C. UNE PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE SUSCITANT DES RÉSERVES ET AYANT POUR EFFET DE REMETTRE EN CAUSE LE RÉGIME ACTUEL DES CULTES
Au-delà des objectifs poursuivis, la rédaction de la proposition de loi soulève des réserves importantes de la part de votre rapporteur.
D'une part, il serait redondant de mentionner que la République assure la liberté de conscience et le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l'État, tout en faisant référence au titre I er de la loi de 1905 qui pose ces mêmes principes, dans une formulation parfois identique. De plus, il existe déjà des normes de valeur constitutionnelle partiellement comparables, que ce soit à l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ou à l'article 1 er de la Constitution de 1958, même s'il est vrai que ces normes ne correspondent pas à l'intégralité des principes énoncés en 1905. Dès lors, l'apport d'une telle révision serait sans doute inexistant .
De plus, au sein du titre I er de la loi de 1905 à laquelle on voudrait donner valeur constitutionnelle, l'article 1 er fait référence, en matière de libre exercice des cultes, aux « seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public », qui renvoient en réalité au régime de la police des cultes défini aux articles 25 à 36 de la loi 72 ( * ) . Faudrait-il en déduire que ce régime se verrait aussi accorder, implicitement, valeur constitutionnelle ? Votre rapporteur souligne l'incertitude pesant sur le champ précis des dispositions de la loi de 1905 qui se trouveraient constitutionnalisées avec la proposition de loi constitutionnelle.
D'autre part, votre rapporteur se montre perplexe quant à l'idée de faire référence à une loi ordinaire dans la Constitution, fût-elle celle de 1905, pour déterminer les principes de la République. Il s'agirait d'une première 73 ( * ) . La constitutionnalisation par renvoi à des normes externes à la Constitution, en dehors de cas spécifiques liés à des traités internationaux, n'est pas de bonne méthode, selon votre rapporteur. On pourrait d'ailleurs s'interroger sur les conditions dans lesquelles le législateur pourrait modifier, le cas échéant, les dispositions de la loi de 1905 ainsi constitutionnalisées 74 ( * ) .
En revanche, au-delà des questions d'ordre rédactionnel, la présente proposition de loi constitutionnelle remettrait immédiatement en cause des pans entiers du régime actuel des cultes en France , largement exposés supra , alors qu'aujourd'hui ceux-ci contribuent pourtant à des rapports pacifiés entre l'État et les cultes et à une liberté d'exercice plus effective pour les cultes.
En effet, adopter la proposition de loi constitutionnelle donnerait une valeur constitutionnelle au principe de non-subventionnement - seul principe des deux premiers articles de la loi de 1905 qui n'a aujourd'hui qu'une valeur législative -, interdirait tout subventionnement aux cultes et donc remettrait en cause toutes les dispositions législatives permettant un tel subventionnement, de façon directe ou indirecte, ainsi que la jurisprudence libérale du Conseil d'État : avantages fiscaux, subventions autorisées en matière d'édifices cultuels, bail emphytéotique administratif, garanties d'emprunts... Les dérogations qui ont été expressément prévues par la loi de 1905 elle-même à l'interdiction de subventionner un culte, pour le financement des édifices cultuels communaux comme l'entretien des édifices cultuels appartenant aux associations cultuelles, seraient elles aussi, paradoxalement, remises en cause, car elles ne figurent pas au titre I er de la loi : seul le financement des aumôneries dans les établissements publics serait possible, puisqu'il est prévu à l'article 2.
En outre, l'ensemble des régimes particuliers applicables en matière cultuelle à certains territoires se trouverait également remis en cause, tant dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle que dans les sept collectivités ultramarines concernées, puisque ces régimes dérogent plus ou moins largement à la loi de 1905, qui n'y a jamais été rendue applicable.
Plusieurs professeurs de droit entendus par votre rapporteur ont ainsi estimé que cette proposition de loi constitutionnelle était, au mieux, inutile et, au pire, dangereuse, y compris lorsqu'ils approuvaient l'idée de mieux définir le principe de laïcité dans la Constitution.
Par ailleurs, votre rapporteur s'interroge sur l'impact éventuel d'une telle évolution constitutionnelle sur, notamment, les contributions de l'État et des collectivités territoriales au financement des établissements d'enseignement privés à caractère confessionnel 75 ( * ) et plus largement sur l'idée d'établissements confessionnels sous contrat avec l'État, sur l'existence des facultés de théologie de l'université de Strasbourg, sur le financement par l'État des différentes formations universitaires destinées aux responsables musulmans 76 ( * ) ou encore la subvention d'équilibre dont bénéficie le régime de protection sociale des cultes 77 ( * ) .
* 72 Voir supra.
* 73 Seules les dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie, très spécifiques et prises pour appliquer l'accord de Nouméa de 1998, font de même, pour déterminer un corps électoral particulier. L'article 76 de la Constitution fait référence à « l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 », tandis que l'article 77 fait référence aux « articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ». Par ailleurs, la Constitution fait plusieurs fois référence à des traités internationaux particuliers.
* 74 En tout état de cause, si le législateur modifiait la rédaction ou étendait le contenu du titre I er de la loi de 1905, ces modifications ne pourraient pas être revêtues d'une valeur constitutionnelle : le législateur ordinaire ne peut pas intervenir dans le domaine de la Constitution. Le contenu du titre I er ayant valeur constitutionnelle serait celui en vigueur à la date de la révision constitutionnelle, selon un principe de « cristallisation ».
* 75 Rémunération par l'État des enseignants des établissements sous contrat, contribution des collectivités territoriales au fonctionnement des établissements sous contrat d'association...
* 76 À ce jour, 13 diplômes universitaires ont été créés, dans différentes universités, pour former des cadres religieux musulmans, le premier ayant été ouvert à Strasbourg. Ils comportent un enseignement historique et civique, un enseignement de droit des cultes et un enseignement de vie religieuse. Ils sont financés par le ministère de l'intérieur à hauteur de 15 000 euros par diplôme, de sorte que les étudiants n'ont à leur charge que les droits universitaires normaux.
* 77 Créé par la loi n° 78-4 du 2 janvier 1978 relative aux régimes d'assurance maladie, maternité, invalidité, vieillesse, applicables aux ministres des cultes et membres des congrégations et collectivités religieuses, ce régime est aujourd'hui géré par la caisse d'assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes (CAVIMAC), créée par la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle.