B. UNE ASTUCE DE BUDGÉTISATION QUI FRAGILISE LE TROISIÈME PROGRAMME D'INVESTISSEMENTS D'AVENIR

1. L'ADN des programmes d'investissements d'avenir : la sanctuarisation des dépenses d'investissement en période de restriction budgétaire

L'objet même du programme d'investissements d'avenir est de protéger les investissements de long terme de l'État de la tentation de restrictions budgétaires. En effet, il est plus facile de réduire les dépenses d'investissement , dont le caractère est assez largement discrétionnaire, que la masse salariale de l'État ou encore les dépenses de fonctionnement.

C'est d'ailleurs la logique défendue dans le rapport Juppé-Rocard de 2009 qui a inspiré la mise en place du dispositif : partant du constat que « dans un contexte de recherche d'économies, face à la dégradation des finances publiques, la part de l'investissement dans les dépenses publiques a reculé », les auteurs proposaient la mise en oeuvre d'un programme d'investissement ambitieux devant s'accompagner d'une maîtrise à terme de la croissance de l'endettement de l'État.

Or, le décaissement de la totalité des crédits en un an facilite la sanctuarisation des fonds et leur étanchéité avec le budget de l'État . Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le rapport dit « Juppé-Rocard » précisait explicitement qu'il fallait que les dotations aux opérateurs gestionnaires du PIA soient transférées sur une seule année.

Ce mode de budgétisation avait en effet été choisi en 2010 et 2014 parce qu'il correspond à l'objet même du programme d'investissements d'avenir : le fait de décaisser les crédits en une seule fois constitue en quelque sorte une « autocontrainte » du Gouvernement qui ne pourra plus opérer de coupes dans ces crédits une fois qu'ils auront été sortis du budget général pour être pris en charge directement par les divers organismes gestionnaires du programme d'investissements.

2. Un rythme de décaissement en crédits de paiement soumis aux aléas de gestion budgétaire

En revanche, la libération progressive des fonds sur cinq ans que prévoit le Gouvernement fragilise le programme .

En effet, la budgétisation de 2 milliards d'euros de crédits de paiement chaque année, au titre du PIA 3, n'aura rien d'automatique . Le Gouvernement devra prendre en compte les contraintes pesant sur le solde budgétaire de l'État. Or celles-ci devraient être particulièrement lourdes à compter de 2017 au regard des sous-budgétisations importantes que contient le projet de loi de finances pour 2017 et des nombreuses mesures annoncées par le Gouvernement, tant en dépenses qu'en recettes, qui ne pèseront qu'à partir de 2018.

Au surplus, bien que les programmes soient supervisés par le Premier ministre, dans un contexte de raréfaction des crédits budgétaires il est difficile de concevoir que l'existence d'une enveloppe de deux milliards d'euros en crédits de paiement chaque année ne suscitera pas des convoitises au sein des ministères, facilitant les débudgétisations et les dérogations au principe d'additionnalité prévu par le rapport « Juppé-Rocard ».

Le rythme de décaissement des programmes d'investissements d'avenir est déjà utilisé par le Gouvernement, en comptabilité maastrichtienne, comme un outil de financement de certaines dépenses nouvelles : ainsi, en 2017, le Gouvernement a indiqué que le ralentissement des décaissements PIA permettait de financer une partie des nombreuses dépenses supplémentaires prévues par rapport au programme de stabilité.

Aujourd'hui, la corrélation entre le rythme des décaissements PIA et les dépenses supplémentaires annoncées par le Gouvernement ne concerne que les dépenses publiques au sens maastrichtien, non les crédits budgétaires proprement dits puisque ceux-ci ont tous été décaissés la première année du lancement du programme. Par ailleurs, le lien établi entre le ralentissement des dépenses du PIA et les nouvelles annonces du Gouvernement est essentiellement rhétorique.

Cependant, la récurrence de la budgétisation de 2 milliards d'euros chaque année renforce considérablement le risque d'un pilotage des crédits du PIA en lien avec le déficit budgétaire de l'État . Le Gouvernement semble d'ailleurs avoir déjà prévu cette possibilité puisque l'article rattaché à la mission, qui prévoit les modalités de gouvernance du nouveau programme d'investissements d'avenir, indique que la convention conclue entre l'État et l'opérateur retenu pour mener à bien l'action financée par le PIA précise notamment le « rythme prévisionnel d'abondement des fonds des programmes de la mission "Investissements d'avenir" [...] » mais également que le rapport annexé à la loi de finances initiale (« jaune budgétaire ») relatif au suivi des investissements d'avenir présente les abondements réellement opérés pour chaque programme, comparés aux prévisions initialement établies dans la convention entre l'État et l'opérateur - laissant entendre qu' il est probable que l'un ne coïncide pas totalement avec l'autre .

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