N° 3889
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUATORZIÈME LÉGISLATURE |
N° 726
SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016 |
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Enregistré à la Présidence de
l'Assemblée nationale
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Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2016 |
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE (1) CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DU PROJET DE LOI de modernisation du droit du travail ,
PAR M. Christophe SIRUGUE,
Député
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PAR M. Jean-Baptiste LEMOYNE,
Sénateur
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(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon, sénateur , président ; Mme Catherine Lemorton, députée, vice-présidente ; MM. Jean-Baptiste Lemoyne , sénateur, Christophe Sirugue, député, rapporteurs .
Membres titulaires : MM. Michel Forissier, Jean-Marc Gabouty, Mme Nicole Bricq, MM. Yves Daudigny et Dominique Watrin, sénateurs ; Mme Monique Iborra, MM. Philip Cordery, Gérard Cherpion, Jean-Charles Taugourdeau et Bernard Perrut, députés.
Membres suppléants : MM. Michel Amiel, Olivier Cadic, Mmes Catherine Deroche, Anne Emery-Dumas, Catherine Génisson, Pascale Gruny et Patricia Morhet-Richaud, sénateurs ; M. Michel Issindou, Mme Monique Orphé, MM. Michel Liebgott, Jean-Pierre Door, Mme Bérengère Poletti, M. Arnaud Richard et Mme Dominique Orliac, députés.
Voir les numéros :
Première lecture : 3600 , 3626 , 3675 et T.A. 728
Deuxième lecture : 3886 |
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Sénat : |
Première lecture : 610 , 661 , 662 et T.A. 161 (2015-2016) Commission mixte paritaire : 727 |
TRAVAUX DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Mesdames, Messieurs,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de modernisation du droit du travail s'est réunie au Sénat le mardi 28 juin 2016.
La commission procède d'abord à la désignation de son bureau qui est ainsi constitué :
- M. Alain Milon, sénateur, président ;
- Mme Catherine Lemorton, députée, vice-présidente ;
- M. Jean Baptiste Lemoyne, sénateur, rapporteur pour le Sénat ;
- M. Christophe Sirugue, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
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La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen du texte.
M. Alain Milon , sénateur, président . - Notre commission mixte paritaire (CMP) doit examiner la possibilité d'établir un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s, désormais intitulé projet de loi de modernisation du droit du travail après son adoption par le Sénat. Notre assemblée a consacré dix journées à son examen. Elle l'a adopté cet après-midi lors d'un scrutin solennel par 185 voix contre 156.
Plus de 350 amendements ont été adoptés sur le texte qui nous venait de l'Assemblée nationale, dont environ 200 à l'initiative des rapporteurs. Dans une certaine mesure, le Sénat s'est inscrit dans la logique du projet de loi, même s'il a voulu la pousser plus loin. Il a toutefois élaboré un texte à l'équilibre sensiblement différent de celui qui résultait du passage, bref mais intense, à l'Assemblée nationale. Il semble donc difficile d'envisager l'établissement d'un texte commun.
Mme Catherine Lemorton, députée, vice-présidente . - Ne donnons pas l'impression que nous aurions déjà décidé que cette CMP échouerait ! Il s'agit juste de notre sentiment. Vous avez eu la chance de débattre de ce texte dans l'hémicycle, et nous avons suivi vos discussions avec attention. Notre commission des affaires sociales avait toutefois effectué un gros travail et avait considérablement enrichi ce texte, déjà transformé par le Gouvernement avant d'arriver à l'Assemblée par les concertations menées avec les partenaires sociaux mais aussi avec certains parlementaires. Vu les modifications substantielles apportées par le Sénat, je crains fort que nous ne trouvions pas d'accord. Mais qui sait ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne , sénateur, rapporteur pour le Sénat . - Le vote du Sénat a eu lieu il y a une heure, et l'encre est à peine sèche ! En effet, nous avons eu la chance de pouvoir mener un débat approfondi dans l'hémicycle. Conscients du caractère indispensable d'une réforme et partageant les constats dressés depuis un an par les différentes commissions missionnées par le Gouvernement, nous nous sommes attachés à rétablir l'ambition initiale du texte tout en l'enrichissant de l'apport de plusieurs travaux sénatoriaux, et en particulier de ceux de la délégation sénatoriale aux entreprises.
Je tiens à rendre hommage à mes deux collègues rapporteurs Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier, et à rappeler que la commission des affaires sociales, à notre initiative, a bâti sa réflexion autour de cinq axes. Nous avons tout d'abord veillé à simplifier et sécuriser le cadre juridique applicable aux entreprises. Nous avons également cherché à ce que les salariés bénéficient davantage du résultat de leurs efforts, tout en renforçant la compétitivité des entreprises et en prenant en compte la situation spécifique des TPE et PME, qui étaient les oubliées du texte initial. La commission a également souhaité développer l'apprentissage comme voie de réussite et elle a réaffirmé les missions essentielles de la médecine du travail.
En séance publique, ces orientations ont été confortées. Sans dresser la liste exhaustive des modifications apportées au texte, je soulignerai quelques apports emblématiques.
Une large majorité s'est dégagée pour partager la philosophie de l'article 2, directement inspirée des lois de 2004 et 2008. C'est pourquoi nous avons préservé la primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche en matière de durée du travail. La majorité sénatoriale a voulu aller jusqu'au bout de cette logique et permettre de fixer par accord collectif une durée de référence se substituant à la durée légale hebdomadaire et qui ne pourra pas dépasser 39 heures en l'absence d'accord. Le Sénat, au diapason du Gouvernement, s'est opposé aux tentatives de conférer aux branches un pouvoir d'opposition a priori .
Nous avons cherché à revigorer de manière pragmatique le dialogue social dans l'entreprise, en ayant notamment à l'esprit la situation particulière des PME. Ainsi, revenant à la philosophie qui avait présidé à l'instauration des comités d'entreprise en 1945, nous avons donné la possibilité à l'employeur de conclure des accords en l'absence de délégué syndical. De plus, soucieux de garantir l'effectivité des dispositions de l'article 2, nous avons maintenu à 30 % la majorité d'engagement et à 50 % la majorité d'opposition. Le Gouvernement avait introduit l'idée d'une consultation ; le parallélisme des formes nous a conduits à donner la possibilité pour l'employeur ou l'un des syndicats signataires d'un accord frappé d'opposition de demander l'organisation d'une consultation des salariés en vue d'entériner cet accord.
En outre, nous avons précisé que tous les accords de branche, même non étendus, doivent comporter des stipulations spécifiques pour les petites entreprises, et nous avons invité l'employeur à informer le délégué du personnel des options retenues lorsqu'il applique un accord type.
Par ailleurs, la majorité sénatoriale a pris au mot l'ancien ministre du travail en desserrant l'étau des seuils sociaux, qui ont été relevés de 11 à 21 salariés pour l'élection des délégués du personnel et de 50 à 100 pour celle des membres du comité d'entreprise.
Le Sénat a accueilli très favorablement la création des accords de préservation et de développement de l'emploi, à l'article 11, dont les premières traces sont à chercher dans les travaux du Sénat sur la loi Macron - et dans ceux de M. Cherpion ! - et qui pourraient à terme devenir un outil d'adaptation interne très précieux pour nos entreprises. En cas de conclusion d'un accord de préservation de l'emploi, notre texte retranscrit la règle créée en 2013 pour les accords de maintien de l'emploi, qui prévoit que la rémunération mensuelle des salariés ne pourra pas descendre en dessous de 1,2 Smic. En revanche, un accord de développement de l'emploi ne pourra pas entraîner de baisse de la rémunération des salariés, ce qui est logique s'agissant d'entreprises en quête de nouveaux marchés. Nous avons ajouté à l'article 11 une clause de retour à meilleure fortune : les accords doivent prévoir les modalités selon lesquelles les salariés seront associés aux résultats de leurs efforts.
Si nous partageons l'objectif d'une sécurité sociale professionnelle, le Sénat a adopté une approche pragmatique du compte personnel d'activité et en a retiré le compte d'engagement citoyen, dispositif inabouti qui brouille les frontières entre les activités civiques, bénévoles ou professionnelles. Nous avons également limité le compte pénibilité aux quatre facteurs de risques professionnels actuellement applicables.
Alors que le projet de loi initial ne comportait que deux articles techniques sur l'apprentissage, le Sénat s'est inspiré des travaux de nos collègues Michel Forissier et Élisabeth Lamure pour relancer cette voie de formation malmenée ces dernières années. Désormais, le texte compte 23 articles sur le sujet, visant à valoriser le rôle des maîtres d'apprentissage, à simplifier les démarches pour les employeurs ou encore à améliorer le statut des apprentis. Nous avons également jugé indispensable la mise en place d'un pilotage national de cette politique.
Concernant la définition du licenciement économique, le Sénat a estimé que la rédaction qui lui était proposée était peu opérationnelle et fragile juridiquement. C'est pourquoi nous avons prévu - comme cela nous a été suggéré lors de plusieurs auditions - que tout licenciement économique devait reposer sur un faisceau d'indices, qui pourra être précisé par un décret en Conseil d'État, tout en prévoyant qu'une baisse de l'encours des commandes de 30 % pendant un semestre ou la perte d'un marché important constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement. Nous avons par ailleurs rétabli le périmètre d'appréciation national du licenciement économique, encadré les délais de jugement et autorisé le juge à demander une expertise extérieure.
Nos travaux ont également réaffirmé l'importance des missions dévolues aux services de santé au travail, et tout particulièrement aux médecins du travail. Si notre assemblée maintient le principe général de la visite d'embauche, elle permet son remplacement par une visite d'information et de prévention a posteriori lorsque la nature du poste envisagé le justifie. Nous prévoyons que les médecins du travail adaptent les modalités du suivi périodique au profil de chaque travailleur, aux risques encourus et à l'environnement de travail. À l'initiative du Gouvernement, en séance publique, cette règle a été étendue aux travailleurs de nuit car il n'est pas opportun de prévoir une règle figée en la matière.
Le Sénat partage les objectifs poursuivis par le Gouvernement et l'Assemblée nationale en matière de lutte contre la fraude au détachement. Nous avons apporté notre pierre à l'édifice en permettant à l'acheteur public de résilier un marché lorsque le co-contractant a vu son activité suspendue en raison de manquements à la législation en vigueur et en améliorant l'information des salariés détachés grâce à la nouvelle carte d'identification professionnelle. Au-delà du renforcement de l'arsenal législatif, il faut maintenant multiplier les contrôles, notamment les soirs et week-ends, et pousser à la renégociation de la directive de 1996, à condition que nous puissions entraîner avec nous suffisamment de pays pour déplacer les lignes, ce qui n'est pas toujours le cas sur ce sujet...
En somme, le texte que le Sénat vient d'adopter a son propre équilibre, qui diffère de celui auquel l'Assemblée nationale a consenti en ne s'opposant pas à l'adoption du projet de loi lorsque le Gouvernement a engagé sa responsabilité, mais qui est fidèle à la volonté réformatrice - qu'on veut croire sincère, même si elle est tardive - exprimée par le Gouvernement. C'est dans cet état d'esprit que nous avons souhaité moderniser le droit du travail pour répondre aux défis majeurs que traverse notre pays, et aux attentes de celles et ceux qui restent au bord du marché de l'emploi. Nous tendons la main à l'Assemblée nationale pour parvenir à un accord ambitieux !
M. Christophe Sirugue, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Au fil de son parcours à l'Assemblée nationale et au Sénat, ce texte a substantiellement évolué. À ce stade, 138 articles restent en discussion, ce qui est considérable. Je tiens bien sûr à saluer le travail du Sénat. Certains de ses apports devront être conservés. Vous avez parfois conforté la rédaction de l'Assemblée nationale, par exemple sur l'aide à la recherche du premier emploi ou les dispositifs d'emploi accompagné pour les personnes handicapées.
Néanmoins, malgré l'adoption conforme d'un certain nombre d'articles, nos positions semblent difficilement conciliables sur certains sujets.
Je pense d'abord à l'article 2 et à l'amendement symbolique adopté par les sénateurs pour supprimer la durée légale du travail, renvoyer à la négociation d'entreprise pour la fixation de cette durée, et prévoir l'application, à titre supplétif, d'une durée de 39 heures. À lui seul, ce symbole justifierait l'échec de notre CMP.
Sur cet article, de nombreuses autres modifications apportées par le Sénat ne pourront être retenues par l'Assemblée. C'est le cas, entre autres, de la suppression du socle légal minimal de 24 heures hebdomadaires pour le travail à temps partiel, qui avait pourtant fait l'objet en janvier 2013 d'un accord national interprofessionnel signé par les trois organisations patronales représentatives. C'est aussi le cas de l'augmentation des périodes de référence pour le calcul de la durée hebdomadaire maximale de travail, de la durée du travail de nuit, ou encore de la modulation du temps de travail par voie unilatérale dans les entreprises de moins de 50 salariés.
Nous ne pouvons pas non plus souscrire aux modifications des modalités de négociation des accords adoptées par le Sénat. Je pense d'abord à la suppression pure et simple des accords majoritaires prévus à l'article 10, alors qu'il s'agit d'une avancée majeure, demandée par les syndicats de longue date, et qui confère aux accords une très grande légitimité. Je veux évoquer aussi le contournement du mandatement que vous avez entériné, en permettant la validation d'un projet d'accord de l'employeur par une consultation directe des salariés, sans passer par la négociation. Admettez que c'est une étrange conception du dialogue social : pour dialoguer, il faut au moins être deux !
Sur d'autres articles, le Sénat a fait preuve d'une certaine créativité, notamment en fusionnant les accords dits « offensifs » prévus par le projet de loi et les accords de maintien de l'emploi (AME) créés par la loi de sécurisation de l'emploi. Cependant, la créativité ne doit pas s'accompagner de régression sociale. Les accords de préservation de l'emploi prévus par le projet de loi initial comportaient un garde-fou indispensable : le maintien de la rémunération mensuelle des salariés. Faire sauter ce garde-fou, c'est revenir sur l'une des protections essentielles qui leur sont assurées.
Différents articles du texte du Sénat reviennent sur des dispositifs instaurés par la loi du 17 août 2015, tels que l'extension de la visioconférence à l'ensemble des réunions des institutions représentatives du personnel ou la suppression des commissions paritaires régionales interprofessionnelles : nos désaccords sont de même nature qu'il y a un an, et nous sommes évidemment opposés à l'idée de faire évoluer ces dispositifs qui n'ont, pour certains, même pas encore été mis en place. J'ai pourtant constaté avec étonnement que certains de vos débats ont laissé entendre que nous disposerions déjà d'une évaluation de leur efficacité.
Je regrette les différents amendements votés par le Sénat qui suppriment ou restreignent des dispositions introduites par l'Assemblée nationale. Ainsi, de la suppression de la généralisation de la garantie jeunes. Les articles 53 et 54 du texte, qui devaient mieux protéger les salariés contre les licenciements abusifs, ont été également supprimés.
Vous avez vidé le compte personnel d'activité de sa substance en supprimant le compte d'engagement citoyen, en excluant les jeunes de 16 ans n'exerçant pas d'activité et les retraités et en limitant le nombre de facteurs de risques pris en compte dans le cadre du compte personnel de prévention de la pénibilité. Je connais bien le sujet de la pénibilité, ayant rendu l'an dernier un rapport au Premier ministre sur cette question. Sur les critiques formulées dès l'origine à l'encontre de ce dispositif, je serais tenté de dire : qui veut tuer son chien l'accuse de la rage ! La reconnaissance de la pénibilité est un important progrès social, quels que soient les défauts que l'on relève dans sa mise en oeuvre.
S'agissant du motif économique du licenciement, vous avez proposé une réécriture globale de l'article 30, qui pose quelques difficultés. L'Assemblée nationale avait supprimé la prise en compte du périmètre du seul territoire national pour l'appréciation des difficultés économiques. Je vous le dis clairement : nous ne souhaitons pas le rétablir. Il semble difficile d'apprécier la santé financière d'un groupe sans examiner ses implantations à l'étranger. De plus, ne pas faire de distinction selon la taille des entreprises est anachronique. La fixation d'un seuil de 30 % pour toutes est surprenante ! Certes, vous avez augmenté le nombre des critères. Mais le suivi bancaire, ou la puissance de trésorerie, ne sont pas les mêmes pour un artisan ou une grande entreprise... En outre, le renvoi à un décret pour dresser la liste - semble-t-il exhaustive - des critères, tant quantitatifs que qualitatifs, permettant de justifier des difficultés économiques, n'est pas non plus souhaitable, pas plus que ne l'est l'encadrement strict de la procédure juridictionnelle consistant à fixer des délais au juge pour se prononcer sur la cause réelle et sérieuse d'un licenciement économique. Bref, quitte à réécrire cet article complexe, j'aurais préféré que vous le fassiez de manière efficace et réaliste, et non en revenant à la version antérieure.
Le Sénat a introduit une série d'articles additionnels auxquels, malheureusement, mais de manière assez attendue, l'Assemblée ne pourra pas souscrire. Nous voulons tous soutenir l'apprentissage, mais vous faites du jeune mineur un adulte en miniature qui doit participer à l'effort productif de la société. Or l'apprentissage est avant tout une voie de formation pour l'apprenti.
Nous reviendrons aussi, évidemment, sur le relèvement des seuils sociaux, qui constitue un symbole auquel vous semblez très attachés. Les positions de nos deux assemblées révèlent une approche radicalement différente du rôle des institutions représentatives du personnel dans l'entreprise. Relever les seuils revient à considérer qu'un syndicat dans une entreprise est un problème avec lequel il ne faut pas ennuyer les plus petites d'entre elles. Ce n'est pas notre approche.
Vous avez supprimé les dispositifs relatifs à l'information des salariés avant la vente de leur entreprise, mis en place par la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, alors qu'ils contribuent à favoriser la reprise d'entreprises par les salariés.
L'Assemblée ne peut pas non plus souscrire au plafonnement des indemnités prud'homales octroyées aux salariés en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur la médecine du travail, les modifications apportées par le Sénat ne correspondent pas à la réalité des enjeux. Il y a pénurie de médecins du travail : 300 postes ne sont pas attribués. Les médecins du travail sont les seuls à ne pas prescrire, ce qui nuit sans doute à l'attractivité de la profession. Personne ne peut donc se satisfaire de l'insoutenable maintien de la fiction d'un examen médical d'aptitude effectué avant l'embauche pour chacun des salariés : il y a chaque année 20 millions d'embauches et 3 millions de visites médicales... Entre deux maux, je choisis le moindre, étant précisé que l'aptitude des salariés engagés sur postes les plus exposés continuera à être appréciée par les médecins du travail. Dans le BTP, trente centres médicaux distinguent déjà les salariés relevant des médecins du travail de ceux pris en charge par des équipes pluridisciplinaires placées sous l'autorité de ces derniers. Chez Areva, aussi, une organisation semblable donne satisfaction, alors même que certaines missions justifient un suivi très particulier. Au-delà de ces divergences, chacun s'accordera à reconnaître qu'il convient de remédier au taux d'attractivité dramatiquement faible de cette profession.
Bref, un accord entre nos deux assemblées me semble difficile à trouver sur ce texte. Cela ne nous empêchera pas de proposer à l'Assemblée nationale d'adopter certains éléments ajoutés par le Sénat, techniques ou non.
M. Gérard Cherpion, député . - Oui, un travail important a été réalisé en commission à l'Assemblée. Dommage que le 49-3 nous ait empêché de débattre de ce texte comme nous en avons l'habitude et de l'enrichir ! Le texte du Sénat a repris beaucoup de nos apports, et je tiens à vous en remercier. En particulier, il revalorise considérablement l'apprentissage. Quant aux seuils sociaux, une évolution est indispensable pour développer l'emploi. Vous avez intégré les accords offensifs au texte, qui évoque aussi les AME. Il n'y manque plus que le texte de Mme Aubry sur les 35 heures, et nous aurons résolu le problème de la cause du licenciement - qui, dans les textes de Mme Aubry, est sui generis . Le rescrit social sécurisera les entreprises, surtout les plus petites. Notre groupe souscrit donc unanimement au texte proposé par le Sénat.
M. Dominique Watrin , sénateur . - Membre du groupe CRC du Sénat, je suis radicalement opposé à ce texte, quelle que soit la version considérée. D'abord, il n'a jamais été démontré, même par l'OCDE, qu'il y ait un lien entre la prétendue rigidité du code du travail et le niveau de l'emploi. Ensuite, ce texte, avec l'inversion de la hiérarchie des normes, fait craindre aux PME une course au dumping social, puisque les branches régulaient la concurrence. Il est rejeté par plus de 60 % des Français et une majorité des syndicats de salariés, qui voient bien qu'il réduit les protections de salariés et que l'inversion de la hiérarchie des normes, approuvée par les deux assemblées, constitue une régression sociale. Nous pensons que la matrice commune est le Conseil européen, et que ce texte s'inscrit dans un libéralisme des plus durs. Je n'ai donc pas l'intention d'arbitrer entre ses différentes versions, mais le rejette en bloc.
M. Jean-Marc Gabouty , sénateur . - Sur certains sujets, nos objectifs sont les mêmes. Ainsi de la médecine du travail. Le rapport de M. Issindou indique que, sur 22 millions de visites d'embauche, 15 millions concernent des contrats de moins d'un mois. C'est le premier problème à résoudre. Quelle que soit la formule proposée, le flux reste le même. Or les équipes pluridisciplinaires ne comptent guère plus de 3 000 personnes, contre 4 500 médecins du travail environ. Cela ne suffira pas, sauf à remettre aux calendes grecques les visites d'information et de prévention. Nous devons continuer à chercher une solution.
Sur le licenciement économique, le texte de l'Assemblée nationale repose sur des définitions inappropriées, puisqu'il fixe des critères alternatifs qui sont insuffisants. Il ne tient pas compte, pour calculer la rentabilité, du point de départ choisi. Quant à la définition d'une entreprise en difficulté, elle est à géométrie variable en fonction de la taille de l'entreprise. Je vous invite donc à poursuivre la réflexion sur ce sujet, à défaut de pouvoir vous imposer nos solutions !
M. Yves Daudigny , sénateur . - Les membres du groupe socialiste et républicain du Sénat ont, en majorité, apporté un fort soutien au texte issu de l'Assemblée nationale, tout en cherchant à encore l'améliorer. C'était en effet un texte de mobilité sociale, de dynamisme économique, porteur d'innovations et de croissance, fidèle à cette valeur cardinale qu'est la solidarité. Équilibré, il donnait du souffle et de la liberté aux entreprises grâce aux deux mesures phares que sont le compte personnel d'activité et la primauté donnée à l'accord majoritaire d'entreprise. Nous nous sommes donc opposés à la plupart des modifications proposées par la majorité sénatoriale, qui constituent des régressions ou ignorent les évolutions du monde du travail. Nous nous réjouissons de votre volonté, monsieur le rapporteur pour l'Assemblée nationale, de prendre en compte certains apports du Sénat. Parmi ceux qui me paraissent particulièrement dignes d'intérêt figurent les dispositions relatives aux travailleurs en situation de handicap et aux groupements d'employeurs, qui a fait l'objet de deux amendements adoptés à l'unanimité.
Je souhaite que vous puissiez débattre de ce texte dans l'hémicycle !
M. Alain Milon , sénateur, président . - Nous constatons donc l'impossibilité de trouver un accord.
La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de modernisation du droit du travail.