C. UNE ADOPTION SANS DÉBAT À L'ASSEMBLÉE NATIONALE
EN RAISON DU RECOURS BRUTAL À L'ARTICLE 49, ALINÉA 3
DE LA CONSTITUTION

Dans un entretien donné au journal Les Echos le 17 février 2016, la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social Myriam El Khomri laissait déjà entendre que, faute de majorité à l'Assemblée nationale pour adopter le projet de loi, le Gouvernement « prendrait ses responsabilités », et pourrait donc, pour le deuxième texte de régression sociale examiné en deux ans 15 ( * )
par le Parlement, avoir recours à la procédure prévue à l'article 49, alinéa 3 de la Constitution . Celle-ci prévoit qu'un projet ou une proposition de loi est considéré comme adopté par l'Assemblée nationale si, le Gouvernement ayant engagé sa responsabilité après une délibération du Conseil des ministres, aucune motion de censure n'est adoptée . Il ne peut y être recouru que pour un texte par session, hors projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale.

Alors que le Gouvernement avait attendu, en première lecture, la fin de la discussion du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques avant d'utiliser cet article, soit au terme de trois semaines de débat et après l'examen de plus de 3 000 amendements, il a fait le choix, sur la loi « Travail », de fermer la porte à toute possibilité de faire valoir des arguments contraires à son point de vue en engageant sa responsabilité avant même le début de l'examen de l'article 2 (devenu l'article 8), qui traduit dans le code du travail l'inversion de la hiérarchie des normes. C'est donc à peine une cinquantaine d'amendements sur 4 857 qui ont été soumis au vote des députés.

Pourtant soutenu par un groupe politique comptant 288 membres , à une voix de la majorité absolue, ainsi que par des alliés représentant une vingtaine de voix, le Gouvernement n'a pas été capable de s'assurer de l'adoption, dans le cadre d'un scrutin solennel, de son projet de loi . Les atteintes à notre modèle social qu'il contenait avaient ainsi soudé contre lui 56 députés de gauche et écologistes, parmi lesquels plusieurs anciens ministres de François Hollande (Cécile Duflot, Aurélie Filippetti, Benoît Hamon) et 28 députés socialistes ou apparentés . Ces frondeurs , associés au Front de gauche et aux écologistes, ne sont toutefois pas parvenus à déposer une motion de censure, la signature de 58 députés, soit 10 % des membres de l'Assemblée nationale, étant requise.

Ce même scénario s'est reproduit lors de la nouvelle lecture du texte, après l'échec de la commission mixte paritaire (CMP), inévitable au vu des reculs supplémentaires opérés par la majorité sénatoriale, puis de sa lecture définitive . Les 10 mai, 5 juillet et 20 juillet 2016, le Gouvernement a décidé de passer en force et de faire usage des outils du parlementarisme rationalisé que la gauche unie a tant de fois critiqués. Nos concitoyens n'ont pas été dupes et ont parfaitement saisi les conséquences sociales et économiques qu'entraînerait ce texte : c'est pourquoi ils ont été très nombreux à se mobiliser pour obtenir son rejet.


* 15 Après la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

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