DEUXIÈME PARTIE : DES RISQUES RÉELS SUR LA CHARGE DE LA DETTE, QUI APPELLENT DES MESURES DE DÉSENDETTEMENT NON CONVENTIONNELLES
Les dépenses d'intérêt présentent une spécificité : la charge de la dette fait l'objet de crédits évaluatifs et non pas limitatifs . Le Parlement ne vote donc pas des plafonds de crédits juridiquement contraignants mais de simples prévisions.
Pourquoi ces crédits sont évaluatifs ? Tout simplement car il s'agit de dépenses « obligatoires », qui ne sont pas pilotables à court terme par l'État. Le Gouvernement est tenu juridiquement de rembourser ses créanciers .
Cette caractéristique n'est pas seulement un détail technique. Pour le dire clairement, les parlementaires n'examinent que des prévisions et les marges de manoeuvre sur le niveau des crédits sont extrêmement réduites.
À première vue, l'on pourrait presque se demander quelle est la portée effective de l'examen et du vote de cette mission par le Parlement.
En réalité, sur ce type de dépenses, les parlementaires ont un rôle essentiel à jouer : identifier et surveiller les risques qui pèsent sur la crédibilité de la prévision de dépenses présentée au Parlement . Il ne s'agit donc pas seulement de prendre acte des estimations du Gouvernement, mais de comprendre les facteurs susceptibles de les faire évoluer.
Quatre principaux risques ont été identifiés par votre rapporteur spécial, d'autant plus élevés que l'encours de dette publique est important en France : les engagements hors bilan, la remontée des taux, le risque de notation et l'évolution du traitement prudentiel de la dette souveraine.
Face à une situation instable, il faut savoir saisir l'opportunité que représente aujourd'hui le contexte de taux bas et il est urgent de mettre en oeuvre, au niveau européen, des mesures de désendettement non conventionnelles.
I. QUATRE PRINCIPAUX RISQUES PÈSENT SUR LA CHARGE DE LA DETTE FRANÇAISE
A. LES ENGAGEMENTS HORS BILAN ET LES ENGAGEMENTS IMPLICITES DE L'ÉTAT
Les engagements hors bilan sont des obligations de l'État vis-à-vis de tiers, dépendantes de la survenue d'événements ou de besoins spécifiques . Ces dépenses potentielles ne réunissent pas les conditions nécessaires pour être inscrites au bilan, mais peuvent avoir un impact significatif sur l'équilibre budgétaire de l'État.
Ces engagements sont détaillés en annexe du compte général de l'État. Ainsi, ils ne peuvent être évalués que pour l'antépénultième exercice .
En 2013, votre commission des finances avait demandé un rapport à la Cour des Comptes sur le sujet des engagements hors bilan de l'État. Elle avait tout d'abord souligné la prévalence des engagements de retraite parmi les engagements hors bilan, ainsi que leur progression entre 2007 et 2012, de 588 milliards d'euros 10 ( * ) . La Cour des Comptes avait également souligné la croissance rapide des encours des engagements pris dans le cadre d'accords bien définis.
Les engagements hors bilan reflètent des niveaux de risque très divers et leur contrôle par le Parlement est variable .
Trois grands ensembles se dégagent : les engagements pris dans le cadre d'accords bien définis (par exemple les garanties accordées à certains acteurs économiques), qui s'élevaient à 1 000,6 milliards d'euros en 2015, les engagements découlant de la mission de régulateur économique et social de l'État (481,5 milliards d'euros) et les engagements de retraites de l'État qui représentent, avec 1 723 milliards d'euros, plus de la moitié du total des engagements hors bilan .
Ils ont globalement augmenté ces dernières années. Si tous les engagements hors bilan n'ont pas vocation à se traduire par des dépenses, il s'agit d'un risque qui pèse bel et bien sur le niveau de la dette.
Au demeurant, tous les engagements de l'État ne sont pas retracés au sein des engagements hors bilan . À titre d'exemple, la garantie implicite de l'État aux établissements publics n'est pas évaluée, ni le rôle de l'État de prêteur ou d'assureur en dernier ressort, notamment pour des administrations en difficulté financière, ou pour les banques systémiques - qui a d'ores et déjà donné lieu à des dépenses importantes, par exemple dans le cas des aides à la banque Dexia en 2008 et 2012.
Certes, le droit de l'Union européenne tend à diminuer les possibilités d'engagements implicites. Par exemple, le mécanisme de résolution unique interdit - en principe - que l'État se comporte en prêteur en dernier ressort en cas de faillite.
Il n'en reste pas moins que les engagements de l'État pourraient conduire, s'ils donnaient lieu à des dépenses dans les exercices à venir, à une hausse du besoin de financement de l'État qui augmenterait à moyen terme la charge d'intérêts de la dette.
À cet égard, comme le notait le rapporteur général de la commission des finances du Sénat dans son rapport relatif à la dette publique 11 ( * ) , la notion de dette implicite , qui prend en compte les engagements hors bilan de l'État, voire les dettes « quasi-publiques » qui pourraient, à terme, être intégrées au périmètre de la dette publique, « constitue une notion utile à l'analyse de l'endettement public en ce qu'elle permet de dépasser une approche strictement rétrospective sur l'encours de dette accumulé jusqu'à présent, pour s'intéresser à ses facteurs d'évolution dans le futur . Elle permet de faire apparaître que le choix d'un régime de retraite crédible, et plus largement d'un modèle d'intervention de l'État soutenable, est un préalable essentiel à la maîtrise de l'évolution de la dette ».
* 10 « Le recensement et la comptabilisation des engagements hors bilan de l'État », 2013, rapport de la Cour des Comptes commandé par la commission des finances du Sénat en application de l'article L. 58-2 de la loi organique sur les lois de finances du 1 er août 2001.
* 11 Rapport d'information n° 566 (2016-2017) sur la dette publique d'Albéric de Montgolfier, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, déposé le 31 mai 2017.