II. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
1. Le désendettement du budget annexe s'est accéléré en 2018, ce qui a permis d'effacer définitivement les effets de la crise économique de 2008-2009
Alors que la dette du BACEA avait connu une augmentation très forte dans les années qui avaient suivi la crise du transport aérien de 2009 pour atteindre un pic à 1,28 milliard d'euros au 31 décembre 2014 , son encours a diminué de 172,8 millions d'euros en 2018, soit une baisse de - 17,8 % supérieure de 70 millions d'euros à la prévision de la loi de finances initiale, pour s'établir à 805,1 millions d'euros au 31 décembre 2018.
Le niveau suffisant de trésorerie et la bonne exécution des recettes ont en effet permis de ne pas procéder au tirage d'emprunt de 87,2 millions d'euros prévu dans le budget du BACEA pour 2018. Rappelons pour mémoire que le BACEA avait emprunté 102,6 millions d'euros en 2017.
La dynamique de résorption de la dette du BACEA s'amplifie donc : l'encours a baissé de 37 % depuis 2015 et a retrouvé son niveau antérieur à la crise économique de 2008-2009, à l'origine de sa très forte augmentation.
Évolution de l'endettement du budget annexe de 2008 à 2018
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
Ainsi, alors que le ratio de l'endettement sur les recettes d'exploitation du BACEA , qui constitue l'un des principaux indicateurs de performance de la mission, s'élevait encore à 44,9 % en 2017, il a significativement reculé en 2018 pour atteindre 36,8 % , un résultat nettement plus favorable que celui qui avait été prévu par la DGAC, qui s'était fixé pour objectif un ratio de 43,4 % . Outre les efforts de réduction de l'encours de dette, ce bon résultat s'explique avant tout par le dynamisme des recettes de la DGAC , et en particulier celles de la taxe de l'aviation civile (TAC).
La poursuite du recul de la dette du BACEA , dont l'augmentation continue avait pu paraître un temps menacer la soutenabilité financière de la DGAC, constitue une bonne nouvelle pour nos finances publiques .
Elle devra se poursuivre dans les années à venir et ce d'autant plus que la DGAC va devoir veiller à maîtriser ses dépenses en matière de masse salariale tout en maintenant à un haut niveau ses dépenses d'investissements dans le cadre de la construction du Ciel unique européen.
2. La masse salariale de la DGAC demeure en augmentation, compte tenu du poids des protocoles sociaux
Les dépenses de personnel de la DGAC , qui représentent 54,4 % des dépenses du BACEA , se sont élevées à 1 182,9 millions d'euros en 2018 (contre 1 163,9 millions d'euros en 2017), soit 20,6 millions d'euros de moins que la prévision de la loi de finances initiale, qui s'élevait à 1 203,5 millions d'euros (soit un taux d'exécution des crédits de 98,3 % ).
Cette sous-exécution s'explique par des dépenses liées au protocole social plus faibles que prévues, le non-paiement de jours de grèves (45 jours de grèves en 2018) ou bien encore par des économies liées au schéma d'emploi et à la suppression progressive de l'indemnité de compensation exceptionnelle de la contribution sociale généralisée (CSG) un peu plus fortes que ce qui avait été anticipé.
À la suite de cette sous-exécution, 9,3 millions d'euros de crédits de titre 2 ont été annulés dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2018 et ont été affectés au financement des programmes de modernisation de la navigation aérienne (voir infra ). Par ailleurs, 1,9 million d'euros ont fait l'objet d'une fongibilité asymétrique.
Hors CAS pensions, les dépenses de personnel de la DGAC sont passées de 897,7 millions d'euros en 2017 à 914,2 millions d'euros en 2018, soit une augmentation de 1,8 % sur un an. Selon la Cour des comptes, le coût moyen par ETPT 143 ( * ) de la DGAC a connu une nouvelle hausse significative de 2,0 % en 2018 après une hausse de 2,6 % en 2017.
Le schéma d'emploi (0 ETP par an pour la période 2016-2019, contre - 100 ETP par an pour la période 2013-2105) a une nouvelle fois été strictement respecté, ce qui a permis à la DGAC de réaliser des économies de 0,51 million d'euro par rapport à 2017.
Toutefois, la conformité du solde à la prévision - soit 0 ETP supplémentaire en 2018 - ne doit pas occulter l'existence d'écarts très importants entre les entrées et les sorties programmées et celles qui sont effectivement constatées. Ainsi, 440 sorties et 440 entrées se sont produites en 2018 , alors que seules 339 entrées et sorties avaient été prévus. Cet écart très significatif de 101 ETP montre qu'il est nécessaire d'améliorer rapidement la programmation du schéma d'emploi , l'existence de tels écarts se produisant chaque année (écart de 161 ETP en 2017, de 84 ETP en 2016, etc.).
Si l'application du schéma d'emploi a permis de réaliser des économies, celles-ci n'ont pas empêché la masse salariale du BACEA de continuer à augmenter , les mesures prévues par les protocoles sociaux de la DGAC ayant représenté des dépenses supplémentaires de 15,9 millions d'euros (contre 18,2 millions d'euros en 2017).
De fait, le caractère onéreux de ces protocoles est régulièrement mis en avant par la Cour des comptes, qui a calculé que les dépenses au titre des mesures prévues par les protocoles sociaux successifs s'élevaient à 67 millions d'euros depuis 2013 , à comparer avec les économies de 19,1 millions d'euros réalisées grâce au schéma d'emploi.
Pour mémoire, le coût pour les finances publiques du protocole social 2016-2019 signé le 19 juillet 2016 dans un contexte social tendu est évalué à 55 millions d'euros sur la période, comprenant environ 45 millions d'euros de mesures catégorielles et 10 millions d'euros correspondant à l'application du protocole interministériel « parcours professionnel, carrières et rémunérations » (PPCR). Ces différentes mesures devraient représenter des dépenses de 13,8 millions d'euros pour la DGAC en 2019.
Les mesures catégorielles susmentionnées impliquaient des contreparties demandées aux personnels de la DGAC , et en particulier aux ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA), en matière de productivité et d'adaptation du temps de travail , qui doivent leur permettre de faire face à la hausse continue du trafic et à sa saisonnalité de plus en plus marquée .
Selon le rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement pour 2018, les gains en capacité supplémentaires susceptibles d'être induits par ces aménagements des conditions de travail des contrôleurs aériens seraient compris entre 10 et 20 % à compter de 2019 .
Alors que la négociation d'un nouveau protocole social devrait débuter dans les prochains mois, votre rapporteur spécial souhaite que ces résultats puissent faire l'objet d'une évaluation précise et quantifiée , et que celle-ci soit communiquée au Parlement.
3. La hausse des crédits consacrés aux grands programmes de modernisation de la navigation aérienne doit s'accompagner d'une amélioration de leur pilotage
Les dépenses d'investissement revêtent une grande importance pour la DGAC, car elles sont indispensables pour assurer le passage au « Ciel unique européen » , initiative de la Commission européenne qui vise à moderniser la gestion de l'espace aérien européen , en particulier grâce au coûteux programme technologique SESAR .
Or la DGAC a pris du retard dans son programme de modernisation du contrôle de la navigation aérienne , ainsi que votre rapporteur spécial l'a mis en lumière dans son rapport d'information « Retards du contrôle aérien : la France décroche en Europe » 144 ( * ) présenté devant la commission des finances du Sénat le 13 juin 2018.
Afin de tenter de combler ce retard, la DGAC n'a cessé d'augmenter ses dépenses d'investissement depuis 2013, année où ces dépenses avaient atteint un point bas inquiétant à 138,3 millions d'euros .
Ce mouvement s'est poursuivi en 2018, puisque les dépenses d'investissement exécutées ont augmenté de 12 % en un an , passant de 205,9 millions d'euros en 2017 à 230,8 millions d'euros en 2018, soit un niveau qui n'avait plus été atteint depuis 2009.
Des dépenses d'investissement en forte augmentation depuis 2013
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
Sur cette somme, 214,8 millions d'euros (soit 93,1 % du total), un montant en progression de 11,5 % par rapport à 2017, ont été dévolus au programme 612 « Navigation aérienne », et notamment aux grands programmes de modernisation du contrôle de la navigation aérienne (4-Flight, Coflight, Sysat, etc.) qui doivent permettre à la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) de faire face à la hausse à venir du trafic dans de bonnes conditions de capacité, de sécurité et de respect des normes environnementales.
À noter que la passation d'un avenant relatif au programme 4-Flight signé avec Thalès en cours d'année a suscité un besoin d'investissement imprévu dès 2018 de 26,5 millions d'euros . Ces dépenses ont été financées par des redéploiements de crédits du BACEA par décret de virement (à hauteur de 10,6 millions d'euros ) ainsi qu'en loi de finances rectificative pour 2018 (à hauteur de 15,9 millions d'euros ).
Cet avenant est censé sécuriser la mise en service de 4-Flight dans les centres de contrôle en-route d'Aix-Marseille, Paris et Reims à l'horizon 2021-2022. Il intègre des spécifications renforcées en termes de qualité du logiciel et de cyber sécurité.
Comme votre rapporteur spécial l'avait indiqué dans son rapport susmentionné, les difficultés rencontrées par la DSNA pour faire aboutir ses grands programmes de modernisation ne tenaient pas uniquement à une insuffisance des crédits alloués mais également à des carences dans leur pilotage .
Ces remarques commencent, semble-t-il, à être prises en compte, puisque le rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement pour 2018 indique qu' « une démarche globale de modernisation du management de la DSNA s'appuyant sur ces recommandations [celles du rapport d'information sénatorial] est d'ores et déjà engagée » : un nouveau directeur a été nommé à la tête de la direction de la technique et de l'innovation (DTI) en mars 2019, l'adjoint du DSNA est désormais chargé de superviser directement les grands programmes et un comité de surveillance externe du programme 4-Flight a été mandaté par la ministre chargée des transports.
Votre rapporteur spécial demeurera très attentif à la mise en oeuvre de cette démarche de modernisation , qui lui paraît primordiale pour la réussite des projets de la DSNA.
Au total, la DGAC devra encore renforcer la maîtrise de l'ensemble de ses dépenses hors investissements - en particulier les dépenses de personnel - afin de dégager les marges de manoeuvre nécessaires pour faire face aux importants efforts d'investissements qu'elle devra continuer à consentir dans les années à venir tout en poursuivant ses efforts de désendettement (cf. supra ).
4. L'augmentation des retards liés au contrôle aérien reste préoccupante
À l'instar des exercices précédents, l'indicateur de performance relatif à la sécurité aérienne reste satisfaisant, avec 0,09 croisement hors norme pour 100 000 vols contrôlés , mais légèrement moins bon que le chiffre de 0,06 croisement hors norme réalisé en 2017.
Les retards dus aux services de la navigation aérienne ont en revanche beaucoup augmenté en 2018 pour atteindre près de 2 minutes par vol .
Ces retards sont imputables pour 24 % au défaut de capacité , 30 % à l'organisation du service , 20 % à la météo (épisodes neigeux en février et mars, forte activité orageuse en mai-juin) et 18 % aux mouvements sociaux (4 jours de grèves nationales et 8 week-ends de grèves locales dans le centre de contrôle en-route d'Aix-en-Provence au printemps).
Il s'agit là d'un résultat préoccupant eu égard aux objectifs fixés à la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) par la Commission européenne dans le cadre de la régulation prévue par le Ciel unique européen. Pour mémoire, la France demeure responsable de 33 % des retards dus au contrôle aérien en Europe , alors qu'elle ne contrôle que 20 % du trafic du continent.
Comme l'avait relevé votre rapporteur spécial dans le rapport d'information susmentionné, il importe de consentir au plus vite les efforts nécessaires pour résorber ces retards , grâce à la modernisation des systèmes de la navigation aérienne mis à la disposition des contrôleurs aériens ainsi qu'à une meilleure adaptation de leurs tours de services aux caractéristiques nouvelles du trafic aérien (hausse et saisonnalité accrue).
* 143 Traitement brut, primes, indemnités et cotisations sociales, hors CAS.
* 144 Rapport d'information n° 568 (2017-2018) « Retards du contrôle aérien : la France décroche en Europe », de Vincent Capo-Canellas au nom de la commission des finances du Sénat.