TRAVAUX DE LA COMMISSION
___________
I. AUDITION DE MYRIAM EL KHOMRI, MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI, DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET DU DIALOGUE SOCIAL
M. Alain Milon , président . - Je remercie Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, de venir évoquer avec nous le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, transmis au Sénat en fin de semaine dernière. Notre commission entendra, demain matin, les organisations syndicales de salariés et, la semaine prochaine, les organisations patronales. Nos trois rapporteurs, Jean-Baptiste Lemoyne, Michel Forissier et Jean-Marc Gabouty poursuivent parallèlement leurs auditions auxquelles peuvent assister tous les membres de la commission.
Cette audition est l'occasion de faire le point sur un texte qui a notablement évolué lors de son examen à l'Assemblée nationale. Il compte désormais 102 articles, soit 50 de plus que lors de son dépôt, dont 16 articles nouveaux introduits par le Gouvernement dans le cadre de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.
Le débat s'est focalisé sur quelques sujets principaux : la réécriture des dispositions du code du travail relatives à la durée du travail avec un nouveau partage entre les règles d'ordre public et le champ ouvert à la négociation collective, prioritairement au niveau de l'entreprise ; les règles de validité des accords d'entreprise et les conséquences sur les contrats de travail dans le cas particulier des accords de préservation ou de développement de l'emploi ; le compte personnel d'activité (CPA) ; la définition du motif économique du licenciement et son périmètre d'appréciation pour les entreprises appartenant à un groupe. Bien d'autres questions importantes sont en jeu : la poursuite de la refondation du code du travail, la mesure de la représentativité patronale, les dispositions en direction des jeunes, les emplois saisonniers, la médecine du travail, la lutte contre le détachement illégal... Je souhaite que cette audition nous permette à la fois de clarifier certaines dispositions majeures du texte et de mieux mesurer leur portée, dès lors que le passage à l'Assemblée nationale les a sensiblement modifiées.
Pourriez-vous également, madame la ministre, préciser la méthode suivie en termes de concertations préalables ? Nous connaissons l'avis du Conseil d'État à ce sujet. Il reste que certains partenaires sociaux estiment que l'article L. 1 du code du travail, issu de la loi Larcher, n'a pas été pleinement appliqué.
Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social . - J'aborde ce débat dans un esprit de détermination et de gravité. J'espère que nous pourrons enfin parler du contenu et nous affranchir de certaines postures convenues et artificielles. Ce projet de loi est juste et nécessaire : la situation de notre pays interdit l'immobilisme et le renoncement. Le texte a fait l'objet d'une intense concertation avec les partenaires sociaux, prolongée avec les organisations de jeunesse. Les syndicats représentant la majorité des salariés -CFDT, CFTC, CGC et Unsa- sont favorables aux avancées que le projet comporte. Près de 800 amendements ont été intégrés à l'Assemblée nationale ; un tel chiffre inédit n'est pas un aveu de faiblesse, bien au contraire. Je souhaite, du reste, que votre commission et le Sénat tout entier, dans un dialogue constructif, apportent de nouvelles améliorations. Les ajouts de l'Assemblée nationale n'ont pas dénaturé le texte, ni rompu son équilibre.
Les objectifs sont de redynamiser la négociation en la portant au plus près du terrain, de poser les bases d'une sécurisation des parcours à travers le compte personnel d'activité, de renforcer le dialogue social pour contribuer au développement d'une culture de compromis, dans la droite ligne des lois des trois dernières années.
Le texte repose sur un constat : le code du travail est d'un trop grand formalisme, au point parfois de s'écarter des préoccupations des salariés. Il s'appuie sur une conviction : pas de dialogue social efficace sans des partenaires sociaux forts. C'est pourquoi il les renforce au niveau de l'entreprise et de la branche. Tirant les conséquences de la réforme de 2008 sur la représentativité des organisations syndicales, il donne une place inédite au dialogue social par rapport à la loi, ce qui est pertinent au regard de la démocratie sociale et de l'économie. Le code du travail, à force de dérogations -souvent d'ailleurs à l'initiative d'organisations patronales- est devenu illisible. Je n'ai jamais opposé droit du travail et droit au travail ; je ne pense pas que le code du travail soit un frein à l'emploi. Le texte repose sur une équation simple : pas de souplesse sans négociation.
Il ne s'agit pas d'avoir une vision angélique du dialogue social : il y a des blocages, des échecs, des pressions. Mais il faut aussi se départir d'une vision manichéenne du monde de l'entreprise. La philosophie du texte est de donner le plus de poids possible au dialogue social de proximité tout en préservant des garanties pour qu'il ne s'exerce pas au détriment des salariés. Je revendique cette confiance envers les acteurs pour consolider notre modèle social, ainsi que la démocratie sociale et la compétitivité.
Le compte personnel d'activité, conçu comme la protection sociale du XXI ème siècle, répond à la réalité du travail d'aujourd'hui : on n'entre plus à 18 ans dans une entreprise que l'on quitte à 60 ; l'employeur, mais aussi le statut, changent tout au long de la vie professionnelle. Nous avons souhaité anticiper les besoins en rendant les citoyens pleinement acteurs de leur réussite. Il faut compenser la discontinuité des parcours par la continuité des droits, avec le droit universel à la formation. Chaque personne, quel que soit son statut -salarié, demandeur d'emploi comme indépendant, ou fonctionnaire-, dans les conditions que la négociation définira, pourra accumuler des droits. Cela fait trente ans que l'on dit que les fonds de la formation professionnelle ne vont pas à ceux qui en ont le plus besoin, ce ne sera plus le cas. Le CPA valorisera aussi l'engagement citoyen associatif ou le rôle de maître d'apprentissage avec des crédits d'heures alloués en contrepartie de ces activités d'utilité collective.
La « garantie jeune » sera généralisée pour les moins de 26 ans en situation de précarité qui ne sont ni en qualification, ni en formation, ni dans l'emploi et qui accepteront de s'insérer dans un parcours exigeant -j'insiste sur ce point : la « garantie jeunes » ne se limitera pas à une allocation mais sera un vrai contrat donnant-donnant.
Le texte consacre le droit à la déconnexion, dont le rapport Mettling a dit toute l'importance pour lutter contre le burn out ; le numérique est un formidable potentiel pour le travail mais ne doit pas être une source de souffrance au travail. Ce sera un point obligatoire des négociations consacrées à la qualité de vie au travail. Une charte devra être rédigée dans les entreprises de plus de 300 salariés ; à défaut, une décision unilatérale de l'employeur devra y pourvoir.
L'avis du Conseil d'État, monsieur le président Milon, dit que nous avons bien respecté l'article L. 1 du code du travail. Le rapport de Jean-Denis Combrexelle a été remis une semaine après ma nomination. J'ai immédiatement demandé aux partenaires sociaux s'ils voulaient négocier sur la base de ce rapport, ils ont refusé. Tout a ensuite fait l'objet de concertations avec les organisations syndicales et patronales ; en ce qui concerne l'article 30 sur le licenciement économique, l'arbitrage a été tardif, si bien que nous avons reporté de deux semaines le passage en conseil des ministres et discuté avec ces organisations. Le CPA a fait l'objet d'une négociation demandée par les organisations syndicales et patronales : elle a abouti à une position commune.
La philosophie du rapport Combrexelle implique de réécrire le code du travail pour redonner plus de place à la négociation collective, dans le droit fil des textes ayant régi le domaine depuis les lois Auroux en 1982. Une commission d'experts fera des propositions de réécriture au Gouvernement qui sera libre d'accepter ou non en laissant ensuite au Parlement toute sa place. Nous pourrons ainsi mieux distinguer ce qui relève de l'ordre public social -ce à quoi nul ne peut déroger- de la négociation collective au niveau de l'entreprise ou de la branche et des dispositions supplétives qui s'appliqueront en l'absence d'accord. La lisibilité a motivé le choix transparent d'une réécriture totale de toutes les dispositions relatives au temps de travail, sans changement. Cela a malheureusement amplifié certaines confusions. Il fallait donner plus de cohérence à la négociation sur le temps de travail en introduisant la règle de l'accord majoritaire, qui constitue une garantie essentielle.
Il n'y a pas d'inversion de la hiérarchie des normes : la loi encadre toujours tout le dispositif. Il y a une clarification des champs d'intervention entre l'accord d'entreprise et l'accord de branche. Ce dernier sera toujours le seul à régler certains sujets comme les salaires minima, les classifications, la prévoyance, les fonds de la formation professionnelle. Les entreprises ne pourront moduler le temps de travail au-delà d'une année que si la branche l'autorise. Les branches se verront dotées de commissions permanentes pour négocier. Le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale a également souhaité qu'elles puissent formuler des recommandations aux entreprises.
La démocratie exige que les accords soient signés par les syndicats représentant 50 % des salariés, et non plus 30 % comme aujourd'hui. À l'époque des lois Auroux, on comptait environ 2 000 accords d'entreprise contre 40 000 aujourd'hui. Les accords majoritaires garantiront un consensus beaucoup plus large. Un accord signé par des organisations non majoritaires mais représentant 30 % des voix pourra, si elles le demandent, être soumis à la consultation des salariés eux-mêmes, ce qui renforce la démocratie dans l'entreprise. Comment ne pas considérer les salariés et leurs représentants comme les mieux placés pour juger de ce qui fait leur quotidien ? La défiance frappe les organisations syndicales : il faut engager leur responsabilité sur des sujets quotidiens pour rétablir la confiance.
L'élargissement du champ de la négociation va de pair avec l'amélioration des moyens mis à la disposition des acteurs : les délégués syndicaux auront 20 % de crédit d'heures en plus et les bourses du travail bénéficieront d'une meilleure protection. Les règles de révision seront rénovées pour améliorer la loyauté et le dynamisme des accords. Nous l'assumons ; cette loi fait confiance aux partenaires sociaux. À eux de se montrer à la hauteur des enjeux.
Nous avons aussi l'ambition de mieux accompagner les PME car c'est là que tout se joue en matière d'emploi. Il y faut de la souplesse : le dialogue social de proximité ne doit pas être le monopole des grandes entreprises. Un service public d'aide aux TPE-PME sera mis en place avec des cellules d'appui fournissant une réponse rapide aux questions juridiques qu'elles se posent. Le nombre des branches passera de 700 à 200 : on ne peut pas les renforcer sans cela. Les TPE-PME pâtissent du manque de vivacité des branches qui auront désormais la possibilité d'élaborer des accords-types.
Le texte clarifie les motifs du licenciement économique. Nous avons entendu le besoin de prévisibilité des petites entreprises qui n'ont pas d'armée d'experts juridiques à leur disposition. Le but est de favoriser l'emploi durable. Il y a trop de contrats à durée déterminée (CDD) et notamment de CDD très courts : 82 % des embauches en CDD sont des réembauches ; 50 % des CDD sont de moins d'une semaine ! Il faut traiter la réticence à embaucher en contrat à durée indéterminée (CDI) en clarifiant un droit aujourd'hui largement jurisprudentiel. À aucun moment, le but n'a été de faciliter les licenciements. L'essentiel, c'est d'établir des règles claires et intelligibles. La loi déterminera donc les conditions du licenciement économique en reprenant largement les critères de la jurisprudence, comme celui de la baisse des commandes pendant plusieurs trimestres. L'Assemblée nationale a introduit une modulation selon la taille de l'entreprise. Moins de 5 % des personnes qui entrent à Pôle emploi après un emploi en TPE s'inscrivent en raison d'un licenciement économique, mais 20 % à la suite d'une rupture conventionnelle -contre 7 % dans les grandes entreprises. Cela signale un recours abusif à la rupture conventionnelle et au licenciement pour motif personnel, moins protecteurs pour le salarié.
Autre avancée, la lutte contre le travail détaché : nous avons la législation la plus stricte d'Europe en ce domaine. Les services ont déjà prononcé 1,5 million d'euros d'amendes en six mois et une cinquantaine de fermetures de sites. Mais nous ne pouvons pas réprimer comme il se devrait la simple absence de déclaration de détachement.
Enfin, le texte comporte une modernisation de la médecine du travail, l'encadrement des contrats saisonniers et bien d'autres mesures encore. Je n'ignore rien des questionnements dans l'opinion : il serait étonnant qu'il en soit autrement devant l'alliance des contraires, dont certains qui parlent d'une loi vidée de son contenu et d'autres d'un retour au XIX ème siècle. Je compte sur votre Haute Assemblée pour sortir de ces postures et enrichir ce texte afin qu'il prenne toute sa force au service de l'intérêt général. Nos concitoyens n'attendent pas de nous des jeux de rôles convenus, mais des actes.
M. Alain Milon , président . - Merci pour vos compliments mais tout flatteur vit au dépend de celui qui l'écoute...
M. Jean-Baptiste Lemoyne , rapporteur . - Le Conseil d'État, s'agissant de l'article L. 1, a formulé son avis de façon byzantine : « l'article L. 1 a été respecté dans les circonstances propres aux conditions d'élaboration du projet » -et l'on sait ce que cela signifie lorsqu'il s'exprime ainsi ! Les organisations syndicales parlent certes d'un courrier du 16 septembre, de rendez-vous pour des échanges, de réunions, mais uniquement dans un cadre bilatéral et sans texte sur lequel travailler, et pas d'un travail structuré. Dans l'esprit de l'article L. 1, la concertation est plus consistante.
Des acteurs très différents nous ont fait part de craintes sur les difficultés de ce texte à être un levier de réformes, compte tenu du changement des règles de validité des accords passant de 30 à 50 %. Avez-vous des chiffres sur la proportion d'accords signés selon les futures règles ? Ne faudrait-il pas prévoir un cheminement plus progressif vers le seuil minimal de 50 % pour garantir une meilleure appropriation de la réforme ?
Concernant le travail de nuit, vous avez supprimé la visite médicale tous les six mois. N'est-ce pas paradoxal alors que la réforme de la médicine du travail vise à la recentrer sur les publics les plus exposés ?
M. Jean-Marc Gabouty , rapporteur . - Des certificats médicaux sont de plus en plus demandés, notamment pour la pratique sportive, avec une fréquence annuelle. Est-il pertinent de supprimer le certificat d'aptitude avant l'embauche ? Cela marque-t-il une résignation devant la baisse des effectifs de la médecine du travail ? Qui portera la responsabilité en cas d'une affectation inappropriée d'un salarié sur un poste inadapté au vu de son état de santé ? Qui sera concerné par le suivi individuel renforcé ?
L'article 30 du texte tente d'expliciter les difficultés économiques qui peuvent justifier un licenciement économique. Il s'agira de la baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, d'une perte d'exploitation, de la dégradation de la trésorerie ou du solde net d'exploitation, avec des valeurs variables selon la taille de l'entreprise. Pour le professionnel que je suis, ce n'est pas approprié. Aucun de ces critères ne suffit à lui seul à caractériser les difficultés d'une entreprise. Quant au chiffre d'affaires, il est trop variable selon les secteurs pour suffire à définir la taille des entreprises.
Pourquoi ne pas prévoir que les parties -juge, salarié ou employeur- aient recours à un organisme indépendant et compétent, comme la Banque de France, par exemple, pour les éclairer ?
M. Michel Forissier , rapporteur . - Le CPA comporte trois volets : le compte personnel de formation (CPF), le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et le compte d'engagement citoyen (CEC) pour les personnes ayant effectué un service civique, qui font partie des réserves militaire, communale et sanitaire, les maîtres d'apprentissage et les bénévoles associatifs. C'est louable mais une certaine complexité est à prévoir. La logique repose sur une prise en compte du parcours dès l'entrée dans le monde du travail, c'est-à-dire dès quinze ans dans le cas de l'apprentissage, jusqu'à la fin de la vie. Jusqu'à présent, la retraite, s'accompagnant de la liquidation des droits, changeait le statut de la personne : qu'en est-il ici ? On semble prendre acte du fait que les retraités pourraient désormais poursuivre une activité pour compléter leurs revenus. Sans un statut de l'actif, avec des droits et des devoirs, les employeurs craignent la complexité.
Vous aviez évoqué une grande réforme de l'apprentissage. Devra-t-on se contenter des quelques dispositions du projet de loi sur le sujet ? Je vous proposerai des amendements pour en faire, sinon une voie d'excellence, du moins une voie de réussite.
Mme Myriam El Khomri, ministre . - Le reproche fait au Gouvernement sur le non-respect de l'article L. 1 est particulièrement infondé. J'ai clairement demandé aux partenaires sociaux s'ils voulaient négocier, ils ne l'ont pas souhaité. Je n'en ai pas moins auditionné tous les partenaires sociaux. Le 17 février dernier, jour de l'arbitrage du Président de la République et du Premier ministre sur le licenciement économique, un texte qui n'était pas la version retenue a fuité. Les quinze jours qui ont été pris avec les partenaires sociaux étaient effectivement nécessaires, comme l'a dit le Conseil d'État, parce que l'intégralité du texte ne leur avait pas été présentée. Mais mon équipe et moi les avions reçus entre septembre et janvier.
L'accord majoritaire est essentiel si on élargit le champ de la négociation. Certes, la culture de compromis que préconise le rapport Combrexelle ne se décrète pas. Pourquoi élargir aujourd'hui le champ de la négociation ? Si le code du travail est gros, c'est qu'il a voulu prévoir toutes les situations.
Ce système est à bout de souffle. Je ne peux malheureusement pas vous donner de chiffre sur les accords signés à 50 % ; précisément, ce texte instaure la transparence et le big data qui font défaut aujourd'hui. Quelque 60 % des plans de sauvegarde de l'emploi se terminent par un accord. La CGT et la CFDT ont d'ailleurs souhaité, dans une position commune, cet accord majoritaire. Un amendement a ajouté une évaluation après la généralisation de ce système en 2019.
Nous ouvrons des postes de médecins de travail mais il n'y a pas suffisamment de candidats. Un amendement du député Touraine a prévu un rapport du Gouvernement sur les moyens de rendre cette filière plus attractive. Un décret pris après concertation des partenaires sociaux précisera les modalités du suivi particulier. Pourquoi supprimer la notion d'aptitude ? C'est que, floue, ne figurant pas dans la directive santé de 1989, et non définie par le code du travail, elle a donné lieu à de nombreux contentieux. L'aptitude est ainsi définie à 25 % avec des restrictions : un chauffeur de camion a ainsi été déclaré apte à conduire mais à condition de rester assis. Nous avons préféré le terme de capacité à celui d'aptitude.
Pourquoi revenir sur le droit actuel concernant le licenciement économique ? Pour que les règles soient claires. Nous reprenons les critères sur lesquels le juge se fonde déjà. Mais la loi donne une lisibilité que n'a pas la jurisprudence. Cela n'enlève rien à la possibilité, pour le juge, de désigner des experts.
Les critères sont-ils trop restrictifs ? Nous verrons les propositions au cours du mois de juin. L'important est qu'ils soient clairs, pour les salariés comme pour les chefs d'entreprise, afin qu'il soit facile de savoir quand s'impose un licenciement pour motif économique.
Oui, le compte personnel d'activité (CPA) vise l'ensemble des actifs. Pour autant, l'engagement citoyen ne les concerne pas exclusivement : les retraités sont très mobilisés. Les députés ont ouvert aux retraités, comme aux jeunes en formation, d'accéder au CPA mais uniquement par le biais du compte d'engagement citoyen (CEC). Ils pourront ainsi acquérir des droits utilisables pour des formations utiles à leurs activités associatives. Le compte personnel de formation (CPF) est maintenu pour les actifs.
Les plates-formes État-régions comportent de nombreux engagements sur l'apprentissage, et nous nous félicitons de constater que les entrées en apprentissage ont augmenté de 5 % cette année. Les moyens qui sont consacrés à l'apprentissage sont en hausse. Comment valoriser cette voie ? Le rôle des maîtres d'apprentissage est essentiel, mais nous devons aussi rendre plus lisible le statut d'apprenti. En particulier, nous lissons les rémunérations entre 16 et 18 ans et entre 18 et 21 ans, car la majorité n'est plus à 21 ans...
L'ouverture des titres professionnels du ministère ne relève pas de la loi. Avec Mmes Vallaud-Belkacem et Valter, nous avons accéléré le processus de rénovation des diplômes ; 85 titres seront ouverts à l'apprentissage, comme je l'ai rappelé ce matin aux préfets de région. Bien sûr, nous devrons publier le taux d'insertion de chacune des voies pour mieux orienter les familles.
M. Jean-Marie Morisset . - L'avant-projet de loi partait d'une bonne intention et allait dans le bon sens : assouplir le code du travail pour favoriser les embauches. Après le passage devant le Conseil d'État et l'adoption en Conseil des ministres, son équilibre était rompu. D'une version à l'autre, après plusieurs centaines d'amendements, nous avons perdu le fil : difficile de s'y retrouver !
Allez-vous, par amendement, introduire une taxation obligatoire des contrats courts en fonction de leur durée ? Cela aurait de réelles conséquences sur les structures qui suivent le rythme des vacances. Par exemple, au Puy du Fou, 1 500 personnes travaillent avec un CDD de sept mois. Allez-vous obliger les structures à négocier sur la reconduction des contrats saisonniers ? Les hypothèses émises prévoient une compensation en fonction de l'ancienneté. Vous avez annoncé le 15 mars dernier que la « garantie jeunes », qui concerne les jeunes de moins de 25 ans, deviendrait un droit universel. Environ 900 000 jeunes seraient en situation de précarité. Ce dispositif réclame un engagement fort de la part du jeune, et un suivi. Pour le budget de 2017, tablez-vous sur 100 000, 150 000, 200 000 bénéficiaires ? La charge qui va, selon les hypothèses, de 550 millions d'euros à plus d'un milliard d'euros, pèsera sur le prochain quinquennat... Vous savez que les fonds européens arrivent avec un ou deux ans de retard. Les missions locales souffrent, et doivent être rassurées. Enfin, les travailleurs handicapés sont de plus en plus exposés au chômage. Ils sont souvent licenciés pour inaptitude. Avez-vous prévu des mesures les concernant ?
M. Dominique Watrin . - Le groupe CRC a bien lu votre projet et nous le contestons totalement. Les quelques mesures positives qu'il contient ne compensent pas 150 pages de recul social. Aussi espérons-nous un vrai débat sur l'inversion de la hiérarchie des normes et l'abandon généralisé du principe de faveur. L'éminent professeur de droit social qu'est Antoine Lyon-Caen, membre de la commission Badinter, et qui n'a rien d'un gauchiste, dénonce lui-même un recul en matière de temps de travail et stigmatise la concurrence accrue que ce texte entretient entre les salariés et entre les entreprises. Précarisation, flexibilisation, rémunération des heures supplémentaires, facilitation des licenciements : sur tous ces points, nous souhaitons un vrai débat. Vous avez parlé fin janvier de « donner plus de souplesse aux entreprises par rapport au temps de travail », de « casser le verrou de 25 % de majoration des heures supplémentaires » ou de « donner plus de poids à l'accord collectif face aux contrats de travail. » Vous avez refusé le débat à l'Assemblée nationale en dégainant le 49-3 et n'avez pas écouté tous ceux qui se sont mobilisés contre votre texte et notamment les jeunes et les organisations syndicales.
Votre projet de loi aborde à peine les grands sujets liés à la révolution numérique. Il reste trop timoré sur les protections accordées à des travailleurs qui restent salariés de fait mais assument tous les risques liés au statut d'auto-entrepreneur.
Le groupe CRC portera la voix des jeunes dans l'hémicycle. Et ce n'est pas être conservateur ou prendre des postures que d'être à leurs côtés. Ils aspirent à sortir au plus vite des CDD de courte durée, à répétition, des stages sous-payés et de la galère de la précarité. Leur colère est légitime, car elle se fonde sur leur expérience du monde du travail : un étudiant sur deux travaille. Ils vivent jusqu'à 26 ans, parfois plus, dans l'angoisse du lendemain, qui les prive à la fois de présent et d'avenir. La montée en puissance de la « garantie jeunes » ne résoudra pas le problème de la précarité - d'autant que vous avez cédé au Medef sur la surtaxation des CDD.
Comment prétendez-vous répondre aux difficultés des plus pauvres en proposant la précarisation des CDI ? Les salariés se trouvent réduits au rôle de variable d'ajustement des entreprises. La libéralisation du licenciement économique retient des critères discutables, qui limiteront de fait le contrôle du juge, ce qui encouragera les licenciements abusifs. N'aurait-il pas mieux valu poser le principe du licenciement économique comme ultime recours ? Après le CICE, le Pacte de responsabilité, vous cédez une nouvelle fois au Medef. Ces multiples cadeaux profitent surtout aux multinationales du secteur bancaire, assuranciel ou de la grande distribution. S'y ajoute la possibilité de réduire les protections des salariés ou de baisser la rémunération en les faisant travailler plus. Nous démontrerons tout cela en séance publique. Bien sûr, cela ne sécurisera pas les TPE ni les PME, qui se trouveront soumises à la pression du dumping social.
Vous prétendez alléger le code du travail pour faciliter les embauches. Le code du travail est une construction historique dont l'objectif premier était la santé et la sécurité des travailleurs. Pouvez-vous citer dans votre projet de loi une seule mesure qui créera de l'emploi ? L'augmentation du contingent d'heures supplémentaires ou l'élargissement jusqu'à trois ans de la modulation des heures non payées -qui le seront jusqu'à cinq fois moins cher ? Allons donc ! L'effet sera exactement inverse. Et vous souhaitez multiplier les forfaits-jour alors que onze accords de branche ou d'entreprises ont été annulés en raison de leur utilisation abusive.
Le groupe CRC n'est pas pour le statu quo. Il faut simplifier, supprimer des redondances mais au moins à droit constant et en prenant en compte la révolution numérique et la mondialisation sauvage, qui imposent d'intégrer au code du travail une nouvelle protection des salariés. C'est ce que proposeront nos amendements qui n'auront pas pour but d'améliorer un texte légitimement rejeté mais de poser les bases d'un nouveau projet économique et social dont notre pays a le plus grand besoin.
Mme Pascale Gruny . - Pourriez-vous être plus précise sur la responsabilité du dirigeant en matière de santé, sécurité et hygiène du salarié, ainsi que sur le document unique d'évaluation des risques et la faute inexcusable de l'employeur ? Celui-ci semble toujours responsable. Si l'on fait moins de visites médicales en raison d'un manque de médecins, la responsabilité de la médecine du travail devrait être mise en cause.
Le licenciement pour inaptitude à tout emploi décidée par le médecin du travail en une seule visite, créera une insécurité juridique. Pourquoi est-ce toujours l'entreprise qui porte le financement de tels licenciements ? Après un accident du travail ou pour des personnes souffrant d'une maladie professionnelle, cela peut se comprendre. Mais pour les autres maladies ? Les indemnités constituent souvent une charge très lourde, surtout pour les petites entreprises et cette charge n'est pas partagée avec la caisse d'assurance maladie.
Qui financera la multiplication des heures de formation ? Le CPF n'est pas utilisé correctement. Beaucoup de salariés n'y sont pas inscrits. Dès lors, vouloir multiplier les heures n'aura aucun effet. Le compte formation pose de grosses difficultés aux entreprises et nous allons en rajouter ! Le crédit d'heures doit-il vraiment être augmenté ? Je n'en ai pas le sentiment. Le chef d'entreprise devrait pouvoir connaître les raisons pour lesquelles ces heures sont posées. Parfois, ce n'est pas pour défendre les salariés... Le recours à des experts revient plus cher que de faire appel au commissaire aux comptes ou à l'expert-comptable de l'entreprise.
Et pour certaines petites entreprises, l'apprentissage coûte cher. Autrefois, il était possible de déduire la rémunération du tuteur de la taxe d'apprentissage. Psychologiquement, cela avait de l'importance.
Mme Nicole Bricq . - Le groupe socialiste soutient la démarche du Gouvernement et partage la philosophie du projet de loi dont l'un des fils rouges est l'élargissement de l'espace donné à la négociation collective. Nous faisons avec vous le pari de la confiance dans la capacité des organisations professionnelles et syndicales à négocier au plus près des intérêts des salariés. En particulier, l'article 2 reconnaît l'importance de la négociation d'entreprise pour l'organisation concrète du travail, avec le mécanisme de rappel au niveau des branches. S'il n'y a pas d'accord, on en reste au droit actuel.
Nous partageons votre souci de l'émancipation de tout individu : c'est la philosophie du CPA. Face aux incertitudes et à la mutation du travail, le CPA donne aux salariés des droits qui porteront sur toute leur vie professionnelle. Vous voulez faire passer le nombre de branches de 700 à 100. Il me semble que cela ne va pas très vite. Où en êtes-vous ? Il y a beaucoup de branches mortes, et nombre d'entreprises relèvent de plusieurs branches.
Nous ne disposons pas de la petite loi, seulement d'un document provisoire. J'ai découvert, en analysant les abondants débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale, un article 29 bis A, nouveau, consacré aux franchises. Ce secteur, qui a récemment organisé son salon et emploie de nombreuses personnes, est très important en France et reconnu à l'étranger. Cet article avait été proposé par amendement le 7 avril en commission des affaires sociales et a été retiré à la demande du rapporteur. Puis la commission des affaires sociales s'est brièvement réunie la veille du jour où le Gouvernement a fait usage du 49-3 et, au titre de l'article 91 du règlement intérieur, a accepté sans examen cet amendement. Qu'en est-il de cet article ? Il soulève quelques inquiétudes dans la profession.
L'article 7 rend publics les accords d'entreprise, sauf désaccord d'un des signataires. Vous jouez l'open data. La publicité des accords permettra un bilan qualitatif. Nous verrons peut-être que bien des organisations qui s'opposent au texte signent en réalité de nombreux accords dans les entreprises...
M. Alain Milon , président . - J'ai signalé, en ouverture, que plusieurs articles additionnels ont été adoptés dans le cadre du 49-3, dont celui sur les franchises.
Mme Agnès Canayer . - J'ai du mal à voir un fil rouge dans ce texte... Mais pour l'avoir expérimentée dans les missions locales, je considère que la « garantie jeunes » est une mesure efficace. Pour autant, son universalisation inquiète fortement car elle repose sur la responsabilisation des jeunes, liée à une contrepartie et à un accompagnement renforcé. Déjà, des personnes pouvant bénéficier du RSA jeunes -et notamment de jeunes mères célibataires- préfèrent l'allocation simple à un accompagnement plus contraignant. Quels moyens avez-vous prévus pour maintenir ce niveau de responsabilisation ? L'accompagnement fait déjà l'objet d'un financement de 1 600 euros par jeune mais il faut prendre en compte les besoins de locaux, de matériel et les lourdes charges administratives : les dossiers à remplir sont conséquents, d'autant que nous faisons appel aux fonds européens... Les missions locales s'en trouvent déstabilisées. Heureusement que les collectivités territoriales partenaires sont là ! Quels seront les montants alloués pour 2016 ?
M. Olivier Cigolotti . - Ce projet de loi aborde des sujets variés. Son article 40 redéfinit le statut du particulier employeur et son article 6 suscitera une discussion sur le statut de salarié et sur celui de travailleur détaché : nous devons mieux lutter contre le travail dissimulé. En revanche, le statut d'auto-entrepreneur est peu abordé. Que pouvez-vous nous en dire ?
Mme Myriam El Khomri, ministre . - La modulation des cotisations d'assurance chômage au titre des CDD existe déjà car les organisations patronales et syndicales l'avaient demandée en 2013 et elle avait été intégrée dans la loi de sécurisation de l'emploi. Embaucher un jeune de moins de 26 ans en CDI donne droit à une exonération de trois ou quatre mois, et les contrats courts génèrent une surcotisation. Aux partenaires sociaux de faire le bilan de cette mesure ! Pour nous, cette modulation était trop modeste et n'a donc pas eu assez d'effet, notamment parce qu'elle n'est pas infra-mensuelle. Un article du texte prévoyait que les partenaires sociaux « peuvent » moduler les cotisations d'assurance chômage. Fallait-il écrire « doivent » ? Cela n'est pas de la compétence du Gouvernement mais des partenaires sociaux dans la négociation de la convention d'assurance chômage. Ils se sont émus d'une ingérence du Gouvernement, alors même qu'ils avaient eux-mêmes soulevé cette question. Nous avons abandonné cette mention, mais je tiens à rappeler qu'il s'agit d'une sorte de malus-bonus, non d'une surcotisation.
De fait, la première signature d'un CDI se fait en moyenne à 27 ans, et non plus à 22 ans. C'est un recul, dont les premières victimes sont les jeunes, surtout les moins qualifiés, et ceux qui proviennent de quartiers éligibles à la politique de la ville, ainsi que les femmes et les personnes les moins qualifiées. L'hyper-flexibilité existe : 70 % des CDD sont des contrats de moins d'un mois ; 60 %, de moins de quinze jours ; 50 %, de moins d'une semaine ! Le Gouvernement sait bien que nous avons besoin de CDD, et il a d'ailleurs autorisé leur renouvellement l'été dernier dans la loi Rebsamen. Mais 82 % des signatures de CDD sont des réembauches. Or le CDD crée des difficultés considérables pour accéder au logement ou au crédit. Le recours systématique aux CDD est parfois un modèle économique, dont le coût incombe à la collectivité : l'an dernier, les CDD ont généré un déficit de 5,8 milliards d'euros de l'assurance-chômage.
Nous donnons davantage de prévisibilité par le barème indicatif des prud'hommes ou en précisant les motifs du licenciement économique, mais c'est aux partenaires sociaux qu'il revient de trouver un équilibre. L'objectif est de favoriser la création d'emplois durables.
Les dispositions relatives au travail saisonnier s'inscrivent dans la lignée des annonces faites par le Premier Ministre devant le comité montagne et résultent aussi d'amendements déposés à l'Assemblée nationale. Je comprends qu'il soit parfois difficile de s'y retrouver. Nous prévoyons la possibilité d'une négociation d'entreprise sur la reconduction du contrat saisonnier et la prise en compte de l'ancienneté dans le cas où les négociations de branche n'aboutiraient pas. Un bilan doit être produit un an après l'ouverture des négociations pour identifier dans quelle mesure des indemnités financières de fin de CDD saisonniers ont été négociées, en cas de non reconduction. L'accès des saisonniers aux périodes de formation est aussi abordé, ainsi que l'expérimentation pendant trois ans du recours aux contrats de travail intermittent en l'absence d'accord de branche ou d'entreprise, ou la prise en compte la pluriactivité des saisonniers par des accords territoriaux.
Bien sûr, les partenaires sociaux sont libres du contenu de leurs négociations. Ils pourront y ajouter la question de l'indemnité de précarité. Notre priorité est la sécurisation des parcours des saisonniers et la prise en compte de l'ancienneté. D'autres recommandations du groupe de travail, touchant les saisonniers, ne relèvent pas du domaine législatif : forum d'emploi virtuel dédié, convention entre Pôle emploi et la Fédération nationale des groupements d'employeurs, mesures sur le logement, sur la validation des acquis de l'expérience, implication des maisons de service public, groupe de travail conduit par France Stratégie...
Je partage votre indignation sur les difficultés d'accès au travail des personnes handicapées. J'ai rappelé ce matin aux préfets, comme chaque mois, la nécessité de cibler les contrats aidés sur les personnes en situation de handicap, les seniors et les jeunes issus des zones de revitalisation rurale (ZRR) et des quartiers faisant l'objet de la politique de la ville.
Pour les personnes en situation de handicap, l'accès à la formation est essentiel. De nouveaux articles du texte l'améliorent. Leur accompagnement médico-social n'est pas moins important, surtout pour celles qui travaillent dans des établissements et service d'aide par le travail (Esat) et ont un projet d'insertion en milieu ordinaire. Nous examinons comment travailler avec Pôle Emploi pour aider les personnes handicapées rencontrant des difficultés persistantes d'accès à l'emploi. Les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) doivent aussi organiser un débat sur l'insertion des personnes en situation de handicap.
Nous avons réfléchi, lors de la première Conférence sociale que j'ai organisée avec Mme Neuville sur les personnes en situation de handicap, à la manière de développer la négociation d'entreprise autour des questions du handicap. Le plan de 500 000 formations supplémentaires doit aussi prendre en compte cette question. Enfin, des manifestations comme les Abilympics aident à valoriser certaines voies et à changer le regard de tous sur les compétences des personnes handicapées. Nous les multiplierons.
Ce texte prévoit plusieurs dispositifs d'accompagnement. Le droit à la formation initiale, d'abord. Puis, la « garantie jeunes », dont nous allons faire un droit universel. Cela ne concernera pas tous les « Not in education, employment or training » ou neet mais uniquement ceux qui sont en situation de précarité et se montrent volontaires et motivés. Je souhaite en effet préserver le travail fin effectué par deux accompagnants pour des groupes de 15 jeunes, qui peuvent ainsi construire un vrai parcours professionnel. Il ne s'agit pas simplement d'une allocation. Fin 2016, 100 000 jeunes auront bénéficié de la « garantie jeunes » ; 80 % des missions locales seront couvertes. Je souhaite qu'au 1 er janvier 2017, toutes les missions locales puissent accueillir des jeunes dans ce dispositif. Le coût sera précisé au cours de l'année. J'ai travaillé sur une hypothèse de 150 000 nouveaux bénéficiaires en 2017. Cela coûterait 600 millions d'euros à l'État -et à l'Union européenne, puisque j'ai déjà fait savoir à la commissaire Thyssen que nous souhaitions prolonger la garantie européenne pour la jeunesse.
Le modèle économique des missions locales, qui doivent suivre les jeunes au terme de leur contrat d'avenir, va faire l'objet d'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui sera rendu en septembre, afin de mieux préparer le budget 2017. Je sais que le coût des locaux, en particulier, déstabilise parfois leurs finances. Si le nombre de jeunes qui entrent dans la démarche dépasse les 150 000, nous pourrons toujours la financer, puisque 800 millions d'euros sont prévus. Il ne s'agit donc pas de plusieurs milliards d'euros, ni même d'un milliard ! Je m'engage à ce que tous les jeunes remplissant les critères que j'ai indiqués bénéficient de la « garantie jeunes » en 2017.
Antoine Lyon-Caen a fait partie de la commission Badinter et approuve le développement de la négociation collective, même s'il est déçu de voir que les principes essentiels que la commission avait formulés ne sont pas directement intégrés dans la loi. Un autre excellent professeur de droit, Jean-Emmanuel Ray, estime lui qu'il est essentiel que nous passions d'une culture de l'affrontement à une culture du compromis.
M. Watrin déclare que c'est le groupe CRC qui représentera les jeunes. Pour avoir été secrétaire d'État à la politique de la ville, je crois à l'importance d'un projet de loi qui comporte un droit universel à la « garantie jeune », un droit universel à la formation pour les salariés les moins qualifiés, un droit à la formation initiale ou encore une aide pour les jeunes boursiers qui cherchent un emploi. Certains syndicats, qui représentent une majorité des salariés, ont souligné que ce texte comportait des avancées majeures et partagent l'objectif d'élargir le champ de la négociation. La Fédération des associations générales étudiantes (Fage), qui est la première organisation dans les universités, a aussi salué dès le mois de mars ces avancées. Les mesures relatives à la rémunération des apprentis ne sont pas défavorables à ces derniers...
Je ne suis pas là pour détricoter le code du travail. Celui-ci est le fruit de luttes et de combats ; nous devons l'adapter avec lucidité. Nous perdons des emplois dans le secteur industriel depuis le deuxième trimestre de 2001 : peut-on dire que notre système protège ? Les contournements du droit du travail sont trop nombreux, mais ils résultent souvent de son inadaptation à certaines contraintes, comme les pics de commande ou d'activité, qui entraînent des recours au travail détaché ou à des intérimaires.
Oui, le mouvement ouvrier a lutté pour conquérir le droit de négocier dans l'entreprise : 1919, 1936, 1945, 1968... et il a fallu attendre les lois Auroux de 1982 pour qu'il y ait une obligation de négocier. Depuis, de la loi Delebarre à la loi de sécurisation de l'emploi, la négociation dans l'entreprise s'est vue reconnaître une plus grande marge de manoeuvre. À chaque fois, certains ont dénoncé une régression sociale, une casse du droit du travail, une déréglementation libérale. Déjà, M. Bergeron s'était opposé aux lois Auroux, et la loi de sécurisation de l'emploi a suscité les mêmes réserves. Pourtant, peut-on sérieusement soutenir que depuis trente ans, les gouvernements ont maltraité les salariés et le code du travail ? Lors du vote de la loi de sécurisation de l'emploi, on nous annonçait le pire : les accords de maintien de l'emploi (AME) allaient être signés en masse par des syndicats qui négocieraient avec le pistolet sur la tempe. Rien de tel ne s'est produit. Il faut faire confiance aux acteurs qui négocient. Certains syndicats mobilisés contre ce texte signent de nombreux accords d'entreprise. En 1982, il y avait 2100 accords. Ils étaient 6 400 en 1992, puis 18 000 en 2002, avec les lois Aubry. Nous en sommes à 35 600 accords d'entreprises signés, et 11 400 ratifiés : la progression est constante, et irréversible, car elle répond aux besoins des entreprises et des salariés.
Pourquoi s'opposer à un dialogue de proximité ? Cette loi ne prévoit pas de décision unilatérale de l'employeur. Pourquoi penser que les salariés et leurs représentants manquent à ce point de discernement qu'ils se feront berner à coup sûr ? La négociation est nécessaire. Elle est faite de compromis et d'ajustements. Faute d'accord, c'est le droit actuel qui s'appliquera. Nous donnons 20 % de moyens supplémentaires aux syndicats, pour que les représentants syndicaux soient mieux formés. Et l'accord majoritaire assurera l'équilibre de la négociation. J'y suis très attachée, car c'est la meilleure garantie des salariés.
Il y a eu beaucoup de rapports et de missions sur la question de la restructuration des branches professionnelles. Nous en avons 700, contre 150 en Allemagne. Les redynamiser améliorerait la qualité des normes conventionnelles et la régulation de la concurrence, ainsi que la gestion des quatre domaines qui continuent de relever obligatoirement de la branche. Cela facilitera la création de filières économiques et de passerelles professionnelles, et donnerait un socle conventionnel solide aux TPE et PME non couvertes par des accords d'entreprise. Nous souhaitons donc accélérer la restructuration des branches. Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à opérer des rapprochements avant fin 2016, le ministre du travail engagera une fusion des branches territoriales et de celles n'ayant pas négocié depuis plus de quinze ans. À défaut de rapprochements dans les trois ans, s'engagera une fusion des branches de moins de 5 000 salariés et de celles n'ayant pas négocié depuis plus de dix ans. Il existe encore une trentaine de branches ou les salaires minimaux sont inférieurs au Smic.
C'est un amendement de M. Robiliard qui instaure une représentation du personnel dans les réseaux de franchisés. Il n'a pas été débattu en séance, mais soulève une vraie question. Il concerne 350 000 salariés dans notre pays, qui ne bénéficient pas du principe énoncé à l'article 8 du préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». Pour autant, cet amendement doit évoluer car sa rédaction n'est pas encore totalement satisfaisante, et le Gouvernement l'a retenu en pensant que le Sénat pourrait l'améliorer.
Nous posons la question du statut du particulier employeur et de la responsabilité sociale des plates-formes collaboratives envers les travailleurs indépendants qui y contribuent, mais la notion d'auto-employeur sera davantage abordée dans la loi que présentera M. Sapin.
M. Yves Daudigny . - Je rends hommage à votre effort de pédagogie sur un texte qui n'est pas simple d'accès et dont vous soulignez, à propos, les avancées et la cohérence. La primauté donnée aux accords d'entreprise sur les accords de branche fait craindre un manque de régulation de la concurrence. Les chauffeurs routiers craignent actuellement de voir leurs revenus baisser fortement. Les chefs d'entreprises du secteur annoncent que la loi aura peu d'impact sur leur branche. Qu'en pensez-vous ?
Mme Claire-Lise Campion . - Nous nous réjouissons que ce texte insiste sur le droit des salariés à la formation tout au long de leur vie professionnelle, et souhaitons que cela bénéficie aux personnes en situation de handicap. Nous sommes à l'avant-veille de la Conférence nationale du handicap, qui se penchera, entre autres, sur l'emploi : le taux de chômage des personnes en situation de handicap atteint 22 %.
Mme Hermeline Malherbe . - Les jeunes ne sont pas un groupe uniforme ! J'en ai rencontré de très différents, ainsi que différents syndicats. Tous s'inquiètent des dispositions relatives au forfait jour annualisé sur trois ans. Certains jeunes sont disposés à cumuler les heures de travail, mais n'est-ce pas au détriment de leur santé ?
M. Michel Amiel . - La loi n'a pas à gérer la pénurie de médecins du travail mais il faut bien qu'elle en tienne compte. Nombre de postes sont délaissés par les internes à l'issue de l'examen national classant. Ne faudrait-il pas une loi sur ce problème, préparée en concertation avec le ministère de la santé ? La prévention, le dépistage, l'éducation à la santé semblent oubliés. La rémunération devrait être forfaitaire, peut-être indexée sur la masse salariale, et plafonnée.
Mme Laurence Cohen . - J'ai relevé quelques contradictions dans vos propos, madame la ministre. Le code du travail repose sur deux principes fondamentaux -la loi et le principe de faveur- qui sont sources d'égalité. Introduire des accords d'entreprise ou de branche revient à créer un principe généralisé de dérogation. N'est-ce pas inverser la hiérarchie des normes ? Ce n'est pas parce que nous ne partageons pas la philosophie de votre texte que n'avons pas, tous, travaillé sur le sujet. Nos positions ne sont pas des postures. Pour l'heure, je vous écoute, mais ne sens pas de débat. D'ailleurs, si nous avons tort, convainquez-nous ! Pourquoi cet amendement de M. Sirugue sur les commissions paritaires de branche ? Celles-ci ont déjà du mal à se réunir une fois par an, comment examineront-elles les accords d'entreprise dans le délai d'un mois pour s'assurer du respect des droits des salariés ?
Vous êtes attachée à l'accord majoritaire, mais en l'absence d'accord, vous faites appel au référendum. N'est-ce pas un contournement, une porte fermée à la démocratie ? Pour avoir rencontré des syndicalistes, des jeunes, des salariés, des femmes, je vois que beaucoup sont inquiets. Même certains patrons de petites entreprises sont heurtés par ce projet de loi, qui semble plutôt fait pour les grands groupes. Aux États-Unis, depuis 1953, une administration est dédiée aux petites entreprises. Pourquoi ne nous inspirerions-nous pas de cet exemple ?
Mme Catherine Deroche . - Il y a un an, lors de l'examen de la loi Macron, le Sénat avait formulé plusieurs propositions, qui ont été rejetées. Certaines sont revenues en faveur depuis. Mais la question des seuils, qu'on nous promet à chaque fois d'aborder dans la prochaine loi, ne figure toujours pas dans ce texte. Il s'agit pourtant d'un vrai frein à l'embauche. Quand vous y attaquerez-vous ? L'article 44, sur la médecine du travail, prévoit désormais une présidence alternée pour les services de santé au travail inter-entreprises. Cette disposition, introduite contre l'avis de la commission, a-t-elle vocation à subsister dans le texte ?
M. Olivier Cadic . - Il y a un an, je proposais, par un amendement à la loi Macron, de modifier l'article L. 1 du code du travail pour inverser la hiérarchie des normes. Mme Bricq m'avait accusé de vouloir brûler le code du travail ! Je suis heureux que le rapport de M. Combrexelle ait fait admettre la nécessité de cette inversion. Dans tous les pays qui ont une forte compétitivité, le code du travail est réduit. En adoptant mon amendement l'an dernier, nous aurions gagné du temps... Le délai de 24 mois que vous prévoyez dans le texte me semble trop long.
Vous renforcez les pouvoirs des syndicats, et rappelez l'importance des lois Auroux et Aubry ; or la France a le taux de syndicalisation le plus faible de l'OCDE après les États-Unis. Pensez-vous que ces nouveaux droits et ces nouvelles rémunérations rendront les syndicats plus attractifs ?
Permettre au comité d'entreprise de dégager une part de son budget de fonctionnement pour la formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux n'est-il pas de nature à heurter les salariés ? Le CPA, dont vous êtes si fière, est certes innovant : comme les 35 heures, aucun pays de l'OCDE ne le connaît ! Comment le ferez-vous fonctionner ? Comment éviter l'usine à gaz ? Comment y intégrer la mobilité internationale ?
Dans seulement trois pays de l'OCDE, le juge apprécie les difficultés économiques pouvant entraîner des licenciements ; au mieux, il vérifie que les consultations prévues ont bien eu lieu. Est-ce ainsi que vous comptez renforcer la compétitivité de notre pays ?
Mme Myriam El Khomri, ministre . - Le secteur des transports routiers présente des spécificités, et notamment un recours massif aux heures supplémentaires, qui sont source de pouvoir d'achat pour les salariés. Je comprends les craintes ; mais cela ne veut pas dire que ce que nous avons prévu favorisera le dumping social. Le choix de la branche en faveur d'une majoration de 25 % pour les huit premières heures supplémentaires et de 50 % pour les suivantes n'est pas remis en cause. Un accord majoritaire d'entreprise pourrait aborder cette question dans le cadre d'une négociation plus large. Il s'agit de subsidiarité. Comme l'a dit un représentant de la CFDT, quel syndicat signerait un accord sur le moins disant ? Faisons confiance aux représentants des salariés, combattifs comme on le voit... à juste titre. La majoration des heures supplémentaires est une source d'attractivité pour les entreprises de ce secteur, sinon l'accord de 1982 aurait déjà été modifié.
Madame Malherbe, la modulation du temps de travail au-delà d'une année répond aux besoins d'industries menant des projets à terme plus long qu'une année. Nous sécurisons le dispositif en mettant en place une période haute et une période basse, permettant aux heures supplémentaires d'être payées tout au long de l'année. Le salarié qui quitte son emploi au milieu de la période doit pouvoir en profiter. Les branches feront le bilan des accords majoritaires. Cela concerne surtout l'automobile et l'aéronautique.
Le plan santé au travail III a été décidé également par les partenaires sociaux. La médecine au travail est effectivement un champ à développer. Attention aux travailleurs intérimaires, que les entreprises utilisatrices ont tendance à placer sur les postes à risque sans cotiser pour les accidents du travail. D'ici quatre ans, nous n'aurons plus que 2 500 médecins du travail : c'est donc une question centrale. Un amendement du député Michel Issindou prévoit un rapport sur le sujet, mais je ne peux pas vous livrer ses conclusions avant qu'il soit rédigé...
Non, madame Cohen, la loi ne généralise pas les dérogations. Inverser la hiérarchie des normes, cela aurait signifié faire de l'accord ou du contrat de travail le régulateur de droit commun, au détriment de la loi -ce que proposent certains. Mais ce n'est pas la philosophie de ce projet de loi. Si le champ de l'accord d'entreprise est élargi, ce n'est que parce que la loi le permet. J'assume les adaptations au plus près des entreprises sur la question du temps de travail -hors durée légale, bien sûr- car c'est ce qui constitue le quotidien. La branche continuera à jouer son rôle, pour éviter le dumping de certaines entreprises en son sein ; la négociation au niveau des branches sera redynamisée avec la réduction de leur nombre et avec les comités permanents. La modulation du temps de travail au-delà d'un an doit être autorisée par un accord de branche. Je ne remets pas en cause la sincérité des craintes qui s'expriment. Il faudra évaluer l'élargissement du champ de la négociation, même si la nécessité d'un accord majoritaire me semble être la meilleure des garanties. Si les délégués syndicaux des entreprises ont un comportement contraire aux intérêts des travailleurs, les négociateurs des branches pourront toujours leur enlever leur signature.
Monsieur Cadic, non, ce texte ne reprend pas votre amendement. Le principe de faveur n'est pas appliqué absolument : les entreprises peuvent aujourd'hui y déroger. Dès la loi Auroux, la branche pouvait déroger au décret sur les contingents d'heures supplémentaires. Sur ce sujet, on ne peut pas être binaire : tout dépend des préférences des salariés, et c'est aux organisations syndicales de déterminer ce qui convient le mieux. Lorsque je demande aux syndicalistes de me citer un mauvais accord signé, ils ne parviennent jamais à le faire.
Mme Annie David . - On vous en citera !
Mme Myriam El Khomri, ministre . - Chez Michelin, chez Renault, les syndicats n'ont signé que parce que l'accord était donnant-donnant. Ce sera encore plus vrai demain avec la garantie de la majorité de 50 %. Il y a des élections tous les deux à quatre ans : un syndicat qui signerait un mauvais accord le paierait aux échéances électorales suivantes.
Je n'ai pas souhaité aborder la question des seuils sociaux, qui ne me semble pas être dans le sujet. Monsieur Cadic, oui, la France est la première à créer le CPA. Il ne faut pas en avoir honte : de nombreux partenaires européens sont jaloux, à l'instar d'Andrea Nahles, mon homologue allemande -comme j'envie l'organisation et la place de l'apprentissage en Allemagne. Il est vrai que les organisations syndicales et patronales n'ont pas le même fonctionnement de part et d'autre du Rhin. La mobilité internationale a été prise en compte par des amendements du député Cordery. Se pose encore la question de la validation des acquis de l'expérience.
M. Alain Milon , président . - Je vous remercie.