EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Les violences commises par le conjoint ou par l'ex-conjoint demeurent une réalité insupportable dans notre pays. Dans neuf cas sur dix, c'est une femme qui est victime de ces violences. Depuis le début de l'année, 121 femmes sont tombées sous les coups de leur conjoint, selon le décompte effectué par le collectif « féminicides par compagnon ou ex », soit autant que sur l'ensemble de l'année 2018.
Le plus souvent, l'homicide, ou la tentative, fait suite à une longue série de comportements violents. Chaque année, environ 220 000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint, selon l'observatoire national des violences faites aux femmes 2 ( * ) . De nombreux drames pourraient donc être évités si une action efficace était conduite par les pouvoirs publics dès le déclenchement des premiers faits de violence.
Nos concitoyens sont aujourd'hui en attente de mesures concrètes, et non de déclarations d'intention ou d'un empilement de textes dépourvus de retombées sur le terrain. De plus en plus mobilisée et sensible à ces sujets, la société nous pousse à agir de manière déterminée.
Pour faire émerger de nouvelles solutions, le Gouvernement a ouvert le 3 septembre dernier un « Grenelle des violences conjugales », qui va se prolonger jusqu'au 25 novembre prochain. Il réunit l'ensemble des parties prenantes : ministères, parlementaires, élus locaux, associations, familles et proches de victimes, avocats, médias, professionnels de la santé, du logement, forces de l'ordre, etc .
Sans attendre les conclusions du Grenelle, le Gouvernement a rendu publiques, dès le 3 septembre, dix mesures d'urgence. Certaines peuvent être mises en oeuvre sans intervention du législateur : ouverture de nouvelles places d'hébergement, audit des commissariats et gendarmeries pour évaluer les conditions d'accueil des femmes victimes, possibilité de déposer plainte dans les hôpitaux, retour d'expérience pour analyser les failles en cas de féminicide... D'autres nécessitent des mesures législatives.
La proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille, déposée par le député Aurélien Pradié (Les Républicains - Lot) et adoptée par l'Assemblée nationale le mardi 15 octobre, tend précisément à mettre en oeuvre certaines de ces mesures.
En approuvant le texte par 553 voix sur 553 suffrages exprimés, l'Assemblée nationale a montré que la représentation nationale pouvait se rassembler autour de cette cause, par-delà les clivages partisans. En choisissant de soutenir un texte déposé par un membre de l'opposition, le Gouvernement a fait preuve d'ouverture et de pragmatisme, en retenant la procédure qui permettra l'entrée en vigueur la plus rapide de ces mesures.
Certains États ont précédé la France dans la nécessaire mobilisation contre les violences au sein du couple, notamment l'Espagne qui s'est dotée depuis une dizaine d'années de juridictions spécialisées et qui met en oeuvre un dispositif anti-rapprochement qui a fait ses preuves.
Le recours à un bracelet anti-rapprochement constitue la mesure-phare de cette proposition de loi. Ce dispositif peut contribuer à prévenir la répétition des violences en géolocalisant la victime et son potentiel agresseur pour empêcher qu'ils se retrouvent en contact. Le texte vise également à améliorer l'ordonnance de protection , outil juridique dont dispose le juge aux affaires familiales depuis 2010 pour protéger une victime de violences conjugales avant tout dépôt de plainte. Le texte comporte enfin un volet logement afin d'aider les femmes qui choisissent de quitter le domicile conjugal à se reloger plus facilement.
Votre commission soutient ces mesures qui devront cependant s'inscrire dans une stratégie globale, avec des moyens budgétaires adaptés , pour porter pleinement leurs fruits. Une volonté politique sera nécessaire dans la durée pour rendre ces dispositions pleinement opérationnelles. Dans ce domaine, alors que la sécurité des femmes et de leurs enfants est en jeu, il ne nous est plus permis de décevoir.
I. LE VOLET PÉNAL : MIEUX PROTÉGER LES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCES CONJUGALES
A. UNE MESURE PHARE : LE BRACELET ANTI-RAPPROCHEMENT
La proposition de loi tend à autoriser l'utilisation d'un nouveau dispositif technique, le bracelet anti-rapprochement, à tous les stades de la procédure pénale.
1. Un dispositif technique novateur
L'administration pénitentiaire utilise depuis longtemps des dispositifs de bracelets électroniques pour mettre en oeuvre les mesures de placement sous surveillance électronique (PSE) ou de placement sous surveillance électronique mobile (PSEM), que ce soit dans un cadre présentenciel, comme une alternative à la détention provisoire, dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire ou encore dans le cadre d'un aménagement de peine. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a prévu la création d'une peine de détention à domicile qui repose également sur l'utilisation de ce dispositif.
Généralement portés à la cheville, ces bracelets sont munis d'un GPS qui permet de localiser en permanence et à distance la personne qui le porte et de contrôler si elle respecte les obligations de présence à son domicile qui ont été fixées par le juge. Si elle quitte son domicile en-dehors des heures autorisées, un surveillant pénitentiaire est aussitôt averti par une alarme. Dans le cadre d'un PSEM, le dispositif permet également de contrôler si la personne ne se rend pas dans des lieux qui lui sont interdits.
Le bracelet anti-rapprochement se distingue de ces dispositifs en ce qu'il permet de localiser à la fois l'auteur des violences et la personne que l'on souhaite protéger.
L'auteur porte le bracelet à sa cheville, posé par un membre du personnel de l'administration pénitentiaire, tandis que la personne protégée se voit confier un boîtier, de petite dimension, qu'elle peut glisser dans un sac à main ou dans une poche.
Le juge fixe la distance à laquelle il est fait interdiction à l'auteur des violences de s'approcher de la personne protégée ; il définit également le périmètre d'une « zone tampon », plus étendue, autour de la victime. Si l'auteur pénètre dans la « zone tampon », une première alerte est déclenchée. Si l'auteur ne s'éloigne pas, une deuxième alerte est déclenchée, ce qui peut entraîner son placement en détention.
À la première alerte, l'auteur des violences serait contacté par téléphone et invité à s'éloigner de la personne protégée. S'il n'obtempère pas et qu'une deuxième alerte est déclenchée, le centre de surveillance contacterait la police nationale ou la gendarmerie et préviendrait la personne protégée pour qu'elle puisse se réfugier en lieu sûr.
Le bracelet anti-rapprochement constitue donc un outil de prévention reposant sur l'apport des techniques de géolocalisation . L'objectif est d' empêcher l'auteur des violences de récidiver en s'assurant à tout moment qu'il n'entre pas en contact avec la victime. Il exerce un effet dissuasif sur le potentiel agresseur et permet d'intervenir rapidement si le conjoint violent tente, malgré tout, de passer à l'acte.
Le Gouvernement a indiqué qu'une enveloppe de 5,6 millions d'euros serait consacrée au déploiement d'un millier de bracelets anti-rapprochement, puis que le coût de fonctionnement du dispositif en régime de croisière serait de l'ordre de 1,8 million d'euros par an. Le contrôle du dispositif serait assuré par un centre de surveillance, fonctionnant 24 heures sur 24, employant 45 personnes en équivalent temps plein (ETP).
2. Un champ d'application étendu
Le bracelet anti-rapprochement pourrait être utilisé dans un cadre présentenciel (article 4 de la proposition de loi) ou sentenciel et postsentenciel (article 3), de manière à couvrir l'ensemble des situations où une victime pourrait avoir besoin d'être protégée.
À titre présentenciel , c'est-à-dire dans l'attente du jugement, le port du bracelet pourrait être décidé dans le cadre d'un placement sous contrôle judiciaire, mais aussi à l'occasion d'une assignation à résidence sous surveillance électronique ou d'une assignation à résidence sous surveillance électronique mobile (ARSEM). La décision serait prise par un juge d'instruction ou par un juge des libertés et de la détention (JLD).
À titre sentenciel , au moment d'une condamnation, le bracelet pourrait être prescrit par la juridiction de jugement dans le cadre d'une peine de sursis probatoire ou d'une peine de détention à domicile sous surveillance électronique, ou dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire.
À titre post-sentenciel , enfin, le port du bracelet pourrait être ordonné dans le cadre d'une mesure d'aménagement de peine (détention à domicile sous surveillance électronique, semi-liberté, placement extérieur), dans le cadre d'une libération conditionnelle ou d'une libération sous contrainte ou dans le cadre de mesures de surveillance judiciaire ou de surveillance de sûreté. La décision relèverait cette fois de la compétence du juge de l'application des peines (JAP).
À chaque fois, le texte prévoit que le consentement de la personne mise en cause ou condamnée est requis, ce qui est légitime s'agissant d'un dispositif placé physiquement sur un individu. Un refus pourrait toutefois entraîner son incarcération, sur décision du juge, ce qui devrait l'inciter fortement à l'accepter.
3. Un dispositif qui a fait ses preuves en Espagne
Les promoteurs du bracelet électronique anti-rapprochement soulignent que ce dispositif a fait la preuve de son efficacité en Espagne où il est utilisé depuis déjà dix ans.
Même s'il s'inscrit dans une politique plus large, le bracelet anti-rapprochement est souvent crédité d'avoir fait baisser de manière importante le nombre de féminicides : alors que l'on dénombrait, en 2003, 71 femmes décédées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint, ce chiffre n'était plus que de 47 en 2018 (soit une baisse d'environ un tiers). Si la France avait le même nombre de victimes rapporté à sa population, c'est une cinquantaine de vies qui seraient sauvées chaque année.
La mise en oeuvre du dispositif est assurée par un centre de contrôle situé en banlieue de Madrid et géré par deux entreprises privées (Telefonica pour le réseau téléphonique et Securitas pour la centrale d'alarme et de sécurité). Le bracelet est aujourd'hui porté par près de 1 100 femmes.
Lorsqu'un juge impose une mesure d'éloignement avec pose du bracelet, il précise les zones dans lesquelles ce dernier ne peut se rendre (domicile de la victime, école des enfants...) et il transmet ces informations au centre de contrôle. Le récepteur est remis à la victime au tribunal et des opérateurs de Securitas sont chargés de remettre l'équipement à l'auteur des violences, généralement dans un délai bref de moins de vingt-quatre heures.
Depuis que le dispositif a été mis en place, une seule femme bénéficiant de cette protection est décédée sous les coups de son ex-conjoint. Elle n'avait pas le récepteur avec elle au moment où elle a été agressée.
* 2 Cette estimation est issue des résultats de l'enquête de victimation annuelle « Cadre de vie et sécurité » (INSEE-ONRP-SSM-SI).