B. LE RÉGIME APPLICABLE À L'« ÉTAT D'EXCEPTION »

Le régime applicable à l'« état d'urgence » résulte de la loi organique n° 4 du 1 er juin 1981 sur l'« état d'alerte », l'« état d'exception » et l'« état de siège ».

1. Modalités de déclaration

• Conditions requises

Rappel des conditions posées par la Constitution

La loi organique n° 4 du 1 er juin 1981 dispose que l'« état d'exception », qui est l'homologue de l'état d'urgence au sens du droit français :

- peut être proclamé « lorsque des circonstances exceptionnelles rendent impossible le maintien du cours normal de choses (normalidad) au moyen des compétences de droit commun (ordinarias) des autorités compétentes » (article 1, 1) ;

- n'a pas pour effet d'interrompre le fonctionnement ordinaire des pouvoirs constitutionnels de l'État (article 1, 4).

Conditions générales additionnelles

L'article 1 er de la loi organique précitée prévoit en outre que :

- les mesures prises et la durée de celles-ci doivent être strictement indispensables ( indispensables ) pour assurer le retour de la situation à la normale (article 1 er , 2) ;

- ces mesures doivent être proportionnées aux circonstances (article 1 er , 2) ;

- les compétences exceptionnelles des autorités chargées de la mise en oeuvre de l'« état d'exception » disparaissent au terme de celui-ci, hormis les sanctions définitives (sanctiones firmes) (article 1 er , 3).

Définition

Aux termes de l'article 13 de la loi organique précitée, le Gouvernement peut demander au Congrès des députés l'autorisation de déclarer l'« état d'exception » lorsque « le libre exercice des droits et des libertés des citoyens, le fonctionnement normal des institutions démocratiques et des services publics essentiels à la communauté ou tout autre aspect de l'ordre public sont si gravement altérés que l'exercice des compétences de droit commun ne serait pas suffisant pour le rétablir et le maintenir » (article 13, 1).

• Procédure

Autorités compétentes

Le Gouvernement remet au Congrès des députés une demande d'autorisation qui détaille :

- les effets de l'« état d'exception » en mentionnant expressément les droits et libertés dont la suspension est demandée, dans le cadre de la liste limitative fixée par l'article 55 de la Constitution ;

- les mesures à adopter concernant les droits dont la suspension est spécifiquement demandée ;

- le champ d'application territorial et la durée, dans la limite de trente jours, de l'« état d'exception » ;

- le montant maximum des sanctions pécuniaires que les autorités administratives ( autoridad gubernativa ) sont autorisées à infliger aux contrevenants (article 13, 2).

Le Congrès des députés débat de la demande, peut l'approuver dans les termes qu'il détermine et y introduire des modifications (article 13, 3).

La déclaration relative à l'« état d'exception » est publiée immédiatement à l'équivalent du Journal officiel et diffusée par tous les moyens de communication publics et privés, de même que les mesures prises ultérieurement par les autorités compétentes (article 2).

Lorsque la déclaration d'état d'urgence concerne exclusivement tout ou partie du territoire d'une communauté autonome, l'autorité administrative peut coordonner l'exercice de ses compétences avec le Gouvernement de cette communauté (article 31).

Mise en oeuvre

Le Gouvernement déclare l'« état d'exception » par un décret en Conseil des ministres, lequel contient l'autorisation du Congrès des députés (article 14).

Modification, renouvellement, cessation

Si le Gouvernement :

- souhaite adopter des mesures autres que celles autorisées par le Congrès des députés, il présente à celui-ci une nouvelle demande, dans les conditions applicables à la demande initiale (article 15, 1) ;

- désire mettre fin à l'« état d'exception » avant le terme initialement prévu, il en informe le Congrès des députés (article 15, 2) ;

- l'estime nécessaire, il peut demander au Congrès des députés la prorogation de l'« état d'exception » pour au plus trente jours (article 15, 3).

2. Restriction des libertés publiques résultant de l'« état d'exception »

Détention

Les autorités administratives pourront détenir, dix jours au plus, toute personne si elles l'estiment nécessaire pour la préservation de l'ordre public si des soupçons « fondés » existent sur le fait que cette personne s'apprête à porter atteinte à l'ordre public. Cependant, conformément à l'article 17, 3 de la Constitution, la personne est informée sans délai et de manière compréhensible des raisons de sa détention, sans qu'elle soit obligée de faire une déclaration, un avocat lui étant garanti (article 16, 1).

Durant la détention, qui est communiquée au juge compétent dans les vingt-quatre heures, celui-ci peut à tout moment demander des informations, d'office ou par l'intermédiaire d'un juge délégué (juez de instrucción) du lieu où se trouve le détenu.

Droit des étrangers

Les étrangers séjournant en Espagne sont, sous l'empire de l'« état d'exception », tenus de répondre aux citations à comparaître, de respecter les règles en matière de renouvellement et de permis de résidence et de documents d'inscription consulaire, ainsi que toute autre formalité. Ceux qui contreviennent aux mesures prises ou agissent de connivence avec des personnes qui perturbent l'ordre public peuvent être expulsés, à moins que leurs actes ne semblent contenir l'indice d'un délit, auquel cas ils sont soumis aux procédures judiciaires en vigueur. Les apatrides et réfugiés dont l'expulsion n'est pas possible sont soumis au régime applicable aux Espagnols. Les mesures d'expulsion sont motivées avant d'être appliquées (article 24).

Limitation de la liberté de réunion

Lorsque le Parlement a autorisé la suspension de l'application de l'article 21 de la Constitution relatif à la liberté de réunion, l'autorité administrative peut :

- soumettre à autorisation préalable ou interdire les réunions et manifestations, à l'exception des réunions organisées par les partis politiques, les syndicats et les organisations patronales ;

- ordonner la dissolution de ces réunions, à l'exception des réunions organisées par les partis politiques, les syndicats et les organisations patronales (article 22, 3).

Afin de permettre à ses agents de pénétrer dans des locaux où ont lieu des réunions, l'autorité administrative leur fournit une autorisation formelle écrite, sauf dans le cas où l'activité menée dans ces locaux occasionne une perturbation grave à l'ordre public constituant un délit ou une agression des forces de sécurité, ainsi que dans tout autre cas de flagrant délit (article 22, 3).

Limitation du droit de grève

Lorsque le Parlement a autorisé la suspension de l'application des articles 28-2 et 37-2 de la Constitution relatifs au droit de grève, l'autorité administrative peut interdire les grèves et les actions de conflit collectif (medidas de conflicto collectivo) (article 23).

Limitation de la liberté d'aller et venir

Lorsque le Parlement a autorisé la suspension de l'application de l'article 19 de la Constitution relatif à la liberté d'aller et venir, l'autorité administrative peut interdire la circulation de personnes et de véhicules aux heures et dans les lieux qu'elle détermine et exiger des personnes qui se déplacent qu'elles attestent leur identité et fixer un itinéraire obligatoire (article 20, 1).

Afin de faire face à la dangerosité des personnes concernant le maintien de l'ordre public attestée par des « motifs fondés », l'autorité administrative peut :

- déterminer des périmètres de protection ou de sécurité et les conditions de séjour dans ceux-ci des personnes qui peuvent gêner l'action de la force publique (article 20, 2) ;

- exiger que des personnes lui communiquent, avec un préavis de deux jours, tout déplacement hors de la localité où elles ont leur résidence habituelle (article 20, 3) ;

- prévoir le déplacement de ces personnes hors de cette localité si elle l'estime utile (article 20, 4) ;

- assigner provisoirement une personne à résidence dans une localité donnée, adaptée à sa situation personnelle (article 20, 5) ;

- pourvoir aux moyens nécessaires pour l'accomplissement des mesures prévues en ces matières (voyages, logements, entretien des personnes concernées...).

Perquisitions (article 17)

Lorsque le Parlement a autorisé la suspension de l'application de l'article 18 de la Constitution relatif à la liberté d'aller et venir, l'autorité administrative peut organiser des inspections (inspecciones) et des perquisitions (registros) domiciliaires lorsqu'elle l'estime nécessaire pour faire la lumière sur des faits présumés délictueux et pour la préservation de l'ordre public (article 17, 1). Ces opérations seront réalisées par l'autorité elle-même ou par ses agents, munis d'un ordre formel et écrit.

La visite (reconocimiento) de la maison ainsi que le contrôle des papiers et des effets peuvent être réalisés en présence du propriétaire (titulario) , d'un représentant, d'un ou de plusieurs membres de sa famille majeurs, ou de voisins du quartier ou des environs, ou à défaut de deux voisins de la même commune ou de la ou des communes voisines.

Faute de propriétaire, de représentant, ou de membre de sa famille, la visite s'effectue en présence des seuls voisins qui, ayant été requis, seront tenus d'y participer.

Un acte est établi à la suite de l'inspection (inspección) ou de la perquisition (registro) , qui précise le nom des participants et les incidents survenus. Il est signé par l'autorité administrative et par les témoins (el dueño o familiares y vecinos) .

L'autorité administrative communique sans délai au juge l'inspection ou la perquisition, ses causes et ses résultats et une copie de l'acte établi (article 17).

Saisie d'armes

L'autorité administrative peut saisir tout type d'armes, de munitions ou de substances explosives (article 25).

Contrôle de certaines activités

L'autorité administrative peut :

- ordonner l'intervention ou la supervision temporaire des industries et commerces susceptibles de menacer ou faciliter une menace à l'ordre public en rendant compte à tous les ministères concernés ;

- ordonner la fermeture préalable des salles de spectacle, des débits de boisson et des locaux du même type (article 26).

Contrôle des transports

L'autorité administrative peut contrôler tous les moyens de transport et leur cargaison (article 19).

Contrôle des communications

Lorsque le Congrès des députés a autorisé la suspension des dispositions de :

- l'article 18 de la Constitution relatif au secret des communications, l'autorité administrative peut contrôler tout type de communications, y compris postales, télégraphiques ou téléphoniques si cela est nécessaire pour mettre en lumière des faits présumés délictueux ou pour préserver l'ordre public, le juge compétent étant immédiatement informé de ce contrôle (article 18) ;

- l'article 20, 1 a) et d) et 5 de la Constitution relatif à la liberté d'expression, l'autorité administrative peut suspendre tout type de publications, d'émissions radiophoniques ou télévisées, de projections cinématographiques et de représentations théâtrales et ordonner la saisie des publications, sans pouvoir exercer de censure préalable (article 21).

Mesures de surveillance et de protection

L'autorité publique peut ordonner les mesures de surveillance et de protection des édifices, installations, ouvrages, services publics et industries de tout type, notamment en instaurant une surveillance armée appropriée (article 27).

Divers

Lorsqu'un trouble à l'ordre public occasionne l'un des dommages qui justifie l'instauration de l'état d'alerte prévu à l'article 4 (cas de calamités publiques, crise sanitaire et paralysie des services publics) ou coïncide avec eux, le Gouvernement peut adopter, outre les mesures applicables à l'« état d'exception », celles applicables à l'« état d'alerte » (article 28).

Si un fonctionnaire ou une personne au service de l'administration ou d'une entité publique favorise l'accomplissement d'actes perturbant l'ordre public, l'autorité administrative peut le suspendre de l'exercice de ses fonctions, et transmettre son dossier aux autorités chargées d'engager des poursuites pénales, d'une part, et des poursuites disciplinaires, d'autre part (article 29).

3. Contrôles de la mise en oeuvre, contentieux et sanctions pénales

• Contentieux des atteintes aux droits individuels

Les actes de l'administration pris durant la période où l'« état d'exception » est en vigueur sont susceptibles de recours juridictionnel dans les conditions de droit commun (article 3).

Les personnes qui subissent des dommages du fait de l'« état d'exception » au titre d'actes qui ne leur sont pas imputables ont droit à indemnisation (article 3).

• Sanctions pénales applicables en cas de violation de l'« état d'urgence »

Si un juge constate, durant la période où s'applique l'« état d'exception », des faits contraires à l'ordre public et à la sécurité, il peut, après avoir entendu le Parquet, placer le responsable en détention provisoire ( prisión provisional ) jusqu'à la fin de l'« état d'exception ». Les personnes condamnées dans de telles circonstances ne peuvent bénéficier de la remise conditionnelle durant la période où s'applique l'« état d'exception » (article 30).

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