N° 471
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020
Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 mai 2020 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la
proposition de loi relative
au
statut
des
travailleurs
des
plateformes
numériques
,
Par Mme Cathy APOURCEAU-POLY,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; MM. René-Paul Savary, Gérard Dériot, Mme Colette Giudicelli, M. Yves Daudigny, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, MM. Michel Amiel, Guillaume Arnell, Mme Laurence Cohen, M. Daniel Chasseing , vice-présidents ; M. Michel Forissier, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, Corinne Féret, M. Olivier Henno , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Jean-Noël Cardoux, Mmes Annie Delmont-Koropoulis, Catherine Deroche, Chantal Deseyne, Nassimah Dindar, Catherine Fournier, Frédérique Gerbaud, M. Bruno Gilles, Mmes Michelle Gréaume, Nadine Grelet-Certenais, Jocelyne Guidez, Véronique Guillotin, M. Xavier Iacovelli, Mme Victoire Jasmin, M. Bernard Jomier, Mme Florence Lassarade, M. Martin Lévrier, Mmes Monique Lubin, Viviane Malet, Brigitte Micouleau, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, MM. Jean Sol, Dominique Théophile, Jean-Louis Tourenne, Mme Sabine Van Heghe . |
Voir les numéros :
Sénat : |
717 (2018-2019) et 472 (2019-2020) |
L'ESSENTIEL
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I. LE DÉVELOPPEMENT D'UNE NOUVELLE FORME DE TRAVAIL QUI REMET EN CAUSE LES ACQUIS DU DROIT DU TRAVAIL
A. LA DISTINCTION TRADITIONNELLE ENTRE SALARIAT ET TRAVAIL INDÉPENDANT VISE À PROTÉGER LES TRAVAILLEURS EN SITUATION DE SUBORDINATION
1. La construction progressive d'un droit du travail protecteur
La relation entre celui qui possède les moyens de production et celui qui loue sa force de travail est, par nature, une relation déséquilibrée quand bien même elle est organisée par un contrat de travail conclu par les parties. Le salarié est en effet placé dans une relation de subordination vis-à-vis de son employeur, dont il dépend pour la garantie de ses moyens de subsistance.
Afin de remédier à ce déséquilibre, le droit du travail a progressivement construit un socle de garanties protégeant les salariés dont on peut rappeler les principales sans viser à l'exhaustivité.
a) Les garanties en termes de rémunération
Le premier domaine dans lequel les salariés doivent être protégés contre l'exploitation est sans doute celui de la rémunération.
Depuis la loi du 11 février 1950 1 ( * ) , les salariés français se voient ainsi garantir une rémunération au moins égale à un salaire minimal interprofessionnel .
La mensualisation des salaires 2 ( * ) permet en outre de protéger la plupart des salariés contre une trop grande variabilité de leurs revenus.
On peut également mentionner la « prime de précarité » 3 ( * ) , versée aux salariés en contrat à durée déterminée et aux intermittents afin de compenser le caractère dérogatoire de leur forme de travail par rapport à la norme que constitue le contrat à durée indéterminée.
Un employeur ne peut en outre pas proposer à un salarié un contrat portant sur moins de 24 heures par semaine 4 ( * ) .
Enfin, la faculté pour un employeur de mettre fin unilatéralement à un contrat de travail est encadrée par le droit du licenciement qui lui impose notamment d'établir l'existence d'une cause réelle et sérieuse et prévoit le versement d'indemnités.
b) Les garanties en termes de droit au repos
Au fil de l'histoire sociale, les travailleurs ont également su obtenir des garanties en matière de temps de travail et de droit au repos.
Le code du travail prévoit ainsi une durée légale du travail 5 ( * ) , au-delà de laquelle les heures supplémentaires font l'objet d'une rémunération majorée, ainsi qu'une durée maximale par jour 6 ( * ) et par semaine 7 ( * ) visant à éviter que des travailleurs s'épuisent à la tâche et à leur garantir un droit au temps libre.
c) Le dialogue social
Le préambule de la Constitution de 1946 garantit aux travailleurs certains droits sociaux permettant la défense de leurs intérêts.
Ces droits sont notamment le droit syndical 8 ( * ) , le droit de grève 9 ( * ) et le droit de participer, par l'intermédiaire de délégués, à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprise 10 ( * ) .
Ces principes trouvent leur application dans la constitution d'instances représentatives du personnel composées de membres élus et à même de défendre les salariés au sein des entreprises et de peser sur les choix opérés par les employeurs.
d) Le droit à une protection sociale
Au-delà des dispositions visant à rééquilibrer la relation de travail et, ainsi, à protéger les salariés contre l'arbitraire d'un employeur, la France a également su construire un système de protection sociale permettant d'assurer les travailleurs contre un grand nombre de risques de la vie.
Les travailleurs salariés sont notamment assurés contre les accidents du travail et les maladies professionnelles grâce aux cotisations qui sont versées par leurs employeurs, légalement responsables de leur sécurité, à la branche AT-MP de la sécurité sociale.
Si le droit à la couverture maladie de base est devenu universel, le droit à une couverture complémentaire est garanti aux seuls salariés depuis 2016 11 ( * ) .
Enfin, les salariés sont affiliés de droit à l'assurance chômage , financée par des contributions patronales, qui leur offre une protection contre le risque représenté par la perte de leur emploi.
2. Un statut protecteur souvent remis en cause
Les garanties offertes aux travailleurs par le statut de salarié sont principalement financées par les employeurs ou constituent des limitations à leur pouvoir de direction.
Dès lors, les stratégies consistant à assimiler une relation de travail à une prestation de service fournie par un travailleur indépendant à un client ne sont pas nouvelles.
Face à ces tentatives, la jurisprudence affirme clairement et depuis longtemps que la nature de la relation de travail ne dépend pas de la qualification qu'en font les parties. Ainsi, lorsqu'existe, dans les faits, une relation de subordination, le juge peut requalifier en contrat de travail une prestation qui était présentée comme une prestation de services .
Pour apprécier in concreto l'existence d'un lien de subordination, le juge se base sur un faisceau d'indices : d'une part, l'autorité et le contrôle exercés par le donneur d'ordres et, d'autre part, les conditions matérielles d'exercice de l'activité 12 ( * ) .
Le fait que le travail soit effectué au sein d'un service organisé peut par exemple constituer un indice de l'existence d'un lien de subordination lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.
* 1 Loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail.
* 2 Art. L. 3242-1 du code du travail.
* 3 Art. L 1251-32.
* 4 Art. L. 3123-27.
* 5 Art. L. 3132-27
* 6 Art. L. 3121-18.
* 7 Art. L. 3121-20.
* 8 Alinéa 6.
* 9 Alinéa 7.
* 10 Alinéa 8.
* 11 Loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016, art. 59.
* 12 Cass. soc. 13 nov. 1996, 94-13.187 (« Société Générale ») : « le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».