C. UNE « PRATIQUE » EUROPÉENNE DE PLUS EN PLUS SENSIBLE À LA QUESTION DES COLONIES
1. La question des colonies et le droit dérivé
L'exclusion des colonies du champ d'application de l'accord Union européenne-Israël est clairement réaffirmée dans la législation européenne via un règlement de 2013 concernant les normes de commercialisation dans le secteur des fruits et légumes. Aux termes de celui-ci, la couverture territoriale des certificats de conformité aux normes de commercialisation européennes est limitée au territoire de l'État d'Israël à l'exclusion des territoires sous administration israélienne depuis juin 1967 6 ( * ) . Israël ne peut, dans ces conditions, délivrer des certificats de conformité pour des légumes et fruits frais provenant des territoires occupés. Un règlement adopté en 2014 est venu compléter ce dispositif dans le domaine des volailles en indiquant que la couverture géographique des certificats des autorités vétérinaires israéliennes était limitée au territoire de l'État d'Israël, à l'exclusion des territoires occupés, conformément au droit international 7 ( * ) . Dans la foulée, l'Union européenne a notifié à Israël, le 22 mai 2014, la fin de la reconnaissance des contrôles vétérinaires israéliens sur les produits d'origine animale menés dans les territoires occupés à compter du 1 er septembre 2014. Cette disposition a conduit Israël à cesser l'exportation de ces produits en provenance des colonies à partir de novembre 2014.
Ces mesures avaient été précédées en juillet 2013 de lignes directrices relatives à l'éligibilité aux subventions, prix et instruments financiers de l'Union européenne des entités israéliennes établies dans les territoires occupés. S'appliquant principalement au domaine de la recherche, celles-ci établissent des principes clairs :
- seules les entités israéliennes dont le lieu d'établissement est situé à l'intérieur des frontières d'avant 1967 sont considérées comme éligibles aux prix, subventions et aux instruments financiers ;
- les activités déployées par les entités israéliennes sont éligibles si elles ne se déroulent pas, même partiellement, dans les territoires occupés. Il convient de relever une distinction entre prix et subventions d'un côté et instruments financiers de l'autre. Dans le premier cas, seule l'activité éligible est prise en compte alors que dans le second cas, toutes les activités de l'entité qui sollicitent un prêt, une garantie ou une participation sont étudiées.
Le lieu d'établissement est l'adresse légale d'enregistrement de l'entité, confirmée par une adresse postale précise correspondant à un emplacement physique concret. Le recours à une boîte postale n'est pas autorisé.
Chaque entité israélienne candidate doit donc adresser une déclaration sur l'honneur pour pouvoir bénéficier de prix, de subventions ou d'instruments financiers. Ce document doit indiquer que la demande est conforme aux lignes directrices.
Les activités destinées à permettre la mise en oeuvre de la politique de l'Union européen dans le cadre du processus de paix au Proche-Orient ou celles en faveur de la protection humanitaire sont exclues du champ d'application des lignes directrices.
L'adoption de ces lignes directrices est intervenue dans un contexte particulier, celui de l'entrée en vigueur, en janvier 2013, du protocole relatif à l'évaluation de la conformité et l'acceptation des produits industriels (ACAA) et la signature, le 8 juin 2014, d'un nouvel accord de coopération en matière de recherche associé au programme « Horizon 2020 ». Les négociations autour de l'ACAA ont donné lieu à de vifs débats au Parlement européen quant à son champ d'application. Les députés s'interrogeaient notamment sur la provenance des produits industriels, estimant que l'ACAA ne pouvait légitimer implicitement l'occupation des territoires palestiniens.
2. La communication interprétative du 11 novembre 2015
La Commission européenne a présenté, le 11 novembre 2015, une communication interprétative relative à l'indication de l'origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis 1967. Conformément au droit international, le plateau du Golan, la bande de Gaza et la Cisjordanie (dont Jérusalem-Est) ne sont pas considérés par l'Union européenne comme faisant partie du Territoire israélien. L'Union européenne s'est, à plusieurs reprises, prononcé contre une modification du tracé des frontières antérieur à 1967.
Le droit européen impose pour un certain nombre de produits la mention de l'origine. Il s'agit notamment des produits cosmétiques, des fruits et légumes frais, du poisson, du vin, du miel, de l'huile d'olive, du boeuf et du veau, de la viande de volaille préemballée importée de pays tiers et des viandes fraîches, réfrigérées et congelées des animaux des espèces porcines. L'origine doit être correcte et ne saurait induire le consommateur en erreur. Dans les cas où la mention de l'origine n'est pas obligatoire, une directive de 2005 rappelle qu'en cas de mention volontaire, l'information doit, là encore, être correcte et ne peut induire le consommateur en erreur 8 ( * ) . La Commission rappelle par ailleurs que l'indication d'origine devient obligatoire :
- en ce qui concerne les denrées alimentaires, si l'omission de cette mention induit le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit ;
- en ce qui concerne les autres marchandises, lorsque l'omission conduit le consommateur à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement.
Les États membres sont tenus de vérifier la bonne application de la législation sur les indications d'origine.
Dans ces conditions, l'indication « produit en Israël » n'est pas considérée comme correcte par la Commission européenne dès lors que ces produits sont issus des territoires occupés, a fortiori s'ils sont en provenance de colonies de peuplement. La Commission européenne propose de fait deux types de mentions :
- « produit originaire de Cisjordanie (produit palestinien) », « produit originaire de Gaza » ou « produit originaire de Palestine » pour les produits issus des territoires occupés mais non originaires des colonies de peuplement ;
- « produit originaire de Cisjordanie (colonie israélienne) » ou « produit originaire du Plateau du Golan (colonie israélienne) » pour les produits issus des colonies de peuplement.
Il s'agit de suggestions de la part de la Commission européenne. Cette communication ne crée pas, selon elle, de nouvelles normes en la matière et vise simplement à respecter la législation existante. Il ne saurait, à ses yeux, être question de mettre en place un boycott ou une interdiction des produits mais juste à permettre au citoyen européen d'effectuer un achat en conscience. Cette décision est, de fait, purement technique et ne s'inscrit pas en soutien au mouvement international BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) lancé en juillet 2005 à Paris par 170 ONG palestiniennes, ou au mouvement belge à vocation européenne CNCD-11.11.11, composé d'une vingtaine d'associations et à l'origine de l'initiative « Made in illegality » 9 ( * ) . Aucune disposition n'est, cependant, prise pour améliorer le traçage des produits alors même que les mesures introduites en 2005 peinent à prouver leur efficacité, comme en témoigne l'affaire Brita .
La publication de cette communication fait suite
à l'envoi, le 13 avril 2015, d'une lettre signée par
16 ministres des affaires étrangères
- dont le
ministre français- et adressée à la
Haute-représentante pour les affaires étrangères et la
politique de sécurité
10
(
*
)
.
Le document dénonçait
l'expansion continue des colonies israéliennes et considérait
l'étiquetage différencié comme la mise en oeuvre de la
politique de l'Union européenne en faveur de la solution à deux
États. Cette demande avait déjà été
exprimée deux ans plus tôt
11
(
*
)
.
Trois États membres ont déjà mis en place des lignes directrices destinées à distinguer l'origine des produits en provenance d'Israël : le Royaume-Uni (depuis 2009), le Danemark (depuis 2012) et la Belgique (depuis 2014).
* 6 Règlement d'exécution (UE) n° 594/2013 du 21 juin 2013 modifiant le règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 en ce qui concerne les normes de commercialisation dans le secteur des fruits et légumes et rectifiant ce règlement d'exécution.
* 7 Règlement d'exécution (UE) n° 166/2014 du 17 février 2014 modifiant le règlement (CE) n° 798/2008 en ce qui concerne les exigences de certification applicables à l'importation dans l'Union de viandes de ratites d'élevage destinées à la consommation humaine et les inscriptions relatives à Israël et à l'Afrique du Sud figurant sur la liste des pays tiers ou territoires.
* 8 Directive n° 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur.
* 9 Le mouvement s'appuie sur le rapport publié en février 2014 par François Dubuisson, professeur de droit international au sein du Centre de droit international de l'Université libre de Bruxelles (ULB) : Les obligations internationales de l'Union européenne et de ses États membres concernant les relations avec les colonies israéliennes .
* 10 Outre la France, l'Autriche, la Belgique, la Croatie, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Slovénie et la Suède ont également signé cette lettre, à la différence de l'Allemagne.
* 11 La lettre adressée en avril 2013 était signée par 13 pays : l'Autriche, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, l'Irlande, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Slovénie.