C. L'INCERTITUDE CHRONIQUE DU FINANCEMENT DE L'ANAH
1. Des objectifs trop ambitieux au regard des moyens disponibles ?
L'Agence nationale de l'habitat (Anah) participe activement à la politique du logement , tant s'agissant de la rénovation thermique, dans le cadre de la lutte contre la précarité énergétique portée par le programme « Habiter mieux », que de la lutte contre l'habitat insalubre, la requalification des centres-villes anciens et le programme de revitalisation des centres-bourgs, ou encore des aides à l'adaptation de la perte d'autonomie.
Les objectifs qui lui sont assignés sont toujours plus nombreux et importants, en particulier dans le cadre du programme « Habiter mieux ». Alors qu'entre 2014 et 2015, le nombre de logements à rénover était déjà passé de 45 000 à 50 000 logements, ce sont désormais 70 000 logements attendus pour 2016, pour en atteindre 100 000 en 2017.
D'après les informations recueillies auprès de l'agence, il semble d'ores et déjà acquis que l'objectif de 70 000 logements ne pourra pas être atteint en 2016, avec une perspective de 60 000 dossiers d'ici à la fin de l'année .
À la suite des difficultés rencontrées au cours des années précédentes pour le financement de ce programme, en particulier pour réabonder le Fonds d'aide à la rénovation thermique (Fart) financé par le programme d'investissement d'avenir (PIA), la gestion des dossiers a été ralentie et 2016 a constitué une année de relance .
En outre, afin de parvenir à un nombre plus important de logements rénovés, l'Anah cherche actuellement des solutions pour accélérer la procédure d'engagement des dossiers , afin de diviser par deux les délais constatés sur l'ensemble de la chaîne de traitement (particulier, opérateur, délégataire..).
Pour parvenir à 100 000 logements rénovés en 2017, l'Anah souhaite développer les opérations dans les copropriétés , les dossiers traités jusqu'à présent ayant surtout concerné des propriétaires de maisons individuelles.
Le conseil d'administration de l'agence du 5 octobre 2016 a ainsi étendu le programme « Habiter mieux » aux copropriétés « fragiles », prévoyant le financement de 25 % des travaux, à hauteur de 3 930 euros maximum par logement, le cas échéant complété d'une prime forfaitaire dont le montant resterait à définir par décret.
La détermination des copropriétés « fragiles » se ferait autour des critères suivants : la mauvaise classe énergétique des logements, un début d'impayés de charges constaté et la proportion du nombre de ménages éligibles aux aides de l'agence dans la copropriété.
Si l'extension du programme « Habiter mieux » semble positive au regard des importants besoins effectivement constatés dans certaines copropriétés, il convient toutefois d' éviter tout effet d'aubaine lors du choix des dossiers portés, notamment dans l'appréciation de la « fragilité » de la copropriété. En outre, il convient également de s'assurer des capacités financières de l'agence, ce qui n'est le cas, ni du point de vue de son propre budget, ni du Fart pour l'année à venir.
2. Un budget encore incertain pour 2017 : une ressource stable doit assurer le financement de l'Anah
Encore une fois, les années se répètent et le financement de l'Anah semble bien incertain . Alors qu'à la fin du mois de novembre, le conseil d'administration doit déterminer son budget pour 2017, les incertitudes pèsent sur une large part des ressources nécessaires .
Cette situation s'explique principalement par le cours moyen de cession des quotas carbone qui avait atteint une moyenne de 7,60 euros la tonne au cours de l'année 2015, apportant ainsi une ressource de 312 millions d'euros à l'Anah (contre 219 millions d'euros collectés en 2013 et 215,3 millions d'euros en 2014) 17 ( * ) , mais qui est depuis redescendu à moins de 5 euros au cours de l'année 2016 (4,24 euros la tonne en septembre 2016).
C'est ainsi que, pour 2016, le budget de l'Anah est soumis à un important aléa puisqu'il avait été construit en retenant l'hypothèse d'un cours à 7,7 euros la tonne . Or, alors que les prévisions tablaient sur un produit de cession à hauteur de 343 millions d'euros, l'Anah estime désormais cette ressource à 232 millions d'euros. Des moyens supplémentaires ont donc dû être trouvés afin de pallier ce manque estimé à 100 millions d'euros d'ici à fin décembre 2016, d'autant que, parallèlement, le Gouvernement a souhaité augmenter les objectifs assignés au programme « Habiter mieux ».
Pour cela, l'avenant du 21 juillet 2016 à la convention quinquennale du 2 décembre 2014 entre l'État et Action logement a porté la contribution d'Action logement à 100 millions d'euros pour 2016 et 2017 (au lieu de 50 millions d'euros par an prévus initialement). L'Anah a même bénéficié de 50 millions d'euros d'Action logement dès octobre 2016, par anticipation de sa contribution due au titre de 2017.
En outre, l'Anah prévoit également une baisse de 50 millions d'euros de ses dépenses d'intervention par rapport à ses prévisions initiales, avec un budget qui devrait atteindre environ 500 millions d'euros en exécution.
S'agissant de 2017 , alors que les objectifs fixés à l'Anah induisent des besoins à hauteur de 600 millions d'euros, seuls 400 à 500 millions d'euros de ressources, semblent acquis, selon l'hypothèse du cours de cession des quotas carbone retenue.
Le produit issu de ces cessions pourrait ainsi atteindre entre 240 millions d'euros (avec un cours à 4,5 euros la tonne) et 340 millions d'euros (avec un cours à 6,40 euros la tonne).
Ensuite, 50 millions d'euros sont attendus de la contribution d'Action logement (50 millions d'euros ayant déjà été versés par anticipation en 2016), de même que 21 millions d'euros qui sont affectés à l'agence au titre de la taxe sur les logements vacants .
La vente des certificats d'économie d'énergie produits dans le cadre du programme « Habiter mieux » devrait conduire à une recette estimée à 65 millions d'euros .
Enfin, 20 millions d'euros devraient être issus du report de la contribution de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie prévue pour 2016 (au titre des actions menées dans le cadre de l'adaptation des logements à la perte d'autonomie des personnes âgées) et non encore versée.
Hypothèses « haute » et « basse » - budget prévisionnel de l'Anah en 2017
Source : commission des finances du Sénat d'après les données recueillies auprès de l'Anah
L'incertitude pesant sur le budget est d'autant plus importante que le niveau de trésorerie de l'Anah est très bas, avec un fonds de roulement ne couvrant pas plus que trois semaines de paiement (30 millions d'euros).
L'ensemble de ces éléments conduit à s'interroger sur la pertinence de maintenir le produit de cessions des quotas carbone comme ressource de l'Anah à hauteur de 50 % à 70 % du besoin total . À tout le moins, il conviendrait de l'accompagner d'une ressource plus stable, de montant quasi équivalent, permettant à l'agence d'être davantage assurée de disposer des fonds nécessaires pour remplir ses objectifs .
Enfin, le financement du Fart reste également très incertain , après avoir bénéficié de 200 millions d'euros supplémentaires en 2016, par la voie de deux redéploiements de crédits au sein du PIA (50 millions d'euros en janvier et surtout 150 millions d'euros en juin).
Permettant de compléter les subventions de l'Anah au sein du programme « Habiter mieux », le Fart bénéficiait initialement de 500 millions d'euros au titre du premier programme d'investissement d'avenir (PIA 1) issu de la première loi de finances rectificative pour 2010 18 ( * ) .
Toutefois, l'enveloppe avait été réduite à 365 millions d'euros afin de tenir compte de la création de la prime exceptionnelle de 1 350 euros, ayant conduit au redéploiement de 135 millions d'euros au profit du Fonds de soutien à la rénovation énergétique de l'habitat (FSREH). Cette prime exceptionnelle a finalement été supprimée fin 2014.
Quatre redéploiements de crédits ont ensuite été opérés au profit du Fart en 2015, parallèlement à l'augmentation de l'objectif fixé à 50 000 logements rénovés, pour un montant total de plus de 170 millions d'euros.
Au 31 décembre 2015, 472 millions d'euros étaient ainsi engagés et 300 millions d'euros décaissés sur l'enveloppe globale de 536,7 millions d'euros.
En 2016, le Fart ne disposait plus que de 50 millions d'euros disponibles. Un nouveau redéploiement de crédits a été opéré, à hauteur de 150 millions d'euros, dont 90 millions d'euros servant à couvrir les besoins de 2016. L'enveloppe du Fart atteint désormais 686,8 millions d'euros avec, au 30 juin 2016, 157 314 dossiers retenus, 496 millions d'euros engagés et contractualisés, pour un décaissement de 320 millions d'euros.
En conséquence, pour 2017 , 60 millions d'euros resteraient a priori disponibles pour couvrir une partie des besoins. Pour 100 000 logements visés cette année, l'enveloppe nécessaire devrait s'élever à 200 millions d'euros. 140 millions d'euros viendront donc probablement à manquer une nouvelle fois et devront faire l'objet d'un redéploiement au sein du PIA .
Pour les années à venir, une autre source de financement devra vraisemblablement être trouvée, la rénovation thermique des logements privés ne devant pas pouvoir relever de l'une des actions du PIA 3. L'Anah espère toutefois développer, éventuellement, des opérations de rénovation énergétique à l'échelle de quartiers qui pourraient bénéficier de l'action 03 « Démonstrateurs et territoires d'innovation de grande ambition » du programme 422 « Valorisation de la recherche » de ce troisième PIA.
L'incertitude sur la situation financière de l'Anah pèse sur son activité . Le manque de moyens a ainsi pu bloquer des dossiers au niveau des services déconcentrés et créer des à-coups néfastes pour l'agence qui peine ensuite à relancer son action .
Une réflexion doit être menée sur le financement pérenne des activités de l'Anah, en envisageant éventuellement le retour de crédits de l'État.
* 17 L'affectation à l'Anah du produit des cessions de quotas carbone est plafonnée à 550 millions d'euros en vertu du I de l'article 43 de la loi n° 2012-1509 de finances pour 2013.
* 18 Loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010.