EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 24 janvier 2018 sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission des affaires sociales procède à l'examen du rapport sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, créant un dispositif de don de jours de repos non pris au bénéfice des proches aidants de personnes en perte d'autonomie ou présentant un handicap.

Mme Jocelyne Guidez , rapporteur . - Le texte soumis à notre examen fait honneur à l'initiative législative du Parlement. Il s'agit d'une proposition de loi rédigée par notre collègue député Paul Christophe, inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale au titre de l'espace réservé du groupe UDI, Agir et Indépendants, appuyée par le Gouvernement et adoptée en séance publique par une très large majorité. Tant par la forme de son dispositif, court et précis, que par son objet, ce texte ne peut que susciter l'adhésion.

Il propose que, dans le cadre de l'entreprise, soit rendu possible un don de jours de congés payés non pris, pour autant qu'ils excèdent la durée légale des congés payés, en faveur d'un collègue contraint d'assurer le rôle de proche aidant auprès d'une personne de son entourage handicapée ou en perte d'autonomie. Ce dispositif, fortement inspiré de la loi du 9 mai 2014 permettant le don de jours de repos à un parent d'enfant gravement malade, dont le rapport avait été assuré par notre collègue Catherine Deroche, présente l'avantage d'étendre un mécanisme de solidarité bienvenu au sein de l'entreprise à une population dont nous ne savons que peu de choses : les proches aidants.

Ceux-ci sont actuellement près de 8,3 millions en France. Ils assurent bénévolement et en plus de leurs propres activités professionnelles et personnelles, le soutien et l'accompagnement d'une personne dont la perte d'autonomie rend nécessaire un suivi quotidien par son entourage. Les impacts économiques et sociaux de ces nouveaux rapports familiaux et extra-familiaux ne sont pas sans effets dommageables sur la carrière et la vie personnelle des aidants qui, outre leur propre vie, sont souvent contraints d'en vivre une deuxième au travers de la personne à laquelle ils apportent leur aide. Le phénomène est connu, lié à l'allongement de la durée de vie et au souhait légitime de maintien à domicile aussi longtemps que possible, mais on peine à se figurer les sacrifices et les heurts que les aidants doivent subir en rétribution du don de leur temps.

C'est pourquoi la proposition de loi qui nous est soumise, et surtout l'intention qui l'anime, sont bienvenues. Je vous avoue que, si c'est la sénatrice qui assure devant vous le rapport de ce texte, c'est à quelqu'un dont l'entourage familial proche est très directement affecté par les difficultés de la condition d'aidant que ce texte parle. En toute honnêteté, il me faut reconnaître que l'avancée contenue dans cette proposition de loi, pour louable qu'elle soit, ne saurait en aucun cas prétendre corriger toutes les carences, très importantes, que les droits de l'aidant continuent de présenter.

La proposition de loi en elle-même ne fait pas de différence entre les entreprises en fonction de leur taille, alors que nous savons pertinemment que les dons de jours de congés payés entre collègues entraîneront des coûts et des procédures que seules les structures d'une certaine dimension seront capables d'absorber. Par ailleurs, la transposition du dispositif permettant le don de jours de repos à un parent d'enfant gravement malade présente une limite évidente : si l'accompagnement d'une fin de vie justifie le recours à des jours de congés payés généreusement donnés par des collègues, un tel don ne pourra que très imparfaitement et partiellement soulager les aidants qui apportent leur soutien au long cours à des personnes handicapées ou en perte d'autonomie dont l'espérance de vie n'est pas en jeu.

Courte et précise, cette proposition a le mérite de réaliser très rapidement une avancée concrète. Toutefois, les dispositifs apposés par petites touches masquent parfois la complexité d'un portrait d'ensemble auquel le législateur ne s'est jusqu'à présent jamais attaqué. La loi de 2005 sur le handicap, celle de 2014 sur les retraites, celle de 2015 sur l'adaptation de la société au vieillissement ont chacune apporté leur pierre à l'édifice compliqué et encore en construction des droits de l'aidant. Ces apports ponctuels ont toujours été inspirés par les meilleures intentions mais ont souffert d'un défaut de coordination et de cohérence, qui se fait cruellement sentir.

L'aidant familial, qui apporte son soutien à l'enfant ou à l'adulte handicapé, et le proche aidant, qui accompagne la vieillesse d'une personne en perte d'autonomie, ne constituent pas deux réalités juridiques strictement homogènes et, surtout, ne bénéficient pas toujours des mêmes droits. Les droits à la retraite de l'aidant, sujet particulièrement sensible quand on connaît les heurts et les interruptions que connaît leur carrière, ont été progressivement définis sans que le moindre cap n'ait été donné à l'action législative, et sont actuellement victimes d'un double échec : premièrement, les aidants ignorent dans leur très grande majorité le droit à l'affiliation à l'assurance vieillesse du régime général qui leur est garanti ; deuxièmement, et c'est aussi malheureux qu'inexplicable, ce droit s'exerce à géométrie variable, selon le public auquel l'aidant apporte son soutien et le degré d'activité professionnelle qu'il continue ou non d'exercer.

Le congé de proche aidant inséré dans le droit par la loi de 2015 sur le vieillissement, que l'on ne doit pas confondre avec le dispositif qui nous est aujourd'hui proposé, a posé la première pierre d'un droit véritablement commun à tous les aidants, sans pour autant rencontrer le succès qu'on espérait.

Pourquoi, dès lors, vous recommander d'adopter ce texte en l'état ? La raison est simple : je préfère le petit pas que je suis sûre de franchir à la longue marche dont j'ignore la durée. Ce texte, adopté à l'Assemblée nationale au titre de l'ordre du jour réservé aux groupes minoritaires, risquerait de ne jamais être promulgué si nous nous aventurions à lui apporter des correctifs.

Or il répond à une attente profonde et réelle des aidants qui, outre l'enrichissement de leurs droits, attendent simplement que le législateur leur porte l'attention exclusive, et pas seulement incidente au gré de textes plus larges, que leur situation réclame. Ce texte est une première main tendue et, bien que je mesure les limites du geste, je me refuse à la retirer au motif pourtant légitime qu'il y a beaucoup plus à accomplir.

C'est aussi pourquoi, lors de l'examen de ce texte en séance publique mercredi prochain, je rappellerai au Gouvernement sa promesse de lancer une réflexion autour d'une stratégie nationale des aidants. Je m'engage à alimenter son travail de propositions ambitieuses relatives aux droits sociaux de l'aidant pris au sens le plus large, de la retraite au répit, en passant par la formation et l'aménagement de leur temps de travail.

À l'issue de ce rapport, confiante dans la lecture que vous saurez faire de mes recommandations, je vous demande d'adopter cette proposition de loi sans modification.

Mme Laurence Rossignol . - Cette proposition de loi prend place dans un cadre plus large, qui s'est notamment mis en place avec la reconnaissance du statut des aidants par la loi sur le vieillissement. Leur droit au répit a été d'emblée conçu en lien avec l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), ce qui fait que sa mise en oeuvre est tributaire des ressources et des pratiques de chaque département. Mon groupe se prononcera en faveur de ce texte. Les salariés ont déjà droit à des jours de congé pour enfant malade. Pourquoi ne pas prolonger ce droit en faveur des aidants ? Dans une vie, les deux situations se superposent rarement : en général, elles se succèdent. Et les aidants ont besoin de temps, ne serait-ce que pour effectuer les démarches administratives requises par l'état de la personne qu'elles soutiennent. La loi pourrait fixer le niveau du groupe iso-ressources (GIR) de la personne dépendante à partir duquel le droit serait ouvert. J'ai noté que vous réclamez un vote conforme, mais je n'exclus pas de déposer un amendement pour soumettre au Sénat cette idée.

M. Michel Amiel . - Oui, l'aide aux aidants est malheureusement à géométrie variable selon la situation sociale et financière de la famille touchée. L'idée de Mme Rossignol est intéressante, à condition d'être assortie de critères précis. À titre personnel, je me demande si nous ne devrions pas aller jusqu'à définir un statut professionnel d'aidant. Dans les Bouches-du-Rhône, nous organisons souvent des journées de l'aide aux aidants. L'appel à la générosité est une chose, mais elle ne doit pas occulter la dimension sociale de leur activité.

Mme Patricia Schillinger . - En effet. La proposition de Mme Rossignol est intéressante et fait écho à des idées que nous avons déjà creusées. Ce texte est bienvenu mais donne une impression de bricolage : chacun a besoin de ses cinq semaines de congé annuel ! Et un aidant a souvent besoin de plusieurs semaines... Bref, il faut retravailler la question. Bien sûr, il est plus facile de faire face quand on a les moyens.

M. Philippe Mouiller . - Je comprends qu'il faille avancer à petits pas. Il serait bon, toutefois, d'établir un panorama des avancées possibles, notamment en agissant sur la fiscalité. Profitons de ce texte pour prévoir un débat sur la question. L'allongement de la durée de la vie et la volonté de maintenir les personnes à domicile le plus longtemps possible posent la question, essentielle, de l'accompagnement individuel.

M. Bernard Bonne . - Le système dont nous parlons a été expérimenté pour la première fois en 2014 dans mon département, la Loire, où deux parents en avaient besoin pour accompagner leur enfant qui était en phase terminale d'un cancer. Cette proposition de loi doit être une première étape car elle ne règle rien. Les jours de congés concernés sont pris en sus des cinq semaines obligatoires. Chaque salarié n'en a pas le même nombre. Sous quelle forme seront-ils donnés ? Souvent, un aidant a besoin d'un assez grand nombre de jours ; quid si le nombre de jours disponibles fluctue d'une année sur l'autre ? Bref, ce texte ne représente qu'un stade qui doit être rapidement dépassé, notamment par des mesures fiscales et par l'adaptation des droits à retraite. Je salue l'élargissement du champ de ce texte, décidé à l'Assemblée nationale, aux aidants soutenant des personnes handicapées. Autant la loi de 2014 avait été assez facile à appliquer, autant celle-ci sera sans doute plus lourde à mettre en oeuvre.

M. Dominique Watrin . - Bravo pour la qualité de votre exposé et son objectivité. Vous avez bien analysé les limites de ce texte, sur lesquelles nous sommes tous d'accord, je crois. On ne peut que déplorer l'absence d'une approche globale et cohérente de la question, ce qui conduit à un problème d'inégalité selon la taille des entreprises concernées. La loi sur l'adaptation de la société au vieillissement a posé le droit au répit des aidants, ce qui est fondamental car ceux-ci sont près de 8,3 millions - il s'agit donc d'un sujet de société. Deux ans après sa promulgation, les départements appliquent différemment, ou pas du tout, ses dispositions. Il va falloir prendre le taureau par les cornes et s'attaquer à ce problème par une politique publique et solidaire. Le député Pierre Dharréville, rapporteur de la mission flash sur les aidants familiaux, a formulé trois propositions : assouplir le congé du proche aidant en permettant de le fractionner ; mettre en place une indemnité pour les aidants, sur le modèle de l'allocation journalière de présence parentale - ce qui serait justifié car le travail des aidants représente entre 12 et 16 milliards d'euros de PIB - ; compenser les droits à retraite perdus par les aidants par une majoration, comme dans le cas du soutien à une personne handicapé. Sur cette proposition de loi, nous nous abstiendrons, comme nous l'avions fait sur la loi prévoyant le don de jours de congés pour prendre soin d'un enfant malade. Nous souhaitons en effet un engagement public et solidaire fort. Nous déposerons des amendements en ce sens. S'ils ne sont pas adoptés, nous voterons contre ce texte.

Mme Nassimah Dindar . - Bravo pour la qualité et l'objectivité de votre rapport. Cette proposition, qui élargit la loi de 2014, part d'une bonne intention, mais elle sera difficile à appliquer. Je serais plus favorable à une approche globale de l'aide aux aidants. Ils sont près de huit millions, sans statut, sans reconnaissance. En l'état, ce texte n'est guère applicable. Pour mettre en oeuvre la notion de répit, il faut structurer l'accueil temporaire. Le vieillissement des personnes handicapées est un défi, surtout quand leurs propres parents arrivent à l'extrême vieillesse, et se demandent qui prendra soin de leur enfant. Un grand débat est nécessaire, auquel je compte bien prendre part.

M. Daniel Chasseing . - La loi sur le vieillissement a montré les limites des possibilités de l'État. Le cinquième risque, qui avait été évoqué, a finalement été éliminé. La loi reconnaît les aidant et leur droit au répit, mais sans aller beaucoup plus loin. Ce texte réalise un petit progrès, qui sera surtout utile dans les épisodes aigus, par exemple quand l'équipe médico-sociale du département a mis en place un plan de maintien à domicile mais que l'aidant doit tout de même rester auprès de la personne. Je voterai le texte.

Mme Élisabeth Doineau . - Je suivrai également les recommandations de la rapporteure et souhaite qu'une stratégie nationale soit mise en place pour aider les aidants. Cela dit, avant de parler fiscalité ou retraite, la plupart des aidants demandent de la reconnaissance et un accompagnement, par exemple sous la forme de groupes de parole ou d'entretien avec des psychologues ou des professionnels. Sait-on combien d'aidants ont craqué avant la personne qu'ils accompagnaient ? Chez les personnes âgées, on voit souvent le conjoint partir avant celui qu'il a aidé pendant de longues années...

M. Jean Sol . - Les aidants deviendront de plus en plus nombreux, vu l'allongement de la durée de la vie et la volonté - légitime - de maintien à domicile. Ce dispositif semble adapté à une phase aiguë, il l'est moins pour une durée plus longue. Quel serait son impact économique et financier ? Les groupes de parole permettent aux aidants, qui ne sont pas tous formés, d'acquérir des connaissances nécessaires à la prise en charge. L'aide psychologique qui leur est offerte devrait aussi être développée.

Mme Victoire Jasmin . - Beaucoup d'aidants décompensent, ou sont épuisés. Quant à ceux qui leur donnent leurs jours de congés, il faudrait que cette solution - par essence limitée - soit encadrée par l'avis du médecin du travail, car nous savons comme les ordonnances ont changé la donne dans les entreprises.

Mme Catherine Deroche . - J'avais été rapporteure de la loi prévoyant le don de jours de congés pour s'occuper d'enfants malades. Nous l'avions votée conforme pour en accélérer l'application, ce qui était nécessaire non pas pour les salariés du secteur privé - car la plupart des conventions collectives prévoient ce type de dons - mais pour le secteur public, où nous avions le cas d'un couple dont la petite fille devait recevoir une greffe de moelle à l'hôpital Necker. Une fois le texte adopté, j'avais écrit à la ministre de la fonction publique Mme Lebranchu pour lui signaler l'urgence de prendre les décrets d'application. Elle m'avait répondu, mais neuf mois plus tard, ceux-ci n'étaient pas parus ! Il a fallu une nouvelle vague de mobilisation de l'opinion publique, au sujet d'un enfant en fin de vie, que ses parents souhaitaient accompagner dans ses dernières semaines, pour que la fonction publique bénéficie enfin de ces dispositions.

Mme Viviane Malet . - Comment faire bénéficier de ces dispositions les salariés qui travaillent dans l'aide à la personne, et sont rémunérés à l'heure ?

Mme Jocelyne Guidez , rapporteur . - Dans certains cas, l'aménagement du temps de travail peut être préférable au don de jours de congés. Oui, il y a une inégalité entre les proches aidants de personnes handicapés, qui peuvent être dédommagés grâce à la prestation de compensation du handicap (PCH), et ceux qui aident des personnes âgées qui ne le peuvent pas. Je comprends le désir d'amender ce texte mais, en relançant la navette, il aurait pour effet de différer son entrée en application à une échéance indéterminée. Mieux vaut voter cette proposition de loi telle quelle, car elle répond - partiellement - à une réelle demande. Rien ne nous empêche ensuite de mettre en place un groupe de travail pour aller plus loin.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue de l'Assemblée nationale.

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