B. UN DROIT DONT CERTAINES CATÉGORIES DE POPULATION SONT PRIVÉES EN FRANCE

En France, le droit d'accès à l'eau a connu une première reconnaissance par la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (dite « LEMA »), qui prévoit que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

Ce droit est une réalité pour la grande majorité de la population française . En effet, près de 99 % des personnes sont aujourd'hui raccordées à un réseau de distribution d'eau. D'après un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) de juillet 2011 6 ( * ) , le nombre de logements indécents n'ayant pas d'accès à l'eau et à l'assainissement était d'environ 350 000 en 2010.

Si le raccordement aux réseaux sanitaires et de distribution d'eau est donc généralisé, il reste des catégories de population qui n'ont pas accès à l'eau potable et à l'assainissement dans des conditions satisfaisantes :

- les personnes qui n'ont pas d'accès physique à l'eau, au premier rang desquelles les personnes sans-abris ;

- les personnes en difficulté qui ont du mal à régler leurs factures d'eau et font face à des impayés.

1. Les personnes privées d'un accès physique à l'eau

Actuellement, la seule disposition législative qui existe pour garantir l'accès à l'eau des personnes sans domicile fixe ou vivant dans des habitats précaires concerne les gens du voyage. En effet, la loi du 5 juillet 2000 oblige les communes à aménager des aires d'accueil comportant des points d'eau potable et un accès à des équipements sanitaires.

Mais il n'existe pas de mesure générale concernant l'accès à l'eau potable des personnes sans-abris , dont le nombre est estimé entre 100 000 et 150 000 en France.

Pour leurs besoins élémentaires d'alimentation et d'hygiène, ces personnes sans-abris ont recours aux points d'eau et aux équipements sanitaires mis à disposition par les collectivités ou par des associations.

Toutefois, comme le note le Conseil d'État dans un rapport public de 2010 sur l'eau et son droit, « la suppression des fontaines publiques, qui permettaient d'accéder de manière permanente à une eau gratuite, et la fermeture de bon nombre de bains douches municipaux depuis la généralisation des salles de bains dans les logements ont rendu cet accès plus difficile » 7 ( * ) .

Le Conseil d'État recommande ainsi d'obliger les communes à recourir à des points d'eau collectifs et des bains publics pour permettre aux sans-abris de satisfaire leurs besoins, pouvant par exemple être gérés par une association d'insertion ou de lutte contre l'exclusion.

2. Les personnes en difficulté faisant face à des impayés d'eau
a) Un poids des dépenses d'eau dans les budgets des ménages qui varie fortement

Les dépenses d'eau représentent en moyenne un poids relativement faible dans le budget des ménages, d'environ 0,8 % d'après l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) 8 ( * ) .

Cependant, cette part est variable en fonction des ressources disponibles des personnes et de leur lieu de résidence , le coût annuel de l'eau et de l'assainissement variant fortement selon les communes comme l'illustre la carte ci-dessous. Ainsi, le prix pratiqué par chacun des 35 000 services d'eau potable et d'assainissement varie actuellement de moins de 1 euro par mètre cube (m 3 ) à plus de 6 euros par mètre cube 9 ( * ) .

Prix total moyen de l'eau (eau potable et assainissement collectif) en 2013

Source : Observatoire des services publics de l'eau et de l'assainissement

Selon le service d'eau dont ils dépendent, certains ménages ayant de faibles ressources consacrent une part de leur budget aux dépenses d'eau largement supérieure à la moyenne.

La norme généralement retenue par les institutions internationales pour caractériser un coût de l'eau prohibitif est celle d'un poids de la dépense en eau dépassant 3 à 5 % des ressources du ménage.

Le CGEDD, dans son rapport précité, évalue à environ 2 millions le nombre de personnes pour lesquelles la facture d'eau et d'assainissement représente plus que le seuil d'acceptabilité de 3 % du revenu . En pratique, ce seuil est généralement atteint par les personnes qui disposent de moins de 600 euros par mois de revenu disponible par unité de consommation 10 ( * ) .

Les ménages disposant de peu de ressources se retrouvent parfois dans l'impossibilité de payer leurs factures d'eau. Comme le note le Conseil d'État dans un rapport public de 2010 sur l'eau et son droit, « les statistiques sur les impayés d'eau et sur les coupures d'eau sont partielles et difficiles à consolider » 11 ( * ) . Ce rapport note que les entreprises privées assurant la gestion des services de l'eau et de l'assainissement adhérentes à la fédération professionnelle FP2E ont indiqué avoir traité 33 500 dossiers au titre des impayés d'eau en 2008 - aucun chiffre n'est disponible de la part des opérateurs publics.

b) Les aides « préventives » et « curatives » à la prise en charge des dépenses d'eau

Afin d'aider les personnes en difficulté à s'acquitter de leurs dépenses d'eau, deux approches sont possibles.

Une approche « préventive », d'une part, qui consiste à soutenir financièrement les ménages soit par l'application d'une tarification sociale de l'eau tenant compte de la composition et des ressources du ménage, soit par le versement d'une aide au paiement des factures d'eau (type « chèque eau »).

Une approche « curative », d'autre part, qui consiste à aider les ménages à faire face à leurs impayés d'eau.

(1) La prépondérance de l'approche « curative » du droit à l'eau en France

En France, le dispositif de soutien aux personnes en difficulté repose principalement sur une démarche curative. Les personnes qui ont des difficultés pour payer leurs factures peuvent ainsi bénéficier d'aides de la part des centres communaux d'action sociale 12 ( * ) , ou des fonds de solidarité pour le logement gérés par les départements .

Les fonds de solidarité pour le logement (FSL)

La loi n° 90-449 du 31 mai 1990 13 ( * )

a prévu la création, dans chaque département, d'un fonds de solidarité pour le logement (FSL) pour aider, via des aides financières, les ménages qui rencontrent des difficultés à s'installer et à se maintenir dans un logement. Dans sa rédaction actuelle, l'article 6 de cette loi prévoit que ce fonds « accorde des aides au titre des dettes de loyer et de factures d'énergie, d'eau, de téléphone et d'accès à internet, y compris dans le cadre de l'accès à un nouveau logement ».

La gestion des FSL relève de la responsabilité des départements, qui décident du niveau des ressources qu'ils y affectent et fixent les règles d'attribution et le montant des aides sur la base d'un règlement intérieur. Les conditions d'octroi des aides du fonds ne peuvent reposer que sur le niveau de patrimoine ou de ressources des personnes et sur l'importance et la nature des difficultés qu'elles rencontrent.

Ces fonds sont financés par les départements, avec la participation éventuelle des autres collectivités territoriales. Par ailleurs, les fournisseurs d'énergie, d'eau, de services téléphoniques ou d'accès à internet contribuent au financement du fonds selon des modalités définies par convention passée avec les départements.

La loi n° 2011-156 du 7 février 2011 relative à la solidarité dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement a ainsi prévu que les services publics d'eau et d'assainissement peuvent attribuer une subvention au fonds de solidarité pour le logement afin de contribuer au financement des aides relatives au paiement des fournitures d'eau, dont le montant ne peut excéder 0,5 % des montants hors taxes des redevances d'eau ou d'assainissement perçues.

D'après l'étude du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) précitée, les aides des FSL représentaient un peu plus de 300 millions d'euros par an et permettent d'aider 600 000 ménages (soit environ 10 % des bénéficiaires des aides au logement) en 2010. Parmi ce montant, 10 millions d'euros ont été consacrés à la prise en charge des impayés d'eau.

Il convient également de noter que, depuis l'adoption de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 (dite loi « Brottes ») 14 ( * ) , l'article L. 115-3 du code de l'action sociale et des familles prévoit l'interdiction des coupures d'eau par les distributeurs d'eau en cas de non-paiement des factures d'eau . Ceci vaut pour tous les consommateurs et non plus seulement, comme auparavant, pour les ménages éligibles aux aides des FSL. Par ailleurs, contrairement à l'électricité et au gaz, pour lesquels l'interdiction de coupure ne vaut que pendant la « trêve hivernale » (du 1 er novembre de chaque année au 31 mars de l'année suivante), cette interdiction s'applique tout au long de l'année.

La démarche curative d'aide à l'accès à l'eau est insuffisante et insatisfaisante puisqu'elle n'intervient qu'en aval pour aider, ponctuellement et au cas par cas les ménages en difficulté.

Les départements disposant d'une grande liberté dans l'organisation des FSL et des modalités de versement des aides, certains fonds n'ont pas de dispositifs d'aides consacrés à l'eau. D'après la Fondation France Libertés auditionnée par votre rapporteur, environ un quart des FSL ne comporteraient pas de volet « eau » pour aider au règlement des impayés. Lorsque de telles aides existent, leurs critères d'attribution varient fortement d'un territoire à l'autre.

Par ailleurs de nombreux ménages n'ont pas recours aux aides auxquelles ils ont droit, par crainte de stigmatisation ou par méconnaissance de dispositifs existants.

Ces différentes limites plaident pour la création d'un dispositif préventif d'aide à l'accès à l'eau , permettant aux ménages en difficulté de s'acquitter de leurs factures d'eau en amont.

(2) La nécessité de mettre en place des aides préventives

Il existe localement des dispositifs préventifs d'aide à l'accès à l'eau. Certaines collectivités, comme la commune de Dunkerque, ont mis en place des aides à l'eau versées en fonction de critères sociaux.

Par ailleurs, il convient de souligner que la loi « LEMA » du 30 décembre 2006 a prévu que les collectivités compétentes en matière de service de distribution d'eau potable puissent mettre en oeuvre une tarification progressive, qui augmente en fonction du volume consommé par l'abonné . Si la possibilité d'une telle tarification a été introduite avec pour objectif premier de permettre une gestion économe de la ressource en eau, cette dernière peut présenter un intérêt social. Comme le note le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), « la mise en place d'une première tranche à prix très bas est susceptible de permettre à une personne seule ou à une famille à faible revenu de bénéficier d'un coût moindre de service ». Toutefois, l'effet social d'une telle tarification n'est pas assuré puisqu'elle est de nature à pénaliser les familles nombreuses.

Enfin, l'article 28 de la loi « Brottes » introduit la possibilité pour les collectivités compétentes de mettre en place, sur une période de cinq ans, des expérimentations « en vue de favoriser l'accès à l'eau et de mettre en oeuvre une tarification sociale de l'eau ». Cette expérimentation peut porter sur la mise en place d'une tarification sociale de l'eau tenant compte de la composition ou des revenus du foyer, d'une aide curative au paiement des factures d'eau ou d'une aide préventive à l'accès à l'eau. Actuellement 50 collectivités ont été autorisées à expérimenter la mise en oeuvre d'une tarification sociale de l'eau 15 ( * ) .

Cependant, la mise en place d'une tarification sociale est confrontée à plusieurs contraintes . En raison de la grande diversité tarifaire, il n'est pas envisageable de mettre en place une réduction tarifaire nationale comme cela est le cas pour l'électricité et le gaz, mais il conviendrait de moduler cette réduction en fonction des régions. Par ailleurs, en habitat collectif, l'absence de compteurs individuels d'eau rend inapplicable un mode de facturation individualisé de l'eau.

En conséquence, il parait préférable de privilégier le versement d'une allocation de solidarité dédiée à l'eau du type « chèque eau », sur le modèle du chèque énergie actuellement en cours d'expérimentation et dont la généralisation est prévue au 1 er janvier 2018.

Le chèque énergie

Créé par l'article 201 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, le chèque énergie a vocation à remplacer les tarifs sociaux actuels de l'électricité et du gaz 16 ( * ) . L'objectif est de mettre en place un dispositif bénéficiant à l'ensemble des ménages en situation de précarité, quelle que soit leur énergie de chauffage, et plus simple à gérer que le dispositif des tarifs sociaux.

Le chèque énergie est attribué sur la base d'un critère fiscal unique, en tenant compte du niveau de revenu et de la composition des ménages. Il permet aux ménages bénéficiaires de régler leurs factures d'énergie - il peut également être utilisé pour financer des travaux d'économies d'énergie. Il est émis et attribué à ses bénéficiaires par l'Agence de services et de paiement.

Le chèque énergie est actuellement expérimenté dans 4 départements : l'Ardèche, l'Aveyron, les Côtes d'Armor et le Pas-de-Calais.

Le montant moyen de l'aide est proche de 150 euros, modulé selon un barème qui dépend de la composition familiale (nombre d'unités de consommation) et du niveau de revenu fiscal de référence (RFR).

L'article L.124-1 du code de l'énergie prévoit la généralisation du dispositif au plus tard au 1 er janvier 2018, après la présentation d'un rapport d'évaluation transmis au Parlement.


* 6 Conseil général de l'environnement et du développement durable, « Accès à l'eau et à l'assainissement dans des conditions économiquement acceptables par tous », Rapport de la mission sur la mise en oeuvre de l'article 1 er de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, juillet 2011.

* 7 Conseil d'État, « L'eau et son droit », rapport public de 2010.

* 8 Contre 3,8 % pour l'électricité et 2,4 % pour les télécommunications.

* 9 Commissariat général de l'environnement et du développement durable et Inspection générale de l'administration, « Eau potable et assainissement : à quel prix ? », février 2016.

* 10 Henri Smets, « Le financement des aides pour les dépenses d'eau potable des ménages », janvier 2014.

* 11 Conseil d'État, « L'eau et son droit », rapport public de 2010.

* 12 En application de l'article L. 123-5 du code de l'action sociale et des familles.

* 13 Article 6 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement.

* 14 Article 19 Loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes.

* 15 Décret n° 2015-962 du 31 juillet 2015 modifiant et complétant la liste des collectivités territoriales et de leurs groupements retenus pour participer à l'expérimentation en vue de favoriser l'accès à l'eau et de mettre en oeuvre une tarification sociale de l'eau fixée par le décret n° 2015-416 du 14 avril 2015.

* 16 La tarification spéciale « produit de première nécessité » pour l'électricité et le « tarif spécial de solidarité gaz ».

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