CHAPITRE II
SIMPLIFIER POUR MIEUX PROTÉGER
Article 16
(art. 428, 494-1, 494-3, 494-5, 494-6, 494-7,
494-8,
494-9 et 494-11 du code civil)
Adaptation du dispositif de l'habilitation
familiale
L'article 16 du projet de loi tend à modifier le dispositif de l'habilitation familiale, au terme de plus de deux ans et demi de mise en oeuvre, en élargissant les conditions d'ouverture de la mesure, et en créant une « passerelle » entre les mesures de protection judiciaire et l'habilitation familiale.
1. La confirmation des principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité des mesures restreignant l'autonomie des personnes vulnérables
Depuis la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, les mesures qui restreignent l'autonomie de ces personnes vulnérables doivent être, conformément aux prescriptions de l'article 428 du code civil, nécessaires, subsidiaires et proportionnées. L'article 415 du code civil dispose d'ailleurs que la protection des majeurs « est un devoir des familles et de la collectivité publique ».
L'habilitation familiale est un système allégé de protection de personnes dont les facultés sont altérées. Elle a été créée par l'ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille, prise en application de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
Destinée aux personnes majeures hors d'état de manifester leur volonté à cause de l'altération de leurs facultés mentales ou corporelles, l'habilitation familiale est un mandat familial délivré par le juge à un proche, permettant à celui-ci de représenter la personne afin d'accomplir certains actes en son nom sans recourir à une mesure de protection judiciaire plus « classique », comme la sauvegarde de justice, la curatelle ou la tutelle.
La mesure exige au préalable un consensus familial, et
ne peut être décidée que lorsque les règles de droit
commun de la représentation
- notamment dans le cadre du
régime matrimonial
245
(
*
)
(art. 492-2 du code civil) - ne suffisent pas,
ou qu'il n'existe pas déjà un mandat de protection future.
Un dispositif similaire existe en effet déjà au bénéfice du conjoint, en application des articles 217 et 219 du code civil. L'un des époux peut se faire habiliter en justice, d'une manière générale, ou pour certains actes particuliers, à représenter l'autre époux, hors d'état de manifester sa volonté.
À l'occasion de l'examen de la demande d'habilitation à légiférer par ordonnance sur le sujet, notre collègue Thani Mohamed Soilihi, rapporteur au nom de votre commission, relevait toutefois que « le développement de mesures alternatives au prononcé d'une mesure de protection judiciaire s'inscrit dans la philosophie du régime de protection des majeurs, fondée sur le caractère subsidiaire de la protection judiciaire » 246 ( * ) .
Les principales modalités de l'habilitation familiale Les modalités de l'habilitation familiale sont très simplifiées par rapport aux autres mesures de protection, puisque le juge des tutelles n'intervient, sauf difficultés particulières, qu'au stade du prononcé de la mesure. La personne habilitée, qui doit remplir les conditions pour exercer les charges tutélaires, ne peut être qu'un proche dont la liste est limitativement énumérée à l'article 494-1 du code civil : elle comprend les ascendants ou descendants, les frères et soeurs, le conjoint, le partenaire d'un pacte civil de solidarité ou concubin du majeur hors d'état de manifester sa volonté, qui exerce aussi sa mission à titre gratuit (art. 494-1 du code civil). L'habilitation familiale ne peut donc être confiée à un mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Le juge doit explicitement constater la nécessité de prononcer la mesure de protection (art. 494-2 du code civil), notamment après avoir entendu la personne à protéger sauf impossibilité médicalement constatée. Il doit aussi vérifier l'adhésion ou, à défaut, l'absence d'opposition légitime des proches présents auprès de la personne à protéger, à la fois sur la mesure d'habilitation, mais aussi sur le choix de la personne habilitée (art. 494-4 du code civil). Dès lors que les conditions sont remplies, le juge statue sur la désignation de la personne habilitée et l'étendue de cette habilitation (494-6 du code civil). Deux hypothèses sont possibles : - l'habilitation est limitée à certains actes ; il s'agit alors d'une habilitation spéciale ; - l'habilitation est générale ; dans ce cas la personne habilitée pourra accomplir l'ensemble des actes, sans solliciter de nouvelle autorisation spécifique du juge des tutelles 247 ( * ) , sauf cas spécifiques d'actes soumis à une protection particulière. Le juge peut désigner plusieurs personnes habilitées. Aucune durée n'est prévue pour la mesure d'habilitation spéciale, celle-ci ayant vocation à prendre fin une fois les actes pour lesquels une personne a été habilitée prennent fin. L'habilitation familiale générale, quant à elle, ne peut excéder dix ans. Différence notable par rapport à la tutelle, la personne habilitée n'est pas tenue d'établir un compte de gestion annuel. L'habilitation familiale prend fin soit à l'expiration du délai fixé initialement par le juge, soit par le placement de l'intéressé sous sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle, mais aussi en cas de jugement de mainlevée passé en force de chose jugée prononcé par le juge à la demande d'un proche ou du procureur de la République, si les conditions ne sont plus réunies ou que l'habilitation familiale est de nature à porter atteinte aux intérêts de la personne protégée (art. 494-11 du code civil). Source : commission des lois. |
Souhaitant réaffirmer et clarifier cette hiérarchisation des mesures de protection, le présent article modifie l'article 428 du code civil, modification d'ordre rédactionnelle sur laquelle vos rapporteurs n'ont pas d'observations particulières à formuler.
2. L'élargissement des conditions de l'ouverture de l'habilitation familiale
L'article 16 propose également un élargissement des conditions d'ouverture de la mesure d'habilitation familiale aux deux hypothèses prévues à l'article 425 du code civil, selon lesquelles une mesure de protection peut être ouverte pour toute personne « dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté ».
Ces nouvelles conditions permettraient au juge des tutelles de prononcer une mesure d'habilitation familiale en cas de besoin d'assistance, et pas uniquement de représentation.
L'article 494-1 du code civil serait modifié à cet effet, la définition actuelle, restreinte aux cas d'une personne « hors d'état de manifester sa volonté pour l'une des causes prévues à l'article 425 », étant interprétée comme ne permettant d'ouvrir une mesure d'habilitation familiale que dans les hypothèses où la personne doit être représentée dans les actes de la vie civile (cas d'ouverture de la tutelle, mesure la plus contraignante en matière de protection juridique). Or, cette situation était contraire à la philosophie de la protection juridique depuis la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qui vise à privilégier les mesures les moins contraignantes et assurées par les familles, telles que l'habilitation familiale.
D'après la Cour de cassation, dont la première chambre civile a transmis des éléments d'observations à vos rapporteurs, « cette mesure était souhaitée et nécessaire, les conditions d'ouverture étant trop restrictives ». Elle précise également que cette modification permettrait de répondre aux exigences de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), qui rappelle les principes de proportionnalité et d'adaptation des mesures à la situation des personnes concernées.
Cette évolution implique, par coordination, de mentionner désormais expressément dans la loi les cas dans lesquels la personne habilitée agit en représentation de la personne protégée, et non en assistance 248 ( * ) .
La distinction légale en matière de tutelle entre les actes qu'un tuteur peut accomplir seul et ceux pour lesquels il doit être autorisé ne s'impose pas.
Toutefois, l'autorisation d'un juge des tutelles est toujours nécessaire pour l'accomplissement d'un acte de disposition à titre gratuit : l'article 494-6 du code civil serait donc modifié pour mentionner expressément que l'accomplissement de cet acte se fait « en représentation », afin qu'une personne habilitée à assister un proche ne puisse y procéder.
De même, l'article 494-7 du code civil viserait désormais la personne habilitée « à représenter la personne protégée », excluant donc celle habilitée à l'assister, s'agissant de la gestion des comptes bancaires par la personne habilitée.
De manière plus générale, la personne protégée voit sa capacité amputée de tout ce que le proche habilité, son représentant, a pouvoir de faire. Il en résulte qu'une habilitation générale entraîne une incapacité générale. L'article 494-8 du code civil serait modifié afin de préciser que ces prescriptions ne concernent que les cas d'habilitation en représentation. Il en serait de même s'agissant de l'interdiction de conclure un mandat de protection future pendant la durée de l'habilitation si celle-ci est générale, qui ne concernerait que les cas d'habilitation en représentation.
Enfin, s'agissant du régime de responsabilité, il est actuellement prévu qu'en cas d'accomplissement d'un acte par la personne protégée au mépris de son incapacité, la nullité de l'acte est encourue de plein droit, sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un préjudice, l'action se prescrivant par cinq ans. L'article 494-9 du code civil serait donc modifié afin de prévoir le régime de responsabilité applicable aux actes accomplis en matière d'assistance de la personne protégée. Dans la même hypothèse que ci-dessus, l'acte ne pourrait être annulé que s'il était établi que la personne protégée a subi un préjudice.
Vos rapporteurs approuvent cette modification qui poursuit logiquement la transposition au régime de l'habilitation familiale du régime de responsabilité prévu à l'article 465 du code civil s'agissant des mesures de tutelle et de curatelle :
- lorsque « la personne protégée a accompli seule un acte pour lequel elle aurait dû être représentée, l'acte est nul de plein droit sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un préjudice » ;
- tandis que si « la personne protégée a accompli seule un acte pour lequel elle aurait dû être assistée, l'acte ne peut être annulé que s'il est établi que la personne protégée a subi un préjudice ».
Enfin, le projet de loi propose plusieurs modifications bienvenues, s'agissant, d'une part, de la modification de l'article 494-3 du code civil pour prévoir expressément que la personne qu'il y a lieu de protéger peut saisir le juge d'une demande d'habilitation familiale à son endroit et, d'autre part, de la modification de l'article 494-11 du code civil qui introduit de la même manière la personne protégée dans la liste des personnes habilitées à demander au juge la mainlevée de la mesure d'habilitation familiale.
3. La création d'une « passerelle » entre les mesures de protection judiciaire et l'habilitation familiale
Dans le droit en vigueur, le juge des tutelles est saisi d'une requête aux fins de désignation d'une personne habilitée à représenter la personne à protéger, à l'initiative d'un proche de cette personne, agissant directement ou par l'intermédiaire du procureur de la République (art. 494-3 du code civil). La demande doit être accompagnée d'un certificat médical circonstancié rédigé par un médecin choisi sur une liste établie par le procureur de la République (431 du code civil).
Toutefois, lorsque le juge saisi d'une requête aux fins d'ouverture d'une mesure de protection judiciaire (tutelle ou curatelle par exemple), constate, après instruction de la demande, qu'une mesure d'habilitation familiale serait suffisante, il ne peut l'ordonner, même si les conditions légales en sont remplies, aucune passerelle entre ces mesures n'ayant été prévue par les textes.
La Cour de cassation a d'ailleurs jugé dans une décision très commentée du 20 décembre 2017 249 ( * ) qu'« aucune disposition légale n'autoris [ait] le juge des tutelles, saisi d'une requête aux fins d'ouverture d'une mesure de protection judiciaire, à ouvrir une mesure d'habilitation familiale ». Par la suite, dans le cadre de son rapport annuel 250 ( * ) au sein duquel elle fait traditionnellement part de suggestions de modification de textes législatifs ou réglementaires, la Cour de cassation indique que « l'ensemble de la doctrine a constaté et regretté cette absence de ?passerelle', dans un domaine où la souplesse apparaît indispensable », et propose la modification des textes en ce sens.
Le projet de loi modifie à cet effet l'article 494-3 du code civil, en précisant que la désignation d'une personne habilitée est également possible, soit à l'issue de l'instruction d'une requête aux fins d'ouverture d'une mesure de protection judiciaire, soit lorsque le juge substitue une habilitation familiale à une mesure de curatelle ou de tutelle, quand il statue sur le renouvellement de la mesure en application de l'article 442 du code civil.
Comme l'indique l'étude d'impact, cette passerelle « permettrait aux familles de solliciter, sans délai ni démarches supplémentaires, une habilitation familiale y compris en cas de renouvellement d'une mesure de tutelle » 251 ( * ) .
Parallèlement, le projet de loi modifie l'article 494-5 du code civil pour permettre au juge, dans la situation inverse, dès lors que les conditions de l'habilitation familiale ne lui paraissent pas réunies pour désigner une personne habilitée, d'ordonner une mesure de protection judiciaire.
Vos rapporteurs rappellent en outre qu'à tout moment, le juge peut modifier l'étendue de l'habilitation, habiliter une autre personne ou mettre fin à l'habilitation (art. 494-10 du code civil).
Vos rapporteurs souscrivent pleinement à cette passerelle qu'ils estiment particulièrement opportune. D'ailleurs, d'après la majorité des personnes qu'ils ont entendues, ces dispositions ne soulèvent pas de difficultés particulières et sont au contraire très attendues par les familles. Elles devraient contribuer au développement de l'habilitation familiale, dans la continuité du souhait du législateur de 2007 et 2015.
Toutefois, l'étude d'impact indique que « l'impact informatique de cette mesure pour le ministère de la justice est fort », requérant près de quatre mois minimum de développement informatique pour intégrer les processus découlant de cette nouvelle passerelle. Interrogés par vos rapporteurs à ce sujet, le Gouvernement prévoit la finalisation d'un tel projet au sein de l'application informatique existante de gestion des tutelles d'ici le début de l'été 2019, et une intégration à terme au sein de PORTALIS, qui doit unifier en une seule chaîne applicative le traitement de l'ensemble des procédures civiles.
Vos rapporteurs souhaitent donc appeler l'attention du Gouvernement sur la mise en oeuvre opérationnelle de cette « passerelle », eu égard à l'entrée en vigueur immédiate prévue pour ces dispositions.
Au bénéfice de ces observations, votre commission a adopté l'article 16 sans modification .
Article 17
(art. 486, 503, 511, 512, 513, 513-1 [nouveau], 514 du
code civil)
Réforme des modalités d'inventaire et de
contrôle des comptes
de gestion des personnes
protégées
L'article 17 du projet de loi tend à renforcer les sanctions à l'égard du tuteur défaillant dans la transmission de l'inventaire, ainsi qu'à réformer les modalités de contrôle des comptes de gestion des mesures de tutelle.
1. Un renforcement des sanctions à l'égard du tuteur défaillant dans la transmission de l'inventaire qui doit être gradué
Le II de l'article 17 modifie l'article 503 du code civil relatif à l'inventaire des biens de la personne protégée. Il est également applicable aux personnes qui font l'objet d'une mesure de curatelle renforcée, dans laquelle le curateur est soumis aux mêmes obligations qu'un tuteur s'agissant de l'établissement d'un inventaire à l'ouverture de la mesure et de son actualisation périodique 252 ( * ) .
Dans les trois mois de l'ouverture de la tutelle, le tuteur - d'un mineur ou d'un majeur - doit faire procéder à un inventaire qu'il transmet au juge des tutelles. Cet inventaire, qui doit être actualisé au cours de la mesure par le tuteur, permet de vérifier, à la fin de la tutelle, que la personne protégée récupère tous ces biens.
En conséquence, l'inventaire constitue un document majeur de la mesure de protection : il permet au juge de vérifier la pertinence du budget prévisionnel, au greffier en chef de vérifier les comptes annuels et à la personne protégée elle-même de s'assurer de la bonne gestion et de la sauvegarde de son patrimoine. Ses modalités sont prévues à l'article 1253 du code civil.
Aux fins d'établissement de cet inventaire, le tuteur peut se faire communiquer tous les documents nécessaires auprès de personnes publiques ou privées (des banques, des notaires...), qui sont déliées du secret professionnel ou bancaire le cas échéant. Dans l'hypothèse d'une défaillance du tuteur (absence d'inventaire, ou inventaire incomplet ou inexact), la personne protégée ou ses héritiers le cas échéant, peuvent faire la preuve de la consistance de ses biens par tous moyens.
Le projet de loi modifie l'article 503 du code civil sur deux points.
En premier lieu, il ajoute à la transmission de l'inventaire au juge des tutelles celle du budget prévisionnel, qui permettrait ensuite de faciliter le contrôle des comptes de gestion de la tutelle.
Vos rapporteurs saluent cette mesure tout à fait opportune, comme d'ailleurs la majorité des personnes entendues, qu'il s'agisse de mandataires professionnels ou d'associations tutélaires.
En second lieu, il tend à créer un nouveau dispositif en cas de défaillance du tuteur, dans l'hypothèse où ce dernier remettrait l'inventaire en retard. Le juge des tutelles pourrait alors désigner un technicien, qui serait doté d'un mandat judiciaire, pour y procéder. Celui-ci interviendrait aux frais du tuteur.
Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, l'inventaire devait être réalisé dans les dix jours suivant la nomination du tuteur, délai qui était impossible à respecter, comme l'avait relevé notre ancien collègue Henri de Richemont, dans son rapport sur ce projet de loi 253 ( * ) . Le délai de remise de l'inventaire a donc déjà été allongé de dix jours à trois mois.
Cette nouvelle modification du régime de l'inventaire tend à répondre au constat sévère de la Cour des comptes dans son rapport sur la protection juridique des majeurs, qui affirmait qu' « en dépit de l'importance cardinale qu'il revêtent, l'établissement et l'envoi des inventaires s'avèrent particulièrement défaillants » 254 ( * ) . La Cour relevait notamment que plus de 80 % des dossiers examinés n'était pas réalisés dans les trois mois suivant l'ouverture de la mesure, relevant que « le désintérêt très répandu pour les procédures d'inventaire [qu'elle] a observé ne [pouvait] que faciliter les abus ».
En conséquence, elle concluait en recommandant le recours obligatoire à un commissaire-priseur judiciaire ou à un notaire s'agissant de l'établissement de l'inventaire, qui seul pourrait satisfaire « aux exigences de transparence et de contradictoire qui s'imposent ici, en tout cas pour les patrimoines dont la valeur excèderait un montant à déterminer ». Quant aux modalités de financement et de tarification de cette obligation inhérente à la mesure de protection, qui est un mandat judiciaire, la Cour évoquait un financement à la charge du majeur au-delà d'un seuil à déterminer.
Les associations tutélaires et mandataires judiciaires à la protection des majeurs entendus par vos rapporteurs ont fait état de difficultés réelles à produire l'inventaire. Certains d'entre eux ont rappelé le pouvoir que donne l'article 417 du code civil au juge des tutelles pour prononcer des injonctions contre les personnes chargées de la protection et les condamner à une amende civile lorsqu'elles n'y auront pas déféré 255 ( * ) . Mais cette solution n'est pas apparue forcément opérante à votre rapporteur, dans la mesure où les difficultés ne viennent pas forcément d'une défaillance du tuteur, mais des difficultés qu'ils ont à obtenir les informations requises.
Le dispositif proposé par le Gouvernement répond à de réels dysfonctionnements relevés par plusieurs rapports s'agissant de la remise effective de l'inventaire.
Votre commission a donc proposé d'en conserver la philosophie, tout en y substituant un dispositif gradué et mieux encadré, par l'adoption d'un amendement COM-277 de ses rapporteurs.
En premier lieu, le juge pourrait accorder au tuteur un délai complémentaire pour réaliser l'inventaire, dès lors qu'il rapporterait la preuve de difficultés manifestes dans la communication de renseignements ou de documents par un tiers, malgré l'accomplissement de toutes les diligences requises de sa part.
En second lieu, le juge pourrait, comme le projet de loi le propose, désigner une personne qualifiée (la notion de technicien paraissant trop restrictive), pour procéder à l'inventaire aux frais du tuteur.
Ce dispositif serait encadré à un double titre :
- la personne qualifiée serait choisie sur une liste établie par le procureur de la République ;
- le juge fixerait le délai qui lui serait accordé ainsi que sa rémunération, qui ne devrait pas excéder un plafond fixé par décret en Conseil d'État.
En outre, par l'adoption du même amendement COM-277, votre commission a supprimé la référence à l'article 417 du code civil, qui est bien applicable aux opérations d'inventaire, sans qu'il soit besoin de le mentionner, ce qui pourrait d'ailleurs générer des interprétations a contrario , sur d'autres articles ou dispositions du code civil.
2. Une réforme des modalités du contrôle des comptes de gestion des mesures de protection afin de garantir son effectivité
Les autres paragraphes de l'article 17 du projet de loi (I, III et IV à VII) modifient les dispositions du code civil relatives au contrôle des comptes de gestion des mesures de protection. Ces dispositions sont applicables aux mesures de placement en tutelle, en curatelle renforcée 256 ( * ) , mais aussi en cas de désignation d'un mandataire spécial s'agissant d'un placement en sauvegarde de justice 257 ( * )
L'article 510 du code civil prévoit que le tuteur établit chaque année un compte de sa gestion. À cette fin, il peut solliciter les établissements auprès desquels un ou plusieurs comptes sont ouverts au nom de la personne protégée, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel ou le secret bancaire. Par dérogation au principe de confidentialité auquel est tenu le tuteur, il remet chaque année une copie du compte de gestion et des pièces justificatives à la personne protégée 258 ( * ) .
Pour le tuteur, refuser de se soumettre à cette obligation peut constituer un manquement à une obligation essentielle de sa charge pouvant justifier qu'il soit déchargé de la tutelle par le juge 259 ( * ) , en application de l'article 417 du code civil déjà cité.
En application de l'article 511 du même code, le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal d'instance pour les majeurs (ou du tribunal de grande instance pour les mineurs), est compétent pour contrôler ce compte de gestion. L'article 1254-1 du code de procédure civile lui permet d'être assistés par un huissier de justice, aux frais de la personne protégée. Par ailleurs, le directeur des services de greffe judiciaires peut bénéficier d'un pré-contrôle par le subrogé tuteur qui, lorsqu'il a été nommé, doit vérifier le compte avant de le lui transmettre avec ses observations.
Dans l'hypothèse où le directeur des services de greffe judiciaires refuse d'approuver le compte, le juge des tutelles doit statuer sur la conformité du compte, à la lumière d'un rapport du directeur des services de greffe judiciaires dressant les difficultés rencontrées.
Le contrôle des comptes de gestion (vérification et approbation) peut être confié par le juge au subrogé-tuteur ou au conseil de famille, lorsqu'ils ont été nommés.
De même, lorsque les ressources de la personne protégée le permettent et si l'importance et la composition de son patrimoine le justifient, l'article 513 autorise le juge à décider, en considération de l'intérêt patrimonial en cause, que la vérification et l'approbation du compte de gestion seront effectuées par un technicien, aux frais de la personne protégée.
Enfin, l'article 512 du code civil permet, lorsque la mesure de protection n'a pas été confiée à un mandataire judiciaire à la protection des majeurs, de dispenser le tuteur d'établir le compte de gestion et de le soumettre à l'approbation du directeur des services de greffe judiciaires, en raison de la modicité des revenus et du patrimoine de la personne protégée. La Cour de cassation a rappelé à cet égard que la dispense de compte de gestion n'est qu'une faculté pour le juge, celui-ci disposant d'un pouvoir souverain d'appréciation, nonobstant la modicité des revenus et du patrimoine de la personne protégée 260 ( * ) .
Toutefois, plusieurs rapports ont mis en évidence les défaillances dans le contrôle des comptes de gestion liées notamment au manque de moyens de la justice. La Cour des comptes relevait ainsi qu'en moyenne, les juges des tutelles étaient chargés de 3500 dossiers en 2015.
Vos rapporteurs rappellent à cet égard que la responsabilité de l'État à raison d'une faute dans le contrôle des comptes de gestion peut d'ailleurs être engagée, dans la mesure où elle découle de l'obligation de surveillance générale des mesures de protection qui incombe au juge des tutelles et au procureur de la République, conformément à l'article 416 du code civil.
Ainsi si « tous les organes de la mesure de protection judiciaire sont responsables du dommage résultant d'une faute quelconque qu'ils commettent dans l'exercice de leur fonction (...) » (article 421 du code civil), « lorsque la faute à l'origine du dommage a été commise dans l'organisation et le fonctionnement de la mesure de protection par le juge des tutelles, le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal d'instance ou le greffier, l'action en responsabilité diligentée par la personne protégée ou ayant été protégée ou par ses héritiers est dirigée contre l'Etat qui dispose d'une action récursoire ».
Le projet de loi propose à l'article 512 du code civil (reprise des dispositions de l'article 511 du même code), un véritable bouleversement des modalités de contrôle des comptes de gestion.
Le principe du contrôle des comptes de gestion (vérification et approbation) par la puissance publique serait abandonné, puisque les greffes ne seraient plus en charge ni de vérifier, ni d'approuver les comptes. Au contrôle par la puissance publique se substituerait un contrôle interne par les organes de protection de la mesure eux-mêmes.
Ainsi, les comptes de gestion seraient vérifiés et approuvés :
- soit par le subrogé tuteur 261 ( * ) lorsqu'il en a été nommé un (article 454 du code civil) ;
- soit par le conseil de famille s'il en existe un (délibérant hors de la présence du juge - article 457 du code civil) ;
- soit, lorsque plusieurs personnes ont été désignées pour assurer la gestion patrimoniale de la personne protégée (co-tuteur ou tuteur adjoint de l'article 447 code civil), les comptes de gestion que ces personnes auraient établis seraient considérés comme approuvés dès lors qu'ils seraient signés par l'ensemble des personnes désignées par le juge.
Le juge n'interviendrait qu'en cas de difficultés ou de refus de signature, pour statuer sur la conformité des comptes à la requête de l'une des personnes chargées de la mesure de protection.
Par dérogation à ce contrôle interne à la mesure de protection, lorsque « l'importance et la composition du patrimoine le justifient », le juge désignerait, dès réception de l'inventaire et du budget prévisionnel, une « personne qualifiée » chargée de la vérification et de l'approbation des comptes dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État. Sont visés des professionnels du droit et du chiffre, particulièrement les experts-comptables. Le juge devrait fixer dans sa décision les modalités selon lesquelles le tuteur soumet à cette dernière le compte de gestion, accompagné des pièces significatives, en vue de ces opérations. Le projet de loi reprend ici l'idée de l'actuel article 513 du code civil qui n'est toutefois jusqu'à présent qu'une faculté pour le juge.
Enfin, en l'absence de désignation d'un subrogé tuteur, d'un co-tuteur ou d'un conseil de famille, le juge pourrait également faire application de la procédure externe de contrôle des comptes de gestion via une « personne qualifiée », lorsque l'importance ou la composition du patrimoine le requiert. Ainsi, dans cette hypothèse, le juge devrait statuer sur les modalités de contrôle des comptes (dispense de contrôle, d'établissement de comptes ou contrôle par un tiers extérieur) dès la réception de l'inventaire et du budget prévisionnel.
Dans le même esprit, l'article 513 du code civil serait aussi modifié (reprise des dispositions de l'article 512) pour étendre la possibilité de dispenser de soumettre à toute approbation les comptes de gestion établis par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs, en considération de la modicité des revenus ou du patrimoine de la personne protégée, alors que cette exemption est aujourd'hui réservée aux mandataires familiaux.
Enfin, un nouvel article 513-1 serait créé au sein du code civil afin de prévoir la remise du compte de gestion, après sa vérification, au dossier du tribunal par la personne chargée de cette mission. De plus, en cas de refus d'approbation des comptes, le juge serait saisi des difficultés et pourrait statuer sur la conformité du compte.
D'après l'exposé des motifs du projet de loi, il s'agit de « décharger complètement les directeurs des services de greffe judiciaires et les juges des tutelles de cette charge de travail chronophage ».
Si vos rapporteurs entendent bien la nature des difficultés, ils s'interrogent fortement sur la mise en oeuvre du dispositif tel qu'il est proposé.
Dans la plupart des cas, cette réforme risque fort de se traduire par une disparition pure et simple de tout contrôle, en particulier pour les personnes aux revenus et patrimoines les plus modestes. En effet, la majorité des tutelles n'ont ni conseil de famille, ni subrogé tuteur, le mécanisme de contrôle interne devenant alors inopérant.
En premier lieu, le principe d'un contrôle interne (subrogé tuteur ou conseil de famille) organisé avec un recours au juge comme cela est prévu en cas de difficultés constitue une idée intéressante et qui semble équilibrée, à l'exception de l'auto-approbation des comptes lorsqu'il y a plusieurs personnes en charge de la protection (447 du code civil).
Toutefois, très peu de mesures de protection semblent susceptibles de rentrer dans le champ d'application du contrôle interne par les organes de protection : selon les éléments communiqués à vos rapporteurs par le ministère de la justice, les statistiques nationales recensent 132 tutelles avec constitution d'un conseil de famille sur 300 000 mesures de tutelles ouvertes entre 2009 et 2016. S'agissant des subrogés tuteurs, ils sont désignés dans moins de 3 % des cas de tutelle, et 1 % des cas de curatelles.
De ce fait, mécaniquement, un grand nombre de mesures de protection ne seraient in fine soumises au contrôle des comptes de leur gestion que si le juge décidait, eu égard à l'importance et à la composition du patrimoine qu'il confie à une « personne qualifiée » le soin de vérifier et d'approuver les comptes, plutôt que d'exonérer la personne en charge de la protection de tout contrôle.
En outre, l'intervention éventuelle d'un tiers revient à faire reposer encore davantage le financement de la protection juridique des majeurs sur la personne protégée elle-même.
Vos rapporteurs regrettent que l'expérimentation du contrôle des comptes par des agents du Trésor public n'ait pas pu aboutir, dans la mesure où cette solution avait pour avantage de conserver un contrôle de la puissance publique.
Toutefois, prenant acte des difficultés, à ce stade, pour mettre en oeuvre un tel système, vos rapporteurs ont présenté à votre commission, qui l'a adopté, un amendement COM-278 tendant à prévoir un dispositif alternatif afin de garantir la protection de toutes les personnes vulnérables.
En premier lieu, ce dispositif retient le principe d'un contrôle interne par le subrogé tuteur ou le conseil de famille, comme le propose le projet de loi. En cas de difficultés, le juge pourrait statuer sur les comptes à la demande de l'une des personnes en charge de la protection. Serait en revanche supprimée la possibilité pour les personnes en charge d'établir les comptes (lorsque plusieurs personnes sont en charge de la tutelle) de les approuver, eu égard au risque de manque d'impartialité.
En deuxième lieu, le dispositif retenu par votre commission permet au juge de désigner une personne qualifiée pour contrôler les comptes, si la composition ou l'importance du patrimoine le justifie, mais seulement si les ressources de la personne le permettent. La personne qualifiée serait choisie sur une liste établie par le procureur de la République, et ce dans le cadre de tarifs plafonnés par décret.
En troisième et dernier lieu, serait maintenu un contrôle par les greffes des tribunaux d'instance dès lors que la personne protégée ne dispose ni d'organe de contrôle interne, ni d'un patrimoine justifiant le recours à un contrôle externe.
Dans tous les cas, en cas de refus d'approbation des comptes, le juge pourrait être saisi d'un rapport de difficultés par la personne en charge de vérifier et d'approuver les comptes, et devrait alors statuer sur la conformité du compte.
Ce dispositif s'inscrit dans le sens des préconisations de la mission interministérielle confiée à Mme Anne Caron-Déglise 262 ( * ) .
Par cohérence, certaines dispositions sont par ailleurs regroupées dans le même article 512 du code civil.
Par l'adoption d'un second amendement COM-279 de ses rapporteurs, votre commission a maintenu, sur proposition de ses rapporteurs, le droit en vigueur s'agissant de la dispense d'établissement et de contrôle des comptes de gestion, qui peut actuellement être autorisée par le juge des tutelles, en cas de modicité des revenus ou de patrimoine de la personne protégée.
En effet, vos rapporteurs ont estimé qu'il n'y avait aucune raison d'élargir la possibilité de dispense aux mesures de protection confiées aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs.
Le rapport de la mission interministérielle confiée à Mme Anne Caron-Déglise 263 ( * ) fait d'ailleurs état du souhait des membres de cette mission que les comptes établis par les mandataires professionnels demeurent soumis au contrôle du juge sans possibilité de dispense.
Votre commission a adopté l'article 17 ainsi modifié .
Article 18
(art. 373-2, 373-2-6 et 373-2-10 du code
civil)
Renforcement de l'efficacité des décisions prises
en
matière d'exercice de l'autorité parentale
L'article 18 du projet de loi vise à doter le juge aux affaires familiales d'un panel d'outils lui permettant de rendre plus effective l'exécution des décisions prises en matière d'exercice de l'autorité parentale.
L'inexécution de ces décisions est à l'origine de nombreuses saisines du juge pour qu'il modifie les mesures initialement prononcées ou fixées par convention non suivies d'effets, ce qui alourdit encore le contentieux familial, déjà considéré comme un contentieux de masse 264 ( * ) .
L'objectif du présent article est d'apporter une réponse graduée à ces inexécutions allant de la médiation familiale jusqu'à la réquisition des forces de l'ordre pour les hypothèses les plus graves.
1. La possibilité pour le juge de renvoyer les parties à la médiation familiale dans la décision statuant définitivement sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale
Le III du présent article modifie l'article 373-2-10 du code civil pour préciser que la proposition de médiation faite aux parents par le juge peut résulter de la décision statuant définitivement sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale.
Il pourrait également leur enjoindre, dans cette décision, de rencontrer un médiateur familial pour recevoir une information sur l'objet et le déroulement d'une médiation familiale.
L'objectif de ce premier niveau de réponse est de désamorcer les conflits dès le prononcé de la décision en utilisant la médiation pour permettre une meilleure acceptation et donc une meilleure exécution de celle-ci.
2. La possibilité pour le juge d'assortir les mesures prononcées d'une astreinte et de prononcer une amende civile en cas de manquement grave ou répété de l'un des parents à ses obligations
Le deuxième niveau de réponse pensé par le Gouvernement vise à favoriser l'exécution spontanée des décisions du juge aux affaires familiales par la menace de sanctions financières.
Actuellement, l'article 373-2-6 du code civil prévoit que le juge du tribunal de grande instance délégué aux affaires familiales peut prendre des mesures permettant de garantir la continuité et l'effectivité du maintien des liens de l'enfant avec chacun de ses parents. Le 1° du II du présent article précise que le juge peut assortir les mesures prononcées d'une astreinte.
Le 2° du II complète l'article 373-2-6 précité par la possibilité pour le juge de condamner au paiement d'une amende civile d'un montant maximum de 10 000 euros le parent qui fait délibérément obstacle de façon grave ou renouvelée à l'exécution d'une décision du juge, d'une convention homologuée par le juge ou d'une convention de divorce par consentement mutuel « déjudiciarisé » fixant les modalités d'exercice de l'autorité parentale.
Ce dispositif est inspiré d'amendes civiles qui existent déjà dans le code civil et dans le code de procédure civile, comme par exemple en matière de sanction des recours dilatoires ou abusifs (article 32-1 du code de procédure civile), de sanction de l'administrateur légal, du tuteur ou de tout autre organe tutélaire lorsqu'il refuse de déférer à la convocation ou à la demande de communication d'information du juge des tutelles et du procureur de la République (articles 387-6 et 411-1 du code civil) ou encore de sanction de celui qui, sans motif légitime, se soustrait à l'obligation d'apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité (article 10 du code civil). Ces amendes sont toutes plafonnées à 10 000 euros.
La mise en place de cette amende civile est apparue appropriée à vos rapporteurs, par son effet dissuasif et dans la mesure où elle serait versée au Trésor public et non pas à l'autre partie. Symboliquement, elle sanctionne donc bien un défaut de respect d'une décision de justice rendue au nom du peuple français ou du titre exécutoire, ce qui correspond parfaitement à l'objectif poursuivi par le Gouvernement.
3. Le recours à la force publique pour faire exécuter une décision ou un accord fixant les modalités d'exercice de l'autorité parentale des parents séparés
Le troisième et dernier niveau de réponse proposé par le Gouvernement pour améliorer l'exécution des décisions prises en matière d'autorité parentale est prévu au I du présent article. Il complète l'article 373-2 du code civil pour prévoir qu'en cas d'inexécution d'une décision du juge aux affaires familiales, d'une convention homologuée par celui-ci ou d'une convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d'un acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d'un notaire, fixant les modalités d'exercice de l'autorité parentale des parents séparés, la personne directement intéressée ou le juge aux affaires familiales pourrait saisir le procureur de la République, celui-ci pouvant alors requérir le concours de la force publique pour faire exécuter la décision ou la convention.
L'article 1074-1 du code de procédure civile dispose que « les mesures portant sur l'exercice de l'autorité parentale, la pension alimentaire, la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant [...] sont exécutoires de droit à titre provisoire ».
Pour autant, il n'existe pas de règles particulières d'exécution forcée de ces mesures.
Pour faire respecter les modalités d'exercice de l'autorité parentale fixées par décision judiciaire ou par convention, le parent peut faire une sommation interpellative par acte d'huissier, mais cette procédure a un coût et demeure le plus souvent sans effet.
Quant au recours à la force publique, seules deux hypothèses spécifiques sont envisagées : le déplacement illicite international d'enfants 265 ( * ) ou le placement en assistance éducative décidé par le juge des enfants en application de l'article 375-3 du code civil 266 ( * ) . Dans ces deux hypothèses, le procureur de la République peut requérir directement le concours de la force publique pour faire exécuter les décisions rendues.
Hors ces hypothèses, le parent qui souhaite faire appel à la force publique pour voir la mesure dont il bénéficie exécutée doit solliciter le préfet dans les conditions du droit commun. En effet, en application de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution, « l'État est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires ».
Cette obligation pour l'État de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires a pu se traduire par la signature de conventions locales passées entre le préfet, les services de police et de gendarmerie et les parquets. Un tel dispositif avait été mis en oeuvre pour l'exécution forcée des décisions de placement en assistance éducative avant la mise en place de la procédure prévue actuellement à l'article 375-3 du code civil 267 ( * ) .
Ce n'est pas ce choix qu'a fait le Gouvernement. Celui-ci a préféré s'inspirer des dispositions prévues en matière de déplacement international d'enfant ou de placement en assistance éducative, en conférant au procureur de la République le pouvoir de requérir directement la force publique pour faire exécuter les décisions rendues ou les titres exécutoires.
Comme le souligne le Gouvernement, le procureur de la République « par sa connaissance de la procédure civile, de la matière familiale et de l'intérêt de l'enfant (en matière de mesures de protection, d'adoption, d'état civil...), mais aussi par ses liens avec les forces de l'ordre, apparaît le mieux à même de déterminer les situations où le recours à la force publique sera nécessaire et les modalités d'exécution appropriées » 268 ( * ) . Le texte dispose en effet que le procureur « peut » requérir le concours de la force publique, lui laissant ainsi sa pleine liberté d'appréciation des suites à donner à la demande du juge aux affaires familiales ou de la personne directement intéressée.
Pour écarter l'objection liée à l'augmentation d'activité que générerait cette mesure pour les parquets, le Gouvernement insiste sur le fait que cette procédure serait conçue comme « une voie d'exécution ultime, réservée à certaines situations seulement » 269 ( * ) .
Or, rien dans la rédaction proposée ne limite l'application de cette procédure aux cas les plus graves ou aux hypothèses de refus réitérés d'exécuter la décision. Certes, il reviendra aux parquets de juger de l'opportunité de requérir la force publique mais, en termes d'alourdissement de leur charge de travail, dès lors que la décision ou la convention ne sera pas exécutée, le juge, mais aussi la personne intéressée, pourra saisir directement le procureur de la République, sans qu'aucune condition ne limite cette saisine.
Par ailleurs, cette nouvelle compétence sera difficile à mettre en oeuvre pour les magistrats des parquets, car ils seront chargés d'exécuter des décisions prises par un autre magistrat, ce qui pourrait les placer en situation de porte à faux.
Enfin, et surtout, comme l'ont relevé plusieurs personnes entendues par vos rapporteurs, le recours à la force publique pour exécuter les décisions du juge aux affaires familiales en matière d'exercice de l'autorité parentale est une question sensible car l'enfant est au coeur des mesures ordonnées et la contrainte peut s'avérer contre-productive.
La plupart des refus d'exécution concernent le droit de visite de l'un des parents. Il ne peut être envisagé de faire appel systématiquement au procureur de la République pour les retards ou pour les refus ponctuels de remise d'enfant. Or, en l'état du texte proposé, rien n'empêcherait l'un des parents de saisir le parquet au moindre manquement de l'autre parent, ce qui pourrait s'avérer particulièrement traumatisant pour l'enfant.
Si l'objectif est de réserver le recours à la force publique aux cas les plus graves, comme le fait valoir le Gouvernement, il existe déjà des dispositifs pénaux permettant de sanctionner le parent défaillant, comme le délit de non représentation d'enfant, encouru par le parent qui ferait obstacle au droit de visite de l'autre parent. Selon les chiffres présentés par la chancellerie, en 2016, les parquets ont été saisis de près de 38 000 affaires de non représentation d'enfant ou de soustraction d'enfant. 24 000 affaires, soit 60 % n'ont pu donner lieu à des poursuites en raison d'une infraction insuffisamment caractérisée ou d'absence d'infraction. Sur les 14 000 affaires restantes, la réponse pénale s'est traduite dans 90 % des cas par une procédure alternative aux poursuites : régularisation sur demande du parquet, médiation pénale... Dans 10 % des affaires, des poursuites ont été engagées 270 ( * ) .
Ces poursuites sont extrêmement rares mais n'est-ce pas justement l'objectif poursuivi ? Le recours à la force publique doit être réservé aux cas les plus extrêmes, lorsque tous les autres moyens ont été mis en oeuvre pour faire exécuter la décision.
À cet égard, vos rapporteurs estiment que les autres mesures prévues par le présent article devraient déjà avoir pour effet d'améliorer l'exécution des décisions prises en matière familiale, notamment la possibilité pour le juge d'assortir les mesures ordonnées d'une astreinte ou de prononcer une amende civile d'un montant maximum de 10 000 euros.
Enfin, cette proposition d'avoir recours à la force publique s'est heurtée à l'opposition du comité technique des services judiciaires consulté le 4 avril 2018 271 ( * ) et de l'ensemble des représentants du ministère public entendus par vos rapporteurs.
Pour l'ensemble de ces raisons, sur proposition de ses rapporteurs, votre commission a adopté un amendement COM-250 qui supprime le I du présent article et la possibilité d'avoir recours à la force publique pour faire exécuter une décision relative à l'exercice de l'autorité parentale.
Votre commission a adopté l'article 18 ainsi modifié .
* 245 Le juge peut en effet statuer en faveur d'une habilitation entre époux sous forme d'une habilitation restreinte (art. 217 du code civil, qui concernera un acte ou des actes précis), ou d'une habilitation générale (art. 219 du même code, portant sur un pouvoir large de représentation du conjoint en incapacité d'exprimer sa volonté). Le droit des régimes matrimoniaux n'offre pas tout à fait les mêmes possibilités que l'habilitation familiale, notamment en matière extra-patrimoniale. Le juge des tutelles du tribunal d'instance est compétent pour examiner ces demandes.
* 246 Rapport n° 228 (2014-2014) de M. Thani Mohamed Soilihi, fait au nom de la commission des lois, déposé le 14 janvier 2014, sur le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, p. 45. Ce document est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l13-288/l13-2881.pdf
* 247 À l'exception de tous les actes de disposition conclus à titre gratuit, qui doivent systématiquement recueillir l'autorisation du juge des tutelles (acceptation ou renonciation à une succession par exemple).
* 248 Dans le cas d'une habilitation générale, une opposition d'intérêts entre le proche habilité et la personne protégée fait obstacle à l'accomplissement de l'acte, sauf autorisation donnée par le juge à titre exceptionnel.
* 249 Cour de cassation, première chambre civile, 20 décembre 2017, n° 16-27507.
* 250 Cour de cassation, rapport annuel 2017. Ce document est consultable à l'adresse suivante : https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_2017_8791/suggestions_modifications_8800/reforme_matiere_8803/b._suggestions_nouvelles_39475.html
* 251 Étude d'impact du projet de loi, p. 299.
* 252 « Le juge peut également, à tout moment, ordonner une curatelle renforcée. Dans ce cas, le curateur perçoit seul les revenus de la personne en curatelle sur un compte ouvert au nom de cette dernière. Il assure lui-même le règlement des dépenses auprès des tiers et dépose l'excédent sur un compte laissé à la disposition de l'intéressé ou le verse entre ses mains. (...) La curatelle renforcée est soumise aux dispositions des articles 503 et 510 à 515. » (article 472 du code civil).
* 253 Rapport n° 2012 (2006-2007) de M. Henri de Richemont, fait au nom de la commission des lois, déposé le 7 février 2007, sur le projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, p. 62. Ce document est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/rap/l06-212/l06-2121.pdf
* 254 La protection juridique des majeurs. Une réforme ambitieuse, une mise en oeuvre défaillante . Cour des comptes, communication à la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale, septembre 2016, p. 64.
Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20161004-rapport-protection-juridique-majeurs.pdf
* 255 Celle-ci ne peut excéder 3000 euros (article 1216 code de procédure civile).
* 256 Voir article 472 du code civil.
* 257 Article 437 du code civil : « Le mandataire spécial est tenu de rendre compte de l'exécution de son mandat à la personne protégée dans les conditions prévues aux articles 510 à 515 ».
* 258 Si elle âgée d'au moins seize ans.
* 259 Cour de cassation, première chambre civile, 13 décembre 1994, n° 93-13.826.
* 260 Cour de cassation, première chambre civile, 7 octobre 2015, n° 14.23.955.
* 261 « À peine d'engager sa responsabilité à l'égard de la personne protégée, le subrogé curateur ou le subrogé tuteur surveille les actes passés par le curateur ou par le tuteur en cette qualité et informe sans délai le juge s'il constate des fautes dans l'exercice de sa mission. (...) »
* 262 L'évolution de la protection juridique des personnes. Reconnaître, soutenir et protéger les personnes les plus vulnérables. Rapport de mission interministérielle 2018, remis par Mme Anne Caron-Déglise le 21 septembre 2018, p. 79. Ce document est consultable à l'adresse suivante : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rapport_pjm_dacs_rapp.pdf
* 263 Ibid supra .
* 264 En 2016, les juges aux affaires familiales ont été saisis, hors incapacités des mineurs, de 383 652 affaires nouvelles dont 172 294 ruptures d'unions et 50 339 demandes relatives à l'après-divorce. Ces données sont issues des statistiques disponibles sur le site du ministère de la justice, consultable à l'adresse suivante :
* 265 Article 34-1 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
* 266 Placement de l'enfant auprès de l'autre parent, d'un autre membre de la famille ou d'un tiers digne de confiance, auprès d'un service départemental de l'aide sociale à l'enfance, d'un service habilité pour l'accueil de mineurs à la journée, d'un service ou d'un établissement sanitaire ou d'éducation...
* 267 Cette procédure a été mise en place par la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique.
* 268 Étude d'impact précitée p. 143.
* 269 Étude d'impact précitée p. 143.
* 270 Étude d'impact précitée p.141.
* 271 Étude d'impact précitée p. 145.