EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Depuis la Révolution française, jamais la France n'a connu un mouvement aussi important de regroupement de communes.
En deux ans, 517 communes nouvelles ont été créées (317 au 1 er janvier 2016, 200 au 1 er janvier 2017), contre moins de 800 entre 1971, année de l'adoption définitive de la loi dite « Marcellin », et 2010, année de son abrogation par la loi de réforme des collectivités territoriales. Ces 517 communes nouvelles sont issues de la fusion de 1 760 communes (1 090 au 1 er janvier 2016 et 670 au 1 er janvier 2017) et de l'implication de près de 24 000 élus. L'Association des Maires de France recense encore plus de 90 projets actuellement en cours, impliquant 230 communes.
Cette « révolution silencieuse » 1 ( * ) témoigne de la vitalité des communes, cellules de base de la démocratie locale, de leur capacité à évoluer, à s'unir pour assumer, « comme une », leurs nombreuses compétences et répondre aux attentes de leurs habitants.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette évolution. Citons-en trois.
Souvent présentée comme un bouclier défensif, une « question de survie, en raison des contextes budgétaire contraint et institutionnel mouvant dans lesquels [les communes] évoluent » 2 ( * ) , la création de communes nouvelles procède d'abord d'une démarche volontaire des élus , conscients de l'ampleur des défis auxquels ils sont confrontés et désireux de bâtir ensemble un projet commun au service de leurs concitoyens. Les récents regroupements volontaires de communes au sein de communes nouvelles peuvent, à cet égard, être avantageusement comparés aux non moins récents regroupements contraints de communes au sein d'établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre intervenus dans le cadre de la révision des schémas départementaux de coopération intercommunale.
La création de communes nouvelles est ensuite facilitée par la souplesse du régime juridique mis en place en 2010 et ajusté par la suite à plusieurs reprises déjà par le législateur. Ce régime permet aux communes fusionnées, aussi bien en milieu rural, urbain et périurbain, de mutualiser leurs moyens pour exercer leurs compétences au plus près de leurs habitants, tout en conservant, sous le statut de « commune déléguée », les éléments constitutifs de leur identité, qu'il s'agisse de leur nom, de leurs limites territoriales ou encore de leur mairie. A cet égard également, il paraît présenter bien des avantages, aux yeux des élus et des populations, par rapport à celui des grandes intercommunalités.
Enfin, la création de communes nouvelles est encouragée par un pacte financier qui garantit la stabilité de leur dotation globale de fonctionnement et dont le projet de loi de finances pour 2018 prévoit la reconduction au bénéfice des communes nouvelles créées entre le 2 janvier 2017 et le 1 er janvier 2019.
2020 marquera une étape importante pour les communes nouvelles, avec le premier renouvellement général de leurs conseils municipaux. Ce renouvellement se traduira souvent par une diminution brutale du nombre des élus, en raison du régime transitoire mis en place par le législateur, qui suscite des inquiétudes légitimes sur la possibilité d'assurer une représentation des électeurs de l'ensemble des communes fusionnées.
Ces inquiétudes se sont notamment exprimées lors des premières assises nationales des communes nouvelles organisées par l'Association des Maires de France le 12 octobre dernier.
Elles ont conduit M. Alain Bertrand et plusieurs de nos collègues à présenter la proposition de loi n° 620 (2016-2017) tendant à garantir la représentation des communes déléguées au sein des communes nouvelles, qui a été inscrite à l'ordre du jour du Sénat réservé au groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen du mercredi 22 novembre 2017.
L'article unique de cette proposition de loi tend à apporter une triple modification au régime des communes nouvelles de plus de 1 000 habitants, que l'exposé des motifs résume en ces termes : « La liste des candidats devrait être composée de candidats résidant dans chaque commune déléguée ; le maire délégué devrait être choisi parmi les conseillers municipaux résidant dans la commune déléguée ; enfin, un conseiller municipal ne pourrait être remplacé que par un candidat résidant dans la même commune déléguée que lui . »
Tout en reconnaissant la pertinence des questions posées et consciente des inquiétudes des élus concernés, votre commission a jugé nécessaire de poursuivre sa réflexion pour appréhender de manière plus globale les ajustements qu'appelle sans doute encore le régime des communes nouvelles. En conséquence, en accord avec l'auteur de la proposition de loi, elle a décidé de déposer une motion de renvoi en commission de ce texte.
I. LA « RÉVOLUTION SILENCIEUSE » DES COMMUNES NOUVELLES : LE SUCCÈS D'UNE DÉMARCHE VOLONTAIRE DES ÉLUS FACILITÉE PAR LA FACULTÉ DE CONSERVER LES COMMUNES HISTORIQUES SOUS FORME DE COMMUNES DÉLÉGUÉES
La loi n° 71-588 du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes - dite loi « Marcellin » - avait créé deux dispositifs de regroupement, aujourd'hui toujours en vigueur : d'une part, la fusion simple, d'autre part, la fusion association.
Elle n'a toutefois pas rencontré le succès escompté, puisque moins de 800 fusions de communes sont intervenues entre 1971 et 2010, alors que le législateur espérait la fusion de 10 000 des quelque 37 000 communes que comptait la France à l'époque.
Les deux dispositifs de fusion de la loi « Marcellin » La fusion simple peut s'accompagner de la création d'annexes de la mairie dans une ou plusieurs des anciennes communes. La fusion association emporte la création d'une ou plusieurs communes associées : dans ce cas, le territoire de la commune fusionnée (à l'exception de la commune chef-lieu) peut être maintenu en qualité de commune associée et conserver ainsi son nom 3 ( * ) . Un maire délégué y est institué, une annexe de la mairie créée ainsi qu'une section du centre d'action sociale. Le maire délégué y est officier d'état-civil et officier de police judiciaire et peut être investi de délégations de la part du conseil municipal. Le régime initial de la fusion association emportait également la constitution de droit des communes associées en sections électorales , afin de permettre : - l'élection de conseillers municipaux au sein de la section électorale ; - la désignation du maire délégué parmi les conseillers élus dans la section ; - la mise en place d'une commission consultative par les conseillers municipaux élus dans la section, complétée par des électeurs de la section. L'article 27 de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral a mis fin au sectionnement électoral dans les communes de moins de 20 000 habitants. Il ne subsiste que dans quatre communes de plus de 20 000 habitants. Ce sectionnement était en effet source de conflits et de blocages au sein des conseils municipaux, en cas de majorités divergentes entre les sections, et conduisait à un décalage entre l'élection au suffrage universel direct des élus d'une section électorale et la réalité des pouvoirs du maire délégué, uniquement officier d'état civil et officier de police judiciaire. |
La loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales a substitué au dispositif de la loi « Marcellin » un nouveau régime de fusion de communes baptisées « communes nouvelles ». Les communes fusionnées avant 2010 demeurent régies par les dispositions de la loi « Marcellin » tandis que les fusions de communes postérieures à cette date sont désormais soumises au régime de la commune nouvelle.
Le bilan modeste de cette nouvelle réforme a conduit le législateur à intervenir de nouveau avec la loi n° 2015-292 du 16 mars 2015 relative à l'amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes, sous l'impulsion de notre ancien collègue député Jacques Pélissard, alors président de l'Association des Maires de France, et de notre collègue députée Christine Pires-Beaune, avec la mise en place d'incitations financières temporaires et en préservant l'identité des communes historiques.
Le régime a ensuite été complété par la loi n° 2016-1500 du 8 novembre 2016 tendant à permettre le maintien des communes associées, sous forme de communes déléguées, en cas de création d'une commune nouvelle, issue d'une initiative de notre collègue Bruno Sido, pour notamment transformer les communes associées en communes déléguées en cas de création d'une commune nouvelle impliquant une commune fusionnée sous la loi « Marcellin » 4 ( * ) .
Selon le bilan statistique établi par la direction générale des collectivités locales au mois de mars 2017 5 ( * ) , « 517 communes nouvelles ont été créées aux 1 ers janvier 2016 et 2017 par la fusion de 1 760 communes. Dans la majorité des cas, ces fusions concernent deux communes. Les communes qui ont fusionné ressemblent aux autres communes en termes de nombres d'habitants, alors que les communes nouvelles sont surreprésentées parmi les communes de 1 000 à 10 000 habitants. Ces communes ne sont pas uniformément réparties sur le territoire ; elles sont particulièrement présentes dans le nord-ouest de la France. Enfin, 24 communes nouvelles sont issues de la fusion de l'ensemble des communes d'un EPCI à fiscalité propre . »
A. LA PRÉSERVATION DE L'IDENTITÉ DES COMMUNES HISTORIQUES SOUS FORME DE COMMUNES DÉLÉGUÉES
La préservation de l'identité des communes historiques au sein des communes nouvelles est une préoccupation forte des élus locaux, comme en témoigne la quasi-totalité des chartes fondatrices de ces communes.
En effet, les communes historiques continuent à assurer, auprès des habitants, un service de proximité, qui les rendent incontournables pour garantir le succès du regroupement de communes bien que, sur le plan juridique, elles disparaissent au profit de la commune nouvelle, elle seule bénéficiant du statut de collectivité territoriale.
Le régime des communes nouvelles voulu par le législateur permet ainsi de concilier l'unité de la commune nouvelle et l'identité des communes historiques.
Ainsi, lors de la création d'une commune nouvelle, les communes « historiques » la composant deviennent de droit des communes déléguées, sauf délibérations contraires et concordantes de leurs conseils municipaux 6 ( * ) . Les communes déléguées reprennent le nom et les limites territoriales des communes historiques auxquelles elles succèdent en droit. Ultérieurement, le conseil municipal de la commune nouvelle peut toutefois prévoir leur suppression, dans un délai qu'il détermine.
En cas de création de communes déléguées, chacune d'entre elles dispose de plein droit 7 ( * ) :
- d'un maire délégué , élu par le conseil municipal de la commune nouvelle parmi ses membres 8 ( * ) , lequel remplit les fonctions d'officier d'état-civil et d'officier de police judiciaire dans la commune déléguée. Ainsi, le maire délégué peut célébrer, dans les mairies annexes des communes déléguées, des mariages. Il peut également recevoir certaines délégations du maire de la commune nouvelle 9 ( * ) . Il préside le conseil de la commune déléguée lorsque ce dernier a été créé 10 ( * ) . Le maire délégué est adjoint au maire de la commune nouvelle sans qu'il soit pour autant comptabilisé au titre de la limite fixée par l'article L. 2122-2 du code général des collectivités territoriales qui plafonne à 30 % de l'effectif d'un conseil municipal le nombre maximal d'adjoints au maire ;
- d'une annexe de la mairie dans laquelle sont établis les actes de l'état civil concernant les habitants de la commune déléguée.
Le conseil municipal de la commune nouvelle peut en outre décider, à la majorité des deux tiers de ses membres, la création d'un conseil de la commune déléguée dans une ou plusieurs communes déléguées. Ce conseil est composé du maire délégué et de conseillers communaux, dont le nombre est fixé par le conseil municipal de la commune nouvelle et désignés par ce dernier. Le conseil municipal de la commune nouvelle peut également désigner un ou plusieurs adjoints au maire délégué 11 ( * ) .
Ces dispositions reflètent la volonté du législateur de laisser le maximum de souplesse aux élus locaux pour définir l'organisation la plus adaptée aux spécificités locales mais également son souci de ne pas recréer les sections électorales de la loi « Marcellin » et les difficultés qui en ont résulté dans certains territoires.
* 1 « Les communes nouvelles, histoire d'une révolution silencieuse : raisons et conditions d'une réussite », rapport d'information n° 563 (2015-2016) de M. Christian Manable et Mme Françoise Gatel, fait au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation : http://www.senat.fr/notice-rapport/2015/r15-563-notice.html.
* 2 « Laisser respirer les territoires », rapport d'information n° 485 (2016-2017) de MM. Mathieu Darnaud, René Vandierendonck, Pierre-Yves Collombat et Michel Mercier, fait au nom de la commission des lois : http://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-485-notice.html.
* 3 Au 1 er janvier 2016, 745 communes demeurent régies par la loi du 16 juillet 1971, dont 343 sous le régime de la fusion simple et 402 sous celui de la fusion-association. Ces dernières totalisent 619 communes associées.
* 4 Voir deuxième alinéa de l'article L. 2113-10 du code général des collectivités territoriales : À la demande du conseil municipal de l'ancienne commune résultant d'une fusion régie par la loi « Marcellin », sont instituées des communes déléguées reprenant le nom et les limites territoriales de l'ancienne commune chef-lieu et des communes associées.
* 5 Bulletin d'information statistique de la DGCL n° 115, mars 2017 :
https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/statistiques/bis_115_2.pdf.
* 6 Article L. 2113-10 du code général des collectivités territoriales.
* 7 Article L. 2113-11 du code général des collectivités territoriales.
* 8 Article L. 2113-12-2 du code général des collectivités territoriales. En application du deuxième alinéa de cet article, lorsque la création d'une commune nouvelle intervient entre deux renouvellements des conseils municipaux, les maires des anciennes communes deviennent, de droit, maires délégués jusqu'au renouvellement suivant.
* 9 Article L. 2113-13 du code général des collectivités territoriales.
* 10 Article L. 2113-16 du code général des collectivités territoriales.
* 11 Article L. 2113-14 du code général des collectivités territoriales : leur nombre ne peut excéder 30 % du nombre total des conseillers municipaux, conformément à la règle fixée par l'article L. 2122-2 du code général des collectivités territoriales.