II. LE RENONCEMENT DU GOUVERNEMENT À ENTRER AU CAPITAL D'ALSTOM REFLÈTE LA CONCEPTION D'UN ÉTAT ACTIONNAIRE ATROPHIÉ
A. PRIVILÉGIER UNE INFLUENCE PASSIVE À UNE PARTICIPATION DIRECTE AU NOUVEL ENSEMBLE ALSTOM-SIEMENS : LE CHOIX RISQUÉ DU GOUVERNEMENT
Le 26 septembre dernier, les conseils d'administration d'Alstom et de Siemens ont approuvé le principe d'un apport par Siemens de ses actifs ferroviaires à Alstom, en contrepartie d'une prise de participation de 50 % au capital du nouvel ensemble. Les actionnaires actuels détiendront donc l'autre moitié du capital - soit la moitié de leur participation actuelle dans le capital d'Alstom.
L'opération doit encore être soumise au contrôle de la Commission européenne en vertu de la politique de la concurrence, et au vote des actionnaires.
Une fois finalisé, il est prévu que Siemens ne pourra pas dépasser 50,5 % du capital du nouvel ensemble pendant une période de quatre ans . Ensuite, l'exercice de bons de souscription d'actions permettra à Siemens d'acquérir 2 % supplémentaires du capital. Les termes de l'accord rendus publics par le ministre de l'économie et des finances Bruno Le Maire figurent dans l'encadré ci-après.
L'objectif de ce rapprochement vise principalement à répondre à l'émergence rapide du concurrent chinois CRRC, dont le chiffre d'affaires représente quatre fois celui d'Alstom. Le nouvel ensemble résultant de l'accord représentera le deuxième groupe mondial du matériel roulant et le premier groupe de la signalisation.
Les engagements de Siemens rendus publics Le rapprochement entre Siemens et Alstom entre dans le champ des dispositions de l'article L. 151-3 du code monétaire et financier soumettant les investissements étrangers en France dans une activité spécifique à l'autorisation préalable du ministre chargé de l'économie. Dans ce cadre, Siemens doit adresser au Gouvernement une lettre d'engagements, dont certains ont été rendus publics par le ministre de l'économie et des finances le 4 octobre dernier devant la commission des finances de l'Assemblée nationale. « Henri Poupart-Lafarge, actuel président d'Alstom, présidera le nouvel ensemble. La composition du conseil d'administration reflétera le caractère franco-allemand de l'entreprise, puisqu'il comprendra quatre administrateurs indépendants de Siemens, dont trois Français, et les trois membres français de ce conseil d'administration auront un droit de veto sur les décisions stratégiques du nouvel ensemble Siemens-Alstom. Le siège de l'entreprise sera maintenu en France, avec une cotation à la Bourse de Paris pour une durée au moins équivalente à dix ans. « Siemens transférera l'ensemble de sa division mobilité et matériel roulant à la nouvelle entreprise et s'engage à ne recréer aucune activité concurrente sur le matériel roulant en son sein. Les compétences industrielles en France et en Allemagne seront conservées. L'intégralité des sites [sera préservée] et le niveau d'emploi global en France et en Allemagne sera maintenu. Aucun départ contraint et aucune fermeture de site ne pourront avoir lieu dans ces deux pays, jusqu'en 2023 au moins. Les investissements et l'emploi dans les départements de recherche et développement resteront au minimum à leur niveau actuel en France et en Allemagne jusqu'en 2023. L'ensemble des engagements pris par l'État en 2016 concernant le site de Belfort seront repris. Enfin, l'entreprise s'engage vis-à-vis des sous-traitants français et allemands à maintenir les commandes nationales à leur niveau actuel et à poursuivre les contrats en cours. « Voilà très concrètement l'ensemble des engagements rendus publics au cours de cette audition, pris par Siemens vis-à-vis d'Alstom et des pouvoirs publics. Tous ces engagements que je viens de vous citer, dont seule une partie était publique jusqu'à présent, feront l'objet d'un comité de suivi, qui associera des représentants des salariés, des administrateurs indépendants et des membres des gouvernements français et allemand. J'ai moi-même indiqué aux salariés de Valenciennes il y a deux jours, que je présiderai du côté français ce comité de suivi et que j'attends du gouvernement allemand qu'il propose, dès que mon homologue sera nommé, que celui-ci préside ce comité de suivi pour la partie allemande . » |
En juin 2014, l'État a conclu un accord avec Bouygues prévoyant un prêt de titres à hauteur de 20 % du capital d'Alstom. L'accord donnait à l'État l'option d'acquérir jusqu'à 20 % du capital d'Alstom. Ce prêt est entré en vigueur le 4 février 2016 pour une durée de vingt mois.
Dans le cadre du rapprochement entre Alstom et Siemens, le ministre de l'économie et des finances a indiqué que l'option d'achat ne serait pas exercée 39 ( * ) . Les titres ont donc été restitués à Bouygues le 17 octobre dernier 40 ( * ) .
Surprenant, ce choix se révèle surtout risqué .
L'exemple des Chantiers de l'Atlantique démontre le caractère crucial d'une participation publique pour influer sur le pouvoir de contrôle d'une entreprise. En renonçant à entrer au capital du nouvel ensemble Alstom-Siemens, de surcroît à des conditions préférentielles compte tenu de l'accord conclu avec Bouygues 41 ( * ) , le Gouvernement s'est privé d'exercer tout contrôle direct.
Selon le ministre de l'économie et des finances, « acheter 15 % du capital d'Alstom à 35 euros par action aurait coûté un peu plus d'un milliard d'euros à l'État ; en acquérir 20 %, près de 1,5 milliard d'euros. Cela fait cher le strapontin ! » 42 ( * ) .
En exerçant son option sur les titres prêtés par Bouygues, l'État aurait pourtant constitué le premier actionnaire d'Alstom et aurait pu détenir jusqu'à 10 % du nouvel ensemble.
Ce n'est pas dans l'optique d'une hypothétique plus-value, mais bien dans la perspective d'exercer une influence réelle dans l'émergence du nouveau groupe que l'État aurait dû se porter acquéreur des titres prêtés par Bouygues.
Il ne revient pas à l'État de jouer au casino avec nos champions nationaux. Il revient en revanche à l'État de les accompagner et de préserver nos compétences industrielles.
Interrogé sur ce renoncement préjudiciable, Bruno Le Maire a indiqué devant nos collègues députés que « ce reproche n'a pas de sens, car il n'y aurait tout simplement pas eu d'alliance entre Siemens et Alstom si l'État avait fait usage de ses options d'achat. Cette raison devrait être suffisante pour répondre aux interrogations ».
Pour autant, cette raison n'excluait pas la possibilité d'autres montages , conduisant par exemple à un prêt d'actions à Siemens, précisément sur le modèle de l'accord conclu avec Fincantieri. Cette solution aurait permis de concilier le souhait de Siemens d'être majoritaire et la possibilité de disposer d'un réel pouvoir de contrôle des engagements pris.
Or force est de constater que les engagements listés par le ministre de l'économie et des finances, valables jusqu'en 2023 au plus tard, pèsent peu en regard.
De fait, il semble que toutes les options n'ont pas été étudiées pour favoriser la création d'un groupe européen d'ampleur et assurer la protection de notre savoir-faire.
* 39 Voir le communiqué de presse du ministère de l'Économie et des Finances n° 136 du 26 septembre 2017.
* 40 Voir le communiqué de presse de l'Agence des participations de l'État du 18 octobre 2017.
* 41 Depuis l'annonce du 26 septembre 2017, le cours de l'action Alstom était supérieur au cours plancher négocié avec Bouygues (35 euros).
* 42 Audition par la commission des finances de l'Assemblée nationale le 4 octobre 2017.