III. LA POLITIQUE IMMOBILIÈRE DE L'ÉTAT DOIT ÊTRE PROFONDÉMENT REPENSÉE

A. LES VOIES DE MODERNISATION SONT CONNUES

Votre rapporteur spécial Thierry Carcenac et notre ancien collègue Michel Bouvard ont présenté au printemps 2017 leur feuille de route en douze propositions pour une politique immobilière de l'État efficace et soutenable 18 ( * ) .

Une politique immobilière de l'État modernisée doit reposer sur deux idées centrales :

- d'une part, un État propriétaire conforté dans ses prérogatives, ce qui appelle un renforcement de la direction de l'immobilier de l'État et un dialogue avec les administrations occupantes ;

- d'autre part, une stratégie patrimoniale du parc : en tant qu'actif, le parc immobilier de l'État doit être entretenu et valorisé. L'approche en comptabilité générale doit compléter la seule analyse en comptabilité budgétaire.

B. UN CHANGEMENT DE STRATÉGIE SEMBLE S'ENCLENCHER

Plusieurs évolutions de la politique immobilière de l'État semblent attester d'un changement de stratégie .

1. L'annonce d'une nouvelle impulsion

La direction de l'immobilier de l'État indique ainsi que « la période 2017-2018 constitue une transition, dans la perspective d'un accroissement au cours des prochaines années de la dépense interministérielle d'entretien des bâtiments de l'État » 19 ( * ) .

De fait, au sein de la nouvelle mission « Action et transformation publiques », est créé le programme 348 « Rénovation des cités administratives et autres sites domaniaux multi-occupants » . Ce programme fait l'objet d'une programmation croissante pour le budget triennal, avec un total de 600 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 450 millions d'euros en crédits de paiement. En 2018, seules des études préalables seront réalisées : 20 millions d'euros de crédits sont inscrits à cet effet dans le projet de loi de finances.

Placé sous la responsabilité de la direction de l'immobilier de l'État, ce nouveau programme vise à rénover les cités administratives et les sites partagés par les services de l'État et les opérateurs. Ce levier budgétaire participe du renforcement de la direction de l'immobilier de l'État recommandée par la commission des finances du Sénat et concrétise l'affirmation de l'État propriétaire.

Toutefois, cette nouveauté doit encore se matérialiser par l'inscription effective de crédits en 2019 et en 2020.

Elle prend acte du constat dressé par la commission des finances du Sénat de l'essoufflement du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » et de l'impossibilité de financer la remise aux normes du parc par le seul produit tiré des cessions.

Le graphique ci-après compare à ce titre les crédits effectivement disponibles pour la politique immobilière interministérielle en 2018 et les crédits annoncés pour 2019 sur le programme 348 « Rénovation des cités administratives et autres sites domaniaux multi-occupants ».

Comparaison des crédits disponibles pour financer la politique immobilière interministérielle en 2018 et des crédits inscrits dans le budget triennal
sur le programme 348 pour 2019

(autorisations d'engagement, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

2. L'amélioration des outils avec l'extension de la comptabilité analytique bâtimentaire

Expérimentée depuis 2015 par certains ministères dans la région Pays de la Loire, la comptabilité analytique devrait être étendue à l'ensemble des ministères au plan national. Selon la direction de l'immobilier de l'État, la circulaire du Premier ministre relative à la politique immobilière de l'État en cours de finalisation devrait confirmer cette orientation.

L'objectif de la comptabilité analytique bâtimentaire est de rapporter l'ensemble des dépenses immobilières à la maille du bâtiment afin d'obtenir le coût d'un bâtiment au mètre carré. Le coût complet de chaque bâtiment serait désormais connu, comme c'est le compte d'affectation spéciale au Royaume-Uni. Les données publiques distinguent ainsi le coût de l'immobilier par fonctionnaire, évalué à 4 587 livres en 2015-2016 et le coût de l'immobilier par mètre carré, s'élevant à 443 livres en 2015-2016 20 ( * ) .

Ses données sont utiles à la fois pour les gestionnaires de bâtiments, pour identifier les sources d'économies, et pour les gestionnaires de parc, pour éclairer les décisions d'évolution d'implantations.

La mise en oeuvre de cet outil devrait permettre de préciser la connaissance de la dépense immobilière. Ses enseignements pourront compléter le recensement du parc réalisé dans le cadre des schémas directeurs immobiliers régionaux (SDIR). Les données serviront progressivement de base à l'élaboration de la stratégie d'implantation et d'intervention à cinq ans.

L'avenir des loyers budgétaires doit encore être décidé

Après une expérimentation en 2006 portant sur trois ministères (économie et finances, affaires étrangères et justice), les loyers budgétaires ont été progressivement étendus jusqu'à leur généralisation en 2009 pour l'ensemble des immeubles domaniaux de bureaux, y compris les immeubles situés outre-mer et à l'étranger.

Il s'agit d'un loyer acquitté par les ministères en vertu de la convention d'utilisation conclue avec la direction de l'immobilier, dont le montant varie en fonction de la surface d'immeubles domaniaux à usage de bureaux qu'ils utilisent et des caractéristiques locales de marché. Pour les acquitter, ils reçoivent une dotation budgétaire de l'État propriétaire, qui lui revient ensuite par les loyers budgétaires acquittés . L'opération s'opère donc dans un circuit fermé, maintenant l'unité de caisse et traduisant le fait que la distinction État propriétaire et ministère occupant reste une construction théorique.

Lors de leur mise en oeuvre, la dotation budgétaire correspondante a été fixée à un montant équivalent à la somme des loyers du ministère. Ensuite, alors que la dotation budgétaire initiale demeure, le montant des loyers budgétaires évolue en fonction des prix du marché, des surfaces et lieux d'implantations du ministère. Un mécanisme d'incitation et de sanction a complété le dispositif en 2009 21 ( * ) .

Il s'agit donc , en théorie, d'un mécanisme fort d'incitation à la rationalisation immobilière .

En parallèle, un lien a été établi entre les loyers budgétaires acquittés par un ministère et sa contribution aux crédits de l'ex-programme 309 « Entretien des bâtiments de l'État », selon un taux de 12 % en 2009, 16 % en 2010 et 20 % entre 2011 et 2016.

La question de l'avenir des loyers budgétaires est posée depuis plusieurs années . Une concertation au sein de la conférence nationale de l'immobilier public est prévue en 2018.

Dans cette perspective, la commission des finances du Sénat a, dans le cadre de chaque questionnaire budgétaire, sollicité le point de vue des administrations occupantes sur le fonctionnement des loyers budgétaires.

Le résultat traduit la difficile mise en oeuvre pratique de cet outil. Aucun cas d'utilisation du mécanisme d'incitation par intéressement ou sanction n'a été mentionné. De façon générale, le constat de la lourdeur du mécanisme est partagé.

En pratique, le fonctionnement des loyers budgétaires s'accompagne de deux inconvénients :

- une majoration artificielle de la dépense portée par les programmes en raison de l'effet de ciseaux entre une dotation souvent gelée et des loyers budgétaires évoluant selon le taux d'indexation fixé par la direction de l'immobilier de l'État ;

- une décorrélation entre loyers budgétaires et programmes concernés : 13,5 % des loyers budgétaires sont ainsi imputés sur le programme 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées », alors même qu'ils s'appliquent à des bâtiments utilisés par des services relevant d'autres programmes ministériels.

De fait, l'effet réel des loyers budgétaires sur l'incitation des ministères à rationaliser leurs emprises immobilières peut être mis en doute .

Ce constat conforte vos rapporteurs spéciaux dans l'idée qu'il y a besoin d'une remise à plat des loyers budgétaires. Une simplification administrative du mécanisme doit être poursuivie, tandis que les opérateurs doivent désormais être intégrés .

Ainsi renouvelés, les loyers budgétaires pourront jouer un double rôle :

- d' association des administrations à leur rationalisation immobilière ;

- de financement de la politique immobilière de l'État par la mobilisation des produits de gestion du parc.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses aux différents questionnaires budgétaires de vos rapporteurs spéciaux

3. La diversification des ressources

L'affectation au compte d'affectation spéciale du produit des redevances domaniales constitue un double progrès :

- du point de vue des ressources d'une part, car elle permet de compenser la difficulté accrue des cessions immobilières ;

- du point de vue de la gouvernance d'autre part car aucun droit de retour aux administrations ne s'applique. Le produit des redevances domaniales est intégralement mutualisé , ce qui renforce les moyens à disposition de l'État propriétaire.

De surcroît, le montant des redevances domaniales est plus facilement prévisible que les cessions. Leur comptabilisation régulière sur le compte d'affectation spéciale réduit le manque de visibilité des gestionnaires sur les crédits disponibles.

Dans ce cadre, la direction de l'immobilier de l'État a engagé un chantier visant à dynamiser les redevances domaniales , en renforçant le cadre juridique et en revalorisant les conditions financières d'occupation.

La dynamisation des redevances domaniales favorisera la soutenabilité des dépenses immobilières et leur programmation pluriannuelle promue par les schémas directeurs immobiliers régionaux.

4. Le développement d'une approche patrimoniale

De façon plus générale, une nouvelle approche de la politique immobilière de l'État semble voir le jour.

L'article 19 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 étend ainsi à l'État l'interdiction de contracter des crédits baux immobiliers. Cette règle de pilotage des finances publiques prend acte du coût complet des montages complexes de tiers-financement que votre rapporteur spécial Thierry Carcenac et notre ancien collègue soulignaient dans leur rapport 22 ( * ) .

Surtout, la direction de l'immobilier de l'État annonce le lancement d'une réflexion en vue d'identifier les alternatives aux cessions . « Il s'agit d'étudier les moyens de sélectionner et de préserver les biens de plus haute qualité pour assurer la constitution raisonnée d'une réserve foncière à grande valeur potentielle. De plus, cela permettrait à l'État propriétaire de se constituer des revenus réguliers , responsables et durables, pour autofinancer entretien et opérations immobilières. [...] Le fruit de cette réflexion viendra enrichir la stratégie patrimoniale, afin que les arbitrages entre cessions, mise en location ou occupations soient opérés de façon rationnelle, préservent et valorisent au mieux le patrimoine de l'État » 23 ( * ) .

Ces orientations, qui doivent désormais être traduites concrètement, reprennent les recommandations énoncées par la commission des finances du Sénat depuis plusieurs années.


* 18 « De la rationalisation à la valorisation : 12 propositions pour une politique immobilière de l'État soutenable et efficace », rapport d'information n° 570 (2016-2017) de Michel Bouvard et Thierry Carcenac, fait au nom de la commission des finances, 31 mai 2017.

* 19 Réponse au questionnaire budgétaire de vos rapporteurs spéciaux.

* 20 « The state of the Estate in 2015-2016 », Government Property Unit, Cabinet Office, 2016.

* 21 La circulaire du Premier ministre du 16 janvier 2009 a introduit un intéressement des « occupants qui libèrent des surfaces ou choisissent une localisation moins coûteuse » prenant la forme du maintien pendant deux ans de la dotation budgétaire antérieure, ainsi qu'une sanction lorsqu'une solution de rationalisation proposée par la DGFiP n'a pas conduit le ministère à améliorer sa performance immobilière, conduisant à réduire la dotation budgétaire.

* 22 « De la rationalisation à la valorisation : 12 propositions pour une politique immobilière de l'État soutenable et efficace », rapport d'information n° 570 (2016-2017) de MM. Michel Bouvard et Thierry Carcenac, fait au nom de la commission des finances, 31 mai 2017.

* 23 Réponse au questionnaire budgétaire de vos rapporteurs spéciaux.

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