B. LES ACCORDS DE PRÉSERVATION OU DE DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI : LE NOUVEAU VISAGE DES ACCORDS DE COMPÉTITIVITÉ
Les accords de préservation ou de développement de l'emploi , prévus à l'article 22 de la loi « Travail », constituent un instrument de dérégulation des relations du travail extrêmement inquiétant, qui vient parachever la volonté de la précédente majorité présidentielle et les efforts de l'actuel gouvernement.
En effet, le Gouvernement avait invité sans succès les partenaires sociaux à ouvrir au début de l'année 2012 une négociation en vue de bâtir un cadre juridique sécurisé pour créer des accords de compétitivité en s'inspirant de ceux applicables en Allemagne.
Le gouvernement actuel a poursuivi le même objectif à travers la création des accords de maintien de l'emploi , prévus par les partenaires sociaux à l'article 7 de l'ANI du 11 janvier 2013.
Instaurés par l'article 17 de la loi du 14 juin 2013 précitée 53 ( * ) , ces accords permettent à l'employeur de négocier avec les syndicats représentatifs majoritaires une modification de la durée du travail , de l'organisation du travail ou une baisse de la rémunération des salariés afin de faire face à de graves difficultés conjoncturelles 54 ( * ) .
Quelques protections essentielles sont prévues pour les intérêts des salariés :
- l'accord ne peut aboutir à faire passer la rémunération des salariés en dessous du seuil de 1,2 Smic ;
- sa durée est limitée à deux ans ;
- il doit prévoir les conséquences d'un retour anticipé à une meilleure fortune de l'entreprise ;
- les dirigeants, les mandataires sociaux et les actionnaires doivent consentir des efforts proportionnés à ceux demandés au personnel ;
- en cas de non-respect par l'employeur de ses engagements, les salariés peuvent mettre en oeuvre une clause pénale qui autorise le versement de dommages et intérêts aux salariés lésés et saisir en référé le président du tribunal de grande instance pour suspendre l'accord.
L'article 287 de la loi du 6 août 2015 précitée 55 ( * ) a supprimé plusieurs de ces protections en portant notamment la durée maximale de l'accord à cinq ans et en dispensant l'employeur, en cas de licenciement d'un salarié qui refuse l'application de l'accord collectif, de mettre en oeuvre les obligations d'adaptation et de reclassement.
En dépit de nombreux assouplissements favorables au patronat, seulement une douzaine d'accords de maintien de l'emploi auraient été signés depuis leur création selon les informations fournies par le Gouvernement à votre rapporteur.
Au lieu de laisser péricliter ce dispositif très néfaste pour les salariés, le Gouvernement a souhaité aller plus loin en créant à l'article L. 2254-2 du code du travail les accords de préservation ou de développement de l'emploi , qui viennent s'ajouter aux accords de maintien de l'emploi dans la panoplie mise à la disposition des employeurs pour revenir sur les protections des travailleurs.
L'employeur n'aura désormais plus à attendre de graves difficultés économiques conjoncturelles pour ouvrir des négociations en vue de conclure un accord « défensif » : un simple ralentissement de son activité pourra suffire.
Il lui sera alors loisible d' imposer aux salariés de travailler davantage sans augmenter pour autant leur rémunération mensuelle , en supprimant par exemple le treizième mois ou des primes.
Compte tenu de la volonté du législateur de donner une définition extensive de l'accord conclu en vue de préserver ou de développer l'emploi, l'employeur pourra prétendre que tout accord collectif comprenant un volet relatif à l'emploi devra y être assimilé .
La loi a certes prévu qu'un tel accord ne pourra être signé que par des syndicats majoritaires , mais en cas de chantage à l'emploi les syndicats pourront malheureusement être contraints de le signer au détriment des intérêts des salariés.
Dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, l'employeur pourra même négocier et conclure cet accord avec des élus mandatés par des syndicats représentatifs, à défaut par des élus non mandatés par une organisation syndicale représentative, voire par des salariés non élus mais mandatés , alors même que ces derniers n'ont aucune expérience, par définition, du dialogue social.
Les stipulations de l'accord remplaceront de plein droit celles du contrat du travail , sauf si le salarié exprime son refus dans les conditions prévues par la loi.
En effet, contrairement aux accords de maintien de l'emploi , qui entraînent une suspension des clauses du contrat du travail des salariés pendant leur durée d'application, les stipulations des accords de préservation ou de développement de l'emploi « se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération et de durée du travail ».
L'accord pourra exonérer les dirigeants et les actionnaires de fournir des efforts proportionnés à ceux qui seront exigés des salariés. Une fois de plus, les salariés devront consentir des sacrifices pour satisfaire les attentes des actionnaires et leur volonté d'augmenter leurs dividendes.
Les salariés qui refuseront l'application d'un tel accord pourront être licenciés , sans que leur licenciement puisse être qualifié d'économique. Contrairement aux salariés qui refusent l'application d'un accord de maintien de l'emploi, la loi a effet explicitement prévu un motif sui generis pour ce licenciement, afin de permettre à l'employeur d' échapper aux obligations relatives au plan de sauvegarde de l'emploi 56 ( * ) , au suivi et au reclassement des salariés.
Votre rapporteur considère à cet égard que l'absence d'obligation pour l'employeur de négocier les conditions de reclassement des salariés pourrait être jugée contraire aux stipulations de l'article 13 a) de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail 57 ( * ) .
En effet, selon cet article, l'employeur qui envisage des licenciements « pour des motifs de nature économique, technologique, structurelle ou similaire » devra, entre autres, « donner, conformément à la législation et à la pratique nationales, aussi longtemps à l'avance possible, l'occasion aux représentants des travailleurs intéressés d'être consultés sur les mesures à prendre pour prévenir ou limiter les licenciements et les mesures visant à atténuer les effets défavorables de tout licenciement pour les travailleurs intéressés, notamment les possibilités de reclassement dans un autre emploi ». Au regard de la convention n° 158, le licenciement d'un salarié qui refuse l'application d'un accord de préservation ou de développement de l'emploi , bien que répondant à un motif sui generis , doit être assimilé à un licenciement de nature économique ou similaire, car il n'est pas inhérent à la personne du salarié . Dès lors, les stipulations de l'article 13 a) ne peuvent pas être écartées. Or, la loi « Travail » a créé un « parcours d'accompagnement personnalisé » 58 ( * ) que l'employeur se contente de cofinancer, sans déterminer le contenu des actions d'accompagnement, alors que les salariés licenciés pourraient vouloir obtenir un reclassement dans un autre service de l'entreprise non concerné par l'accord ou, le cas échéant, un poste dans une autre entreprise du groupe.
Enfin, l'employeur pourra dorénavant conclure un accord « offensif » et imposer aux salariés de travailler davantage sans augmenter leur salaire sous prétexte de développer l'emploi dans l'entreprise et de gagner de nouveaux marchés.
En définitive, les accords de préservation ou de développement de l'emploi seront un puissant instrument de domination du patronat sur les salariés, comme le montre l'accord de compétitivité signé en 2013 chez Renault et les négociations en cours pour le renouveler sur la période 2017-2019.
Renault et les accords de compétitivité Le 13 mars 2013, la direction de Renault signait un accord de compétitivité avec trois organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC et FO) pour la période 2013-2016. Ce faisant, Renault devenait le premier groupe à signer un tel accord en France 59 ( * ) . Ce « contrat pour une nouvelle dynamique de croissance et de développement social de Renault en France » prévoyait à son article 1 er le maintien en France de ses sites industriels et des activités d'ingénierie et tertiaire et fixait comme objectif de produire 710 000 voitures en 2016. En contrepartie de ces engagements, la direction a obtenu la modération salariale et l'augmentation du temps de travail sur certains sites, afin que la durée légale de travail de 1 603 heures par an (soit 35 heures par semaine) devienne la norme dans tous les sites entrant dans le champ d'application de l'accord (article 3). Après avoir rappelé à quelles conditions l' annualisation du temps de travail des salariés peut être mise en place dans un établissement ou une filiale, l'accord pose quelques minces garanties pour les salariés, comme l'obligation pour l'employeur de les informer d'un changement d'horaire au moins quinze jours avant sa mise en oeuvre (sauf en cas de surcroît exceptionnel d'activité ou d'événement imprévu), ou encore le recours exclusif au volontariat pour travailler 12 heures par jour. L'article 3 de l'accord met surtout en place un dispositif de capital temps collectif (CTC), plafonné à 10 jours par an, afin de permettre à l'entreprise de faire face aux baisses d'activité et limiter les pertes financières liées à l'activité partielle. Il encadre strictement l'utilisation du dispositif de capital temps individuel (CTI), dont le compteur ne doit pas dépasser 10 jours au 31 décembre. Il institue en outre un compteur provisoire pour recueillir notamment les jours qui dépassent les seuils prévus pour le CTC et le CTI et financer des actions de formation ou des rachats de trimestres pour la retraite. L'article 5 fixe les règles spécifiques d'utilisation de ces différents comptes pour les employés, techniciens et agents de maîtrise (ETAM) et les agents de production. Les heures supplémentaires effectuées par ces salariés au-delà de la durée hebdomadaire, programmée ou non, ou au-delà de 1 603 heures annuelles, sont majorées de 25 %. Dans le cadre hebdomadaire, elles sont majorées de 50 % dès la huitième heure supplémentaire. La direction de Renault tire un bilan très positif de l'accord qui « a commencé comme un accord conjoncturel, mais qui a si bien réussi » qu'elle s'est demandé « s'il ne fallait pas poursuivre dans la même voie » 60 ( * ) . C'est pourquoi celle-ci a engagé des négociations le 9 septembre dernier avec les syndicats en vue de conclure un nouvel accord de compétitivité pour la période 2017-2019. Lors de la neuvième séance, qui s'est tenue le 13 décembre dernier, une synthèse des négociations a été présentée. Un projet d'accord a depuis été soumis aux syndicats pour signature. La direction maintient comme objectif de ne fermer aucun site industriel en France pendant la durée de l'accord fixe comme objectif la production de 90 véhicules par an et par employé dans chaque usine, hors périodes de démarrage. Elle s'engage également à recruter 3 600 salariés en CDI, à augmenter les effectifs d'ingénieurs à l'issue de l'accord et à réduire d'au moins 50 % le nombre de contrats d'intérim. Elle prévoit en outre diverses mesures pour renforcer la formation professionnelle et accompagner les salariés en fin de carrière.
En contrepartie, la direction propose de limiter les
séances supplémentaires
Votre rapporteur tient cependant à préciser que
ces recrutements ne compenseraient ni les 4 500 départs naturels
à la retraite que l'entreprise connaîtra durant cette
période, ni les 7 500 suppressions d'emplois qui ont suivi l'accord
de 2013.
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* 53 Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi.
* 54 Art. L. 5125-1 à L. 5125-7 du code du travail.
* 55 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
* 56 Un tel plan est obligatoire notamment lorsque plus de dix salariés sont licenciés sur une période de moins de trente jours dans une entreprise employant plus de cinquante personnes.
* 57 Cette analyse est corroborée par certains spécialistes du droit du travail. Cf. Dirk Baugard et Laurène Gratton, « Les accords de préservation ou de développement de l'emploi : premier regard conventionnel et constitutionnel », Droit social, 2016, p. 745.
* 58 Ce dispositif spécifique a été introduit à l'initiative du Gouvernement lors de l'examen du projet de loi « Travail » à l'Assemblée nationale. Géré par Pôle emploi, il s'inspire très largement du contrat de sécurisation professionnelle qui concerne uniquement les entreprises employant moins de mille salariés et qui ont procédé à des licenciements économiques. Les mesures d'application du parcours d'accompagnement personnalisé, qui auraient dû être publiées en octobre dernier, n'ont toujours pas été prises.
* 59 Audition de M. Carlos Ghosn, président-directeur général de Renault, par la commission des affaires économiques et la commission des finances de l'Assemblée nationale, mercredi 17 février 2016, compte-rendu n° 52, p. 8.
* 60 Idem, p. 23.