N° 369
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 mars 2020 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, visant à améliorer la lutte contre la fraude aux financements européens dans le cadre des politiques de voisinage ,
Par M. André REICHARDT,
Sénateur
et TEXTE DE LA COMMISSION
(Envoyé à la commission des finances)
1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet , président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, Mme Véronique Guillotin, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-François Rapin , vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, René Danesi , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Claude Haut, Olivier Henno, Mmes Sophie Joissains, Mireille Jouve, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Jean-Jacques Panunzi, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert . |
Voir le numéro :
Sénat : |
309 (2019-2020) |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission est saisie d'une proposition de résolution européenne (n° 309 ; 2019-2020) visant à améliorer la lutte contre la fraude aux financements européens dans le cadre des politiques de voisinage, présentée par Mme Nathalie Goulet.
L'exposé des motifs de cette proposition de résolution européenne (PPRE) vise clairement la lutte contre la fraude aux finances publiques européennes. Il souligne le rejet par les opinions publiques de la fraude, des détournements de subventions et aides internationales et, plus largement, de la corruption, phénomènes qui leur sont devenus intolérables. L'exposé des motifs cible plus particulièrement « les pays liés [à l'Union européenne] par les politiques de voisinage ou les partenariats particuliers », et cite trois pays : l'Ukraine, l'Égypte et le Liban. Il évoque les manifestations au Liban et l'action des lanceurs d'alerte en faveur de « plus de transparence sur l'usage des multiples financements européens reçus au cours des dernières années par l'État libanais ». Enfin, il mentionne le rôle de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) dans la conduite d'enquêtes sur l'utilisation du budget de l'Union européenne, enquêtes qui peuvent donner lieu à des poursuites et sanctions au niveau national. Au total, cette PPRE demande au Gouvernement, sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution, de soutenir le renforcement du contrôle de l'OLAF sur les fonds européens alloués aux pays liés à l'Union européenne par la politique de voisinage ou un partenariat particulier.
La politique européenne de voisinage (PEV) a été lancée en 2004 à la suite du processus de Barcelone, lui-même engagé en 1995 pour dépasser des relations jusqu'alors exclusivement bilatérales. Elle vise à développer des liens privilégiés avec seize pays voisins de l'Union européenne, dix au titre du voisinage Sud 1 ( * ) et six à celui du voisinage Est 2 ( * ) . Il s'agit de créer un espace de prospérité et de valeurs partagées, fondé sur une intégration économique accrue, des relations politiques et culturelles plus intenses, une coopération transfrontière renforcée et une prévention conjointe des conflits. La PEV soutient des réformes dans quatre domaines prioritaires : la bonne gouvernance de la démocratie, l'État de droit et les droits de l'Homme ; le développement économique comme vecteur de stabilisation ; la sécurité ; la migration et la mobilité. Elle est distincte de la politique d'élargissement et ne saurait constituer l'antichambre de l'adhésion - il s'agit là d'une position politique forte de la France.
La PEV fait l'objet d'un financement spécifique, d'un montant total de 15,4 milliards d'euros sur les années 2014-2020, mobilisé par l'Instrument européen de voisinage (IEV). Ces crédits, mis en oeuvre au moyen de programmes ciblés, sont alloués de trois façons différentes : des programmes bilatéraux, des programmes multi-pays et des programmes de coopération transfrontalière. L'Autorité palestinienne est la première bénéficiaire de l'aide européenne au titre de l'IEV, soit 2,2 milliards d'euros, suivie du Maroc et de la Tunisie ; l'Égypte reçoit 924 millions d'euros, et le Liban 385 millions. La Commission européenne a proposé de porter les crédits de la PEV de 15,4 à 22 milliards d'euros au titre du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027.
Le voisinage Sud bénéficie traditionnellement des deux tiers des crédits globaux de la PEV. Les dix pays concernés entretiennent avec l'Union européenne des relations très hétérogènes. Alors que ni la Libye ni la Syrie ne disposent d'un accord d'association, le Maroc et la Jordanie bénéficient d'un statut avancé, et la Tunisie d'un partenariat privilégié.
Ainsi les crédits de la PEV permettent-ils de financer diverses actions dans ces seize pays liés à l'Union européenne.
Il faut les distinguer des fonds structurels mis en place au titre de la politique de cohésion, tels que le Fonds européen de développement régional (FEDER) ou le Fonds social européen (FSE), qui sont destinés à réduire les écarts de développement entre régions européennes au sein même de l'Union européenne.
Cette précision est importante car la rédaction de la PPRE paraît quelque peu confuse sur ce point. En effet, parmi ses visas, elle cite le rapport de la mission d'information du Sénat sur l'utilisation des fonds structurels, établi par Mme Colette Mélot 3 ( * ) . Or, il s'agit d'un sujet bien distinct de la PEV et du contrôle des crédits de cette dernière. D'ailleurs, sur la question du contrôle des fonds européens, le rapport de Colette Mélot relevait un « empilement de contrôles », européens, nationaux et régionaux, et proposait de « réduire les contrôles redondants et excessifs ». Au total, la rapporteure estimait que les fonds européens faisaient davantage l'objet d'un sur-contrôle que d'un sous-contrôle... Or, le dispositif de la PPRE appelle à un renforcement du contrôle sur « l'allocation des fonds européens ». Cette rédaction n'est pas satisfaisante car elle ne permet pas d'atteindre l'objectif que semble poursuive l'auteure du texte, à savoir le renforcement du contrôle des crédits de la PEV.
La PPRE propose de renforcer le contrôle de l'OLAF sur « l'allocation des fonds européens ». Cette rédaction ne permet donc pas de viser la PEV. En outre, en employant le terme « allocation », elle semble inviter l'OLAF à exercer un contrôle d'opportunité, et non de régularité, sur l'utilisation des crédits. Il s'agit d'une seconde difficulté rédactionnelle.
Les crédits de la politique européenne de voisinage font déjà l'objet de divers contrôles.
La Commission effectue un audit systématique de tous les programmes financés dans le cadre de l'IEV. Elle réalise également des rapports d'évaluation, ainsi qu'un rapport annuel examinant les progrès accomplis. Ce rapport annuel contient des informations sur les mesures financées, les résultats des activités de suivi et d'évaluation, l'engagement des partenaires concernés et l'exécution des engagements budgétaires et des crédits de paiement, sur la base d'indicateurs prédéfinis et mesurables, que la Commission transmet au Conseil et au Parlement européen. Par ailleurs, la Commission établit, en collaboration avec les États membres, un rapport annuel sur la protection des intérêts financiers de l'Union européenne et la lutte contre la fraude. Le 11 octobre dernier, elle a ainsi publié la 30 e édition de ce rapport 4 ( * ) .
L'OLAF est compétent au titre du contrôle interne. Créé en 1999, l'OLAF est une direction de la Commission, mais dispose d'une autonomie budgétaire et administrative destinée à garantir son indépendance opérationnelle. Il établit son propre rapport annuel sous l'autorité de son directeur général, son dernier rapport, le 19 e , porte sur l'année 2018. La mission de l'OLAF est de détecter les cas de fraude relatifs à toutes les dépenses du budget de l'Union européenne. L'OLAF mène des enquêtes, y compris transfrontalières, sur signalement des États membres, des institutions européennes ou anonyme, sur la fraude et la corruption portant atteinte à la protection des intérêts financiers de l'Union. Il s'agit d'enquêtes internes, au sein des administrations européennes, et externes, dans les États membres et dans certains pays avec lesquels des accords de coopération ont été conclus 5 ( * ) . Le directeur général de l'OLAF ouvre les enquêtes internes, tandis que la décision d'ouvrir une enquête externe est prise par le directeur général, agissant de sa propre initiative ou à la demande d'un État membre intéressé ou de toute institution, tout organe ou organisme de l'Union 6 ( * ) .
Ses enquêtes sont toutefois administratives. L'OLAF ne dispose pas d'attributions judiciaires, même s'il peut adresser des recommandations aux autorités judiciaires des États membres. La création du Parquet européen, qui doit être opérationnel à la fin du mois de novembre prochain, vise précisément à surmonter cet obstacle. La lutte contre la fraude s'en trouvera ainsi renforcée.
Selon le rapport de M. Patrice Joly, « entre 2010 et 2017, l'OLAF a conduit près de 1 800 enquêtes et a recommandé le recouvrement de près de 6,6 milliards d'euros pour le budget de l'Union européenne » 7 ( * ) . Pour ce qui concerne plus précisément les pays relevant de la PEV, l'OLAF a clôturé 21 dossiers d'enquête entre 2015 et 2020 ; en 2019, l'un d'entre eux, accompagné par des recommandations financières, concernait par exemple le Liban. Par ailleurs, 12 enquêtes sont en cours. On ne peut demander à l'OLAF de renforcer ses contrôles sans accroître ses moyens et donc ses dépenses de fonctionnement. Dans le contexte budgétaire actuel, tant européen que national, est-ce souhaitable ? Est-ce réaliste ? Il serait préférable de réclamer que l'OLAF dispose de ressources suffisantes pour assurer ses missions.
Enfin, la Cour des comptes européenne détient, elle aussi, un pouvoir d'audit. À ce titre, elle effectue également des contrôles de l'utilisation des crédits de la PEV, qu'elle évoque dans son rapport relatif à chaque exercice budgétaire. Son dernier rapport annuel, portant sur l'exercice 2018, a été publié en octobre dernier. Il évoque des cas de fraude présumée communiqués à l'OLAF. Il étudie la performance des opérations financées ou cofinancées par le budget de l'Union européenne : « Tous les projets examinés étaient dotés d'indicateurs de performance clairs et pertinents. Leurs cadres logiques étaient bien structurés et les réalisations escomptées étaient réalistes et réalisables », écrit ainsi la Cour dans son rapport. La Cour indique aussi que « les indicateurs reflètent des progrès globalement raisonnables pour les programmes de la rubrique « L'Europe dans le monde », qui inclut notamment l'IEV. Sur la base d'un contrôle par échantillonnage, la Cour émet en outre des recommandations visant à améliorer la gestion de ces fonds.
Par ailleurs, la Cour des comptes européenne établit également des rapports spéciaux sur des sujets plus circonscrits ou sur des pays, dont le but est de présenter les résultats d'audit de la performance et d'audit de conformité. Il convient, par exemple, de citer un rapport spécial de 2018 sur la mise en oeuvre de fonds de l'Union par des ONG, ou un autre de 2019 sur le soutien de l'Union en faveur du Maroc. Enfin, la Cour est appelée à émettre un avis sur les propositions de règlement de la Commission au titre du prochain CFP ; c'est ce qu'elle a fait sur la proposition établissant l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVDCI) 8 ( * ) ; elle formule dans cet avis plusieurs recommandations.
Ce nouvel instrument financier, qui regrouperait de nombreux dispositifs de l'actuel CFP, dont l'IEV, devrait également contribuer à renforcer les contrôles des crédits de la PEV. Aux termes du considérant 44 et des articles 31 (contrôle et établissement de rapports) et 32 (évaluation) de la proposition de règlement sur l'IVDCI, la Commission sera tenue de prévoir que les accords conclus pour la mise en oeuvre de cet Instrument comporteront des dispositions expresses sur les compétences de la Commission, de l'OLAF et de la Cour des comptes européenne en matière d'audit et de contrôle.
Naturellement, le Parlement européen, en particulier à travers sa commission des affaires étrangères, exerce également un contrôle parlementaire sur la PEV.
Enfin, la toute récente résolution européenne du Sénat sur le CFP 2021-2027 9 ( * ) comporte une disposition, au titre des enjeux liés à la gestion des migrations, qui « souligne la nécessité de veiller au contrôle de l'usage des fonds [de la politique de développement] et au suivi de l'efficacité des actions menées à cette fin dans le cadre de l'instrument unique de voisinage, de développement et de coopération internationale ».
Au terme de cette analyse, la commission a modifié substantiellement cette proposition de résolution européenne de manière à préciser la rédaction tant de ses visas que de son dispositif. Il s'agit moins de renforcer les contrôles des crédits de la PEV, puisque ce contrôle existe déjà et que son renforcement est en cours, que d'accorder une plus grande attention, dans la procédure de contrôle, à cette politique particulière, sans doute insuffisamment prise en considération à ce titre aujourd'hui.
* 1 Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Autorité palestinienne, Syrie et Tunisie.
* 2 Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine.
* 3 Rapport d'information (n° 745 ; 2018-2019) du 25 septembre 2019.
* 4 Texte COM (2019) 444 final.
* 5 Sur le fondement de l'article 14 du règlement (UE) n° 883/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 septembre 2013 relatif aux enquêtes effectuées par l'OLAF.
* 6 Conformément, respectivement, aux articles 5.1 et 5.2 du même règlement.
* 7 Rapport d'information (n° 674 ; 2018-2019) du 17 juillet 2019, établi au nom de la commission des finances, sur la lutte contre la fraude et la protection des intérêts financiers de l'Union européenne.
* 8 Avis n° 10/2018 publié le 17 décembre 2018.
* 9 Résolution européenne (n° 60 ; 2019-2020) du 11 février 2020.