III. LE TEXTE SOUMIS À LA DÉLIBÉRATION DU SÉNAT
A. LE PROJET DE LOI INITIAL
Le présent projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence a été adopté par le conseil des ministres du 22 juin 2017 et déposé le même jour sur le bureau du Sénat. Le Gouvernement a aussitôt engagé la procédure accélérée pour son examen.
Ce texte comporte un article unique s'articulant autour de trois paragraphes :
- le I proroge l'état d'urgence jusqu'au 1 er novembre 2017 ;
- ainsi que le requiert l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, le II prévoit expressément la possibilité pour les autorités administratives d'ordonner des perquisitions administratives au cours de cette nouvelle phase de prorogation ;
- enfin, le III prévoit, comme c'est désormais l'habitude, qu'il peut être mis fin à l'état d'urgence de manière anticipée par décret en conseil des ministres, le Gouvernement devant alors en rendre compte au Parlement.
B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
Il n'est pas douteux que l'état de la menace terroriste dans notre pays caractérise une situation « de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public », au sens de l'article 1 er de la loi du 3 avril 1955, justifiant une nouvelle prorogation.
Toutefois, il n'en reste pas moins que notre pays vit sous état d'urgence depuis désormais plus de 19 mois et que la question qui se pose à ce stade est celle de l'efficacité de ce régime de pouvoirs exceptionnels au regard de la lutte antiterroriste et de celui du cadre de droit commun. Le Conseil d'État soulignait déjà, à l'occasion de l'examen du texte proposant la troisième prorogation (mai 2016) que « l'état d'urgence perd son objet, dès lors que (...) sont mis en oeuvre des instruments qui, sans être de même nature que ceux de l'état d'urgence, sont fondés sur des moyens de police administrative et judiciaire ayant vocation à répondre de façon permanente à la menace qui l'a suscité ».
Malgré le contrôle vigilant exercé par la juridiction administrative et le juge constitutionnel sur la mise en oeuvre de l'état d'urgence, une menace terroriste durable ne saurait être traitée par un régime de pouvoirs exceptionnels devenant permanent.
A l'inverse, le régime de droit commun ne saurait devenir identique à celui de l'état d'urgence destiné, par essence, à répondre à des situations exceptionnelles et temporaires. Par ailleurs, le contrôle parlementaire des autorités administratives y perdrait en force dans la mesure où l'exercice des prérogatives de police administrative hors état d'urgence ne donne pas lieu au même degré d'information des assemblées parlementaires.
Votre rapporteur relève que beaucoup a déjà été fait pour rendre plus efficace le cadre juridique de droit commun de la lutte antiterroriste. Tel était ainsi la philosophie retenue par le Président Philippe Bas et plusieurs de ses collègues dans une proposition de loi déposée dès le 17 décembre 2015 40 ( * ) , discutée et adoptée par le Sénat le 2 février 2016, dont l'essentiel des dispositions ont été intégrées dans la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale ainsi que dans la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.
Il n'appartient pas au présent rapport d'analyser les dispositions proposées par le Gouvernement dans le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Votre rapporteur demeurera néanmoins attentif à ce que les dispositions inspirées de l'état d'urgence qui seront insérées dans le droit commun assurent une conciliation équilibrée entre les exigences résultant de la sauvegarde de l'ordre public et les droits et libertés constitutionnellement garantis.
Sous cette réserve, il a proposé à votre commission, qui l'a accepté, la prorogation de l'état d'urgence jusqu'au 1 er novembre 2017.
Sur sa proposition, votre commission a adopté deux amendements de précision ainsi qu'un amendement du Gouvernement tendant à tirer les conséquences de la décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017 ( M. Émile L. ) du Conseil constitutionnel dans laquelle ce dernier a déclaré contraires à la Constitution les dispositions du 3° de l'article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relatives à l'interdiction de séjour. Cet ajout au texte du projet de loi initial a par ailleurs conduit votre commission à adopter un dernier amendement afin d'actualiser, à l'article 15 de la loi du 3 avril 1955, le compteur « outre-mer » pour rendre applicables les modifications relatives aux interdictions de séjour dans les collectivités régies par le principe de spécialité législative (îles Wallis et Futuna, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie et Terres australes et antarctiques françaises).
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Votre commission a adopté le projet de loi ainsi modifié.
* 40 Proposition de loi n° 280 (2015-2016) de MM. Philippe Bas, Bruno Retailleau, François Zocchetto, Michel Mercier et plusieurs de leurs collègues, tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste.