N° 161
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017
Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 novembre 2016 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de résolution européenne de M. André GATTOLIN et Mme Colette MÉLOT, présentée au nom de la commission des affaires européennes en application de l'article 73 quater du Règlement, sur l' adaptation de la directive « Services de médias audiovisuels » à l' évolution des réalités du marché ,
Par M. Jean-Pierre LELEUX,
Sénateur
et TEXTE DE LA COMMISSION
(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; MM. Jean-Claude Carle, David Assouline, Mmes Corinne Bouchoux, Marie-Annick Duchêne, M. Louis Duvernois, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde, Claudine Lepage, M. Jacques-Bernard Magner, Mme Colette Mélot , vice-présidents ; Mmes Françoise Férat, Dominique Gillot, M. Jacques Grosperrin, Mme Sylvie Robert, M. Michel Savin , secrétaires ; MM. Patrick Abate, Pascal Allizard, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Mmes Marie-Christine Blandin, Maryvonne Blondin, MM. Philippe Bonnecarrère, Gilbert Bouchet, Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, M. Joseph Castelli, Mme Anne Chain-Larché, MM. François Commeinhes, René Danesi, Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Mme Nicole Duranton, MM. Jean-Claude Frécon, Jean-Claude Gaudin, Mme Samia Ghali, M. Loïc Hervé, Mmes Christiane Hummel, Mireille Jouve, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Pierre Leleux, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Jean-Claude Luche, Christian Manable, Mmes Danielle Michel, Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Jean-Jacques Panunzi, Daniel Percheron, Mme Christine Prunaud, MM. Stéphane Ravier, Bruno Retailleau, Abdourahamane Soilihi, Hilarion Vendegou . |
Voir les numéros :
Sénat : |
103 (2016-2017) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La commission de la culture, de l'éducation et de la communication est saisie de la proposition de résolution n° 103 (2016-2017) sur l'adaptation de la directive « Service de médias audiovisuels » à l'évolution des réalités du marché, déposée le 3 novembre 2016 par la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement du Sénat.
La directive 2010/13/UE sur les services de médias audiovisuels est un texte important. Connue antérieurement sous l'appellation de directive « Télévision sans frontières », elle est emblématique des combats que la France porte à Bruxelles depuis de nombreuses années au nom de la diversité culturelle.
La dernière révision de la directive date de 2007, soit presque dix ans. Une éternité... Car, depuis, le secteur audiovisuel a connu de nombreux bouleversements sous l'effet de la révolution numérique. De nouveaux acteurs sont ainsi apparus créant de nouveaux comportements de consommation et s'appuyant sur des modalités de distribution des contenus audiovisuels qui permettent de se jouer des frontières et des réglementations. Ils redistribuent les cartes du jeu concurrentiel et deviennent une menace pour la pérennité du modèle européen.
Il devenait donc urgent d'adapter la législation européenne à la transformation du paysage médiatique. Après un processus de consultation et d'évaluation engagé en 2013, la Commission européenne a présenté le 25 mai 2016 une proposition de révision de la directive « Service de médias audiovisuels ».
Il s'agit d'un texte dont il faut reconnaître les mérites car il constitue par bien des aspects un progrès par rapport à la législation actuelle. Cependant il donne le sentiment d'une révision a minima . Dans ce contexte, votre rapporteur estime que la proposition de résolution européenne donne au contraire des lignes directrices abouties et cohérentes pour répondre au défi de la transformation du secteur audiovisuel et établir une concurrence équitable entre ses acteurs.
Votre rapporteur tient à remercier Colette Mélot et André Gattolin, les auteurs de la proposition de résolution, de l'avoir associer à l'ensemble de leurs auditions. Les échanges qui ont eu lieu à cette occasion se sont déroulés dans un excellent esprit de collaboration et d'enrichissement mutuel. La proposition de résolution européenne apparaît par conséquent comme le fruit d'une réflexion commune.
UNE RÉVISION ATTENDUE
LA DIRECTIVE « SERVICES DE MÉDIAS AUDIOVISUELS »
L'Union européenne s'est dotée, en 1989, à travers la directive « Télévisions sans frontières » (TVSF) d'un cadre réglementaire visant à construire un marché unique des services de télévision en permettant la libre circulation des programmes. Depuis, ce cadre a dû évoluer pour s'adapter à l'évolution technologique et à l'émergence de nouveaux médias audiovisuels.
UNE DIRECTIVE DÉJÀ RÉVISÉE À DEUX REPRISES
Modifiée en 1997, la directive TVSF a fait l'objet d'une seconde procédure de révision, à partir de 2005, qui s'est achevée par l'adoption en décembre 2007 de la directive baptisée « Services de Médias Audiovisuels » (SMA). La nouvelle directive a alors modernisé et simplifié les règles applicables aux services de radiodiffusion. Elle a aussi pris la mesure des évolutions technologiques en étendant son champ d'application au-delà de la télévision traditionnelle et en instaurant des règles minimales pour les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD).
Ce texte a donné lieu à l'époque à une résolution européenne du Sénat à laquelle notre commission a largement contribué 1 ( * ) . Il a ensuite été transposé en droit français dans le cadre de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.
Une version codifiée de la directive a été adoptée en 2010 et fait désormais de la directive 2010/13/UE du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive « Services de médias audiovisuels ») le texte de référence.
LA MISE EN PLACE D'UN MARCHÉ UNIQUE DES SERVICES DE MÉDIAS AUDIOVISUELS
Pour réaliser le marché unique des services de télévision, la Commission européenne a retenu dès l'origine une approche de nature économique s'appuyant sur la mise en oeuvre des principes fondamentaux du marché intérieur, dont la libre circulation des services.
Privilégiant une démarche de coordination des politiques de l'audiovisuel des États membres, la directive SMA a pour objectif de créer des conditions de concurrence homogènes pour la prestation transfrontière de services de radiodiffusion et de services audiovisuels à la demande.
Le dispositif de la directive repose sur les deux principes suivants :
Le principe du pays d'origine
À l'instar de nombreuses législations de l'Union européenne, le principe du pays d'origine est la pierre angulaire de la directive SMA. Ce principe vise à garantir que tout service de médias audiovisuels circule librement dans les autres États, à partir du moment où le fournisseur de ce service respecte la législation de l'État membre où il est établi.
Le considérant 33 de la directive 2010/13/UE est explicite à cet égard : « Le principe du pays d'origine devrait être vu comme au coeur de la présente directive, compte tenu de son importance primordiale pour la création d'un marché intérieur. Ce principe devrait être appliqué à tous les services de médias audiovisuels afin de garantir aux fournisseurs de services de médias la sécurité juridique indispensable à la mise en place de nouveaux modèles d'activité et au déploiement de ces services. Il est également essentiel pour garantir la libre circulation de l'information et des programmes audiovisuels dans le marché intérieur ».
Un radiodiffuseur ou un SMAD ne relève donc de la compétence que d'un seul État membre dont les autres États acceptent la compétence .
Dans le but de déterminer l'État compétent, la directive prévoit un certain nombre de critères relatifs au lieu d'établissement des services de médias audiovisuels : emplacement du siège social, origine des décisions éditoriales, emplacement de la majeure partie des effectifs employés, utilisation de la capacité satellitaire.
La liberté de réception et de retransmission
Le principe du pays d'origine a pour corollaire la garantie de la libre circulation dans les autres États membres. La directive pose donc le principe selon lequel les États membres ne peuvent entraver sur leur territoire la réception de services de médias audiovisuels en provenance d'un autre État membre.
Les principes généraux de la directive SMA Article 2, paragraphe 1 Chaque État membre veille à ce que tous les services de médias audiovisuels diffusés par des fournisseurs de services de médias relevant de sa compétence respectent les règles du droit applicable aux services de médias audiovisuels destinés au public dans cet État membre. Article 3, paragraphe 1 Les États membres assurent la liberté de réception et n'entravent pas la retransmission sur leur territoire de services de médias audiovisuels en provenance d'autres États membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonnés par la présente directive. Article 4, paragraphe 1 Les États membres ont la faculté, en ce qui concerne les fournisseurs de services de médias qui relèvent de leur compétence, de prévoir des règles plus détaillées ou plus strictes dans les domaines couverts par la présente directive, sous réserve que ces règles soient conformes au droit de l'Union. Source : directive 2010/13/UE« Services de médias audiovisuels » |
La directive SMA étant d'harmonisation minimale, les États membres ont la faculté d'appliquer des règles plus détaillées et plus strictes à l'égard des opérateurs relevant de leur compétence. Toutefois, l'État membre de réception ne peut restreindre la réception des services provenant d'un autre État membre en se fondant sur cette réglementation nationale plus stricte.
Une procédure spécifique est toutefois prévue en cas de violations graves et répétées de la législation du pays récepteur ; elle permet aux États membres concernés de restreindre en conséquence les possibilités de retransmission.
DES OBJECTIFS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL
Les contenus audiovisuels ont une double nature, économique et culturelle. La directive SMA a naturellement pris en compte cette dimension dès l'origine. Le considérant 5 de la directive énonce ainsi que « l'importance grandissante qu'ils [les services de médias audiovisuels] revêtent pour les sociétés, la démocratie - notamment en garantissant la liberté d'information, la diversité d'opinions et le pluralisme des médias - l'éducation et la culture justifie l'application de règles particulières à ces services ».
Encourager la production et la distribution audiovisuelles européennes
Dans le but de préserver et de promouvoir la diversité des cultures européennes, la directive SMA demande aux États membres de veiller à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle réservent à des oeuvres européennes une proportion majoritaire de leur temps de diffusion (article 13) et à ce qu'ils consacrent au moins 10 % de leur temps d'antenne ou 10 % au moins de leur budget de programmation, à des oeuvres européennes émanant de producteurs indépendants.
Depuis 2007, les services à la demande ont également une obligation de promotion de la production d'oeuvres européennes et de leur accès. Cette obligation ne s'accompagne pas, toutefois, de niveaux d'intervention prédéfinis. L'article 12 détaille : « Cette promotion pourrait notamment se traduire par la contribution financière apportée par ces services à la production d'oeuvres européennes et à l'acquisition de droits pour ces oeuvres, ou la part et/ou la place importante réservée aux oeuvres européennes dans le catalogue de programmes proposés par le service de médias audiovisuels à la demande ».
Protéger les consommateurs et accroître leur autonomie
• La mise en oeuvre de règles relatives aux communications audiovisuelles commerciales
La directive édicte un certain nombre de règles concernant la publicité à la télévision, le téléachat, le parrainage et le placement de produit.
Elle interdit la publicité relative à la cigarette et autres produits de tabac, aux médicaments (disponibles uniquement sur ordonnance) et aux traitements médicaux. La publicité en faveur de boissons alcoolisées est strictement encadrée.
La directive fixe également des règles « quantitatives » relatives au nombre de coupures (limitées à deux) et à l'amplitude des plages publicitaires (12 minutes) par heure de programme.
• Des mesures de protection des mineurs et de lutte contre l'incitation à la haine
Les États membre doivent prendre les mesures appropriées pour que les émissions des organismes de radiodiffusion, relevant de leur compétence, ne comportent pas de programmes susceptibles de nuire gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, notamment des programmes comprenant des scènes de pornographie ou de violence gratuite. Les SMAD sont en revanche autorisés à mettre à la disposition du public ce genre de contenus « dans des conditions telles que les mineurs ne puissent normalement entendre ou voir ».
Les autres programmes susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs sont autorisés sur les chaînes de télévision dans des conditions telles que les mineurs ne voient pas ou n'entendent pas l'émission qui peut leur nuire. Quand ce genre de programme est diffusé en clair, les téléspectateurs doivent pouvoir visualiser ou entendre que les programmes peuvent nuire aux mineurs. Ces restrictions ne s'appliquent pas aux SMAD pour la diffusion de ces programmes.
Les services de radiodiffusion télévisuelle et les SMAD sont en revanche soumis à la même obligation de prendre des mesures appropriées pour que leur service et les communications commerciales qu'ils diffusent ne contiennent aucune incitation à la haine fondée sur la race, le sexe, la religion ou la nationalité.
• Permettre un meilleur accès des personnes handicapées aux services de médias audiovisuels
Les fournisseurs de services de médias audiovisuels sont invités à faire en sorte que leurs services soient progressivement accessibles aux personnes souffrant de déficiences visuelles ou auditives.
LE CHAMP D'APPLICATION MATÉRIEL DE LA DIRECTIVE SMA
Depuis 2007, la directive SMA définit un service de média audiovisuel comme un service relevant de la responsabilité éditoriale d'un fournisseur de services de médias, ayant pour objet principal la fourniture de programmes « comparable à de la télévision » 2 ( * ) dans le but d'informer, de divertir ou d'éduquer le grand public et mis à disposition via des réseaux de communications électroniques.
Au sein de la catégorie des services de médias audiovisuels , la directive distingue deux sous-catégories :
- les « services linéaires », délivrés pour le visionnage simultané de programmes sur la base d'une grille de programmes ;
- les « services non linéaires », pour le visionnage de programmes au moment choisi par l'utilisateur et sur demande individuelle sur la base d'un catalogue de programmes sélectionnés par le fournisseur de services de médias : cette définition englobe notamment les services de vidéo à la demande.
Comparabilité télévisuelle et responsabilité éditoriale sont les deux critères qui permettent de déterminer l'appartenance d'un service de médias audiovisuel au champ d'application de la directive SMA.
Avant 2007, la radiodiffusion télévisuelle relevait du cadre réglementaire fixé par la directive « Télévision sans frontières » et les services de vidéo à la demande étaient pris en compte par la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique, revêtant la qualité de « services de la société de l'information » énoncée par la directive (UE) 2015/1535 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives au service de la société de l'information.
En intégrant dans son champ d'application les services de vidéo à la demande, tout en leur ménageant des règles plus souples que pour la radiodiffusion télévisuelle 3 ( * ) , la directive SMA de 2007 a procédé à la répartition réglementaire suivante :
- un service à la demande « comparable à de la télévision » et relevant de la responsabilité éditoriale d'un fournisseur de médias est réglementé par la directive SMAV ;
- tous les autres contenus audiovisuels à la demande fournis par l'intermédiaire de services en ligne, comme les contenus hébergés par des plateformes de partage de vidéos en ligne ou par des intermédiaires, continuent à être assimilés à des services de la société de l'information et relèvent par conséquent de la directive sur le commerce électronique.
* 1 Rapport n° 260 (2005-2006) de M. Louis de Broissia sur la proposition de directive modifiant la directive visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle (E 3038) ; Résolution n° 84 (2005-2006) adoptée par le Sénat le 1 er avril 2006.
* 2 La directive 2010/13/UE précise en son article 1 er , b) la nature des programmes de télévision : « Un programme est, à titre d'exemple, un film long métrage, une manifestation sportive, une comédie de situation, un documentaire, un programme pour enfants ou une fiction originale ».
* 3 Les télévisions sont tenues de se conformer à des dispositions plus strictes, notamment en matière de protection des mineurs et de promotion et distribution des programmes télévisés européens. De même, elles se voient appliquer des règles spécifiques en matière de publicité.