ANALYSE GÉNÉRALE DE LA MISSION
I. UNE MISSION SOUS TENSION
1. 2015 et 2016, années record pour l'afflux de demandeurs d'asile en Europe et en France
Le continent européen est confronté depuis la fin de l'année 2014 à un afflux de migrants en demande de protection internationale sans précédent depuis la création des Communautés européennes . En 2014, 562 000 demandes d'asile ont été déposées dans l'Union européenne. En 2015, c'est plus du double qui a été enregistré, soit 1 255 000. La tendance se poursuit en 2016, puis que plus de 592 000 demandes d'asile ont été enregistrées sur le premier semestre 2016.
Les trois premières nationalités des demandeurs d'asile en Europe sont la Syrie, l'Afghanistan et l'Irak.
Évolution de la demande d'asile dans l'Union européenne (28)
(1) Estimation sur la base du flux du premier semestre 2016
Source : commission des finances, d'après les données Eurostat
Comme l'illustre le graphique ci-dessus, la France est, comparativement, moins touchée que d'autres pays européens - en particulier l'Allemagne - par cet afflux de demandeurs d'asile . Il n'en demeure pas moins que, relativement à l'histoire récente, le nombre de demandes d'asile déposées en France a connu une augmentation sensible ces dernières années. Avec plus de 80 000 demandes déposées en 2015 et un nombre qui devrait approcher 100 000 en 2016, le nombre de demandes d'asile déposées en France a connu un quasi-triplement depuis 2007, où il s'établissait à environ 35 000 .
La France se caractérise également par un profil légèrement différent de demandeurs d'asile ; en 2015, même si les Syriens constituent la deuxième nationalité la plus représentée, ils sont devancés par le Soudan et immédiatement suivis par le Kosovo et la République démocratique du Congo.
Évolution des demandes d'asile déposées annuellement en France
(1) Estimation sur la base du flux du premier semestre 2016
Source : commission des finances, d'après les données de l'Ofpra
Au total, l'évolution des crédits de la présente mission ne peut se comprendre qu'en tenant compte de l'ampleur sans précédent de la crise migratoire que traverse l'Europe et à laquelle la France prend sa part . Cette crise met en effet sous tension les principaux dispositifs de la mission, en particulier l'hébergement et l'allocation des demandeurs d'asile.
2. Un système de répartition européenne qui peine à se mettre en place
Un système européen de répartition des réfugiés a été mis en place en deux temps . Décidée par le Conseil de l'Union européenne le 27 mai 2015, une première répartition concernait 40 000 demandeurs d'asile , arrivés en Grèce et en Italie. Sur la base d'une clé de répartition qui tient compte de la population, du produit intérieur brut, du nombre de demandeurs d'asile accueillis sur les dernières années et du taux de chômage 1 ( * ) , ce nombre a été réparti entre chaque pays, la France devant en accueillir 4 051 en provenance d'Italie et 2 701 en provenance de la Grèce sur 2016 et 2017.
Puis, au mois de septembre 2015, au regard de l'aggravation de la crise des migrants, le Conseil, sur la base d'une initiative commune de la France et de l'Allemagne, a proposé de relocaliser 120 000 migrants supplémentaires présents en Italie, en Grèce et en Hongrie. Selon la même clé de répartition, la France devrait en accueillir 24 031 sur 2016 et 2017.
Ainsi, au total, la France devrait donc accueillir 30 783 migrants dans le cadre des programmes de relocalisation d'urgence adoptés au niveau européen .
Néanmoins, la mise en oeuvre de ce programme s'avère délicate. Au 1 er octobre 2016, seules 1 987 personnes ont été relocalisés en France dont 231 depuis l'Italie et 1 756 depuis la Grèce .
Cela s'explique par deux principales raisons. La première est qu'à la suite de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie conclu le 18 mars 2016, le flux en provenance de la Méditerranée orientale, via la Grèce et la Turquie, s'est considérablement ralenti, voire tari. La seconde est que les caractéristiques des migrants, en particulier leurs nationalités, ne correspondent pas aux critères définis par le programme de relocalisation, qui s'adresse aux seuls migrants en « besoin manifeste de protection internationale » (Syriens, Irakiens, Erythréens). Or, les migrants qui déposent aujourd'hui leurs demandes en Europe, a fortiori ceux arrivés en Italie via la Libye, sont pour beaucoup des Soudanais ou des ressortissants d'autres pays d'Afrique subsaharienne.
Il n'en demeure pas moins que, s'il finissait par être véritablement mis en oeuvre, ce programme de relocalisation conduirait à une nouvelle augmentation des flux devant être pris en charge , même à titre très temporaire, par l'Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) et par les centres d'accueil pour les demandeurs d'asile et l'allocation aux demandeurs d'asile, puis par les dispositifs d'intégration du programme 104 une fois la protection accordée.
3. En France, une cristallisation de la crise migratoire dans le Calaisis et la région parisienne
Si les arrivées de migrants que connaît la France sont sans commune mesure avec celles observées en Allemagne, elles ont toutefois ceci de particulier d'être particulièrement concentrées sur quelques zones du territoire national qui cristallisent le débat politique et l'attention de l'opinion publique. Il s'agit essentiellement du Calaisis et de la région parisienne.
Pour de nombreux migrants - ayant ou non déposé une demande d'asile en France ou dans un autre pays de l'Union européenne - qui cherchent à rejoindre le Royaume-Uni, la région de Calais constitue en effet un point d'arrivée sans issue. L'impossible franchissement de la mer de la Manche s'est traduit par l'installation progressive d'une « jungle », composée de campements spontanés réunis à proximité des containers d'un centre d'accueil et du centre Jules Ferry. L a préfecture du Pas-de-Calais a recensé 6 900 migrants en septembre 2016 2 ( * ) , soit le double de la population présente au printemps (après une décrue entre octobre 2015 et mars 2016). À Grande-Synthe (Dunkerque), le nombre de migrants était évalué à environ 700. Ces migrants ont fait l'objet, à la fin du mois d'octobre, d'une vaste opération de relocalisation en différents points du territoire national, afin de démanteler définitivement la « jungle ».
Pour d'autres migrants, la région parisienne , avec ses communautés d'origine organisées et ses perspectives d'emploi jugées plus importantes, constitue un pôle d'attraction particulièrement fort. Une partie de ceux-là se sont installés dans des campements de fortune dans le Nord de la capitale, en particulier autour du quartier La Chapelle et de l'avenue de Flandre. D'après un comptage réalisé par certaines associations en septembre 2016, environ 40 à 50 nouveaux migrants arriveraient chaque jour dans ces campements provisoires .
Ces camps sont régulièrement démantelés : depuis début 2015, 28 opérations de « mise à l'abri » ont été conduites , dont 14 entre janvier et septembre 2016. Sur la seule année 2016, environ 10 000 personnes se sont vues proposer une place d'hébergement.
D'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial, les migrants présents à Calais constituent « un public majoritairement masculin, jeune et isolé . La part des femmes et des femmes avec enfants est résiduelle (inférieure à 5 %) » et « les nationalités [déclarées] majoritaires (...) sont les soudanais (48 %), les afghans (24 %), les érythréens (13 %) , les pakistanais (5 %), les syriens (2,6 %), les irakiens (1,8 %) ». Le public des campements parisiens est très similaire. Ainsi, à Paris comme à Calais, les Syriens et les Irakiens représenteraient moins de 5 % des migrants présents.
Il convient de signaler que les places d'hébergement vers lesquelles les migrants sont conduits, depuis les campements parisiens ou depuis la jungle de Calais, ne sont généralement pas des places financées par la présente mission . En effet, les « centres d'accueil et d'orientation » (CAO) pour le désengorgement de Calais et les centres d'hébergement d'urgence migrants (CHU-migrants) pour la région parisienne sont financés sur les crédits de l'hébergement d'urgence de droit commun, du programme 177 de la mission « Égalité des territoires et logement », alors même que la majorité du public concerné relèvera en réalité de l'asile et du programme 303 au terme de l'analyse de sa situation. Pour la seule région Île-de-France, le montant des crédits du programme 177 utilisés en 2016 à destination de publics relevant du programme 303 est estimé à 80 millions d'euros.
En d'autres termes, d'un point de vue budgétaire, ce n'est que grâce à une utilisation irrégulière des enveloppes de l'hébergement de droit commun pour un public de demandeur d'asile que la mise à l'abri des migrants de Calais et de Paris peut être réalisé sans impact majeur sur les dispositifs d'hébergement d'urgence de la présente mission .
* 1 La clé de répartition est fonction des critères suivants : taille de la population : pondération de 40 % ; PIB : pondération de 40 % ; nombre moyen de demandes d'asile antérieures : pondération de 10 %, et taux de chômage : pondération de 10 %.
* 2 Certaines associations avancent le chiffre de 9 000 migrants.