement ont indiqué qu'ils étaient disposés à répartir la dépense fiscale qui figure aujourd'hui au titre du programme 169 entre les deux programmes 158 et 169 et à rattacher les montants correspondants dans le PAP. Des travaux seront entrepris à ce sujet ;

- l'exonération d'impôt sur le revenu des PMI reversées aux ayants droit des militaires et anciens combattants décédés, en vertu des dispositions du CPMIVG ;

- pour le programme 158, les indemnités versées aux ayants droit des victimes de spoliation qui sont exonérées d'IR.

Les droits de mutation

Le PAP ne mentionne pas l'exonération dont bénéficie le capital versé aux victimes de spoliations qui serait soumis au droit d'enregistrement (programme 158).

Les droits de succession

Le PAP ne mentionne pas que :

- la transmission du capital de la rente mutualiste, lorsqu'il a été opté pour le régime réservé viagèrement, se fait hors droit de succession dans la limite de la fiscalité actuelle ;

- pour les ayants droit des victimes de spoliations, les indemnités versées postérieurement au décès du bénéficiaire ne constituent pas un patrimoine taxable.

Les prélèvements sociaux

Certaines aides bénéficient d'exonérations de prélèvements sociaux :

- les PMI, la retraite du combattant, la retraite mutualiste des anciens combattants (dans la mesure où elle bénéficie de la majoration de l'État) et les allocations de reconnaissance servies aux anciens membres des formations supplétives de l'armée française en Algérie et leurs veuves sont exonérées de CSG et de CRDS. Cette exonération est d'ailleurs codifiée par l'article L. 136-2-III-3° du code de la sécurité sociale. Le coût de ces avantages est difficile à évaluer en raison des modulations susceptibles d'intervenir. Compte tenu de l'augmentation des taux de la CSG en 2018, il devrait s'alourdir par rapport aux données suivantes appréciées par la Cour des comptes sur la base de différents échanges : le coût de l'exonération pour les retraites mutualistes avait été estimé, en 2013, à 80 millions d'euros ; quant à la retraite du combattant, l'exonération avait été estimée à 67 millions d'euros ;

- les sommes perçues par les orphelins des victimes de la barbarie, les orphelins des victimes d'actes d'antisémitisme pendant la Seconde guerre mondiale et par les victimes de spoliations ne sont pas soumis à prélèvements sociaux.

Bien que ces deux exonérations ne relèvent pas de la loi de finances initiale stricto sensu, et ne doivent pas figurer dans le PAP à ce titre, mais du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les montants correspondants viennent augmenter le coût global de cette politique. Ils pourraient donc être mentionnés dans les documents budgétaires pour porter à la connaissance de la représentation nationale le coût de cette politique.

On mentionnera encore, pour mémoire, que les rapports de performances non plus que les projets annuels de performances ne comprenaient pas les différentes exonérations d'impôt sur la fortune prévues au profit :

- des sommes allouées aux ayants droit des victimes de persécutions antisémites en vertu de l'article 885 K du code général des impôts ;

- de la rente mutualiste, dont la valeur de capitalisation n'était pas imposable ;

- de l'ensemble des aides financières versées aux orphelins et aux victimes de spoliations n'entrent pas dans le champ de l'ISF.

Source : à partir de la note d'analyse budgétaire 2015. Cour des comptes

La montée en puissance des transferts fiscaux dans le total des expressions de la reconnaissance de la Nation aux anciens combattants conjointe avec celle des majorations accordées aux rentes mutualistes conduit à une concentration des manifestations de soutien de la Nation à ses anciens combattants dans un contexte où les allocations les plus « universelles » n'ont bénéficié ces dernières années que de revalorisations ponctuelles.

On relèvera à cet égard que la demi-part attribuée à partir de 74 ans aux titulaires de la carte du combattant et de PMI, pour bénéficier, semble-t-il, à près de 900 000 foyers fiscaux (cette dépense fiscale représente 72 % du total des dépenses fiscales recensées et 20 % du montant des dépenses budgétaires au titre des PMI et de la retraite du combattant) exerce des effets nettement différenciés selon le niveau de revenu des bénéficiaires. En particulier, cet avantage ne profite pas aux contribuables exonérés d'impôt sur le revenu.

Un même constat s'impose en ce qui concerne l'exonération d'imposition sur le revenu de la plupart des allocations versées par le programme 169 (165 millions d'euros de transferts vers les anciens combattants). On peut illustrer l'impact de cette disposition en indiquant que pour un titulaire de la retraite du combattant non imposable elle équivaut à un avantage nul quand pour un titulaire de la retraite du combattant dont le taux moyen d'imposition tend vers le taux marginal supérieur du barème elle représente une économie d'impôt de 346 euros.


* 54 La loi de programmation des finances publiques fixe un plafond aux dépenses fiscales mais celui-ci est global et, en conséquence, n'est pas décliné par mission au contraire du régime applicable aux crédits de paiement qui sont, de leur côté, plafonnés par mission. Ce hiatus dans le statut des transferts de l'État selon qu'ils passent par des dépenses ou par des faveurs fiscales n'est pas purement arbitraire dans la mesure où les dépenses fiscales sont présumées moins pilotables que les crédits mais, outre que cette présomption n'est pas irréfragable (le plafond de dépenses fiscales fixé par la loi de programmation l'atteste), elle ouvre la perspective d'arbitrages au profit de transferts par les dépenses fiscales plutôt que par des dépenses publiques pouvant aboutir (effet pervers s'il en est) à une plus grande inertie des finances publiques et à une plus faible visibilité des interventions de l'État.

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