Rapport n° 312 (2015-2016) de M. Michel MAGRAS , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 20 janvier 2016
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EXPOSÉ GÉNÉRAL
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LA FILIÈRE CANNE À SUCRE ULTRAMARINE
EST UN VÉRITABLE POUMON ÉCONOMIQUE QUI ASSOCIE TRADITION,
MODERNISATION ET POSITIONNEMENT SUR DES PRODUITS DE QUALITÉ.
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S'OPPOSER À UNE INCOHÉRENCE :
APRÈS AVOIR SOUTENU LA MONTÉE EN GAMME DE LA FILIÈRE
SUCRIÈRE ULTRAMARINE, L'UNION EUROPÉENNE RISQUE DE PORTER UN COUP
FATAL À CELLE-CI AU DÉTOUR DE CLAUSES IMPRÉCISES INCLUSES
DANS DES ACCORDS COMMERCIAUX AVEC DES PAYS À TRÈS FAIBLE
COÛT DE MAIN-D'oeUVRE.
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L'IMPACT POTENTIELLEMENT DÉVASTATEUR DE
CERTAINS ACCORDS COMMERCIAUX SUR CE PILIER ÉCONOMIQUE ULTRAMARIN
ÉTANT DÉMONTRÉ, VOTRE COMMISSION APPROUVE À
L'UNANIMITÉ LA MÉTHODOLOGIE PRÉSENTÉE PAR
CETTE PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE :
ÉVALUATION PRÉALABLE, COHÉRENCE ET TRANSPARENCE.
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LA FILIÈRE CANNE À SUCRE ULTRAMARINE
EST UN VÉRITABLE POUMON ÉCONOMIQUE QUI ASSOCIE TRADITION,
MODERNISATION ET POSITIONNEMENT SUR DES PRODUITS DE QUALITÉ.
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EXAMEN EN COMMISSION
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PROPOSITION DE RÉSOLUTION
EUROPÉENNE
N° 312
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016
Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 janvier 2016 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de résolution européenne présentée par M. Michel MAGRAS et Mme Gisèle JOURDA en application de l'article 73 quinquies du Règlement, relative aux effets des accords commerciaux conclus par l' Union européenne sur les économies sucrières et la filière de la canne des régions ultrapériphériques ,
Par M. Michel MAGRAS,
Sénateur
et TEXTE DE LA COMMISSION
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir , président ; Mmes Élisabeth Lamure, Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard , vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido , secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, MM. Yves Rome, Henri Tandonnet . |
Voir les numéros :
Sénat : |
282 et 299 (2015-2016) |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le 14 janvier 2016, la commission des affaires européennes du Sénat a adopté, en y apportant plusieurs précisions, la proposition de résolution européenne n° 282 (2015-2016) de nos collègues Michel Magras et Gisèle Jourda relative aux effets des accords commerciaux conclus par l'Union européenne sur les économies sucrières et la filière de la canne des régions ultrapériphériques françaises.
Cette initiative est le prolongement du rapport d'information n° 247 (2015-2016) élaboré par les mêmes auteurs au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer et déposé le 10 décembre 2015. Le titre de ce document très complet de 90 pages résume clairement la question posée : le sucre des régions ultrapériphériques est en danger et il faut sauver cette filière vitale des méfaits d'une politique commerciale européenne dogmatique .
La procédure applicable à ce texte est prévue par l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat : il en résulte que la commission des affaires économiques doit examiner cette proposition de résolution sur la base du texte adopté par la commission des affaires européennes . Par la suite, le texte adopté devient la résolution du Sénat au terme d'un délai de trois jours francs suivant la date de la publication du rapport de la commission sauf si le Président du Sénat, le président d'un groupe, le président d'une commission permanente, le président de la commission des affaires européennes ou le Gouvernement demande, dans ce délai, qu'elle soit examinée par le Sénat. Si, dans les sept jours francs qui suivent cette demande, la Conférence des présidents ne propose pas ou le Sénat ne décide pas son inscription à l'ordre du jour, la proposition de résolution de la commission devient la résolution du Sénat. Enfin, les résolutions européennes sont transmises au Gouvernement et à l'Assemblée nationale.
Sur le fond, depuis sa création, notre commission des affaires économiques privilégie, dans ses analyses et ses décisions, le bon sens et les réalités de terrain. Elle soutient également, tout comme le rapport Louis Gallois, la voie de la montée en gamme de l'économie française pour surmonter nos difficultés économiques tout en préservant nos équilibres sociaux. Incontestablement, la présente proposition de résolution est parfaitement en ligne avec cette approche. En effet, pendant des décennies, l'Union européenne a opportunément soutenu la modernisation de la filière sucrière ultramarine et son positionnement stratégique sur les sucres haut de gamme. Il serait incohérent de ruiner ces efforts en ouvrant brutalement à des pays où le coût de la main-d'oeuvre est 19 fois moins élevé qu'en Europe un « boulevard » pour se positionner sur ces sucres spéciaux.
L'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Vietnam aujourd'hui en voie de finalisation a été le déclencheur de cette initiative sénatoriale. La principale phase de négociation a pris fin le 4 août 2015 mais c'est seulement en octobre dernier que les parlementaires ont été alertés sur une clause de cette convention accordant un contingent de 20 000 tonnes de sucre au Vietnam qui inclut les sucres spéciaux. Jusqu'alors, la politique commerciale de l'Union européenne avait donné des gages de cohérence avec sa politique de développement des régions ultramarines puisque l'accord de 2014 avec l'Afrique du Sud désignait à juste titre les sucres spéciaux comme produits sensibles et devant être protégés .
La question posée comporte plusieurs facettes, internationale, juridique, institutionnelle et douanière, parfaitement traitées par la délégation sénatoriale à l'outre-mer et la commission des affaires européennes. L'essentiel reste cependant sa dimension économique et c'est sur ce point que votre commission a centré son analyse avec une étude d'impact qui démontre la nécessité de prévenir le risque qui se profile : détruire, au détour de quelques clauses rédigées de façon imprécise dans des accords commerciaux, une filière sucrière qui est à la fois un socle pour les territoires ultramarins et un investissement à long terme conçu pour approvisionner le consommateur européen en produits de qualité .
LA FILIÈRE CANNE À SUCRE ULTRAMARINE EST UN VÉRITABLE POUMON ÉCONOMIQUE QUI ASSOCIE TRADITION, MODERNISATION ET POSITIONNEMENT SUR DES PRODUITS DE QUALITÉ.
Afin de synthétiser les données disponibles, il convient de rappeler que la canne à sucre, pour nos départements d'outre-mer (DOM), est un secteur vital qui représente un tiers de la surface agricole utile, 40 000 emplois et un des principaux produits d'exportation .
Fragiliser ce poumon économique, c'est proportionnellement comme si on menaçait trois millions d'emplois dans l'hexagone et, en réalité, l'enjeu est encore bien plus important.
D'abord, le taux de chômage ultramarin est deux fois plus élevé que la moyenne nationale.
Ensuite, dans les DOM, le risque sucrier concerne non seulement l'activité des bassins agricoles mais aussi l' emploi industriel et les unités de recherche associés à la production de sucre, sans oublier l'activité de transport pendant six mois de l'année induite par les plannings de récolte.
Enfin, la filière agro-industrielle fabrique non seulement du sucre mais valorise aussi les co-produits destinés à l'alimentation animale, la distillation du rhum, la fertilisation des sols et la production d'énergie. Je précise que ces co-produits représentent, par exemple, 10 à 30% de l'électricité à La Réunion, selon la période de récolte. Cependant la valorisation de la canne est huit fois plus élevée lorsqu'on produit du sucre : il y a donc une complémentarité mais pas de substitution possible entre ces usages.
Mieux adaptée, par exemple, que le café ou les épices au climat des zones de production ultramarines, la culture sucrière est également, comme l'a rappelé notre collègue Serge Larcher lors du débat en commission, un des socles de la structuration sociale des outre-mer ainsi que de leur identité. En témoignent l'histoire et aussi le fait que, tout comme la vigne en métropole, la canne à sucre façonne les paysages des départements d'outre-mer.
Rappel des principales données de la filière sucre ultramarine. La Réunion produit 80 % du sucre des DOM, avec 196 000 tonnes en équivalent sucre blanc par an sur un total de 260 000 tonnes. La surface moyenne des exploitations cannières est de 7,6 hectares et la canne est transformée par deux usines, Bois-Rouge au nord-est et Le Gol au sud-ouest, qui, avec des technologies différentes, produisent une gamme de sucres variée. Le rhum réunionnais est le résultat d'une seconde transformation à partir de la mélasse provenant de la première transformation sucrière avec un modèle de production différent de celui des Antilles. La Guadeloupe produit, pour sa part, 59 000 tonnes équivalent sucre blanc avec des exploitations de petite taille, 3,4 hectares en moyenne, mais en ayant largement recours à des récoltes mécaniques ou semi-mécaniques, à l'exception du territoire de Marie-Galante où la récolte est essentiellement manuelle. La Guadeloupe dispose de deux usines sucrières : Gardel localisée sur l'île principale qui broie environ 80 % des tonnages de canne produits en Guadeloupe continentale et une plus petite unité, localisée sur l'île de Marie Galante : les Sucreries Rhumeries de Marie-Galante. La filière martiniquaise , avec 2 400 tonnes équivalent sucre blanc, se caractérise par son orientation vers la production de rhum agricole. La majorité des exploitations ont une superficie inférieure à 3 ha et certaines d'entre elles sont situées dans des zones accidentées, ce qui entraîne des coûts de production élevés. Une seule sucrerie subsiste en Martinique : la SAEM du Galion et ses produits sont essentiellement vendus sur le marché local. |
S'OPPOSER À UNE INCOHÉRENCE : APRÈS AVOIR SOUTENU LA MONTÉE EN GAMME DE LA FILIÈRE SUCRIÈRE ULTRAMARINE, L'UNION EUROPÉENNE RISQUE DE PORTER UN COUP FATAL À CELLE-CI AU DÉTOUR DE CLAUSES IMPRÉCISES INCLUSES DANS DES ACCORDS COMMERCIAUX AVEC DES PAYS À TRÈS FAIBLE COÛT DE MAIN-D'oeUVRE.
Le raisonnement économique présenté par votre rapporteur aurait dû être conduit par la commission européenne sous forme d'étude d'impact avant de s'engager dans la négociation d'un accord avec le Vietnam ou avec tout autre pays producteur de canne à sucre.
La fin des quotas sucriers dans l'Union européenne - À l'heure actuelle, les 260 000 tonnes de sucre produits dans les DOM ont un accès garanti au marché européen.
Telle est la conséquence concrète du marché réglementé par l'Union européenne : depuis 1969, et même après la réforme de 2005, il comporte une garantie de prix minimal assortie de quotas qui limitent la production ainsi que les exportations. En pratique, les productions des outre-mer n'ont jamais atteint les quotas autorisés, principalement en raison de l'exiguïté des territoires. En revanche, la production en Europe continentale a été bridée.
À partir de 2017, ces quotas seront supprimés et le marché du sucre sera totalement libéralisé. En conséquence, la production de sucre des DOM n'aura plus d'accès garanti au marché européen.
Cette suppression des quotas représente un choc important et il faut ici distinguer entre le sucre blanc et les sucres spéciaux pour prendre la mesure des défis à relever.
Le maintien de la compétitivité sur le marché du sucre blanc est compromis pour la filière ultramarine qui est confrontée à des surcoûts et à l'impossibilité d'augmenter ses surfaces cannières pour produire plus .
Sur les 260 000 tonnes de sucre produites outre-mer, environ 60 % sont transformés dans les raffineries européennes pour y devenir du sucre blanc , après quoi il n'est plus possible de les distinguer du sucre de betterave.
Après la suppression des quotas en 2017, ce sucre ultramarin se retrouvera en concurrence avec le sucre de betterave ou le sucre de canne en provenance des pays tiers face aux chaînes d'hypermarchés et aux grands utilisateurs industriels. Nul doute que les outre-mer rencontreront alors des problèmes de compétitivité.
En effet, la filière européenne et, en particulier, métropolitaine s'est mise en ordre de marche pour préparer la fin des quotas avec une stratégie d'augmentation de la production et d'amélioration des gains de productivité avec, depuis 2005, la fermeture de près de la moitié des sucreries existantes et le licenciement de 40 % du personnel.
Cependant, pour actionner ces deux leviers - la réduction des coûts ainsi que les économies d'échelle - les acteurs ultramarins ont beaucoup moins de marges de manoeuvre.
S'agissant de la compétitivité-prix, les outre-mer subissent une série de surcoûts imposés par l'éloignement, par le vieillissement rapide des installations en raison du climat, à quoi s'ajoutent des normes de sécurité particulières imposées par des phénomènes cycloniques récurrents.
L'autre moyen d'abaisser les frais fixes serait d'augmenter la production. Certes, la recherche scientifique et la sélection variétale ont permis d'améliorer les rendements, mais à la différence de la filière sucre métropolitaine, l' augmentation des surfaces cannières ne peut pas constituer une solution pour améliorer la compétitivité ultramarine, car les DOM sont confrontés à la faible superficie des territoires, au relief accidenté et à la pression foncière urbaine.
Autant dire que la bataille va être rude sur le marché des sucres blancs, ce qui rend absolument vitale la préservation des débouchés des sucres spéciaux : telle est la cible de la présente proposition de résolution .
Dans ce contexte, le positionnement sur le segment haut de gamme des sucres spéciaux est le dernier rempart pour la survie de la filière ultramarine.
Très concrètement, 40 % de la production des outre-mer concernent des sucres de qualité supérieure, dits sucres spéciaux.
Plus de la moitié - 60 % - sont consommés en Europe en tant que « sucre roux de canne » destinés principalement aux fabricants de produits diététiques et aux confituriers.
L'autre partie - 40 % - de ces sucres spéciaux devient du sucre roux vendu dans les hypermarchés, sous différentes marques. Ces sucres spéciaux ne peuvent pas être concurrencés par le sucre de betterave car celui-ci est nécessairement blanc, mais le risque peut venir des produits provenant de pays dont les coûts de production et les normes environnementales sont très différents des nôtres.
80 % du sucre mondial étant issu de la canne, nombreux sont les pays producteurs qui convoitent le marché européen des sucres spéciaux, davantage rémunérateur que celui des sucres blancs .
Alors que le marché total du sucre européen n'est ouvert à la concurrence qu'à hauteur de 20 %, le marché de niche des sucres spéciaux est, pour sa part, d'ores et déjà ouvert à 50 % aux pays d'Afrique Sub-saharienne, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) ainsi qu'aux Pays les Moins Avancés (PMA). C'est ainsi que les productions de sucres spéciaux de Maurice, du Malawi, du Swaziland et de la Zambie entrent en Europe sans contingents ni droits de douanes depuis 2009. Dans ces conditions, l'ouverture de contingents supplémentaires au bénéfice de pays tiers porterait un coup fatal aux productions ultramarines.
S'agissant du Vietnam , certes, comme le fait observer la commission européenne, sa production actuelle de sucres spéciaux est aujourd'hui limitée - de 1 à 4 tonnes par an. Mais votre rapporteur constate que le Vietnam est un pays gros producteur de sucre de canne (environ 1,5 million de tonnes), exportateur net depuis 2013 et surtout qu'il dispose de la maîtrise technologique et du savoir-faire qui lui permettraient de fabriquer, très rapidement, des sucres roux avec un salaire mensuel brut vietnamien 19 fois moins élevé qu'en France.
La présente proposition de résolution ne se limite pas à demander que soit apporté un ultime correctif à l'accord avec le Vietnam : il convient de prendre en compte la multiplicité des conventions conclues, en cours de négociation et à venir.
À ce jour, quatre accords commerciaux de l'Union européenne ont été conclus ou sont en phase de finalisation : l'accord avec l'Amérique centrale, appliqué depuis 2013, prévoit un contingent tarifaire pour 166 860 tonnes de sucre ; l'accord avec la Colombie, le Pérou et l'Équateur, comporte un contingent d'un peu plus de 18 000 tonnes de sucre pour la Colombie, de plus de 22 000 tonnes pour le Pérou, l'Équateur étant quant à lui producteur de bananes ; l'accord avec l'Afrique du sud prévoit un contingent à droits nuls de 150 000 tonnes assorti d'une clause d'exclusion pour les sucres spéciaux englobant trois des quatre lignes tarifaires les concernant ; l'accord avec le Vietnam inclut un contingent de 20 000 tonnes pour le sucre, sans mention particulière pour les sucres roux. 1 ( * )
On compte par ailleurs cinq accords en cours de négociation susceptibles d'avoir un impact sur la filière canne des régions ultrapériphériques avec les États-Unis, la Thaïlande, le Mercosur avec le Mexique et avec l'Australie. Il convient de noter que les négociations sont aujourd'hui bloquées avec la Thaïlande en raison du climat d'instabilité politique, mais ce pays est un important producteur de sucre, tout comme l'Afrique du Sud.
Principales évolutions du marché mondial du sucre. Pour mémoire, il convient de préciser que l'enjeu ici en cause ne représente qu'un segment très limité du marché mondial du sucre : les 260 000 tonnes de sucre spéciaux ultramarins représentent un peu plus de 1 % des volumes en Europe et un millième du marché mondial. En effet, la consommation mondiale de sucre atteint 170 millions de tonnes - à peu près 25 kg par personne et par an - et s'est accrue de 30 millions de tonnes au cours des dix dernières années. Elle devrait s'accroître du même tonnage les dix prochaines années, car la consommation de sucre stagne dans les pays développés mais elle augmente assez fortement dans les pays d'Asie, d'Afrique et du Moyen-Orient en raison de la croissance démographique et de la modification des habitudes alimentaires. Face à cette demande, l' offre mondiale de sucre a connu plusieurs années de surproduction et le prix du sucre a atteint en août 2015 son point le plus bas depuis 2008. En 2015-2016, on prévoit en revanche un déficit de production qui s'explique par des difficultés climatiques en Inde, des réductions de surface de betterave en Europe et, au Brésil, le choix de consacrer une proportion accrue de canne à sucre à la production d'éthanol. Le sucre est produit à partir de la canne à sucre dans les zones tropicales et à partir de la betterave dans les zones tempérées. Dans la plupart des grandes régions exportatrices, il n'y a guère de culture alternative à celle de la canne à sucre. À l'inverse, la betterave est une plante semée annuellement et qui entre dans une rotation de cultures. Septième producteur mondial de sucre, la France est le seul État membre de l'Union européenne à produire du sucre de canne grâce aux outre-mer. Le marché mondial du sucre subit une forte volatilité qui s'explique par la concentration des exportations aux mains d'un petit nombre d'acteurs et par la sensibilité aux aléas climatiques des zones tropicales sensibles qui produisent 85 % du sucre. Le Brésil, avec 50 % du marché, est "directeur" en matière de prix. Au-delà des coûts de production, l'influence du Brésil sur le marché mondial du sucre dépend du taux de change du dollar qui peut rendre les exportations plus ou moins rémunératrices que le marché brésilien de l'éthanol. |
L'IMPACT POTENTIELLEMENT DÉVASTATEUR DE CERTAINS ACCORDS COMMERCIAUX SUR CE PILIER ÉCONOMIQUE ULTRAMARIN ÉTANT DÉMONTRÉ, VOTRE COMMISSION APPROUVE À L'UNANIMITÉ LA MÉTHODOLOGIE PRÉSENTÉE PAR CETTE PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE : ÉVALUATION PRÉALABLE, COHÉRENCE ET TRANSPARENCE.
Il convient avant tout de remédier à la fragmentation des négociations commerciales européennes en vérifiant de manière systématique qu'elles ne sapent pas les bases du développement ultramarin. C'est pourquoi la proposition de résolution adoptée par la commission propose une méthode globale, avec plusieurs volets.
- Bien entendu, la proposition de résolution suggère l'aménagement de l'accord avec le Vietnam pour, au minimum, aboutir à un contingent réduit de 280 tonnes de sucres spéciaux. Ce point est, à ce jour, encore en discussion : l'accord de principe avec ce pays ayant été obtenu, nous en sommes à la phase qui a pour but de lever les derniers obstacles techniques et d'établir la version juridique finale du texte.
Le Vietnam est un pays de 90 millions d'habitants en pleine croissance : il s'agit donc d'un marché prometteur mais également d'une économie dont la capacité d'adaptation ne saurait en aucun cas être sous-estimée par la commission européenne, en particulier lorsque celle-ci se focalise sur la production actuelle modeste de sucres spéciaux par le Vietnam et non pas sur son potentiel. En tout état de cause, dans le secteur agricole, le libre-échange reste très largement une vue de l'esprit, comme en témoignent d'ailleurs les nombreux contingents tarifaires qui sont prévus par cet accord.
- La problématique des sucres spéciaux ne se limite pas au Vietnam et c'est pourquoi la présente proposition de résolution juge indispensable d'éviter de créer un précédent fâcheux pour la suite des négociations avec les autres pays : cela est d'autant plus nécessaire que l'échec du multilatéralisme conduit à la multiplication des accords régionaux et bilatéraux. De plus, il convient de prendre en compte la réalité de la circulation des produits : ainsi, les investigations conduites par la délégation sénatoriale à l'outre-mer ont fait apparaître que d'importants volumes de sucre en provenance de Thaïlande sont illégalement exportés au Vietnam et pourraient donc, au final, se retrouver sur le marché européen.
- Votre rapporteur insiste particulièrement sur la recommandation qui consiste à préciser la nomenclature douanière relative aux sucres, car la notion de sucre roux est aujourd'hui mal cernée et le risque de confusion pourrait bénéficier aux fraudeurs. Les professionnels soulignent en effet qu'il est relativement aisé de transformer un produit pour le faire passer d'une ligne tarifaire à l'autre, par exemple avec une simple addition de colorant ou d'arôme.
- De manière plus globale, la proposition de résolution exhorte à plus de cohérence entre la politique commerciale de la Commission européenne et ses politiques de développement agricole et ultramarin : appliquons l'article 349 du Traité qui prévoit d'ores et déjà des mesures spécifiques de compensation des handicaps pour les outre-mer. Le texte qui nous est soumis appelle à une prise en compte systématique par la Commission des intérêts spécifiques des RUP dans les négociations commerciales et une implication accrue du Gouvernement pour faire pression, à cette fin, sur les services de la Commission.
- La PPR rappelle également l' exigence de transparence et d'information des Parlements nationaux sur les négociations en cours : ce point ne fait que renforcer et illustrer nos discussions sur le Traité Transatlantique. Nous insistons particulièrement sur la nécessité d'études d'impact sérieuses préalables à la décision.
Le 13 janvier dernier, la commission des Affaires européennes a adopté cette proposition de résolution en apportant quatre précisions qui portent essentiellement sur la publication par la Commission européenne des textes des négociations d'accords de commerce et d'investissement.
Le texte examiné par la commission des affaires économiques comporte au final 42 alinéas et cinq pages qui forment un ensemble complet et précis. C'est pourquoi, la commission, suivant la proposition de votre rapporteur a décidé de l'adopter conforme.
*
* *
Réunie le 20 janvier 2016 sous la présidence de M. Jean Claude Lenoir, la commission a adopté à l'unanimité la proposition de résolution européenne dans la rédaction proposée par la commission des affaires européenne. |
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 20 janvier 2016, la commission a examiné le rapport et le texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 282 (2015-2016) présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, relative aux effets des accords commerciaux conclus par l'Union européenne sur les économies sucrières et la filière de la canne des régions ultrapériphériques.
M. Michel Magras , rapporteur . - La proposition de résolution européenne (PRE) n° 282, présentée par Mme Gisèle Jourda et moi-même, concerne les effets des accords commerciaux conclus par l'Union européenne sur les économies sucrières et la filière de la canne des régions ultrapériphériques (RUP). Nous l'avons présentée le 10 décembre 2015 à la délégation sénatoriale aux outre-mer, avec notre rapport d'information de 90 pages dont le titre, Sucre des régions ultrapériphériques en danger , résume bien la situation : il nous faut sauver cette filière vitale des méfaits d'une politique commerciale européenne dogmatique.
La conclusion des négociations sur un accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Vietnam nous a décidés à agir. La principale phase de négociation a pris fin le 4 août dernier, mais nous n'avons été alertés qu'en octobre sur le fait qu'une clause accordait un contingent de 20 000 tonnes de sucre au Vietnam en incluant les sucres spéciaux de manière assez vague et imprécise. Jusqu'alors, les négociations avec l'Afrique du Sud désignaient - à juste titre - les sucres spéciaux comme produits sensibles devant être protégés.
Ce sujet comporte plusieurs facettes, juridiques, institutionnelles, douanière, dont la principale est sa dimension économique, autour de laquelle est organisée notre analyse. Depuis sa création, notre commission privilégie le bon sens et les réalités de terrain. Comme le préconise le rapport Gallois, elle soutient la montée en gamme pour surmonter nos difficultés économiques tout en préservant nos équilibres sociaux.
C'est exactement l'esprit de notre proposition de résolution. Pendant des décennies, l'Union a opportunément soutenu la modernisation de la filière sucrière ultramarine et son positionnement stratégique sur les sucres haut de gamme. Il serait absurde de ruiner ces efforts en ouvrant brutalement à des pays où le coût de la main-d'oeuvre est dix-neuf fois moins élevé qu'en Europe un boulevard pour se positionner sur ces sucres spéciaux. Cela risque de détruire, au détour de quelques accords commerciaux, une filière sucrière qui est à la fois un socle pour les territoires ultramarins et un investissement à long terme conçu pour approvisionner le consommateur européen en produits de qualité.
Pour nos départements d'outre-mer, la canne à sucre est un secteur vital, qui mobilise un tiers de la surface agricole utile, représente 40 000 emplois et constitue l'un des principaux produits d'exportation. Proportionnellement, fragiliser ce poumon économique serait comme si l'on menaçait trois millions d'emplois dans l'Hexagone. En réalité, l'enjeu est bien plus important, car le taux de chômage ultramarin est deux fois plus élevé que la moyenne nationale. De plus, cela concernerait non seulement l'activité des bassins agricoles mais aussi l'emploi industriel et les unités de recherche associés à la production de sucre, sans oublier l'activité de transport induite pendant six mois de l'année par les plannings de récolte. Enfin, la filière agro-industrielle y fabrique du sucre mais valorise aussi les coproduits destinés à l'alimentation animale, la distillation du rhum, la fertilisation des sols et la production d'énergie. Ces coproduits représentent 10 à 30 % de l'électricité consommée à La Réunion, selon la période de récolte. La valorisation de la canne est huit fois plus élevée lorsqu'on produit du sucre : il a donc une complémentarité entre ces usages mais pas de substitution. Mieux adaptée que le café ou les épices au climat des zones de production ultramarines, la culture sucrière est l'un des socles de la structuration sociale et économique des outre-mer ainsi que de leur identité.
Or les accords commerciaux risquent de porter un coup fatal à la filière sucrière ultramarine, comme l'aurait sans nul doute montré l'étude d'impact économique qui aurait dû être faite par la Commission européenne avant qu'elle ne s'engage dans la négociation du traité avec le Vietnam et avec tous les autres pays producteurs de canne à sucre. A l'heure actuelle, les 260 000 tonnes de sucre produits dans les DOM ont un accès garanti au marché européen. En effet, depuis 1969, et même après la réforme de 2005, le marché réglementé par l'Union européenne comporte une garantie de prix minimal assortie de quotas qui limitent la production ainsi que les exportations. Si les productions des outre-mer n'ont jamais atteint les quotas autorisés, essentiellement en raison de l'exiguïté des territoires, la production en Europe continentale a été bridée.
À partir de 2017, ces quotas seront supprimés et le marché du sucre sera totalement libéralisé. La production de sucre des DOM n'aura donc plus d'accès garanti au marché européen. C'est un choc important, dont les effets ne seront pas les mêmes sur le sucre blanc et sur les sucres spéciaux. Environ 60 % des 260 000 tonnes de sucre produites outre-mer sont transformés dans les raffineries européennes pour y devenir du sucre blanc, après quoi il n'est plus possible de les distinguer du sucre de betterave. La suppression des quotas en 2017 mettra ce sucre ultramarin en concurrence avec le sucre de betterave ou le sucre de canne en provenance des pays tiers face aux chaînes d'hypermarchés et aux grands utilisateurs industriels. Les outre-mer rencontreront alors des problèmes de compétitivité.
En effet, la filière européenne et, en particulier, métropolitaine s'est mise en ordre de marche pour préparer la fin des quotas par une stratégie d'augmentation de la production et d'amélioration de la productivité : depuis 2005, près de la moitié des sucreries ont été fermées et 40 % du personnel a été licencié. Les acteurs ultramarins ont beaucoup moins de marges de manoeuvre : leur compétitivité-prix est obérée par des surcoûts liés à l'éloignement, au vieillissement rapide des installations en raison du climat et aux normes de sécurité particulières imposées par des phénomènes cycloniques récurrents. L'autre moyen de faire baisser le prix serait d'augmenter la production mais, si la recherche scientifique et la sélection variétale ont amélioré les rendements, l'augmentation des surfaces cannières n'est pas envisageable dans les DOM, en raison de la faible superficie des territoires, du relief accidenté et de la pression foncière urbaine.
Bref, la bataille va être rude pour les sucres blancs, ce qui rend vitale la préservation des débouchés des sucres spéciaux, d'où notre proposition de résolution. En effet, 40 % de la production des outre-mer concernent des sucres de qualité supérieure, dits sucres spéciaux. Environ 60 % d'entre eux sont consommés en Europe sous forme de « sucre roux de canne », essentiellement par les fabricants de produits diététiques et les confituriers. L'autre partie devient du sucre roux vendu dans les hypermarchés, sous différentes marques. Ces sucres spéciaux ne peuvent pas être concurrencés par le sucre de betterave, nécessairement blanc, mais le risque vient des produits provenant de pays dont les coûts de production et les normes environnementales sont très différents des nôtres. Comme 80 % du sucre mondial est issu de la canne, beaucoup de pays producteurs convoitent le marché européen des sucres spéciaux, plus rémunérateur que celui des sucres blancs.
Certes, comme le fait observer la Commission européenne, la production actuelle de sucres spéciaux au Vietnam se limite à quelques tonnes par an. Mais ce pays produit environ 1,5 million de tonnes de sucre de canne, dont il est exportateur net depuis 2013. Surtout, il dispose - grâce à des Réunionnais ! - des technologies et du savoir-faire pour fabriquer rapidement des sucres roux, avec un salaire brut dix-neuf fois moins élevé qu'en France.
Il faut remédier donc à la fragmentation des négociations commerciales européenne et éviter qu'elles ne sapent les bases du développement ultramarin. C'est pourquoi cette proposition de résolution présente une méthode globale, avec plusieurs volets. D'abord, elle suggère d'aménager l'accord avec le Vietnam pour aboutir au moins à un contingent réduit de 280 tonnes de sucres spéciaux. Ce point est encore en discussion : l'accord de principe avec le Vietnam ayant été obtenu, il s'agit de lever les derniers obstacles techniques et d'établir la version finale du texte. Le Vietnam compte 90 millions d'habitants. Ce pays est en pleine croissance, mais en matière agricole, le libre-échange reste une vue de l'esprit, comme en témoignent les nombreux contingents tarifaires qui sont prévus par cet accord.
Mais la question ne se limite pas au Vietnam et il faut éviter un précédent fâcheux pour la suite des accords européens puisque l'échec du multilatéralisme conduit à la multiplication des accords régionaux et bilatéraux. Une dizaine est ainsi actuellement en cours de négociation. En outre, d'importants volumes de sucre sont illégalement importés au Vietnam en provenance de Thaïlande et pourraient donc se retrouver sur le marché européen. La nomenclature douanière relative aux sucres doit être précisée car la notion de sucre roux est aujourd'hui mal cernée et le risque de confusion pourrait bénéficier aux fraudeurs. Sur les quatre lignes tarifaires concernées, il est toujours possible de trouver une faille.
La proposition de résolution exhorte à plus de cohérence entre la politique commerciale de la Commission européenne et ses politiques de développement agricole et ultramarin : appliquons l'article 349-3 du Traité, qui prévoit des mesures spécifiques de compensation des handicaps pour les outre-mer. Ce texte appelle le Gouvernement à faire pression sur les services de la Commission pour que les intérêts spécifiques des RUP soient systématiquement pris en compte dans ses négociations commerciales. Il rappelle aussi l'exigence de transparence et d'information des Parlements nationaux sur les négociations en cours : nous l'avions déjà dit à propos des discussions sur le Traité Transatlantique. Nous insistons particulièrement sur la nécessité d'études d'impact préalables sérieuses.
Jeudi dernier, la commission des affaires européennes a adopté cette proposition de résolution en y apportant quelques précisions sur la publication par la Commission européenne des textes des négociations d'accord de commerce et d'investissement : nous n'avons été alertés que tardivement de cet accord. Je vous propose d'adopter ce texte qui comporte 42 alinéas.
M. Jean-Claude Lenoir , président . - Merci pour ce rapport documenté et présenté avec beaucoup d'énergie.
M. Serge Larcher . - L'Histoire est un éternel recommencement ! Le 18 janvier 2011, M. Doligé et moi-même déposions une proposition de résolution dénonçant l'indifférence de la Commission européenne pour les effets sur les territoires d'outre-mer des accords commerciaux qu'elle passait. Il s'agissait à l'époque d'accords avec des pays d'Amérique latine : un accord multilatéral signé en décembre 2009 à Genève prévoyait une baisse progressive des droits de douane sur la banane dollar, et un accord de libre-échange avec les pays andins avait été annoncé en mars 2010 par la Commission européenne. Nous demandions alors que les marchés des RUP concernées soient mieux protégés par le renforcement des clauses de sauvegarde, que les baisses de revenus des producteurs soient compensées, que des mesures facilitant le développement agricole endogène soient prises et que la Commission européenne réalise systématiquement une étude d'impact préalable sur les RUP - ce qui a été accepté dans le mémorandum signé en mai 2010 aux Canaries. Et voici que de nouveau nous débattons d'une proposition de résolution européenne dénonçant les effets collatéraux d'accords de libre-échange passés entre l'Union et des pays tiers, qui menacent le coeur des économies ultra-marines.
Oui, la Commission européenne a une démarche dogmatique. Les départements d'outre-mer peuvent sembler de petits territoires, ils sont étroitement associés aux débuts de la production du sucre. Les îles à sucre attiraient, au 17 ème et au 18 ème siècle, les grandes puissances européennes, dont les langues se sont mêlées sur place aux parlers africains. La canne à sucre évoque l'Histoire de la venue du peuple noir en Amérique. On nous disait, il y a cinquante ans, qu'il fallait concentrer nos efforts sur la banane pour compenser le développement du sucre de betterave. Puis, la banane fut attaquée - alors même que sa qualité était devenue telle qu'on l'appelait la « banane des droits de l'homme » - car la Commission européenne a refusé de tenir compte des réalités. Pourtant, sa culture est aussi fondamentale que celle du sucre pour notre économie : La Réunion produit 90 000 tonnes de sucre à elle seule. Heureusement, les accords ne sont pas encore signés. Je soutiens entièrement cette proposition de résolution. En 2011, le Sénat m'avait apporté son soutien unanime sur la banane.
N'oublions pas que l'article 349 du Traité, que la Commission européenne rechigne à appliquer, protège les spécificités des territoires d'outre-mer. J'espère que vous nous soutiendrez.
La commission adopte la proposition de résolution européenne à l'unanimité.
La réunion est levée à 12 h 25.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
TEXTE DE LA COMMISSION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu les articles 206, 207 et 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu la résolution n° 105 du Sénat (2010-2011) du 3 mai 2011 tendant à obtenir compensation des effets, sur l'agriculture des départements d'outre-mer, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne,
Vu la communication « Les régions ultrapériphériques de l'Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive » présentée par la Commission européenne le 20 juin 2012,
Vu le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil COM (2013) 323 du 31 mai 2013 sur l'évolution des importations de sucre dans l'Union européenne en provenance des pays ACP et des pays les moins avancés (PMA),
Vu le projet de loi n° 414 (2014-2015) déposé au Sénat le 15 avril 2015 autorisant la ratification de l'accord-cadre global de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République socialiste du Viêt Nam, d'autre part,
Vu le projet de loi n° 551 (2014-2015) déposé au Sénat le 24 juin 2015 autorisant la ratification de l'accord-cadre de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République des Philippines, d'autre part,
Vu le mémorandum sur l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Vietnam présenté par la Commission européenne le 4 août 2015,
Vu le projet de loi n° 692 (2014-2015) enregistré à la Présidence du Sénat le 17 septembre 2015 autorisant la ratification de l'accord commercial entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la Colombie et le Pérou, d'autre part,
Vu le courrier des commissaires européens chargés du commerce, de la politique régionale et de l'agriculture et du développement rural, en date du 8 octobre 2015, en réponse au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, au ministre des outre-mer et au secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger, sur la demande du Gouvernement français d'exclure les sucres spéciaux de l'offre tarifaire européenne faite au Vietnam,
Vu le courrier de la commissaire européenne au commerce en date du 8 octobre 2015 en réponse à des parlementaires européens sur l'exclusion des sucres spéciaux des accords de commerce avec le Vietnam,
Vu la communication « Le commerce pour tous, vers une politique de commerce et d'investissement plus responsable » présentée par la Commission le 14 octobre 2015,
Considérant que les régions ultrapériphériques (RUP), comme l'a souligné la Commission européenne à maintes reprises, notamment dans ses communications de 2004, 2008 et 2012 exposant sa stratégie pluriannuelle pour ces territoires, constituent un atout pour l'Europe et qu'il est dans l'intérêt de l'Union européenne de soutenir leur développement endogène,
Considérant que l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet l'édiction de mesures spécifiques aux RUP afin de prendre en compte leurs contraintes propres, notamment « leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits » ,
Considérant que la filière de la canne à sucre joue un rôle économique et social vital dans les RUP françaises, notamment à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique, puisqu'elle représente 40 000 emplois directs et indirects dans des territoires où le taux de chômage est plus du double de la moyenne hexagonale,
Considérant que l'Union européenne, au travers de sa politique agricole et de sa politique régionale, a contribué fortement à la modernisation de la filière de la canne pour en faire un secteur exemplaire et a ainsi permis aux économies sucrières des RUP de réaliser d'importants gains de compétitivité, progrès qui ne doivent pas être annulés par une politique commerciale fondée sur un credo de libre-échange aveugle à ses effets pervers non maîtrisés,
Considérant que les économies sucrières des outre-mer français se préparent déjà à absorber le choc de la fin des quotas sucriers à compter du 1 er juillet 2017, qui remet fondamentalement en cause l'équilibre prévalant dans l'organisation commune du marché du sucre, attise la concurrence avec la production industrielle de sucre à partir de la betterave en Europe continentale et les contraint, pour survivre, à se réorienter vers un marché de niche, celui des sucres roux non destinés au raffinage, dits« sucres spéciaux », qui représente 50 % de la production sucrière de La Réunion et 30 % de celle de la Guadeloupe,
Considérant que les accords commerciaux en vigueur, en particulier avec les pays les moins avancés d'Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique (ACP/PMA), mais aussi plus récemment avec la Colombie et le Pérou, se traduisent déjà par l'entrée sur le marché européen des sucres spéciaux de concurrents agressifs comme le Bélize, Maurice, le Malawi, le Swaziland et la Zambie,
Considérant que l'accord de libre-échange avec le Vietnam, qui a fait l'objet d'un accord politique de principe le 4 août 2015 entre les deux parties et qui est entré dans une phase ultime de finalisation technique, rompt avec le précédent de l'accord avec l'Afrique du Sud, dans lequel avait été retenu pour la première fois le principe de l'exclusion des sucres spéciaux du champ de l'ouverture commerciale,
Considérant qu'en l'état l'Union européenne prévoit d'accorder au Vietnam un contingent à droits nuls de 20 000 tonnes par an de sucre et de produits à haute teneur en sucre, volume qui équivaut à 10 % du marché européen des sucres spéciaux et 20 % de la production des RUP,
Considérant que, si le Vietnam n'est pas encore un acteur majeur du marché mondial des sucres spéciaux, il dispose néanmoins du savoir-faire technique et de la capacité industrielle pour le devenir, dès lors que l'accord de libre-échange lui ouvre une nouvelle opportunité de développement,
Considérant que, même si le Vietnam se consacre pour l'heure principalement à son marché intérieur, des exportations de sucres roux à hauteur de 6 000 tonnes par an sont déjà avérées, comme le reconnaissent les services de la Commission européenne, de même que son intérêt offensif à investir de nouveaux marchés, notamment celui de la Chine,
Considérant que l'Union européenne, après l'échec du cycle de Doha de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), multiplie et accélère les ouvertures de négociations commerciales, en particulier avec les principaux pays producteurs de sucre au monde, comme le Brésil, l'Inde, les États-Unis, la Thaïlande, les Philippines, l'Australie ou le Mexique, dont les capacités de production avérées sont considérables et dont la politique d'expansion à l'export est très dynamique,
Considérant que l'accumulation de contingents à droits nuls octroyés à des pays tiers au fil de la signature d'accords commerciaux risque de conduire à une saturation du marché européen des sucres spéciaux, qui est déjà arrivé à maturité, et qu'elle constitue ainsi une menace sérieuse pour les économies vulnérables des RUP,
Considérant que les RUP françaises sont soumises à des normes environnementales et sociales de production très contraignantes auxquelles échappent leurs concurrents des pays tiers et que seuls des tarifs douaniers appropriés permettent de rétablir l'équilibre,
Considérant que la Commission européenne néglige le travail d'évaluation prospective qui l'amènerait à tempérer sa volonté d'ouverture commerciale illimitée et manque, en particulier, à ses obligations en ne produisant pas d'études d'impact précisant les conséquences potentielles pour les RUP des accords commerciaux qu'elle négocie,
Considérant que les clauses de sauvegarde et les mécanismes de stabilisation prévus dans les accords précédents se sont révélés inefficaces à cause du défaut de dispositif de suivi et d'alerte rapide, de la lourdeur et de la lenteur corrélative des procédures et de l'absence manifeste de volonté de les appliquer de la part de la Commission européenne, comme cela a pu être constaté pour la banane lors de la mise en oeuvre de l'accord avec le Pérou,
Juge indispensable de garantir la cohérence des politiques agricole, régionale et commerciale de l'Union européenne, conformément à l'article 207 du TFUE, aux termes duquel « il appartient au Conseil et à la Commission de veiller à ce que les accords négociés soient compatibles avec les politiques et règles internes de l'Union » ,
Estime nécessaire de compenser les handicaps structurels et de valoriser les avantages comparatifs des RUP, ces territoires constituant, au sein de leur environnement régional, des modèles porteurs des valeurs de l'Union européenne en matière sociale et environnementale,
Demande d'adopter comme ligne directrice, pour toute négociation future d'accords commerciaux de l'Union européenne, le principe de l'exclusion des sucres spéciaux,
Soutient une inflexion de l'équilibre négocié avec le Vietnam afin qu'à défaut d'exclusion des sucres spéciaux, soit défini un contingent spécifique proportionnel à leur part dans le marché global du sucre, soit un quota de 280 tonnes par an,
Recommande une clarification de la nomenclature douanière relative aux sucres, spécifiquement de la ligne 17 01 99 90 couvrant une grande variété de produits différents, pour identifier précisément la teneur des importations, prévenir le risque de contournement de la réglementation et éviter d'encourager la fraude,
Préconise , conformément aux engagements de transparence pris par la Commission européenne en matière de défense commerciale, pour assurer le respect effectif du contingentement, de se doter d'instruments statistiques permettant un suivi en temps réel de l'évolution des importations pays par pays et d'organiser des échanges de données réguliers entre la Commission européenne et les États membres afin de permettre une réaction rapide en cas de dépassement des quotas autorisés,
Juge nécessaire, pour poursuivre le renforcement des échanges d'information, de maintenir les certificats d'importation hebdomadaires sur les produits sensibles comme le sucre,
Souhaite une refonte des mécanismes destinés à prévenir une déstabilisation de l'économie des RUP en garantissant leur permanence, en fixant à l'avance des seuils d'alerte et en prévoyant un déclenchement automatique de la suspension des avantages concédés en cas de franchissement des seuils,
Suggère la création d'un observatoire des revenus pour la filière de la canne afin de disposer des moyens d'apporter rapidement les preuves irréfutables d'une déstabilisation de l'économie des RUP liée à l'afflux d'importations de sucre de pays tiers sur le marché européen et, en conséquence, de déclencher sans délai les mécanismes permettant d'y porter remède,
Estime indispensable une réévaluation des compensations financières du Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) pour prendre en compte l'aggravation du risque et des différentiels de compétitivité résultant de l'accumulation des contingents à droits nuls octroyés à des pays tiers sur des productions stratégiques des RUP,
Invite la Commission européenne à évaluer systématiquement les effets sur les RUP des accords commerciaux qu'il lui revient de négocier, en particulier en menant des études d'impact préalables, afin de disposer d'une vision prospective des effets induits,
Recommande au Gouvernement la plus grande vigilance dans la définition du mandat de négociation de la Commission européenne lors de l'ouverture de nouvelles négociations afin que la préservation des intérêts vitaux des économies des RUP soit prise en compte dès l'origine, et invite le Conseil à publier les directives de négociation pour tous les accords de libre-échange en cours et à venir,
Appelle au renforcement de l'information des Parlements nationaux par les autorités communautaires et nationales en cours de négociation et avant la conclusion d'un accord politique de principe avec la partie tierce, et invite la Commission à publier, immédiatement à l'issue des négociations, le texte de l'accord tel qu'il se présente, sans attendre la fin de la révision juridique,
Invite la Commission européenne à prendre davantage en compte les surcoûts d'origine normative pesant sur la compétitivité des productions agricoles ultramarines dans leur environnement régional, à mieux prendre en compte les spécificités des RUP en matière normative sur le fondement de l'article 349 du TFUE, à assurer une meilleure cohérence entre normes de production et normes de mise sur le marché et à se doter des moyens de contrôler le respect des normes européennes de commercialisation par les pays tiers avec lesquels sont conclus des accords commerciaux.
* 1 Techniquement, le contingent accordé au Vietnam concerne le code douanier 1701, en incluant, sans les distinguer, les codes relatifs aux sucres spéciaux (1701 13 90 ; 1701 14 90 ; 1701 91 00 et 1701 99 90).