B. UN BUDGET À LA HAUTEUR DES DÉFIS DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE : RÉDUIRE LES DÉLAIS DE JUGEMENT MALGRÉ L'ACCROISSEMENT DU CONTENTIEUX

1. La réduction des délais de jugement, principal objectif du programme

Fixé à un an depuis 2002 pour la juridiction administrative 9 ( * ) , l'objectif de délai moyen de jugement est suivi par un indicateur , dont le calcul est fondé sur le délai moyen constaté de jugement des affaires depuis 2017 . Cet objectif est largement atteint depuis plusieurs années et devrait être respecté en 2018, avec des prévisions de délais quasiment égales à celles de 2017 :

- 9 mois devant le Conseil d'État ;

- 10 mois et 15 jours devant les cours administratives d'appel (CAA) ;

- 10 mois et 8 jours devant les tribunaux administratifs.

La prolifération des affaires soumises à un délai particulier de jugement, souvent court - 48 heures pour les référés - n'a pas nécessairement une influence favorable sur la réduction globale des délais de jugement. D'après le Conseil d'État, ils sont « facteur d'éviction pour les autres contentieux » et peuvent conduire à ralentir le traitement des autres affaires. Par ailleurs, les juridictions administratives sont parvenues depuis 2012 à faire infléchir leur délai moyen de jugement pour les affaires hors délais particuliers.

Évolution des délais de jugement hors procédure d'urgence

2012

2013

2014

2015

2016

Tribunaux administratifs

1 an 10 mois 6 jours

1 an 10 mois 2 jours

1 an 9 mois 4 jours

1 an 9 mois 7 jours

1 an 8 mois 22 jours

CAA

1 an 2 mois 4 jours

1 an 2 mois 12 jours

1 an 2 mois 3 jours

1 an 1 mois 17 jours

1 an 1 mois 29 jours

Conseil d'État 10 ( * )

1 an 5 mois 15 jours

1 an 4 mois 5 jours

1 an 3 mois 9 jours

1 an 2 mois 24 jours

Source : réponse du Conseil d'État au questionnaire budgétaire du rapport spécial pour 2018

La CNDA doit quant à elle poursuivre les objectifs de délais de cinq semaines pour la procédure à juge unique (procédure accélérée) et cinq mois pour les procédures en formations collégiales (procédure normale) 11 ( * ) . Ces objectifs ne devraient pas être atteints en 2017, ni en 2018, même si les délais prévus sont proches de la cible - 6 mois et 9 semaines.

2. La poursuite de l'accroissement du contentieux administratif

Depuis plusieurs années, les juridictions administratives sont confrontées à une augmentation du contentieux, tant quantitative que qualitative.

En effet, le nombre d'affaires relevant du contentieux de masse - contentieux sociaux : aide sociale, RSA, logement ; contentieux fiscal ; fonction publique ; droit des étranger etc. - poursuit sa progression, tandis que la juridiction administrative doit connaître de nouvelles compétences à la suite de mesures législatives récemment adoptées.

Évolution du nombre d'entrées dans les différents niveaux de juridiction

2012

2013

2014

2015

2016

Évolution entre 2015 et 2016

Évolution entre 2012 et 2016

Conseil d'État

9 450

9 480

9 861

8 967

10 642

+ 19 %

+ 13 %

CAA

26 121

28 885

29 857

30 540

31 308

+ 3 %

+ 20 %

Tribunaux administratifs

182 842

179 050

195 577

191 997

193 512

+ 1 %

+ 6 %

Source : commission des finances, d'après les réponses du Conseil d'État au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial pour 2018

Comme le rappelait le rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2017 12 ( * ) , une série de réformes a contribué soit à une augmentation du nombre d'affaires devant les juridictions administratives, soit à une complexification des procédures , telles que la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à l'asile , qui a introduit de nouvelles voies de recours pour les demandeurs d'asile. Les recours contre les décisions de maintien en rétention représentent ainsi près de 600 affaires annuelles tandis que le nombre de recours contre les décisions de transfert s'est élevé à 3 800 affaires en 2016 et 3 873 rien que pour le premier semestre 2017 .

Si elle n'a pas eu d'incidence significative sur le nombre d'entrées, la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a complexifié les procédures relatives aux obligations de quitter le territoire français (OQTF) et par conséquent a alourdit le travail des greffes et des magistrats . Prévu par cette même loi, le transfert du contentieux de la légalité de la décision de placement en rétention au juge de la détention et des libertés ne semble pas avoir compensé cette augmentation de l'activité du personnel des juridictions administratives.

Le contentieux du droit au logement opposable représente toujours un grand nombre d'affaires devant les juridictions administratives ( 7 % du contentieux total en 2015, 11 768 affaires nouvelles en 2016). À ce titre, l'ampleur des moyens mis en oeuvre pour ces procédures - magistrats, agents de greffe, frais de justice - semble très importante au regard du peu d'effet que ces procédures ont sur la situation du justiciable et sur l'attribution de logement.

Enfin, l'entrée en vigueur au 1 er janvier 2018 de la dépénalisation du stationnement payant confie à la compétence du juge administratif un nouveau type de contentieux qui pourrait s'avérer massif.

La commission du contentieux du stationnement payant

Prévue à l'article 63 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles 13 ( * ) , la dépénalisation du stationnement payant est la conséquence du remplacement du paiement spontané de l'usager par une redevance d'occupation du domaine public appelée « forfait de post-stationnement » , dont le montant est déterminé par la collectivité.

L'ordonnance n° 2015-45 du 23 janvier 2015 a organisé la création d'une nouvelle juridiction administrative spécialisée, la commission du contentieux du stationnement payant , qui sera saisie des recours contre les avis de forfait de post-stationnement , après recours préalable obligatoire devant la collectivité compétente. Présidée par un magistrat administratif ayant le grade de président, cette commission sera composée de magistrats administratifs et de magistrats judiciaires, d'où le transfert de trois ETP du programme 166 vers le programme 165.

L'incidence budgétaire de cette réforme sur le programme 165 est encore incertaine, en dehors des emplois des magistrats qui seront rémunérés par le programme. Les dépenses relative au fonctionnement et au personnel restant (114 ETPT de la mission « Sécurités » transférés) sont en effet supportées par les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». Cependant, les décisions de cette commission pouvant être contestées en cassation devant le Conseil d'État , il est possible que cette réforme participe à la prolifération du contentieux, même si la part des affaires faisant l'objet d'un recours en cassation est difficilement quantifiable. D'après le ministère de l'intérieur, 559 654 contestations étaient enregistrées en 2013 devant les officiers du ministère public.

Source : réponse du Conseil d'État au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

3. De nouvelles mesures favorisant le traitement des requêtes

Contrairement aux années précédentes, les juridictions administratives feront face à cette hausse du contentieux sans augmentation de leur plafond d'emplois , même si des reports d'emplois en cours de gestion pourraient avoir lieu. Plusieurs mesures législatives et réglementaires ont également réformé certaines procédures au cours de l'année 2016 et 2017 et devraient favoriser les juridictions administratives dans le traitement de leurs requêtes.

En dehors de l'utilisation accrue des téléprocédures, permise par le décret n° 2016-1481 du 2 novembre 2016 , le décret dit « JADE » , paru le même jour 14 ( * ) , vise également à accélérer le traitement des requêtes, en dotant la juridiction administrative de nouveaux outils procéduraux . Il introduit notamment la possibilité de faire produire un mémoire récapitulatif, de demander confirmation de la requête sous peine de désistement d'office en l'absence de réponse ou de procéder d'office à la cristallisation des moyens ou encore, devant la section du contentieux du Conseil d'État, d'expérimenter la clôture d'instruction.

Adoptée en novembre 2016, la loi de modernisation de la justice du XXI e siècle 15 ( * ) prévoit ainsi l'extension de la médiation administrative à tous les litiges relevant de la compétence du juge administratif, jusqu'alors réservée aux différends transfrontaliers, extension qui est désormais précisée par un décret de 2017 16 ( * ) . De même, un autre décret a précisé la possibilité de présenter des actions collectives devant le juge administratif, prévue par la même loi. 17 ( * )

4. Une allocation des moyens supplémentaires ciblée vers la CNDA, en réponse à la hausse du contentieux de l'asile

Depuis plusieurs années, la CNDA fait face à une augmentation continue des entrées. Celles-ci dépendent directement du nombre de décisions de refus rendues par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui suscitent un taux de contestations très élevé (81,1 % en 2016 et 90,7 % sur le premier semestre 2017).

Si la progression du nombre d'entrées suivait un mouvement régulier ces dernières années (+ 3,5 % en 2015, + 3,4 % en 2016), la Cour devrait connaître un bond en 2017, avec une augmentation de 30 % des recours .

Cette évolution significative est la conséquence de la croissance de la capacité de jugement de l'Ofpra, qui a bénéficié d'une création d'une centaine d'emplois en 2016, lui permettant de déstocker un grand nombre d'affaires.

En 2018, la CNDA sera donc soumise à une croissance tant du stock d'affaires dont elle est saisie, que du flux d'entrées, qui augmenterait de 5 %.

Un renforcement de la capacité de jugement s'avère donc nécessaire , d'autant plus que la CNDA doit poursuivre la réduction de ses délais de jugement, pour atteindre la cible fixée par le législateur de 5 mois pour les procédures normales et 5 semaines pour les procédures accélérées, au cours de l'année 2019.

L'augmentation des moyens alloués à la Cour se poursuit donc en 2018, aussi concentre-t-elle l'ensemble des 51 emplois (dont 24 rapporteurs) créés pour le programme, tandis que deux nouvelles chambres s'ajouteront aux treize existantes. Une extension des surfaces de 1 500 m² est également prévue, afin d'accueillir les emplois supplémentaires et d'aménager deux nouvelles salles d'audience.

Répartition des créations d'emploi
de la CNDA

(en ETPT)

Catégorie

2017

2018

Magistrats

2

3

A

24

30

B

4

16

C

10

2

Total

40

51

Source : réponses du Conseil d'État au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial pour 2018

Cette hausse des moyens semble bienvenue , au regard des conclusions que l'on peut tirer des années passées : les augmentations d'emplois, liées à celles des recours, semble bien contenir la prolongation du délai moyen de jugement pour les procédures en formation collégiale.

Évolution du plafond d'emploi (en ETPT)

Évolution du nombre de recours déposés à la CNDA

Évolution du délai moyen de jugement (procédure normale, en jours) de la CNDA

Source : réponses du Conseil d'État au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial et projet annuel de performance pour 2018

La réduction des délais de jugement de la CNDA doit être encouragée, puisqu'elle peut contribuer à une diminution plus globale des dépenses de la politique de l'asile : en effet, une réduction d'un mois des délais de jugement, devant l'Ofpra et la CNDA, permettrait une baisse de 10 à 15 millions d'euros selon le ministère de l'intérieur. 18 ( * ) Des économies mensuelles de 6,8 millions d'euros seraient notamment réalisées sur les allocations pour demandeur d'asile (ADA) et de 8,3 millions d'euros sur l'hébergement au titre de l'asile, hors coûts indirects liés à la couverture maladie universelle ou l'aide médicale d'État.


* 9 Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ).

* 10 Délais moyen des affaires ordinaires : hors référés, procédures d'urgence, ordonnances et hors affaires dont le jugement est enserré dans des délais particuliers.

* 11 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 portant réforme du droit d'asile.

* 12 Mission « Conseil et contrôle de l'État », annexe 6 au rapport général (2016-2017) du 24 novembre 2016, Tome III, sur le projet de loi de finances pour 2017, d'Albéric de Montgolfier.

* 13 Codifié à l'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales.

* 14 Décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative, sur la juridiction administrative de demain (JADE).

* 15 Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle.

* 16 Décret n° 2017-566 du 18 avril 2017 relatif à la médiation dans les litiges relevant de la compétence du juge administratif.

* 17 Décret n° 2017-888 du 6 mai 2017 relatif à l'action de groupe et à l'action en reconnaissance de droits prévues aux titres V et VI de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle.

* 18 Référé de la Cour des comptes de juillet 2015, relatif à l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile.

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