Rapport n° 649 (2016-2017) de M. Pascal ALLIZARD , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 19 juillet 2017
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INTRODUCTION
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PREMIÈRE PARTIE : LA JORDANIE, UN
ALLIÉ INCONTOURNABLE AU MOYEN-ORIENT
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SECONDE PARTIE : UN STATUT DES FORCES
FONDÉ SUR LA RÉCIPROCITÉ ET PROTECTEUR DE NOS
RESSORTISSANTS
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CONCLUSION
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
(11 JUILLET 2017)
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ANNEXE
N° 649
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2016-2017
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 juillet 2017 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l' approbation de l' accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume hachémite de Jordanie relatif au statut de leurs forces ,
Par M. Pascal ALLIZARD,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Cédric Perrin, Daniel Reiner, Xavier Pintat, Mmes Nathalie Goulet, Josette Durrieu, Michelle Demessine, MM. Alain Gournac, Gilbert Roger, Robert Hue, Mme Leila Aïchi , vice-présidents ; M. André Trillard, Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Alain Néri , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Pierre Charon, Robert del Picchia, Jean-Paul Émorine, Philippe Esnol, Hubert Falco, Bernard Fournier, Jean-Paul Fournier, Jacques Gillot, Gaëtan Gorce, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, M. Alain Joyandet, Mme Christiane Kammermann, M. Antoine Karam, Mme Bariza Khiari, MM. Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Jeanny Lorgeoux, Claude Malhuret, Jean-Pierre Masseret, Rachel Mazuir, Christian Namy, Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Jean-Vincent Placé, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Pierre Raffarin, Henri de Raincourt, Alex Türk, Raymond Vall, André Vallini . |
Voir les numéros :
Sénat : |
526 et 650 (2016-2017) |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est saisi du projet de loi n° 526 (2016-2017) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume Hachémite de Jordanie relatif au statut des forces.
Dans un contexte régional agité par des crises et des conflits, la Jordanie occupe une place stratégique en parvenant à préserver une relative stabilité, même si sur le plan intérieur, on ne peut tout à fait occulter la menace terroriste liée à la lutte contre Daech et la réaction sécuritaire contre l'opposition politique depuis fin 2014.
Ce pays connait des difficultés économiques et budgétaires liées aux effets combinés de la crise financière internationale et de la guerre en Syrie et en Irak. L'accueil de plus de 630 000 réfugiés syriens aggrave encore la situation, en pesant lourdement sur les infrastructures et les ressources du pays. Toutefois, compte tenu de son importance géostratégique, la Jordanie reçoit de nombreux soutiens financiers et budgétaires, notamment des États-Unis, des monarchies sunnites du Golfe, ainsi que du Fonds monétaire international. À une moindre échelle, la France lui apporte également une aide.
Les relations bilatérales reposent sur des liens anciens de confiance et d'amitié. La lutte commune contre Daech a donné une nouvelle dimension à celles entretenues dans le domaine militaire et de la défense. La Jordanie est en effet un allié central de la France dans cette lutte et un point d'appui majeur pour les actions menées par la France au Levant. Membre important de la coalition internationale contre Daech mise en place en 2014, la Jordanie participe aux frappes aériennes en Irak et sert notamment de base avancée à la France, en accueillant la base aérienne projetée (BAP), dite base H5, dans le cadre de l'opération Chammal.
Le présent accord a pour objet de déterminer le statut juridique et les conditions du séjour des personnels français déployés en Jordanie et des personnels jordaniens déployés en France dans le cadre d'activités de coopération en matière de défense. Il a vocation à se substituer à un accord sous forme d'échange de lettres signé le 24 décembre 2014 qui garantit, de manière transitoire après l'expiration d'un accord précédent signé en janvier 1995, le statut juridique des forces françaises déployées sur le territoire jordanien. Fondé sur la réciprocité réclamée par la Jordanie, il est nécessairement moins avantageux pour les forces françaises que les précédents instruments qui n'étaient pas réciproques.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier . La ratification de cet accord permettra de renforcer la coopération bilatérale de défense avec la Jordanie, pays qui représente un intérêt majeur dans la lutte contre le terrorisme et pour la sauvegarde de la sécurité et de la stabilité dans la région. Cet accord vise essentiellement à donner un statut juridique aux membres des forces jordaniennes séjournant sur le territoire français qui, faute d'accord spécifique, sont jusqu'à présent soumis au droit commun français. Enfin, la peine de mort étant toujours appliquée en Jordanie, cet instrument assure une protection suffisante de nos ressortissants pour le cas où ils viendraient à commettre des infractions relevant de la compétence des juridictions jordaniennes et passibles de la peine de mort, de torture, de peines ou de traitements inhumains ou dégradants.
PREMIÈRE PARTIE : LA JORDANIE, UN ALLIÉ INCONTOURNABLE AU MOYEN-ORIENT
I. UN PÔLE DE RELATIVE STABILITÉ DANS UNE RÉGION INSTABLE
La Jordanie est une monarchie parlementaire constitutionnelle, qui a acquis son indépendance en 1946, et dans laquelle le Roi, Abdallah II, dispose de pouvoirs importants.
Depuis 2011, dans le contexte des printemps arabes, le Gouvernement a entrepris des réformes démocratiques, afin notamment de renforcer les pouvoirs du parlement et de créer une cour constitutionnelle. D'autres réformes ont été adoptées, fin 2015 et début 2016, dans le domaine de la décentralisation, des partis politiques, de la loi électorale et du découpage des circonscriptions, sans parvenir toutefois à renverser la sous-représentation des partis politiques. Un nouveau gouvernement a été formé en juin 2016, puis reconduit après le scrutin législatif du 20 septembre 2016. Le Parlement, nouvellement élu, est majoritairement composé d'indépendants et les Frères musulmans, principale force d'opposition, n'ont que quinze députés.
Après une forte croissance économique entre 1999 et 2009, la Jordanie rencontre des difficultés liées aux effets combinés de la crise financière internationale, du printemps arabe et de la guerre en Syrie sur son commerce extérieur et les flux touristiques. Pour 2016, son taux de croissance est estimé à 2,3 % et son taux de chômage à 15,8 %.
La France a un faible volume d'exportations vers la Jordanie, de l'ordre de 300 millions d'euros représentant 2 % de part de marché, mais sa présence économique peut être qualifiée de forte, avec les investissements d'une trentaine de grands groupes (Orange, Lafarge, Suez, Vinci, Total et ADP), à hauteur de 1,5 milliard d'euros. La France serait le premier investisseur non arabe.
Sur le plan budgétaire, c'est un pays qui reste fortement endetté (94,4 % du PIB en 2016) mais qui bénéficie des soutiens de la part de ses principaux partenaires et alliés, en qualité d'élément central de stabilité au Proche et au Moyen-Orient. Le Fonds monétaire international (FMI) lui a ainsi octroyé une ligne de crédit de 2 milliards de dollars sur trois ans en août 2012, ce qui lui a permis de redresser ses comptes extérieurs et ses finances publiques et de réaliser des réformes importantes dans le secteur de l'énergie. En août 2016, le FMI lui a accordé un nouveau prêt de 723 millions de dollars, pour la période 2016-2021. La France, quant à elle, a signé, en octobre 2015, un accord d'aide budgétaire et de développement de 265 millions de dollars, tandis qu'en avril 2016, l'Agence française de développement (AFD) et le ministère du Plan sont parvenus à un mémorandum d'entente qui prévoit l'octroi de 900 millions d'euros de prêts supplémentaires dans les trois prochaines années.
Depuis le début de la crise en Syrie, la Jordanie accueille sur son territoire plus de 650 000 réfugiés syriens selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, sans compter 60 000 réfugiés irakiens, alors que sa population s'élève à 9,5 millions d'habitants. Cette situation pèse lourdement sur ses infrastructures, notamment dans les domaines de l'éducation et de la santé, sur les ressources en eau et en électricité, ainsi que sur l'immobilier. Sans surprise, la situation de ces réfugiés est de plus en plus difficile et la Jordanie réclame des aides financières. La France lui a déjà apporté 42 millions d'euros sous forme de dons et 64 millions d'euros sous forme de prêts pour des projets divers, tels que collecte des déchets, construction de routes, gestion de l'eau.
De par sa situation géographique - frontières communes avec l'Irak, la Syrie, Israël et l'Arabie Saoudite -, la Jordanie occupe une place stratégique dans un environnement régional marqué par les crises et les conflits. Sa politique étrangère se fonde sur une coopération militaire avec les États-Unis - renforcée depuis la crise syrienne - qui lui apportent, par ailleurs une aide économique importante, de l'ordre d'1,6 milliard de dollars par an en 2016. Elle s'appuie également sur des relations suivies avec les monarchies sunnites du Golfe qui contribuent à sa stabilité financière : un programme de dons de 5 milliards de dollars sur 2012-2016 lui a été octroyé par le Conseil de coopération des États arabes du Golfe.
On rappelle également que la Jordanie a signé, en 1994, un traité de paix avec Israël. Toutefois, si une coopération existe bien entre les deux pays, au moins sur le plan économique et sécuritaire, celle-ci se trouve bridée par la question de Jérusalem et des territoires palestiniens.
S'agissant du conflit syrien, la Jordanie, qui tente de sécuriser sa frontière nord, essaie de maintenir un équilibre entre l'Arabie Saoudite, l'Irak, la Syrie et la Russie, en essayant de maintenir le dialogue avec cette dernière en vue d'éviter le chaos. Sur la question de l'Irak, la Jordanie est engagée au côté du gouvernement irakien dans sa lutte contre Daech.
Sur le plan intérieur, la menace terroriste liée à la lutte contre Daech est très présente et les incidents sécuritaires se multiplient. On estime que la Jordanie fournit 2 000 combattants étrangers à Daech. Depuis 2014, les arrestations de sympathisants de Daech, de militants des Frères musulmans et d'activistes sont plus nombreuses.
II. UN ALLIÉ MAJEUR DANS LA LUTTE CONTRE DAECH QUI ACCUEILLE UNE IMPLANTATION MILITAIRE FRANÇAISE
La France et la Jordanie entretiennent des relations bilatérales de qualité avec des rencontres de haut niveau, à intervalles réguliers, qui témoignent d'une proximité de vues sur de nombreux sujets, notamment ceux relatifs au Moyen-Orient. À cet égard, le Président de la République a reçu le roi de Jordanie, le 19 juin dernier.
La Jordanie est un allié central de la France dans la lutte contre Daech et un point d'appui majeur pour les actions menées par la France au Levant. La France est, on le rappelle, l'un des principaux contributeurs, derrière les États-Unis, à la coalition internationale contre Daech, mise en place en 2014, pour apporter un soutien aérien aux forces armées irakiennes dans leur lutte contre Daech en Irak et en Syrie. La participation française, qui porte le nom d'opération Chammal, compte environ 1 200 militaires. La Jordanie, qui est également un membre important de la coalition participe, à ce titre, aux frappes aériennes, dont Daech est la cible, depuis le début des opérations et abrite en outre les forces armées d'une dizaine de pays occidentaux. Elle sert de base avancée aux États-Unis et à la France.
Répondant par écrit aux questions de votre rapporteur, les services du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères 1 ( * ) lui ont indiqué que la Jordanie accueille la base aérienne projetée (BAP) française, dite base H5 dans le cadre du dispositif Chammal. Celle-ci compte environ 400 militaires et 4 Rafales de l'armée de l'air ainsi que 4 Rafales de la marine y sont déployés, constituant un plot mixte armée de l'air/marine. Cette base présente un intérêt inégalé, compte tenu de sa proximité avec le théâtre d'opérations irako-syrien, car elle permet, outre des économies de carburant, à un nombre limité de personnels et d'aéronefs de produire une activité soutenue sur le théâtre avec des activités aériennes quasi quotidiennes pour appuyer les forces irakiennes dans la reconquête de leur territoire, ainsi que les alliés de la coalition dans leur lutte contre Daech. Si une page semble se tourner en Irak avec la libération de Mossoul, la pérennité de la base n'est pas pour autant menacée.
La relation bilatérale de défense a pris de l'ampleur à la faveur de la lutte menée contre Daech, avec une coopération ciblée dans les domaines du renseignement, de l'armée de l'air et des forces spéciales. Elle porte sur trois niches particulières, notamment le renseignement, l'armée de l'air et les forces spéciales.
III. UNE COOPÉRATION MILITAIRE BILATÉRALE DE PLUS EN PLUS ÉTOFFÉE
Les relations militaires entre la France et la Jordanie ont pour cadre juridique l'accord du 2 décembre 1995 relatif à la coopération militaire et aux relations bilatérales dans le domaine de la défense, qui prévoit à son article 8 que « le statut des membres des forces armées de la Partie française stationnés en Jordanie à l'occasion d'exercices ou d'entraînement commun est défini dans un accord particulier ».
En application de cette stipulation, un accord particulièrement favorable relatif aux conditions de stationnement des forces armées françaises à l'occasion d'exercices ou d'entraînements sur le territoire du Royaume Hachémite de Jordanie avait été également signé le 2 décembre 1995. En décembre 2011, les autorités jordaniennes ont indiqué aux autorités françaises que cet accord était parvenu à expiration à la date du 2 décembre 2001 et qu'elles souhaitaient en négocier un nouveau prévoyant un statut des personnels jordaniens en France, sur une base de réciprocité.
Pour combler le vide juridique dû à l'expiration de cet accord et dans l'attente de l'entrée en vigueur du nouvel accord - celui qui est aujourd'hui soumis à l'examen de notre commission - un accord sous forme d'échange de lettres a été signé le 24 décembre 2014, afin de garantir le statut juridique des forces françaises déployées sur le territoire jordanien et de donner un cadre juridique à la coopération militaire franco-jordanienne.
Selon les services du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères 2 ( * ) , la coopération bilatérale militaire vise :
- sur le plan opérationnel, à améliorer les capacités essentielles de combat des Forces armées jordaniennes pour faire face aux menaces frontalières (dont le terrorisme djihadiste) ;
- sur le plan structurel, à pérenniser et consolider notre influence dans quelques secteurs clés tels que l'enseignement du français et la formation des élites jordaniennes, ainsi que la modernisation des institutions militaires jordaniennes.
Les principaux enjeux de notre coopération militaire avec la Jordanie portent sur :
- l'interopérabilité entre nos deux composantes forces spéciales, déterminante pour nos capacités à opérer en commun. Dans ce but, un plan d'équipement de certaines unités jordaniennes de lutte contre le terrorisme a été élaboré ;
- l'échange d'informations opérationnelles, sachant que le Royaume se situe au carrefour des principaux foyers actifs du djihadisme (zone Syrie-Irak) ;
- un accompagnement des forces armées jordaniennes au renforcement de leurs capacités d'appui à la projection des forces et de conduite des opérations, lorsque ces dernières concourent aux intérêts de la France, et sans porter préjudice aux propres capacités militaires de la France. Il s'agit par exemple de la contribution militaire jordanienne aux opérations de la MINUSMA au Mali et de la sécurisation de futures zones de désescalade dans le Sud syrien, etc.
Les services précités ont indiqué à votre rapporteur que les actions de coopération militaire, en cours ou à venir pour l'année 2017, sont formalisées par un plan annuel de coopération militaire bilatérale, cosigné par deux officiers généraux, par délégation des chefs d'état-major des deux armées. La mise à jour de ce plan est réalisée avec une fréquence annuelle lors d'une commission militaire mixte, dont la prochaine édition se tiendra à Amman en décembre 2017.
Pour l'année 2017, ce plan comprend 70 actions, dont 33 en France. Les principales actions s'effectuent dans les domaines suivants : forces spéciales, opérations aériennes, combat en montagne. Il existe en outre une coopération dans le domaine du renseignement militaire qui, pour des raisons de confidentialité, n'est pas répertoriée dans ce plan.
La quasi-totalité des militaires jordaniens venant en France le font dans le cadre de ce plan de coopération militaire bilatérale. En 2017, c'est plus de 100 militaires jordaniens qui devraient séjourner en France. On rappelle que les forces armées jordaniennes (JAF) comptent environ 100 000 hommes répartis entre armées de terre, de mer et de l'air.
SECONDE PARTIE : UN STATUT DES FORCES FONDÉ SUR LA RÉCIPROCITÉ ET PROTECTEUR DE NOS RESSORTISSANTS
Contrairement au précédent accord liant la France et la Jordanie en la matière et pour satisfaire la requête de la Partie jordanienne, cet accord prévoit un statut des forces jordaniennes en France fondé sur la réciprocité , si bien que dès son entrée en application, les membres de ces forces présentes sur le territoire français ne seront plus soumis au droit commun français, comme c'est le cas actuellement. Pour autant, aucun membre des forces armées jordaniennes n'a été condamné par des juridictions françaises.
Cet accord comporte vingt articles . Pour l'essentiel, il s'agit de stipulations courantes dans les accords concernant le statut des forces. Cet instrument présente cependant la spécificité d'être conclu avec un État qui fait figurer la peine de mort dans son arsenal répressif. Il contient des dispositions analogues à celles mentionnées habituellement dans les accords de défense ou de statut des forces signés avec des pays qui appliquent la peine de mort ou dont la législation le prévoit.
I. UN ACCORD APPLICABLE DANS LE DOMAINE DE LA COOPÉRATION MILITAIRE, DE LA DÉFENSE ET DE LA SÉCURITÉ
Après une définition des termes utilisés dans le présent accord à l'article 1, l'article 2 précise que cet accord, qui définit le statut juridique des membres des forces de l'Etat d'envoi en séjour ou en transit sur le territoire de la partie d'accueil, a vocation à s'appliquer à des activités de coopération bilatérale dans le domaine militaire, de la défense et de la sécurité , dont il dresse une liste non exhaustive . Il s'appliquera notamment aux visites de délégations, aux activités de formation, aux entraînements et exercices ainsi qu'à toute autre activité agréée par les Parties.
L'article 3 expose les obligations générales des parties. Il exclut notamment toute clause d'assistance en prévoyant que les membres du personnel de la Partie d'envoi « ne peuvent en aucun cas être associés à la préparation ou à l'exécution d'opérations de guerre, ni à des actions de maintien ou de rétablissement de l'ordre, de la sécurité publique ou de la souveraineté nationale, ni intervenir dans ces opérations ».
Ce type de stipulations est de plus en plus courant dans les SOFA conclus avec les partenaires étrangers car elles permettent d'éviter que le personnel français ne se trouve engagé dans des opérations de l'État d'accueil, sans que la France n'ait officiellement donné son accord. En effet, politiquement, il pourrait ne pas être opportun que des personnels français soient engagés dans des opérations menées par la Jordanie.
L'article 3 interdit également toute participation d'un membre du personnel de la Partie d'envoi à une activité menée en dehors du territoire de la Partie d'accueil par cette dernière, sans l'accord écrit préalable de la partie d'envoi.
Comme il est habituel dans ce type d'accord, l'article 14 mentionne que chaque Partie supporte ses propres coûts de coopération. Les facilités de stockage, les locaux ainsi que l'eau et l'électricité et la protection des locaux sont toutefois mis gratuitement à la disposition de la Partie d'envoi. Une clause prévoit par ailleurs un examen bienveillant de toute demande de gratuité de la participation aux activités de coopération émanant de la Partie d'envoi, en particulier s'agissant des frais liés aux formations ou aux prestations d'hébergement et d'alimentation.
II. LE STATUT DES FORCES
A. ENTRÉE, SÉJOUR ET SORTIE DU TERRITOIRE
L'article 4 précise les conditions d'entrée de la force en visite, ainsi que des personnes à charge, pour l'accomplissement des activités de coopération en matière de défense. Leur nombre et leur qualité font l'objet d'arrangements particuliers.
Sont requis pour autoriser l'entrée, un passeport et un visa en cours de validité , dont l'obtention en dispense de frais et dans les meilleurs délais est facilitée. Par ailleurs, l'État d'envoi doit communiquer, à l'avance, l'identité des personnes entrant sur le territoire de l'État d'accueil ainsi que leur date de départ.
Les membres d'une force en visite sont autorisés à porter l'uniforme et les insignes militaires dans l'exercice de leurs fonctions officielles, à l'article 5.
En outre, sous certaines conditions, l'État d'accueil autorise l'importation, en exonération de droits ou taxes pour la durée de leur séjour, des effets personnels et des meubles, dans les limites compatibles avec un usage familial .
Pendant leur séjour et afin d'éviter les doubles impositions, l'article 10 maintient la domiciliation fiscale des personnels dans l'État d'envoi, qui leur verse soldes, traitements et autres rémunérations analogues.
B. SOINS MÉDICAUX ET DÉCÈS
L'article 8 prévoit l'accès aux services médicaux de la Partie d'accueil et pose le principe selon lequel chaque Partie est responsable de ses services médicaux et de ses évacuations sanitaires . En cas d'urgence toutefois, les actes médicaux et les évacuations sont effectués à titre gratuit. En revanche, les prestations médicales non urgentes pratiquées en milieu hospitalier et les rapatriements sanitaires restent à la charge de la Partie d'envoi.
L'article 9 précise les formalités à suivre en cas de décès d'un membre de la force en visite, s'agissant de l'établissement du certificat de décès, l'autopsie éventuelle, la prise en charge et le transport du corps du défunt.
C. AFFAIRES DISCIPLINAIRES ET PÉNALES, RÈGLEMENT DES DOMMAGES : DES DISPOSITIONS SPÉCIFIQUES COMPTE TENU DE L'EXISTENCE DE LA PEINE DE MORT EN JORDANIE
L'article 7 pose le principe d'une compétence exclusive de l'État d'envoi en matière de discipline de ses personnels.
L'article 11 traite des règles de partage de juridiction applicables en cas d'infractions commises par les membres d'une force en visit e ou des personnes à leur charge. Après avoir érigé le principe selon lequel ces personnes relèvent de la compétence des juridictions de la Partie d'accueil, l'accord précise les cas dans lesquels les autorités de la Partie d'envoi exercent par priorité leur droit de juridiction : infraction résultant de tout acte ou négligence d'un membre du personnel accompli dans l'exercice de ses fonctions officielles, infraction portant uniquement atteinte à la sécurité ou aux biens de la Partie d'envoi, à la personne ou aux bines d'un autre membre du personnel de la Partie d'envoi. Une Partie peut toutefois renoncer à exercer sa priorité de juridiction mais doit alors le notifier immédiatement à l'autre Partie.
La Partie d'envoi apporte son concours pour présenter l'intéressé devant les autorités judiciaires compétentes de la Partie d'accueil tandis que la Partie d'accueil prévient sans délai les autorités de la Partie d'envoi de toute arrestation.
Les autorités de l'État d'accueil et de l'État d'envoi se prêtent mutuellement assistance pour la conduite des enquêtes et s'informent mutuellement.
La personne poursuivie bénéficie des garanties relatives à un procès équitable.
En cas de condamnation, la Partie d'accueil examine avec bienveillance la demande de purger la peine sur le territoire de la Partie d'envoi.
Selon la règle « non bis in idem » , la personne jugée ne peut pas l'être une nouvelle fois pour la même infraction par les autorités de l'autre Partie.
Par ailleurs, dans le cas où la Partie d'envoi n'est pas compétente pour exercer sa juridiction , les stipulations des paragraphes 8 et 9 de l'article 11 prévoient que si les infractions commises sont punies de la peine de mort ou d'une peine contraire aux engagements internationaux - notamment contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui interdit la torture ainsi que les peines ou traitements inhumains ou dégradants - cette peine ne sera ni requise, ni prononcée et que dans l'hypothèse où elle serait prononcée, elle ne serait pas exécutée.
Ces stipulations validées par le Conseil d'État sont analogues à celles figurant dans d'autres accords de coopération en matière de défense ou de statut des forces conclus avec des États qui sanctionnent certaines infractions de la peine de mort. Identiques à celles figurant dans les accords de défense conclus avec le Liban en 2008, les Émirats arabes unis en 2009, la Guinée en 2014 et le Mali en 2016 , qui ont tous été ratifiés par la France, elles assurent un statut protecteur aux personnels des forces déployées en Jordanie.
Elles sont d'autant plus importantes et nécessaires que selon les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères 3 ( * ) , une certaine vigilance reste de mise, même si la Jordanie a ratifié les principaux traités relatifs aux droits de l'Homme (mais pas la plupart des protocoles additionnels à ces conventions) et que la situation des droits de l'Homme y est meilleure que dans la plupart des autres États de la région. Les autorités jordaniennes ont en effet opéré un tournant sécuritaire depuis fin 2014 contre l'opposition politique, représentée principalement par la branche locale des Frères musulmans. En outre, le moratoire sur la peine de mort en vigueur depuis 2006 a été rompu à trois reprises, avec l'exécution de onze hommes (suite à l'assassinat du pilote jordanien par Daech) en décembre 2014, puis de deux djihadistes en février 2015 et enfin de quinze personnes (10 condamnés pour terrorisme et 5 criminels de droit commun) en avril 2017. Une commission chargée d'étudier la question de la reprise des exécutions a été créée en 2016. Par ailleurs, la Jordanie continue de s'abstenir sur la résolution de l'Assemblée générale des États-Unis appelant à un moratoire sur l'application de la peine de mort.
À ce jour, aucun personnel militaire français n'a été condamné par des juridictions jordaniennes.
L'article 18 traite du règlement des dommages c ausés par les forces ou un membre du personnel entre les Parties, en posant le principe de la renonciation à l'indemnisation des dommages causés aux personnes ou aux biens de l'autre Partie, sauf en cas de faute lourde ou de faute intentionnelle. S'agissant des dommages causés aux tiers, ce même article pose le principe d'une prise en charge conjointe des indemnités, selon les règles de partage qu'elle fixe.
III. LES FACILITÉS OPÉRATIONNELLES DES FORCES EN VISITE
A. LA POSSESSION, LE PORT ET L'USAGE D'ARMES DE DOTATION
Comme il est d'usage dans ce type d'accord, l'article 5 autorise la possession et le port d'armes de dotation, pour les besoins du service, par les membres d'une force en visite, conformément aux lois et règlements en vigueur de la Partie d'accueil.
L'usage de l'arme de dotation pour les besoins du service est également possible, sous réserve qu'il soit conforme à la législation de la Partie d'accueil.
Le transport et le stockage des munitions et armes de la force en visite relèvent de la responsabilité de l'État d'envoi , mais doit se faire conformément à la règlementation de l'État d'accueil.
B. LES DÉPLACEMENTS AÉRIENS ET MARITIMES
L'article 13 fixe les règles de délivrance des autorisations relatives à la navigation aérienne et maritime a insi que les facilités aéroportuaires et portuaires nécessaires.
De façon assez classique, la validité des permis de conduire des véhicules et engins militaires délivrés par l'État d'envoi est reconnue à l'article 6. Les véhicules ont juste l'obligation de porter une marque distinctive de nationalité.
C. LE RÉGIME DOUANIER D'IMPORTATION ET D'EXPORTATION DE MATÉRIELS
L'article 15 regroupe les dispositions relatives au régime fiscal et douanier applicable en matière d'importation et d'exportation de matériels destinés à l'usage exclusif des forces de la Partie d'envoi.
Les forces de l'État d'envoi sont ainsi autorisées à importer sur le territoire de la Partie d'accueil, sous le régime de l'admission temporaire, en exonération totale de droits et taxes pour une période de 24 mois prorogeable, tous les matériels destinés à leur usage exclusif. Sous certaines conditions, ces matériels peuvent être réexportés en franchise de droits et taxes . Sauf exception, ils ne peuvent être cédés à titre onéreux ou gratuit sur le territoire de la Partie d'accueil.
D. LA SÉCURITÉ DES MATÉRIELS
L'article 16 prévoit les modalités de garde et de stockage des matériels de la partie d'Envoi.
Ainsi les matériels placés dans des locaux mis à disposition par la Partie d'accueil sont gardés conformément aux règles militaires de la Partie d'accueil.
En dehors de ces locaux, la sécurité est classiquement assurée par la Partie d'accueil en coordination avec la Partie d'envoi.
E. L'UTILISATION TEMPORAIRE DES SYSTÈMES DE COMMUNICATIONS
Aux termes de l'article 17, la force en visite peut installer et faire fonctionner des systèmes de communications temporaires, avec l'autorisation de la Partie d'accueil.
La procédure d'attribution, de changement, de retrait ou de restitution de fréquences est fixée par accord mutuel entre les autorités compétentes des Parties.
IV. RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS ET STIPULATIONS FINALES
Selon les termes de l'article 19, les différends entre les Parties sont réglés par voie de consultation ou de négociation, sans recours à une tierce partie.
L'article 20 présente les stipulations finales, les modalités de notification, de modification et de dénonciation. Il est conclu pour une durée de cinq ans , au-delà de laquelle il est renouvelé chaque année pour une durée d'un an, automatiquement, sauf dénonciation.
En outre, l'article 12 contient une clause d'effort mentionnant la nécessité reconnue par les Parties de conclure un accord bilatéral de sécurité régissant l'échange d'informations classifiées.
CONCLUSION
Après un examen attentif des stipulations de cet accord, la commission a adopté ce projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume Hachémite de Jordanie relatif au statut des forces.
Cet accord, sans conséquence économique ou financière particulière, permettra de préserver la coopération bilatérale de défense avec la Jordanie, qui présente un intérêt majeur pour la France dans sa lutte contre le terrorisme et en faveur du maintien de la sécurité dans la région. Il contient des stipulations classiques dans ce type d'accord, y compris lorsque l'autre Partie applique la peine de mort, comme c'est le cas de la Jordanie.
La Jordanie a fait savoir, en décembre 2015, qu'elle avait accompli les procédures de son droit interne permettant l'entrée en vigueur de cet accord.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 19 juillet 2017, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Pascal Allizard sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume hachémite de Jordanie relatif au statut de leurs forces.
Après l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.
Mme Christiane Kammermann . - Je remercie le rapporteur pour sa présentation très complète et très intéressante. Je suis présidente du groupe d'amitié France-Jordanie et regrette d'avoir laissé échapper ce rapport. Je veux donc rajouter quelques petites choses. Comme vous l'avez souligné les relations entre nos deux pays sont excellentes. Les réfugiés sont plus nombreux que le chiffre annoncé. Il y a ainsi des réfugiés syriens, irakiens sans compter des réfugiés palestiniens plus anciens. Compte tenu de cette situation, je trouve que ce pays s'en sort bien et que le Roi, que notre groupe d'amitié connait fort bien, effectue un travail admirable pour la stabilité de la Jordanie. S'agissant de la situation des droits de l'Homme, vous avez raison de dire qu'il reste encore beaucoup à faire. Vous n'avez pas parlé du projet franco-jordanien Mer rouge-Mer morte, ni de celui du bus que le groupe d'amitié soutient. Je tiens à redire mon admiration pour ce pays, dont la stabilité peut, comme c'est aussi le cas du Liban, être bouleversée à tout moment.
M. Pascal Allizard , rapporteur . - Je regrette d'avoir peut-être un peu trop synthétisé la synthèse et remercie ma collègue pour les précisions apportées. Je tiens à signaler que le premier déplacement de la ministre des armées, Mme Florence Parly, a été pour la base H5 en Jordanie. Je vous livre un élément de réflexion qui a donné lieu à un échange avec les personnes auditionnées : la base H5 permet-elle de faire l'économie d'un deuxième porte-avions?
M. Christian Cambon , Président . - Mon cher collègue, je n'ouvre pas le débat sur ce sujet.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
(11 JUILLET
2017)
MINISTÈRE DES ARMÉES
Colonel Olivier PASSOT , chef du bureau Proche et Moyen-Orient de l'EMA
M. Jean-Baptiste DE FRANCQUEVILLE , Chef du Bureau du droit international public général - Direction des Affaires juridiques
Mme Johanna RAEDECKER , Chargée d'études - Direction des affaires juridiques - Bureau du droit international public général
MINISTÈRE DE L'EUROPE ET DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
M. Vincent de CRAYENCOUR , Conseiller aux affaires stratégiques - Direction de la coopération de sécurité et de défense
M. Tamim IZZAOUI , Rédacteur « Jordanie » - S/Direction d'Egypte-Levant
Mme Sandrine BARBIER , Chef de la Mission des accords et traités - Direction des Affaires juridiques
ANNEXE
Source : Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères
* 1 Source : réponses au questionnaire écrit de la commission
* 2 Source : réponses au questionnaire écrit de la commission.
* 3 Source : réponses au questionnaire écrit de la commission