B. LE CONTOURNEMENT DE L'AUTORISATION PARLEMENTAIRE PAR UN RECOURS CROISSANT AUX DÉCRETS D'AVANCE ET À LA MISE EN RÉSERVE
1. Un recours croissant aux décrets d'avance
Le Gouvernement recourt de plus en plus à l'ouverture de crédits par voie réglementaire , alors même que cette procédure totalement dérogatoire au principe de l'autorisation parlementaire des dépenses devrait être exceptionnelle : ainsi, notre ancien collègue député Didier Migaud indiquait lors des travaux préparatoires relatifs à la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 que « le décret d'avance constitue l'atteinte la plus importante au pouvoir financier du Parlement ». En 2016, ces atteintes auront concerné 4,73 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 3,42 milliards d'euros en crédits de paiement , soit une hausse des montants ouverts par décret d'avance de respectivement 69 % et 56 % en un an, alors même que 2015 représentait déjà un point haut avec 2,79 milliards d'euros ouverts en AE et 2,2 milliards d'euros en CP, soit des montants inégalés depuis 2010.
Évolution des ouvertures de crédits par décret d'avance de 2006 à 2016
(en milliards d'euros et en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les décrets d'avance publiés depuis 2016 et le présent projet de décret d'avance
Les ouvertures par décret d'avance en 2016 sont, de loin, les plus fortes depuis dix ans .
L'usage répété de la procédure du décret d'avance ainsi que la mise en réserve toujours plus importante de crédits conduisent à réduire la portée et le sens de l'autorisation parlementaire : les crédits réellement disponibles pour les gestionnaires publics sont loin d'être égaux aux montants votés, et souvent âprement débattus, lors de l'examen des textes budgétaires.
2. La hausse de la mise en réserve
La mise en réserve a fortement augmenté durant le quinquennat , passant de 4,41 % en 2012 (après surgel) des crédits de paiement du budget général (hors crédits de titre 2) à 8 % en 2016, soit une hausse de 81,4 % en quatre ans.
La mise en réserve de crédits La loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) prévoit en son article 51 qu'est jointe au projet de loi de finances de l'année « une présentation des mesures envisagées pour assurer en exécution le respect du plafond global des dépenses du budget général voté par le Parlement », parmi lesquelles figure la mise en réserve de crédits. Celle-ci a pour objet de « geler » des crédits de telle sorte qu'ils ne soient plus consommables, afin que les imprévus de gestion puissent être gérés sans ouverture de nouveaux crédits, selon le principe d'auto-assurance rappelé par la circulaire du premier ministre du 14 janvier 2013 relative aux règles pour une gestion responsable des dépenses publiques. En cours d'année, certains crédits peuvent être « dégelés » sur décision du ministre du Budget, afin de couvrir des dépenses ; au contraire, le Gouvernement peut décider un « surgel » afin de disposer d'une marge d'ajustement plus conséquente pour assurer le pilotage de l'exécution budgétaire. D'autres crédits peuvent être annulés , par exemple afin de gager des ouvertures de crédits dans le cadre de décrets d'avance, ou dans un souci d'économie. En fin d'exercice, les crédits de la réserve de précaution peuvent être soit annulés, soit reportés, lorsqu'ils n'ont pas été consommés suite à un dégel. Ces arbitrages permettent d'assurer la fin de gestion de l'exercice, consistant à concilier la couverture des dépenses inéluctables avec le respect de la norme de dépense. Source : commission des finances du Sénat |
Certes, en elle-même, la mise en réserve constitue un instrument utile pour le pilotage des dépenses, qui a permis une transparence accrue concernant les crédits indisponibles , tant pour le Parlement que pour les gestionnaires.
Évolution des crédits du budget général de l'État mis en réserve de 2013 à 2016
(en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents relatifs à la mise en réserve transmis par le Gouvernement en application du III de l'article 14 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) 23 ( * )
Toutefois, l'augmentation du taux de crédits mis en réserve, tout particulièrement depuis 2013, interroge et ne semble pouvoir être justifiée autrement que par les difficultés croissantes pour « boucler » l'exécution du budget, en l'absence de réformes structurelles. En d'autres termes, le Gouvernement reporte en exécution les arbitrages qu'il n'a pas su prendre en budgétisation , conduisant à une gestion « au jour le jour » qui met les services sous tension.
Se pose dès lors la question de la sincérité de la budgétisation initiale du Gouvernement ainsi que de l'autorisation parlementaire , puisqu'une part significative des crédits votés est indisponible, sans qu'il soit possible aux parlementaires de connaître, à partir des documents budgétaires, sa répartition. Le « gel » de crédits est censé permettre au Gouvernement de respecter les plafonds votés par le Parlement. Il ne doit pas se transformer en un outil de contournement de l'autorisation parlementaire par la constitution d'une enveloppe budgétaire de plus en plus importante non affectée et indisponible pour les gestionnaires.
* 23 « Tout acte, quelle qu'en soit la nature, ayant pour objet ou pour effet de rendre des crédits indisponibles, est communiqué aux commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances ».