D. LA PRISE EN COMPTE DE DEUX DÉCISIONS SUR QPC DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Pour la deuxième fois en deux lois de programmation militaire, il revient au législateur de tirer les conséquences d'une décision d'une juridiction lui imposant une conciliation entre le principe de libre disposition de la force armée, issu de la Constitution, et une liberté fondamentale issue de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Rappelons en effet qu'en application d'une décision de la CEDH, l'article 10 de la loi du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire avait autorisé la création d'associations nationales professionnelles de militaires (APNM) ayant pour objet les questions touchant à la condition militaire. Votre commission avait alors modifié le texte pour mieux préserver la spécificité militaire et l'impératif constitutionnel de libre disposition de la force armée.

Au sein du présent projet de loi de programmation militaire, l'article 18 tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-432 QPC du 28 novembre 2014, déclarant inconstitutionnelle l'incompatibilité générale et absolue prévue par le code électoral entre, d'une part, les fonctions de militaire en position d'activité et, d'autre part, le mandat de conseiller municipal. Il s'agit ainsi de concilier le principe d'égalité des citoyens devant le droit d'exercer un mandat électif , avec deux autres principes constitutionnels : la liberté du choix de l'électeur et l'indépendance de l'élu contre les risques de confusion ou de conflits d'intérêts d'une part, la libre disposition de la force armée d'autre part.

En outre, le Conseil constitutionnel cite dans ses considérants l'article L. 4111-1 du code de la défense selon lequel « l'état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité ». La neutralité politique , qui, constitue une dimension importante de cette singularité de l'état militaire, s'ajoute ainsi aux principes de valeur constitutionnels qu'il convient ici de préserver.

Dans le projet de loi initial, l'article 18 permet ainsi aux militaires en activités d'être conseillers municipaux dans des communes de moins de 3 500 habitants, ce qui correspond à l'ancien plafond du scrutin majoritaire aux élections municipales. Les élections dans les communes inférieures à cette taille sont en effet réputées peu « politisées », ce qui permettrait de mieux protéger la neutralité des militaires concernés. En tout état de cause, les militaires ne pourront pas être maires ou adjoints au maire.

La commission de la défense de l'Assemblée nationale a toutefois porté ce seuil à 9 000 habitants, ce qui correspond à la limite au-dessus de laquelle tous les conseillers municipaux étant électeurs aux élections sénatoriales, une certaine « politisation » est inévitable. En outre, les députés ont ouvert aux militaires l'accès aux fonctions de conseiller communautaire dans les EPCI à fiscalité propre de moins de 15 000 habitants. Cependant, comme pour les communes, serait interdite toute participation du militaire élu au bureau de l'organe délibérant de ces EPCI.

Le seuil de 15 000 habitants concerne seulement 34,2 % des communautés de commune et 4,83 % de la population. En outre, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE) a fixé à 15 000 habitants la population minimale des EPCI, avec toutefois des dérogations pour les zones à la démographie peu dense et les zones de montagne. Ainsi, la rédaction issue de l'Assemblée nationale a pour effet de maintenir la participation des militaires en activité aux organes délibérants des EPCI dans des limites étroites.

Au total, le texte issu de l'Assemblée nationale fixe des seuils qui semblent assurer une conciliation équilibrée des principes antagonistes en présence. Il souffre néanmoins d'une imprécision : qu'en est-il en effet de la possibilité pour un militaire d'être élu à une fonction exécutive dans un syndicat mixte ? On peut en effet imaginer qu'un militaire élu conseiller municipal soit nommé à la tête d'un syndicat mixte doté de responsabilités importantes, ce qui ne serait pas cohérent avec la volonté de limiter la taille des collectivités dont les militaires en activité peuvent être des élus.

Deuxième décision du Conseil constitutionnel dont le projet de loi assure la mise en oeuvre, une décision sur QPC du 23 mars 2016 a conduit le Gouvernement à proposer la révision du dispositif d'indemnisation des victimes civiles françaises de la guerre d'Algérie créé par la loi du 31 juillet 1963. En effet, le Conseil a considéré que le fait que ce dispositif ne puisse bénéficier qu'aux personnes ayant la nationalité française au moment de la promulgation de la loi était contraire au principe d'égalité. L'article 30 du projet de loi supprime ainsi la condition de date d'obtention de la nationalité française.

Lors de l'élaboration du projet de loi, une seconde décision du Conseil Constitutionnel est intervenue sur le même dispositif législatif. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le respect du principe d'égalité garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le Conseil a estimé dans une décision du 8 février 2018 que l'indemnisation prévue visait à réparer des dommages s'étant produits « sur un territoire français à l'époque », en conséquence de quoi il a censuré purement et simplement le critère de nationalité.

Si cette décision n'a pas pu être prise en compte par le Gouvernement lors de l'élaboration du projet de loi, ce n'est plus le cas lors de l'examen du texte au Sénat. Elle impose de revoir le dispositif pour établir une égalité entre les Français et les Algériens du point de vue du droit à réparation d'un dommage subi à cette période.

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