AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La proposition de loi qui vous est soumise concerne la mise en oeuvre d'un principe fondamental institué par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : l'égalité des citoyens devant les charges publiques, sans lequel on ne peut envisager de consentement à l'impôt.
La lutte contre la fraude fiscale a donc un double objectif moral et financier : il s'agit à la fois de sanctionner les individus qui se soustraient frauduleusement à une obligation fondatrice du pacte républicain et d'assurer la rentrée de la contribution commune indispensable à l'efficacité de l'action publique.
L'article L. 228 du livre des procédures fiscales dispose que seule l'administration, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, peut déposer des plaintes tendant à l'application de sanctions pénales en matière d'impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre. Ces plaintes sont alors transmises au procureur.
La présente proposition de loi propose de supprimer cette procédure connue sous le nom de « verrou de Bercy » : le ministre du budget dispose effectivement du pouvoir d'empêcher la mise en oeuvre de poursuites en matière de fraude fiscale.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. UN DISPOSITIF SPÉCIFIQUE, DONT IL CONVIENT DE DISSIPER LES MYTHES
Une appréhension correcte des objectifs différents poursuivis par la sanction pénale et par la sanction administrative permet de mieux comprendre pourquoi le système actuel prévoit une procédure administrative ainsi que, dans certains cas particulièrement graves, un renvoi devant l'autorité judiciaire sur l'autorisation d'une commission indépendante.
A. UNE PROCÉDURE ADMINISTRATIVE ET UNE PROCÉDURE PÉNALE QUI POURSUIVENT DES BUTS DISTINCTS
L'administration fiscale peut porter une affaire devant la juridiction pénale à tout moment de la procédure administrative, mais aussi pendant une éventuelle procédure contentieuse devant le juge de l'impôt : elle n'a pas à attendre la décision de la juridiction saisie sur le bien-fondé de l'impôt 1 ( * ) .
De même, l'indépendance des procédures fiscale et pénale est rappelée par une jurisprudence constante : le juge pénal statue souverainement et n'a pas à attendre la décision administrative 2 ( * ) . Ainsi la procédure pénale va-t-elle à son terme même dans l'hypothèse où l'administration fiscale aurait, au terme de ses investigations, déchargé le contribuable de ses obligations.
L'articulation entre les deux procédures doit donc passer par la meilleure communication possible entre l'autorité judiciaire et l'administration fiscale.
1. Le contrôle par l'administration fiscale permet de récupérer les sommes dues avec efficacité
La procédure administrative permet, au moyen du contrôle fiscal, de réunir les éléments permettant, le cas échéant, d'appliquer des sanctions pécuniaires. Ces sanctions, qui s'ajoutent au rappel des impôts éludés, sont conséquentes, puisqu'elles s'élèvent à 40 % des droits en cas de manquement délibéré, 80 % en cas d'abus de droit ou de manoeuvres frauduleuses ou 100 % en cas d'opposition à un contrôle fiscal 3 ( * ) . Ces sanctions concernent la déclaration et non le paiement de l'impôt.
La procédure administrative poursuit un objectif majeur d'intérêt général en cherchant, avec la meilleure efficacité possible, à récupérer les sommes soustraites aux ressources de l'État . Il est vrai que cela peut conduire à conclure des transactions, lorsque la gravité de l'affaire n'est pas suffisante pour justifier le dépôt d'une plainte pénale. Il n'en reste pas moins que la procédure administrative est marquée par l'application de règles contenues dans les lois, règlements et circulaires qui s'imposent aux agents de l'administration.
La mise en oeuvre des transactions est elle-même encadrée par les règles de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales : elles ne peuvent pas concerner l'impôt dû lui-même, mais seulement l'application des pénalités. Elles ne peuvent pas non plus être conclues lorsque les pénalités et les impositions auxquelles elles s'ajoutent sont définitives ou lorsque l'administration envisage de saisir l'autorité judiciaire.
Votre rapporteur souligne que cet objectif d'efficacité doit être apprécié dans la perspective de l'administration qui est pluri-annuelle : si la justice pénale apprécie les affaires au cas par cas, l'État a intérêt à engranger les impôts d'une entreprise chaque année , ce qui peut justifier de préférer une transaction qui maintiendra l'entreprise en vie à une sanction pénale dont la valeur dissuasive serait limitée à l'égard d'une entreprise qui ne pourrait plus, par la suite, poursuivre son activité.
2. L'autorité judiciaire apporte une réponse pénale dans les cas les plus graves
La procédure devant la juridiction pénale, qui peut aboutir à une amende ou une peine d'emprisonnement, est justifiée dans les cas les plus graves d'atteinte aux intérêts de la collectivité .
Elle possède une valeur d'exemplarité, notamment par la publicité qui peut être faite à ses décisions. Le juge y dispose d'une grande latitude dans l'application du droit : il peut lancer ou non une procédure, y joindre des enquêtes portant sur des faits relevant d'autres infractions et moduler les peines dans les limites fixées par la loi. Il ne peut toutefois pas, lorsqu'il est saisi d'une plainte pour fraude fiscale par l'administration, étendre l'affaire à des faits de fraude fiscale qui ne sont pas contenus dans la plainte d'origine, par exemple portant sur une période de temps distincte : il doit dans ce cas demander à l'administration d'étendre sa plainte, en passant de nouveau par le filtre de la commission des infractions fiscales.
* 1 Monique Liébert-Champagne, Le rôle de la Commission des infractions fiscales, Droit fiscal n° 38, 22 septembre 2016, 497.
* 2 Voir L'indépendance des procédures fiscale et pénale, ou quand un train peut en cacher un autre, Éric Meier et Régis Torlet, Droit fiscal n° 42, 18 octobre 2012, comm. 488.