II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
1. Un dépassement inéluctable de la programmation triennale
Les plafonds de l'année 2018 coïncidant avec ceux présentés dans le cadre de la LFI 2018, cette sur-exécution conduit mécaniquement à un dépassement du plafond fixé par la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 172 ( * ) de 86,4 milliards d'euros en CP et hors fonds de concours. Votre rapporteur spécial avait estimé, l'an dernier, que cette programmation était irréaliste, eu égard à l'augmentation prévisible des flux en 2018 (cf. infra ). Il estimait en outre que cette programmation prenait le risque de ne pas donner de marge de manoeuvre budgétaire suffisante pour renforcer certains aspects fondamentaux de la mission, comme la lutte contre l'immigration irrégulière, ou le nécessaire renforcement du parcours d'intégration des étrangers primo-arrivants 173 ( * ) .
Plus largement, cette sous-estimation traduit une volonté du Gouvernement de masquer le coût pourtant prévisible de la politique migratoire.
Comparaison de l'exécution 2018 avec les
prévisions
du budget triennal 2018-2022
(en CP, en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
2. Une poursuite de la sur-exécution chronique des dépenses d'asile, traduisant l'incapacité du Gouvernement à maîtriser les flux
Les dépenses de l'action 2 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » concentrent à elles seules plus de 78 % des crédits de paiement de la mission. L'exécution de cette action s'élève à 1 062,2 millions d'euros en AE et à 1 094,6 millions d'euros en CP. Les crédits prévus s'élevant à 958,9 millions d'euros en AE et à 991,3 millions d'euros en CP, les insuffisances de cette action ont atteint 103,4 millions d'euros en AE et 103,3 millions d'euros en CP. Ces insuffisances ont concerné en premier lieu le dispositif le plus sensible à l'impact des flux de demande d'asile, à savoir l'allocation pour demandeur d'asile (ADA).
Les dépenses relatives à l'ADA, qui a remplacé, à compter du 1 er novembre 2015 l'allocation temporaire d'attente, connaissent ainsi pour la troisième année consécutive une sur-exécution massive, de plus de 30 % en 2018.
Montants prévus et exécutés des
dépenses afférentes à l'allocation
pour demandeur
d'asile en 2018
(en AE/CP, en millions d'euros)
Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)
Selon le Gouvernement, cette sur-exécution admet quatre explications principales :
- la hausse de la demande d'asile plus élevée que celle retenue en budgétisation (+ 17 % à l'Ofpra en 2017 et + 22 % en 2018 en lieu et place des + 10 % retenus pour la budgétisation) ;
- l'impact de la revalorisation du montant additionnel versé aux personnes non hébergées (+ 2 euros par jour) à la suite de l'annulation contentieuse du Conseil d'État (+ 30 millions d'euros) 174 ( * ) ;
- l'impact de la grève des rapporteurs et des avocats à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) :
- les délais d'instruction de l'Ofpra qui, malgré une baisse, n'ont pas atteint les objectifs prévus dans la budgétisation.
Votre rapporteur spécial estime que cette sur-exécution était totalement prévisible . Ainsi, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, votre rapporteur spécial relevait par exemple que la dotation de l'ADA était « inférieure à la prévision de dépenses pour 2017 qui s'élèv[ait], selon les données disponibles au 31 août, à 355 millions d'euros » 175 ( * ) alors même que la croissance prévue du nombre de demandeurs d'asile, elle-même sous-évaluée, était de 10 %.
Les dépenses d'asile font, en outre, l'objet d'une sur-exécution chronique, particulièrement importante depuis le début de la crise migratoire, en 2015.
Montants prévus et exécutés des
dépenses afférentes
à l'allocation temporaire d'attente
(ATA)
et à l'allocation pour demandeur d'asile (ADA)
(en CP, en millions d'euros)
ATA |
ADA |
|||
LFI |
Exécution |
LFI |
Exécution |
|
2009 |
30 |
68,4 |
||
2010 |
53 |
105 |
||
2011 |
54 |
157,8 |
||
2012 |
89,7 |
149,8 |
||
2013 |
140 |
149,2 |
||
2014 |
129,8 |
169,5 |
||
2015 |
93,3 |
81 |
||
2016 |
0 |
30 |
148,8 |
316,1 |
2017 |
0 |
177,3 |
220 |
348,8 |
2018 |
0 |
9,9 |
317,7 |
424,23 |
Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)
Ensuite, l'hypothèse retenue par le Gouvernement en matière de délai de traitement des demandes d'asile, fixé à 60 jours, apparaissait également beaucoup trop optimiste . Il s'agit pourtant d'un facteur important puisqu'il permet de limiter le coût budgétaire de l'ADA en limitant sa durée de perception. Votre rapporteur spécial avait jugé cet objectif irréaliste lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, relevant que la prévision actualisée la fixait à 140 jours, et qu'un stock important de demandes était en instance à l'Ofpra 176 ( * ) .
De manière générale, votre rapporteur général estime que ces sous-budgétisations chroniques s'assimilent davantage à une volonté délibérée, de la part des gouvernements successifs, de masquer le niveau réel des dépenses afférentes à la prise en charge sociale des demandeurs d'asile .
3. Une sur-exécution des dépenses d'asile entrainant une éviction des dépenses d'intégration
Le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » fait l'objet d'une sous-exécution à hauteur de 20 millions d'euros en AE et en CP. Cette sous-exécution est aggravée après intégration des fonds de concours et s'établit à 33,4 millions d'euros en AE et 33,5 millions d'euros en CP. La sous-exécution hors fonds de concours a pour raison principale la mobilisation de crédits au bénéfice du programme 303 « Immigration et asile », afin de couvrir les dépassements d'ADA. La sous-évaluation de cette dernière est donc à l'origine d'un effet d'éviction des dépenses manoeuvrables de la mission.
Prévision et exécution des crédits
du programme 104
« Intégration et accès à la
nationalité française »
(en millions d'euros)
Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)
Plusieurs dispositifs du programme sont affectés par l'anticipation de la sur-exécution de la dépense d'ADA. Les mouvements en gestion ont ainsi conduit à l'annulation de crédits destinés au financement du parc de centres provisoires d'hébergement et des activités d'intégration des réfugiés et des étrangers en situation régulière (- 5,6 millions d'euros en AE et en CP), alors même que ces dépenses conditionnent l'acceptabilité sociale de l'immigration .
Devant la récurrence des dépassements d'ADA, le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » constitue une réserve de crédits pour le financement de l'asile, et fragilise structurellement l'ensemble des dispositifs financés par ce programme.
* 172 Loi n°2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
* 173 Rapport général n° 108 (2017-2018) de M. Sébastien Meurant, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2017.
* 174 Le montant moyen versé par individu bénéficiaire est de 259 euros (361 euros en moyenne par mois par ménage bénéficiaire). Depuis le 1 er avril 2017, à la suite de la décision du Conseil d'État du 23 décembre 2016, le pécule versé aux bénéficiaires n'étant pas hébergés a été revalorisé à 5,40 euros par jour et par adulte bénéficiaire contre 4,20 euros antérieurement (décret n° 2017-430 du 29 mars 2017).
* 175 Rapport général n° 108 (2017-2018) de M. Sébastien Meurant, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2017.
* 176 Ibid.