II. LA PRIMAUTÉ ACCORDÉE AUX ACCORDS D'ENTREPRISE TRADUIT L'AFFAIBLISSEMENT DES BRANCHES
A. LE PROCESSUS DE RECODIFICATION DU CODE DU TRAVAIL CONSACRE LA MISE SUR LA TOUCHE DU LÉGISLATEUR
Dans le courant des années 2000, à l'initiative
de Gérard Larcher, alors ministre délégué aux
relations du travail, une
recodification
du code du travail a
été engagée. Sa précédente refonte remontant
à 1973,
la loi du 9 décembre 2004
24
(
*
)
, puis la loi du
30 décembre 2006
25
(
*
)
, ont autorisé le Gouvernement à adapter
les dispositions législatives du code du travail
à droit constant
, à compléter son
contenu de dispositions non codifiées
et à améliorer
son plan. Au terme de plusieurs années de travaux, pilotés par la
direction générale du travail (DGT), et après consultation
des partenaires sociaux, le nouveau code a été publié par
une
ordonnance du 12 mars 2007
26
(
*
)
.
Moins de dix ans plus tard, le Gouvernement propose de remettre l'ouvrage sur le métier , cette fois-ci pour dénaturer la philosophie du code du travail et non plus uniquement pour rationaliser sa structure ou tenir compte de l'accumulation de mesures nouvelles adoptées depuis sa dernière réécriture. Après avoir confié à Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d'Etat, la rédaction d'un rapport sur la modernisation du dialogue social et le renforcement du rôle de la négociation collective 27 ( * ) , il a fait siennes plusieurs de ses recommandations, par exemple l'élargissement du champ de cette dernière, notamment au niveau de l'entreprise. Les articles 8 et 9 de la loi appliquent ce nouveau prisme aux dispositions du code du travail relatives à la durée du travail et aux congés , distinguant dispositions d'ordre public , champ de la négociation collective et cadre supplétif applicable à défaut d'accord (cf. infra ). Afin d'étendre cette nouvelle matrice à l'ensemble du code et de mener la réflexion nécessaire à son élaboration, l'article 1 er de la loi institue une commission « d'experts et de praticiens des relations sociales » pour mener à bien ce travail.
Le champ de cet article 1 er a grandement fluctué au fil de l'examen du projet de loi. Si l'objectif d'une nouvelle refondation du code du travail a toujours été affiché , ses modalités ont beaucoup évolué. Le but premier, attribuer « une place centrale à la négociation collective » en élargissant ses domaines de compétence et son champ d'action, n'a jamais été modifié. Initialement, cette commission avait également pour mission de traduire les principes fondamentaux du droit du travail identifiés par la commission présidée par Robert Badinter (cf. supra ), et qui dans l'avant-projet de loi figuraient dans un nouveau préambule au code du travail. Le projet de loi déposé à l'Assemblée nationale les en avait retirés, et ils ont finalement été supprimés du texte par les députés : ils ne sont donc plus un thème de travail pour la commission d'experts.
Contrairement à la recodification de 2007, celle qu'il est proposé de réaliser aujourd'hui ne se fera pas à droit constant : elle remet en effet en cause toute l'architecture actuelle du code du travail et le primat des règles fixées par le législateur. Il est précisé que le domaine de la loi fixé par la Constitution devra être respecté : il ne pourrait de toute façon pas en être autrement. Néanmoins, le législateur devrait déléguer aux partenaires sociaux dans l'entreprise , lieu où la relation entre l'employeur et les représentants des salariés est par nature déséquilibrée , le soin de définir les conditions d'application d'une part bien plus importante des règles qu'il établit. En faisant primer, dans un nombre accru de cas de figure, l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, la nouvelle architecture devrait avoir pour conséquence d'amoindrir les protections dont bénéficient les salariés . Au final, seules les dispositions supplétives , qui seront appliquées en l'absence d'accord collectif, devront être alignées sur le droit positif actuel .
De plus, la
composition
de cette commission
instille un
doute sérieux sur sa
légitimité
et traduit un
dessaisissement total
du législateur et des partenaires sociaux
. La seule indication
que fixe la loi « Travail »
à ce sujet est
qu'elle comprendra des «
experts
» et des
«
praticiens
» des relations sociales.
N'ayant
pas encore
été
installée
à ce jour
, ni leur nombre, ni leurs parcours professionnels ne
sont connus. Les
organisations syndicales de salariés et les
organisations professionnelles d'employeurs représentatives
au
niveau national et interprofessionnel ainsi que les organisations
professionnelles d'employeurs représentatives au niveau
multi-professionnel
sont reléguées à
l'extérieur de la commission
, qui pourra toutefois les
auditionner. Elles sont invitées à conduire leurs propres travaux
au sein du Haut Conseil du dialogue social (HCDS), sous la forme d'une
«
réflexion collective sur la refondation du code du
travail
». Quant à l'éventuelle implication des
parlementaires, elle n'est même pas mentionnée par la loi.
Cette commission disposera, à compter de sa mise en place qui devrait intervenir au début de l'année 2017, de 18 mois pour mener ses travaux 28 ( * ) . Votre rapporteur souhaite que le gouvernement qui sera alors en fonction mette un terme à cette démarche de casse du code du travail et n'en traduise pas les conclusions dans une nouvelle loi.
* 24 Loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, art. 84.
* 25 Loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social, art. 57.
* 26 Ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative).
* 27 Jean-Denis Combrexelle, op. cit.
* 28 Ils doivent être remis dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi « Travail », soit au plus tard le 8 août 2018.