EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Comme l'a souligné notre collègue David Assouline, alors président de la commission sénatoriale de contrôle de l'application des lois, « assurer l'application de la loi, c'est aussi renforcer la légitimité et la crédibilité de l'institution parlementaire » 1 ( * ) . Sans décrets d'application, de nombreuses dispositions législatives resteraient lettres mortes.

Pour le Parlement, le contrôle de l'application des lois revêt une importance particulière, à la jointure de ses trois missions : le vote de la loi, le contrôle du Gouvernement et l'évaluation des politiques publiques.

Depuis le début des années 1970, le Sénat publie un bilan annuel de l'application des lois qui permet, à partir de statistiques homogènes, de mieux apprécier les conditions de mise en oeuvre des textes législatifs. Notre collègue Valérie Létard, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, est chargée de sa rédaction, à partir des informations recueillies auprès des commissions permanentes.

Publié en mai 2018, le dernier bilan d'application des lois salue les efforts du Gouvernement en ce qui concerne la session 2016-2017 2 ( * ) :

- le taux d'application des textes législatifs s'établit à 73 %, en hausse de 2 points par rapport à la session 2015-2016 ;

- les décrets d'application ont été publiés en 5 mois et 10 jours en moyenne, contre 6 mois et 22 jours pour l'exercice précédent.

Notre collègue Valérie Létard regrette toutefois un manque de rigueur concernant les rapports au Parlement, avec un taux de remise de 25 %. Elle relativise également « l'argument de la célérité des ordonnances », souvent brandi par le Gouvernement au soutien de ses demandes d'habilitation : il faut en moyenne 571 jours pour prendre une ordonnance 3 ( * ) , contre 196 jours pour voter une loi.

Déposée le 19 mars dernier par MM. Franck Montaugé, Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain, la proposition de résolution n° 387 (2018-2019) tend à modifier le Règlement du Sénat pour renforcer le suivi de l'application des lois et leur évaluation.

Ce texte poursuit deux objectifs :

- confier un droit de suite au rapporteur pour qu'il puisse rendre compte de l'application de la loi ;

- affirmer, au sein du Règlement du Sénat, une mission d'évaluation des lois promulguées.

Au cours de ses travaux, votre commission a admis la création d'un droit de suite au bénéfice du rapporteur, tout en assouplissant ses modalités de mise en oeuvre. À l'inverse, elle n'a pas souhaité consacrer une mission d'évaluation des lois promulguées, celle-ci s'intégrant dans la fonction, plus large, d'évaluation des politiques publiques dévolue au Parlement.

I. L'APPLICATION DES LOIS, UNE OBLIGATION POUR LE GOUVERNEMENT, SOUS LE CONTRÔLE DU PARLEMENT

A. UNE OBLIGATION POUR LE GOUVERNEMENT

1. L'obligation de prendre des mesures d'application dans un délai raisonnable

Le Premier ministre « assure l'exécution des lois », sous réserve de la compétence du Président de la République pour signer les actes délibérés en Conseil des ministres (articles 13 et 21 de la Constitution).

En pratique, le chef du Gouvernement coordonne la publication des mesures réglementaires 4 ( * ) et des ordonnances nécessaires à l'application d'une loi, ainsi que la remise des rapports au Parlement.

Une circulaire du 29 février 2008 rappelle que l'exécutif est astreint à une obligation de résultat pour l'application des lois, non de moyen. En effet, selon ses termes, « chaque disposition [législative] qui demeure inappliquée est une marque d'irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens ».

Dans cette même circulaire, le Gouvernement s'est fixé comme objectif de prendre toutes les mesures réglementaires d'application dans un délai de six mois à compter de la publication des lois 5 ( * ) .

En complément, un principe général du droit le contraint à prendre les mesures d'application dans un « délai raisonnable » , sauf lorsqu'elles seraient contraires aux engagements internationaux de la France. Enfin, la responsabilité pour faute de l'État peut être engagée pour retard ou carence dans l'application des lois.

Application des lois : la jurisprudence du juge administratif

Le juge administratif détermine le caractère « raisonnable » des délais d'application des lois au cas par cas, en fonction des circonstances de l'espèce .

Quatorze ans après la publication de la « loi littoral » 6 ( * ) , il a enjoint le Premier ministre à prendre, sous astreinte , les décrets d'application manquants 7 ( * ) . À l'inverse, le juge a admis un retard de près de deux ans pour l'application d'une loi relative aux zones d'attente des aéroports, « compte tenu du changement de Gouvernement [...] et de l'élaboration [concomitante] d'une loi modificative » 8 ( * ) .

Comme le souligne le professeur Maryse Deguergue, « ce n'est plus à proprement parler un retard qui est reproché au Gouvernement, mais une abstention qui équivaut, selon les termes mêmes des arrêts les plus récents, à un refus de satisfaire à l'obligation qui lui incombe » 9 ( * ) .

En matière de responsabilité , le Conseil d'État a reconnu qu'une absence de décret a causé un préjudice « direct et certain » à un atelier protégé, l'État n'ayant pas défini les conditions de subventionnement de cet établissement 10 ( * ) .

2. La procédure mise en oeuvre pour assurer l'application des lois

Le Gouvernement mobilise ses services dès la publication de la loi afin de s'assurer de sa bonne application. Avec l'appui du Secrétariat général du Gouvernement (SGG) , il établit un échéancier de mise en application de la loi , qui nourrit un bilan semestriel.

La procédure mise en oeuvre par le Gouvernement 11 ( * )

Dès la publication de la loi, le Secrétariat général du Gouvernement convoque une réunion interministérielle pour recenser les décrets nécessaires, définir le ministère responsable (« ministère porteur ») ainsi qu'un échéancier de mise en application de la loi.

Cet échéancier prend la forme d'un « bleu » interministériel. Publié sur le site Légifrance , il est transmis au président de chaque assemblée ainsi qu'au Conseil d'État. Des réunions périodiques sont ensuite organisées pour s'assurer de sa mise en oeuvre.

Chaque semestre, le SGG présente au Premier ministre un bilan de l'application des lois , qui couvre l'ensemble des dispositions législatives adoptées au cours de la législature.

Selon M. Marc Guillaume, Secrétaire général du Gouvernement, « il s'agit d'un travail fastidieux, mais c'est la méthode la plus efficace que nous ayons trouvée » 12 ( * ) .

L'application des lois fait également l'objet de communications en Conseil des ministres, dont la dernière date du 9 janvier 2019.


* 1 Rapport d'information n° 323 (2011-2012) fait au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois sur l'application des lois au 31 décembre 2011, p. 7.

* 2 Rapport d'information n° 510 (2017-2018) sur le bilan annuel de l'application des lois au 31 mars 2018.

* 3 En tenant compte du délai d'adoption de l'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances.

* 4 Sur le plan réglementaire, l'exécution des lois était dévolue aux règlements d'administration publique (RAP), supprimés en 1980. Elle est aujourd'hui assurée par les décrets en Conseil d'État, les décrets et les arrêtés.

* 5 Circulaire du 29 février 2008 relative à l'application des lois.

* 6 Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral.

* 7 Conseil d'État, 28 juillet 2000, Association France nature environnement , affaire n° 204024. Dans l'attente de la publication des décrets, l'État devait s'acquitter d'une astreinte de 1 000 francs par jour (soit environ 150 euros).

* 8 Conseil d'État, 3 octobre 1997, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) , affaire n° 158921.

* 9 « Promesses, renseignements, retards », Répertoire de contentieux administratif Dalloz, octobre 2016.

* 10 Conseil d'État, Association Bretagne ateliers , 27 juillet 2005, affaire n° 261694.

* 11 Sources : circulaire du 29 février 2008 précitée et circulaire du 30 septembre 2003 relative à la qualité de la réglementation.

* 12 Audition au Sénat en date du 23 mai 2018.

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