EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Les dernières lois de réforme territoriale ont, par bien des aspects, désorganisé l'action publique locale tout en y introduisant paradoxalement beaucoup de rigidité.
Inspirées par une vision trop doctrinale de l'organisation administrative de notre pays, ces réformes n'ont pas assez tenu compte des spécificités de chaque territoire et des besoins qui s'y expriment. Elles ont souvent péché par manque de pragmatisme. Quel sens y avait-il à transférer la gestion du transport scolaire à des régions qui, pour certaines, sont trois fois aussi grandes que la Belgique ? À marier de force des centaines de communes pour former des intercommunalités géantes, dont beaucoup ont dû rétrocéder certaines compétences à leurs communes membres, lesquelles n'ont plus les moyens de les exercer ? À priver les conseils départementaux de capacités d'intervention en matière d'aménagement et de développement économique locaux, que les conseils régionaux n'ont ni les moyens, ni le souhait de reprendre à leur compte ? Ou encore à créer de grandes régions pour les rendre capables, espérait-on, de rivaliser avec leurs voisines européennes, sans leur donner - loin s'en faut - de ressources équivalentes ni leur confier certaines compétences stratégiques qu'elles pourraient exercer mieux que l'État ?
Car ces réformes, que l'on a parfois qualifiées d'« acte III de la décentralisation », n'ont eu en réalité presque aucune portée décentralisatrice. Les rares mécanismes, comme la délégation de compétences de l'État, qui auraient pu sembler prometteurs à cet égard se sont révélés impraticables.
Pendant ce temps, la fracture territoriale s'aggrave, entre des territoires riches, dotés de services publics performants et bien insérés dans les réseaux d'échanges de la mondialisation, et d'autres qui se sentent laissés pour compte. L'effet d'entraînement des métropoles sur les territoires avoisinants reste pour le moins à prouver 1 ( * ) . Dans bien des campagnes, des bourgs et petites villes, des périphéries urbaines, l'activité économique continue de décroître et les services publics désertent.
Ces deux phénomènes ne sont pas sans lien. La vitalité de nos territoires suppose que les élus disposent des leviers juridiques et financiers nécessaires pour aménager leur territoire, le rendre attractif, offrir les services publics indispensables à l'activité économique comme à la vie quotidienne de nos concitoyens. Elle suppose également que l'on n'ait pas découragé les élus en les accablant de réformes de structure et en les privant des marges de manoeuvre dont ils ont besoin pour agir efficacement.
Voilà pourquoi la proposition de loi n° 466 (2017-2018) relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale , présentée par nos collègues Philippe Bas, président de la commission des lois, Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, et votre rapporteur, s'attaque à ces deux problèmes de front.
Cette proposition de loi est, délibérément, un texte d'ajustement.
Il n'est pas question de défaire aujourd'hui ce qui a été fait hier, non sans difficultés : comme l'a souvent répété le Président Gérard Larcher, ni les élus locaux, ni les Français ne veulent d'un nouveau « big bang » territorial. Cela ne doit pas nous empêcher de corriger ce qui doit l'être. Cela ne doit pas non plus nous interdire de penser l'avenir, en dépassant les schémas périmés. Il nous appartient d'imaginer ce que pourrait être, demain, une démocratie locale vivante, coopérative, porteuse de projets capables d'améliorer concrètement la vie de nos concitoyens. Pour cela, il nous faudra concevoir de nouveaux instruments mais, surtout, laisser aux élus locaux la liberté d'expérimenter et d'innover, sous le contrôle de leurs mandants.
La confiance plutôt que la contrainte, la prise en compte de la diversité plutôt que l'uniformité, l'adaptabilité plutôt que l'esprit de système : tel doit être, votre rapporteur en est convaincu, l'esprit de réformes territoriales vraiment modernes.
I. UNE AGENCE NATIONALE DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES
Conformément au voeu exprimé depuis plus d'un an par le Président du Sénat et la majorité sénatoriale, voeu que le Président de la République a fait sien lors de la première Conférence nationale des territoires, la proposition de loi a d'abord pour objet de créer une Agence nationale de la cohésion des territoires ( titre I er ).
Cette agence, créée sous la forme d'un établissement public à caractère industriel et commercial à la gouvernance duquel les représentants de l'État et les élus seraient associés à parts égales, aurait pour mission de contribuer au développement économique et social durable des territoires ruraux et périurbains, en apportant son concours aux collectivités territoriales, aux établissements publics de coopération intercommunale et aux organismes publics ou privés qui y conduisent des opérations tendant :
1° au maintien et au développement des services publics ;
2° au développement des infrastructures ferroviaires et routières, ainsi qu'au développement des services de transport ;
3° au développement des réseaux et services de communications électroniques ;
4° au développement de l'offre de soins.
L'agence pourrait également apporter son concours humain ou financier à tout projet dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par les collectivités territoriales et leurs groupements.
Selon les auteurs de la proposition de loi, la revitalisation de nos territoires ruraux et périurbains suppose qu'ils soient dotés des infrastructures et services indispensables au bien-être de nos concitoyens comme au développement des entreprises. Or, pour les acteurs économiques, l'implantation sur des territoires à faible densité de population comporte d'inévitables surcoûts , liés au nombre limité de clients potentiels. Un accompagnement de la puissance publique est donc indispensable, et l'État doit y prendre sa part, car il y va de la solidarité nationale .
Votre commission des lois a délégué au fond l'examen de ce titre I er à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable , qui a nommé rapporteur notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ 2 ( * ) . Votre rapporteur renvoie donc au rapport pour avis de notre collègue pour de plus amples développements sur ce volet de la réforme proposée.
Sur proposition de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, votre commission des lois a adopté plusieurs amendements visant à préciser les missions de la nouvelle agence, les modalités de coordination de ses interventions avec celles des autres administrations et organismes oeuvrant dans le même champ, la composition de son conseil d'administration ainsi que ses recettes.
* 1 Voir, à ce sujet, la note d'analyse de France stratégie, « Dynamique de l'emploi dans les métropoles et les territoires avoisinants », novembre 2017. Ce document est consultable à l'adresse suivante : http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-na-64-dynamique-emploi-metropoles-30-novembre-2017.pdf .
* 2 Avis n° 539 (2017-2018) de M. Louis-Jean de Nicolaÿ, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Ce document est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a17-539/a17-539.html .