B. LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE ET LA QUESTION DE L'USAGE GÉOGRAPHIQUE « CHAMPAGNE » ET « COGNAC » EN ARMÉNIE
Au chapitre 7 « propriété intellectuelle », les parties garantissent la mise en oeuvre adéquate et effective des traités internationaux relatifs à la propriété intellectuelle auxquels elles ont adhéré dans le cadre de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) ainsi que l'accord de l'OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce.
Le présent chapitre présente les droits et obligations liant les parties, notamment les normes concernant les droits de propriété intellectuelle en matière de droits d'auteur et droits voisins, de droit des marques, celle des dessins et modèles enregistrés, le respect du droit des brevets, la protection du secret des affaires et des droits d'obtention végétale.
Les parties s'engagent également à faciliter les actions en justice pour atteinte à un droit de propriété intellectuelle, à mettre en oeuvre des mesures aux frontières, de façon à faire respecter ce droit, et de manière générale à coopérer afin de faciliter la mise en oeuvre des engagements et obligations relatifs à la propriété intellectuelle.
S'agissant du droit des marques et de la protection des indications géographiques originaires du territoire des parties, le principal intérêt pour la France réside dans la protection des indications géographiques (IG) « Cognac » et « Champagne ». Pour mémoire, la France a engagé des démarches pour faire cesser l'utilisation de l'IG Cognac en Arménie depuis la fin des années 1990.
Ces deux IG françaises « Cognac » et « Champagne » sont utilisées en Arménie depuis de nombreuses années.
Les producteurs arméniens utilisent depuis 1863 le terme « cognac », devenu « kagnac », pour désigner leur production. 93% de la production totale, qui s'élève à 550 000 hectolitres, est exporté, dont 84% vers la Russie. L'Arménie exporte par ailleurs le même produit sous le nom « brandy » vers les pays qui protègent l'appellation « cognac ». La prédominance du marché russe explique la demande de transition ou phasing-out différencié pour les marchés export et intérieur de la part des Arméniens.
La production de « kagnac » arménien est une source de revenus importante à l'export puisque les exportations représentent 8% en valeur des exportations totales du pays en 2016 (cette part était supérieure les années précédentes : 10,5% en 2014 et 12,3% en 2013). Au-delà des 40 000 viticulteurs sur 3 millions d'habitants, il y a 34 producteurs de brandy en Arménie. Un des plus grands producteurs, Pernod-Ricard, qui a racheté en 1998 le groupe arménien Yerevan Brandy Company et NOY, possède la marque très connue « Ararat » si bien qu'il peut tout à fait se passer du terme « Cognac ». Les autres sont tous de petits producteurs (32 dont 15 faisant du vin et du brandy, les autres ne produisant que du brandy), plus inquiets de perdre le marché russe en l'absence de marque forte, et donc déposer le bilan.
S'agissant du Champagne, l'Arménie produit du vin mousseux, sous le nom « shampanskoe » (moins de 100 000 bouteilles) et en exporte également en Russie.
Pour comparer les enjeux côté français et côté arménien, il faut savoir qu'en 2017, l'Arménie a produit 30 millions de litres de kagnac pour une valeur de 208 millions de dollars tandis que la France a produit 200 millions de bouteilles de cognac pour une valeur de 3 milliards d'euros. Si la production arménienne de shampagnskoïé est marginale, ce n'est pas le cas de la production française qui était d'environ 295 millions de bouteilles en 2017, les exportations représentant 2,9 milliards d'euros.
Dans le cadre des négociations du présent accord, la protection des indications géographiques a été obtenue très difficilement et en contrepartie d'un engagement de l'UE à financer une assistance technique et financière afin d'organiser l'arrêt de l'utilisation du terme « kagnac ».
Selon le consensus obtenu sur une extinction des appellations arméniennes, y compris en cyrillique, la commercialisation et l'exportation resteront possibles, en caractères cyrilliques, sur des périodes transitoires différenciées. Ces périodes seront, en ce qui concerne le marché arménien, de 2 ans pour le Champagne et de 14 ans (13 ans + 1 an d'application provisoire de l'accord) pour le Cognac (art. 237.3), et en ce qui concerne l'exportation, notamment vers la Russie, elles seront de 3 ans pour le Champagne et de 25 ans (24+ 1 an d'application provisoire de l'accord) pour le Cognac (art. 237.2).
L'accord prévoit également la fourniture d'une assistance technique et financière de l'Union européenne à l'Arménie (art. 237.4) « à convenir définitivement par les parties » dans l'année suivant l'entrée en vigueur de l'accord (art 237.5). Cette assistance, destinée à mettre fin à l'utilisation de l'IG «Cognac» pour les produits arméniens et à aider l'Arménie à conserver sa position concurrentielle sur les marchés d'exportation, devra être fournie au plus tard au cours des huit années suivant l'entrée en vigueur de l'accord (art 237.7). L'Arménie pourra activer le mécanisme de règlement des différends de l'accord en l'absence de réception de cette assistance et le cas échéant, suspendre ses engagements sur la protection de l'IG et l'abandon de son utilisation (art. 237.6).
Selon les informations transmises par les services du MEAE 5 ( * ) , le calendrier du paquet d'assistance technique pour accompagner l'Arménie à mettre fin à l'utilisation de l'appellation « Cognac » est très contraint et constitue un point d'attention. Le paquet d'assistance, qui devait être agréé par les deux parties au cours de la première année de l'application provisoire de l'accord, sur la base d'une évaluation des besoins réalisée par un consultant choisi de façon conjointe, prend du temps à se mettre en place. Deux appels d'offres successifs ont été nécessaires pour la sélection du consultant chargé de l'évaluation des besoins, Ernst and Young, puis la livraison du rapport, initialement prévue pour le printemps 2019, a été retardée en raison de réajustements demandés par la Commission, de changements politiques côté arménien, du temps nécessaire au partage de l'information avec les autorités arméniennes sur les solutions proposées.
Le rapport du consultant, clos depuis mi-octobre 2019, propose trois scenarii pour la phase de rebranding (adoption du nom «Armenian brandy » ou « Armenian brandy » auquel serait adjoint un qualificatif ou bien encore un nouveau nom. Quel que soit le scénario retenu, trois phases sont prévues : la création de la marque, les activités d'appui à la marque, la diffusion/promotion de la marque.
Les autorités arméniennes se sont engagées à communiquer à la Commission l'option choisie d'ici mi-novembre. Il s'agira a priori d'une décision du Premier Ministre, compte tenu de la sensibilité politique et économique du sujet. Une fois connue l'option retenue, il sera envisageable pour la Commission de débloquer assez rapidement les premiers fonds, sous une forme à déterminer (instrument d'assistance technique et d'échange d'informations (Taiex), jumelage, subventions au titre de l'Instrument de voisinage).
Le montant global de l'aide n'a pas encore été arrêté et n'a pas nécessairement vocation à couvrir la totalité des coûts du rebranding. Le mécanisme de règlement des différends de l'accord est désormais activable par l'Arménie mais la Commission reste confiante en raison des bonnes relations de travail existant entre les deux parties et la capacité de pouvoir mobiliser rapidement l'enveloppe financière.
Il est attendu de la France qu'elle puisse jouer un rôle de facilitateur auprès de l'Arménie pour l'amener à faire un choix sur le rebranding. En parallèle, le Ministère de l'Agriculture et l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) mènent en Arménie une action afin de développer le système des IG dans le secteur viticole, ce qui permet notamment d'entretenir de très bonnes relations avec la Fondation arménienne de la Vigne et du Vin, désignée par le Vice-Ministre de l'économie en charge de l'agriculture, M. Kamalyan, pour travailler également sur le rebranding du brandy. Le Bureau national interprofessionnel du Cognac (BNIC) a également rappelé sa disponibilité à mettre en place un appui aux producteurs locaux.
* 5 Réponses du Gouvernement aux questions de la commission.