EXAMEN DES ARTICLES
La volonté d'interdire le port des signes ou tenues par lesquels les accompagnants de sorties scolaires manifestent de manière ostensible leur appartenance religieuse fait débat dans la société française et au sein de notre assemblée depuis plusieurs années . Ainsi, en 2015, la commission d'enquête visant à « faire revenir la République à l'école » lancée dans le contexte particulier des attentats de janvier 2015 et des perturbations ayant émaillé la minute de silence dans certains établissements scolaires a relevé que « la doctrine du "pas de vague" justifie des accommodements avec le principe de laïcité, faute d'une doctrine claire et opposable à tous les acteurs de la communauté éducative » . Face à ce constat, elle a préconisé comme première proposition afin de « favoriser le sentiment d'appartenance et l'adhésion de tous aux valeurs de la citoyenneté », la « sacralisation de l'école avec interdiction du port de signes ou de tenues ostensibles d'appartenance religieuse, politique ou philosophique pour les accompagnatrices et accompagnateurs de sorties scolaires » 8 ( * ) .
Lors de l'examen du projet de loi pour une école de la confiance, le Sénat a par ailleurs adopté un amendement visant à interdire le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse aux personnes « concourant au service public de l'éducation », « y compris lors des sorties scolaires » .
Cet amendement, déposé par notre collègue Jérôme Bascher à l'occasion de l'examen du texte de loi en séance - et dont Mme Jacqueline Eustache-Brinio était la première cosignataire -, a reçu un avis favorable de la commission, et un avis défavorable du gouvernement.
Ce projet de loi ayant été examiné selon la procédure accélérée, il n'y a pas eu de deuxième lecture à l'Assemblée nationale. En effet, un certain nombre de mesures contenues dans ce texte a concerné la rentrée 2019, comme l'abaissement de l'âge obligatoire d'instruction à 3 ans, nécessitant ainsi son adoption avant la rentrée de septembre. Aussi, à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire (CMP) a été convoquée à l'issue de l'examen du texte en première lecture au Sénat . Cet ajout de la Haute Assemblée a été supprimé à cette occasion. La loi pour une école de la confiance a été adoptée définitivement par le Sénat le 4 juillet 2019.
C'est dans ce contexte que la présente proposition de loi a été déposée le 9 juillet dernier par notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio.
Article
unique
Extension de l'interdiction des signes et tenues religieux
ostentatoires
à toute personne concourant au service public de
l'éducation
Objet : Le présent article vise à étendre l'interdiction du port de signes et tenues par lesquels une personne manifeste de manière ostensible son appartenance religieuse aux intervenants et accompagnants d'une sortie scolaire
I. Le droit en vigueur
L'article L. 141-5 du code de l'éducation précise que « dans les établissements du premier degré publics, l'enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque ». Quant aux élèves, l'article L. 141-5-1 du même code leur interdit le port de signes ou tenues par lesquels ils manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les établissements publics du premier et second degré. S'il ressort des travaux préparatoires que cette situation s'applique aux élèves, dès lors qu'ils sont sous la responsabilité de l'établissement, et donc y compris lors des sorties scolaires, la question des adultes accompagnateurs des sorties scolaires n'avait pas été évoquée lors du débat sur l'interdiction pour les élèves du port de tenues et signes manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse en 2004.
La circulaire n° 2012-056 du 27 mars 2012 relative aux orientations et instructions pour la préparation de la rentrée 2012 dite « circulaire Chatel » indique que le principe de laïcité de l'enseignement et de neutralité du service public « permettent notamment d'empêcher que les parents d'élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu'ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires ».
Quelques mois plus tard, en décembre 2013, le Conseil d'État, à la suite d'une saisine du Défenseur des droits sur l'application du principe de neutralité religieuse dans les services publics, a estimé que les parents d'élèves sont des usagers du service public. Dès lors, en l'état actuel du droit, ils ne sont pas soumis à l'obligation de neutralité religieuse. Toutefois, le Conseil d'État a précisé que « les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l'éducation peuvent conduire l'autorité compétente, s'agissant des parents d'élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s'abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».
Par ailleurs, une récente décision de la cour administrative d'appel de Lyon du 29 juillet 2019 9 ( * ) a admis la légalité d'un règlement intérieur qui impose à toute personne, y compris les parents d'élèves, intervenant dans une classe pour participer à des activités assimilables à celles des enseignants le respect du principe de neutralité. La cour administrative d'appel a en effet estimé que le principe de laïcité de l'enseignement public impose que « quelle que soit la qualité en laquelle elles interviennent, les personnes qui, à l'intérieur des locaux scolaires, participent à des activités assimilables à celles des personnels enseignants, soient astreintes aux mêmes exigences de neutralité ».
II. Le texte de la proposition de loi initiale
L'article unique de la présente proposition de loi procède à deux modifications du code de l'éducation :
- son I modifie l'article L. 111-1 relatif aux principes et valeurs du service public de l'éducation, ainsi qu'aux missions que la nation entend confier à l'école. Elle étend l'obligation qu'ont les personnels dans l'exercice de leurs fonctions de mettre en oeuvre ces valeurs, aux personnes qui concourent au service public de l'éducation (notamment intervenants, accompagnateurs), y compris lors des sorties scolaires ;
- son II modifie le premier alinéa de l'article L. 141-5-1 et étend aux personnes concourant au service public de l'éducation l'interdiction de porter des tenues ou signes religieux qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse aux personnes concourant au service public de l'éducation (intervenants, accompagnateurs), y compris lors des sorties scolaires.
III. La position de votre commission
Votre rapporteur estime que la neutralité de l'école est essentielle afin de faire du temps scolaire des espaces propices d'apprentissage et de construction de l'esprit critique de l'élève.
Parce que la conscience de l'élève est en pleine construction, le législateur est particulièrement strict. Ainsi, le droit impose une neutralité religieuse dans l'enseignement public :
- aux personnels ;
- depuis la décision de juillet dernier, à toute personne intervenant dans une salle de classe, y compris les parents d'élèves, lorsqu'elle participe à des fonctions similaires à celles des enseignants.
En outre, le service public de l'éducation est le seul service public imposant à ses usagers les plus habituels - les élèves - une restriction de la manifestation de leur croyance religieuse.
Les intervenants à l'extérieur des salles de classe et les accompagnants des sorties et voyages scolaires sont donc les seuls à ne pas être soumis à ce principe de neutralité religieuse ou a minima à une restriction de la manifestation de manière ostensible de leur appartenance religieuse. Or, la sortie scolaire est une activité liée à l'enseignement et demeure une modalité de transmission des savoirs scolaires. En outre, comme le souligne le vadémécum de la laïcité, « participant à une activité scolaire, le parent devient un accompagnateur chargé pour une part de la sécurité de tous les élèves et pas seulement de son enfant. Il contribue ainsi à la bonne marche de l'activité pédagogique. Il a donc un devoir d'exemplarité devant tous les élèves concernés par cette activité, dans son comportement, ses attitudes et ses propos » 10 ( * ) . En tant que participant à une activité liée à l'enseignement, il devient donc un peu plus qu'un parent d'élève . C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il bénéficie d'une protection de collaborateur occasionnel du service public dégagée par la jurisprudence en cas de problème (accident causé ou dont est victime ce collaborateur occasionnel du service public) 11 ( * ) .
Par ailleurs, le droit actuel fait peser sur les chefs d'établissements la responsabilité de déterminer si « des considérations précises relatives à l'ordre public, au bon fonctionnement du service public d'éducation ou à la nature des missions confiées aux parents » 12 ( * ) justifient l'application du principe de neutralité à l'adulte accompagnant la sortie scolaire. Le droit existant entraîne, comme l'a indiqué M. Daniel Auverlot, recteur de l'académie de Créteil, des décisions différentes en fonction des écoles d'une même commune. Celles-ci sont difficilement compréhensibles pour les parents d'élèves et les élus locaux.
En revanche, votre rapporteur souhaite rappeler que cette interdiction de tenues ou signes qui manifestent de manière ostensible une appartenance religieuse ne s'appliquerait pas à un parent participant à la kermesse ou assistant à la fête de l'école qui ne sont pas des activités liées à l'enseignement, ni lorsqu'ils viennent dans l'établissement scolaire pour des démarches administratives ou pour rencontrer le personnel enseignant.
L'amendement COM-1 de votre rapporteur porte sur les propositions de modifications de l'article L. 111-1 du code de l'éducation. Cet article concerne les principes et valeurs de l'école, ainsi que les missions que la Nation confie à l'école. La rédaction de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio vise à préciser que les personnes qui concourent au service public de l'éducation nationale, y compris lors des sorties scolaires sont tenues de respecter ces valeurs. Votre rapporteur propose de supprimer la notion de sorties scolaires. En effet, la sortie scolaire est une activité d'enseignement parmi d'autres qui n'a pas à figurer dans un article sur les valeurs de l'école.
L'amendement COM-2 de votre rapporteur porte sur l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation. Tout en conservant la notion de sortie scolaire parfaitement comprise par les acteurs de la communauté éducative, votre rapporteur propose de préciser que l'interdiction pour la personne qui participe au service public de l'éducation de manifester ostensiblement une appartenance religieuse s'applique dans le cadre de toute activité liée à l'enseignement - peu importe le lieu où celle-ci se déroule. En effet, ce qui doit être protégé est l'élève lors du temps scolaire, pas uniquement lorsque la classe se déroule dans l'enceinte de l'école. En outre, votre rapporteur estime qu'il est préférable de ne pas modifier le texte issu de la loi de 2004 qui fait aujourd'hui consensus. Aussi, il propose d'ajouter à l'article L-141-5-1 un nouvel alinéa qui étend cette interdiction dans le sens souhaité par la proposition de loi.
Votre commission a adopté les deux amendements COM-1 et COM-2 de votre rapporteur.
Votre commission a adopté cet article ainsi modifié. |
Article
additionnel
Application territoriale de la loi
Objet : Le présent article vise à étendre l'obligation de neutralité religieuse des personnes participant au service public de l'éducation à Wallis-et-Futuna
En vertu du principe d'identité législative posé par l'article 73 de la Constitution, la loi est applicable de plein droit dans les départements et régions d'outre-mer.
S'agissant des collectivités d'outre-mer, régies par le principe de spécialité législative issu de l'article 74 de la Constitution, l'application de la loi varie en fonction des collectivités concernées.
Pour Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, le régime d'application des lois et règlements est fondé sur le principe de l'identité législative, sauf exceptions expressément listées . Or les articles LO 6214-3 pour Saint-Barthélemy, LO 6314-3 pour Saint-Martin, et LO 6414-1 du code général des collectivités territoriales pour Saint-Pierre-et-Miquelon relatifs aux compétences de ces collectivités territoriales ne mentionnent pas les règles relatives à l'enseignement primaire et secondaire. Les dispositions de cette proposition de loi y seront donc applicables de plein droit.
En revanche, en Polynésie française , en vertu du statut d'autonomie de cette collectivité, seul l'enseignement supérieur relève de la compétence de l'État. D'ailleurs le législateur de 2004 avait exclu l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation des dispositions s'appliquant à ce territoire, par respect pour cette répartition de compétences. Le texte de cette proposition de loi n'y sera donc pas applicable. En revanche, comme notre ancien collègue Jacques Valade l'avait noté en 2004 lors de l'examen du projet de loi relatif à l'interdiction du port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, « les autorités territoriales auront la possibilité, si elles le jugent nécessaire, d'adopter le même dispositif, ou de l'adapter » 13 ( * ) .
Il en est de même pour la Nouvelle-Calédonie : en 2004 déjà, l'enseignement primaire y relevait de la compétence de la collectivité territoriale. C'est désormais également le cas depuis le 1 er janvier 2012 pour l'enseignement du second degré public et privé.
En revanche, comme pour la loi de 2004 , il est nécessaire de préciser que ce texte sera applicable à Wallis-et-Futuna . Tel est l'objet de l'amendement COM-3 de votre rapporteur, adopté par la commission.
Votre commission a adopté cet article ainsi rédigé. |
Votre commission a adopté l'ensemble de cette proposition de loi ainsi modifiée .
* 8 Rapport n° 590 de M. Jacques Grosperrin, « faire revenir la République à l'École » au nom de la commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession », (2014-2015).
* 9 Arrêt n° 17LY04351 de la cour administrative d'appel de Lyon du 23 juillet 2019.
* 10 La Laïcité à l'école, Vadémécum, ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, septembre 2019.
* 11 Conseil d'État, Assemblée. 22 novembre 1946, Commune de Saint-Priest-la-Plaine.
* 12 Étude demandée par le Défenseur des droits le 20 septembre 2013 (art. 19 de la loi organique du 29 mars 2011), Conseil d'État, 19 décembre 2013.
* 13 Rapport n° 219 de M. Jacques Valade sur le projet de loi Laïcité-Port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, Sénat, 2003-2004.