D. LE GOUVERNEMENT POURRA DIFFICILEMENT FAIRE L'ÉCONOMIE DE RÉFORMES VISANT À MAÎTRISER LA MASSE SALARIALE PUBLIQUE ET LES DÉPENSES DE RETRAITE
À cet égard, le Gouvernement pourra difficilement faire l'économie de réformes visant à maîtriser la masse salariale publique et les dépenses de retraite , qui constituent jusqu'à présent deux « angles morts » de sa politique.
1. Maîtriser la masse salariale publique
La recherche d'une plus grande maîtrise de la masse salariale publique doit constituer un premier objectif.
Comme le relève la Cour des comptes, la masse salariale publique, rapportée à la richesse nationale, est « plus élevée en France que dans la plupart des pays de l'OCDE et, en particulier, que la moyenne de la zone euro » 72 ( * ) .
Dans ce domaine, les comparaisons internationales doivent toutefois être maniées avec précaution , dans la mesure où une masse salariale publique plus importante peut être le reflet de facteurs démographiques (ex : une population plus jeune nécessite l'embauche d'un nombre plus important d'enseignants) et de choix d'organisation (ex : l'externalisation ou le recours à la sous-traitance diminue artificiellement la masse salariale mais vient en contrepartie augmenter les subventions et transferts). À titre d'exemple, les hôpitaux publics sont considérés en Allemagne comme des sociétés non financières, ce qui diminue la masse salariale publique mais augmente les transferts en nature 73 ( * ) .
Une analyse détaillée des masses salariales publiques de le France et de l'Allemagne réalisée par les services de la Banque de France tend néanmoins à confirmer que la réduction de l'emploi public pourrait légitimement constituer un levier important de maîtrise de la dépense publique. En effet, si la démographie et les choix d'organisation expliquent près des deux tiers de l'écart entre les masses salariales publiques des deux pays, qui s'élève à 5 points de PIB, « un surcroît significatif de 2 points de PIB subsiste (...) lié aux effectifs » 74 ( * ) .
Décomposition de l'écart de masse
salariale publique
entre la France et l'Allemagne en 2015
(en points de PIB)
Source : commission des finances du Sénat (à partir de : Marie Aouriri et Héloïse Tournous, précité)
Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait certes affirmé souhaiter réduire les effectifs de la fonction publique de 120 000 postes sur le quinquennat , dont 50 000 postes de la fonction publique d'État.
Toutefois, une telle diminution supposerait, si l'effort était équitablement réparti sur chacune des années de la période, une suppression nette d'environ 10 000 équivalents temps plein (ETP) par an de 2018 à 2022.
Or, d'après l'exposé général des motifs du projet de loi de finances, le solde global des créations et suppressions d'emplois devrait s'élever à -1 600 ETP en 2018 , soit seulement 3 % de l'objectif prévu sur le quinquennat.
Le Gouvernement fait valoir que cette évolution « constitue une rupture par rapport aux années 2016 et 2017, marquées par des créations d'emplois de près de 14 000 ETP par an en moyenne ».
S'il est vrai que les derniers exercices ont vu un dérapage des effectifs et de la masse salariale de l'État, force est cependant de constater que l'effort fourni en 2018 ne paraît pas à la hauteur des enjeux : la majeure partie des suppressions de postes est de facto reportée sur les années 2019 à 2022, avec un rythme moyen soutenu de plus de 12 000 suppressions de postes chaque année pour tenir l'objectif annoncé sur le quinquennat.
Évolution des effectifs de l'État par
rapport à l'exercice précédent
de 2007 à 2017
et projection de 2018 à 2022
(en ETPT)
Source : commission des finances du Sénat (à partir des projets de loi de règlement des comptes et d'approbation du budget pour les années 2007 à 2016, des projets de loi de finances pour les années 2017 et 2018 et de l'objectif annoncé par le Gouvernement sur le quinquennat de 2019 à 2022).
Sans être inédite ni rejoindre les réductions d'effectifs constatées entre 2007 et 2013, une telle diminution n'en reste pas moins significative et nécessitera des choix politiques clairs. La réduction des effectifs des ministères économiques et financiers, qui ont été fortement mis à contribution ces dernières années, finira par atteindre ses limites. De la même façon que les économies à réaliser sur le budget de l'État à partir de 2020 ne sont, pour l'heure, pas documentées, les ministères qui supporteront les suppressions de postes ne sont pas non plus identifiés .
Il convient par ailleurs de noter que le projet de loi de programmation présenté par le Gouvernement ne comporte aucun dispositif de plafonnement de l'évolution des effectifs de l'État et de ses opérateurs , à rebours des précédentes lois de programmation des finances publiques 75 ( * ) .
Le caractère très modéré des suppressions de postes associé à l'effet du glissement vieillesse-technicité (GVT) conduit à une augmentation de la masse salariale de l'État, qui devrait progresser de 3 milliards d'euros en 2018 par rapport à la loi de finances initiale pour 2017 (+ 3,6 %). Certes, cette hausse marquée provient en grande partie du dérapage de la masse salariale en 2017 : la prévision d'exécution des dépenses de titre 2 (hors contributions au CAS « Pensions ») s'élève à 87 milliards d'euros contre une prévision initiale de 85 milliards d'euros. Cependant, par rapport à l'exécution attendue en 2017, la masse salariale de l'État progresse tout de même de 1,6 % : si ce taux peut paraître faible au regard de la très forte hausse intervenue en 2017 (+ 5,8 % entre l'exécution 2016 et la prévision d'exécution 2017), il n'en reste pas moins important par comparaison aux tendances observées depuis le début des années 2000 .
Évolution annuelle de la masse salariale de l'État
(en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général et les données de la Cour des comptes
Dans ce contexte, une évolution du temps de travail dans la fonction publique permettrait de faciliter la mise en oeuvre d'une réduction significative des effectifs d'ici la fin du quinquennat, sans diminution de la qualité du service public.
Parmi les pistes d'ores et déjà avancées par votre rapporteur général 76 ( * ) figure une hausse de la durée légale du travail d'une heure par semaine, qui permettrait une économie annuelle de 2 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations, du fait d'une baisse des effectifs de 77 000 emplois environ.
L'économie s'élèverait à 5 milliards d'euros pour les trois fonctions publiques si la durée hebdomadaire du travail était relevée à 37,5 heures, ce qui correspond à la durée habituelle de travail déclarée par l'ensemble des actifs, du fait d'une réduction des effectifs de plus 190 000 emplois.
2. Engager une nouvelle réforme des retraites
En complément, il pourra difficilement être fait l'économie d'une réforme des retraites.
En effet, le niveau des dépenses de retraite constitue la principale source d'explication de l'écart de dépense publique entre la France et ses principaux partenaires , sans que ce différentiel ne puisse être justifié par des choix de prise en charge public-privé différents.
Comparaison du niveau des dépenses de retraite
(en points de PIB)
Source : commission des finances du Sénat (d'après : OCDE, Panorama des pensions 2015)
Cet écart significatif (+ 4,1 points de PIB) n'est pas sans lien avec les caractéristiques de notre système de retraite, qui conduisent les travailleurs français à partir de façon plus précoce à la retraite que leurs homologues étrangers - et ce quel que soit l'outil de mesure retenu.
Comparaison des systèmes de retraite des différents pays de l'OCDE
(en années)
Source : commission des finances du Sénat (d'après : OCDE, Panorama des pensions 2015)
Aussi, il n'est pas surprenant que le FMI et l'OCDE aient récemment recommandé au Gouvernement de retarder l'âge de départ à la retraite 77 ( * ) .
Si le Gouvernement a d'ores et déjà confirmé la mise en oeuvre au cours du quinquennat d'une réforme « systémique » visant à « faire en sorte qu'un euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous » 78 ( * ) , il avait toutefois été indiqué lors de la campagne présidentielle que cette dernière ne se traduirait pas par une modification de l'âge de départ à la retraite 79 ( * ) . À cet égard, le candidat Emmanuel Macron déclarait : « On a une chance dans le quinquennat qui vient, c'est qu'il n'y aura pas de déséquilibre financier du système des retraites . Je vais en profiter pour régler les enjeux de manière systémique » 80 ( * ) .
Le contexte a toutefois évolué depuis la publication, en juin 2017, du rapport annuel du Conseil d'orientation des retraites (COR) 81 ( * ) , qui fait état d'une importante dégradation de la situation financière du système de retraite. Le solde financier resterait ainsi déficitaire jusqu'en 2040 dans tous les scénarios économiques, alors qu'il devait d'après le précédent exercice de projection dégager des excédents significatifs à partir du milieu des années 2020 dans deux des cinq scénarios. Cette évolution défavorable tient principalement à la révision des hypothèses démographiques par l'Insee.
À l'échelle du quinquennat, la dégradation continue du solde du système de retraite aboutirait à un déficit de 0,5 % du PIB en 2022 - et ce quel que soit le scénario économique retenu.
Solde financier du système de retraite
(en % du PIB)
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
- 0,2 |
- 0,3 |
- 0,3 |
- 0,4 |
- 0,4 |
- 0,5 |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les projections du COR de juin 2017)
Aussi, parmi les pistes qui pourraient être envisagées, en parallèle de la réforme « systémique » des retraites, dont la mise en oeuvre « sera inévitablement lointaine » 82 ( * ) , figure une nouvelle réforme paramétrique visant à retarder l'âge de départ à la retraite .
À titre d'illustration, le relèvement progressif de deux ans de l'âge légal de départ au rythme d'un trimestre par génération se traduirait par une amélioration du solde financier du système de retraite de 5 milliards d'euros au bout de cinq ans . Au bout de vingt ans, l'effet positif sur le solde des administrations publiques s'élèverait à 0,9 point de PIB 83 ( * ) .
Enfin, il convient de rappeler qu'une réforme des retraites figure parmi les réformes majeures susceptibles de faire bénéficier la France de la clause de flexibilité pour l'application du pacte de stabilité.
* 72 Cour des comptes, « La masse salariale de l'État : Enjeux et leviers », juillet 2015, p. 19.
* 73 Marie Aouriri et Héloïse Tournous, « L'écart de dépenses publiques entre la France et l'Allemagne », Banque de France, Rue de la Banque , n° 46, juillet 2017, p. 5.
* 74 Marie Aouriri et Héloïse Tournous, « France-Allemagne : comparer lucidement les masses salariales publiques », Bloc-notes Éco, Banque de France, 2017.
* 75 À titre d'exemple, l'article 9 de la loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 dispose que « le plafond global des autorisations d'emplois de l'État et de ses opérateurs, mentionné aux articles 54 et 55 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, est stabilisé pour les années 2012 à 2017 ».
* 76 « Le temps de travail : un enjeu pour la compétitivité, l'emploi et les finances publiques », rapport d'information n° 292 (2015-2016) d'Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances et déposé le 13 janvier 2016.
* 77 FMI, Rapport article IV du FMI sur la France, septembre 2017. OCDE, « Études économiques de l'OCDE - France », septembre 2017.
* 78 Rapport économique, social et financier 2018, p. 25.
* 79 Programme présidentiel d'Emmanuel Macron, p. 13.
* 80 Tribune de Genève, « Emmanuel Macron: `Je prendrai en compte la colère des Français' », 28 avril 2017.
* 81 COR, « Évolutions et perspectives des retraites en France », rapport annuel, juin 2017.
* 82 Voir sur ce point : François Ecalle, « Faut-il créer un régime de retraites universel et comment ? », Fipeco, 29 juin 2017.
* 83 Direction générale du Trésor, « Les effets macroéconomiques d'une augmentation de l'âge d'ouverture des droits à la retraite », 2016.