IV. LA POSITION DE LA COMMISSION : AMÉLIORER UNE PROPOSITION DE LOI RÉDIGÉE DANS LA PRÉCIPITATION

Constatant l'importance du dispositif pour le Gouvernement, et partageant sa préoccupation de s'assurer de la sécurité des réseaux 5G, le rapporteur a entendu adopter une approche constructive dont l'axe principal est l'idée de proportionnalité. Il n'en reste pas moins que le Gouvernement a fait preuve d'une précipitation qu'il conviendrait de ne pas réitérer.

A. UNE PRÉCIPITATION DÉNOTANT UN CERTAIN MANQUE DE MÉTHODE DE LA PART DU GOUVERNEMENT

Comme déjà évoqué, les réflexions entamées par le Gouvernement dans le cadre de sa feuille de route sur la 5G ont abouti au début de cette année dans une certaine précipitation.

Le Gouvernement a en effet été amené à déposer un amendement en première lecture au Sénat dans le cadre du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises - dit « PACTE » , fin janvier. L'Arcep avait dû rédiger un avis en urgence sur ce projet d'amendement
- avis qui n'a été publié qu'en avril. Estimant nécessaire de disposer de davantage de temps pour trancher sur un sujet aussi important, le Sénat avait rejeté l'amendement.

Renonçant à ce « cavalier » législatif, le Gouvernement a donc transformé cet amendement en texte de loi sans pour autant en faire un projet de loi . Il a ainsi choisi de le faire déposer sous forme de proposition de loi par le groupe La République en Marche de l'Assemblée nationale.

Cette précipitation se traduit non seulement par la présence d' erreurs dans l'exposé des motifs (qui cite, par exemple, une entrée en vigueur à compter du 1 er janvier alors que le texte dispositif cite le 1 er février...), mais a également pour conséquence de priver le Parlement de l'étude d'impact et de l'avis du Conseil d'État qui accompagnent tout projet de loi . Sur un sujet pourtant capital, cette absence est regrettable.

De fait, aucun des organismes auditionnés n'a été en mesure de fournir une évaluation précise des impacts de cette proposition de loi sur les réseaux déjà déployés et à venir.

Les auditions menées par le rapporteur ont néanmoins permis de dissiper certaines craintes et ont souligné la nécessité d'un rééquilibrage du texte en faveur des libertés économiques.

B. S'IL CONVIENT A PRIORI DE DISSIPER CERTAINES CRAINTES...

1. La proposition de loi ne vise pas à interdire Huawei, et ne devrait donc pas avoir d'impact sur les approvisionnements des opérateurs

D'après les informations recueillies, le Gouvernement entend, par ce texte, adopter une approche équilibrée et visant à répondre à toutes les potentielles vulnérabilités liées au déploiement de la 5G, quelle qu'en soit la source. Ainsi, la proposition de loi, d'une part, ne vise pas à interdire Huawei, d'autre part, ne concerne pas que Huawei : les modalités d'exploitation des équipements seraient vérifiées pour la totalité de la chaîne du réseau, quel que soit le prestataire des opérateurs - équipementier ou autre. Le Gouvernement souligne, par ailleurs, que cette initiative est indépendante du contexte international .

En conséquence, deux craintes apparues dans les débats , à savoir un risque de rupture d'approvisionnement et un risque tenant au manque de compétitivité des opérateurs dans les cas où ils ne pourraient pas recourir aux équipements de Huawei, devraient pouvoir être dissipées . Ces craintes paraissent, par ailleurs, en elles-mêmes peu fondées.

Premièrement, les opérateurs craignent que le nouveau régime d'autorisation ne les oblige à se priver de l'un de leurs fournisseurs , les exposant à une hausse des prix ou à une potentielle rupture d'approvisionnement. Pour ceux ayant recours à Huawei, une interdiction de fait de ce dernier pourrait les contraindre à retirer leurs équipements déjà installés, les obligeant à engager des coûts particulièrement importants
- dont le montant n'est cependant pas évaluable car ce type de données est couvert par le secret des affaires.

Il peut être remarqué que, quand bien même le Gouvernement choisirait d'interdire un équipementier, le marché français ne représente qu'une petite partie de la production industrielle des trois grands équipementiers. Un tel risque serait donc a priori plutôt théorique - du reste, comme déjà évoqué, il semble que Samsung souhaite faire son entrée sur le marché européen, ce qui serait de nature à animer sa dynamique concurrentielle. Enfin, à moyen terme, le risque de rupture d'approvisionnement matériel va décroître avec la 5G du fait de la virtualisation.

Deuxièmement, selon certains, les équipements du chinois Huawei en matière de 5G seraient plus performants que ceux de ses concurrents européens . Plusieurs indicateurs sont généralement cités pour démontrer l'investissement de l'entreprise sur cette génération de télécommunications : elle est aussi bien la première détentrice de brevets que la première contributrice à l'élaboration des normes techniques internationales. Elle réalise par ailleurs de nombreuses expérimentations 5G à grande échelle en Chine.

Détenteurs de brevets essentiels à la 5G

Source : foreignpolicy.com, The Improbable Rise of Huawei, 3 avril 2019, d'après les données disponibles sur le site IPlytics

Principales entreprises contribuant à la définition des normes 5G

Source : foreignpolicy.com, The Improbable Rise of Huawei, 3 avril 2019, d'après les données disponibles sur le site IPlytics

On peut cependant constater, à la lecture de ces graphiques, que :

- les concurrents européens (Nokia, Ericsson) et Samsung sont également en très bonne position sur ces deux indicateurs ;

- du reste, ces trois équipementiers sont également en très bonne position sur les expérimentations et autres lancements commerciaux déjà effectués à travers le monde.

Lors de leur audition par le rapporteur, ceux-ci ont d'ailleurs réaffirmé leur souhait de ne pas être protégés par une quelconque barrière réglementaire excluant l'un des acteurs du marché .

Par ailleurs, si le groupe Nokia a admis que son groupe devrait rattraper un retard « de quelques semaines à deux mois » sur la 5G 61 ( * ) , il a pu être précisé au rapporteur que l'avance de tel ou tel acteur du marché sur telle ou telle fonction technique reste en pratique marginale par rapport aux autres facteurs figurant sur le chemin critique de l'adoption de la 5G, tels que la disponibilité des terminaux ou l'adoption des usages. Au demeurant, les travaux de normalisation de la 5G ne seront pas finalisés avant fin 2019. Tous les déploiements effectués avant cette date devront donc être remis à niveau 62 ( * ) .

2. L'Anssi estime avoir les moyens de traiter les demandes dans les temps

Le Gouvernement a réaffirmé à plusieurs occasions au cours des débats que l'Anssi aurait les moyens de traiter les nouvelles demandes d'autorisation dans les temps.

Selon les réponses qu'il a apportées au rapporteur, « le traitement des nouvelles demandes (d'autorisation) nécessitera un renfort de deux personnels dédiés au traitement administratif » des demandes au sein du bureau des contrôles réglementaires. Leur analyse technique devrait pouvoir être assurée sans requérir de moyens supplémentaires spécifiques, compte tenu du renforcement déjà prévu des compétences techniques de l'Anssi dans le domaine de la 5G.

L'Anssi s'attend à une volumétrie du même ordre de grandeur que celui actuellement observé dans le cadre du régime d'autorisation des équipements en vigueur, soit au plus un millier de demandes annuelles . Elle estime que cette volumétrie sera probablement plus faible au cours des premières années de mise en oeuvre du dispositif, dans la mesure où les premiers déploiements de la 5G relèveront de la version dite « non-standalone » de cette technologie.


* 61 https://fr.reuters.com/article/technologyNews/idFRKCN1SR1LE-OFRIN.

* 62 Pour une analyse concordante relativisant l'avance technologique de Huawei, voir : https://www.spglobal.com/en/research-insights/articles/bans-on-huawei-will-hit-tech-harder-than-telecom.

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