Rapport n° 271 (2015-2016) de M. Claude KERN , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 16 décembre 2015
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LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
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AVANT-PROPOS
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EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI
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I. UNE INTENTION LOUABLE : ANCRER LE TRAVAIL DE
MÉMOIRE DANS LE TEMPS SCOLAIRE
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A. DANS LE CADRE DE LEUR ÉDUCATION MORALE ET
CIVIQUE, ASSOCIER DAVANTAGE LES ÉLÈVES AUX COMMÉMORATIONS
NATIONALES
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B. DONNER UNE PLUS GRANDE VISIBILITÉ AUX
ACTIONS MENÉES DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES
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A. DANS LE CADRE DE LEUR ÉDUCATION MORALE ET
CIVIQUE, ASSOCIER DAVANTAGE LES ÉLÈVES AUX COMMÉMORATIONS
NATIONALES
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II. UN DISPOSITIF QUI POSE DE GRAVES
DIFFICULTÉS
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I. UNE INTENTION LOUABLE : ANCRER LE TRAVAIL DE
MÉMOIRE DANS LE TEMPS SCOLAIRE
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EXAMEN EN COMMISSION
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TABLEAU COMPARATIF
N° 271
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016
Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 décembre 2015 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi visant à instaurer un Jour de Mémoire pour perpétuer notre histoire , sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française ,
Par M. Claude KERN,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; MM. Jean-Claude Carle, David Assouline, Mmes Corinne Bouchoux, Marie-Annick Duchêne, M. Louis Duvernois, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde, Claudine Lepage, M. Jacques-Bernard Magner, Mme Colette Mélot , vice-présidents ; Mmes Françoise Férat, Dominique Gillot, M. Jacques Grosperrin, Mme Sylvie Robert, M. Michel Savin , secrétaires ; MM. Patrick Abate, Pascal Allizard, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Mmes Marie-Christine Blandin, Maryvonne Blondin, MM. Philippe Bonnecarrère, Gilbert Bouchet, Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, M. Joseph Castelli, Mme Anne Chain-Larché, MM. François Commeinhes, René Danesi, Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Mme Nicole Duranton, MM. Jean-Claude Frécon, Jean-Claude Gaudin, Mme Samia Ghali, M. Loïc Hervé, Mmes Christiane Hummel, Mireille Jouve, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Pierre Leleux, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Jean-Claude Luche, Christian Manable, Mmes Danielle Michel, Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Jean-Jacques Panunzi, Daniel Percheron, Mme Christine Prunaud, MM. Stéphane Ravier, Bruno Retailleau, Abdourahamane Soilihi, Hilarion Vendegou . |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
145 et 272 (2015-2016) |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSIONLors de sa réunion du mercredi 16 décembre, sous la présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a examiné, sur le rapport de M. Claude Kern, rapporteur, la proposition de loi n° 145 (2015-2016) visant à instaurer un jour de mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française, déposée par M. Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues le 6 novembre 2015. Ce texte a pour objet d'instaurer une journée consacrée au travail de mémoire dans les établissements scolaires, afin de « sensibiliser et promouvoir auprès [des jeunes] l'histoire de notre pays, les sacrifices de nos anciens et les valeurs républicaines de la nation français ». Tout en comprenant les objectifs sous-jacents à la proposition de loi ainsi que les préoccupations de ses auteurs, la commission a considéré que ce texte n'était pas opportun et qu'il ne constituait pas une réponse adéquate aux enjeux de la transmission de la mémoire et de l'éducation morale et civique. Elle a donc rejeté la proposition de loi. En conséquence, en application de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Déposée le 6 novembre 2015 par notre collègue Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues des groupes UDI-UC et Les Républicains, la proposition de loi vise à instaurer un jour de mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française.
L'objectif de ce texte est d'instituer une journée qui vise à « sensibiliser les élèves aux enjeux liés à la transmission de la mémoire combattante de notre nation » le troisième jeudi du mois de mai. Concernant en particulier les classes de CM2, de cinquième et de seconde, cette journée serait organisée conjointement par les autorités académiques et les communes.
Au cours de sa réunion du 16 décembre 2015, les membres de votre commission ont posé un regard bienveillant sur les objectifs sous-jacents de la proposition de loi et son ambition de mieux transmettre à la jeunesse la mémoire de notre nation.
Toutefois, après s'être interrogée sur les améliorations susceptibles d'être apportées à son dispositif, votre commission a considéré que ce texte ne répondait pas forcément aux exigences liées à l'exercice du devoir de mémoire dans le cadre de l'école de la République. Certains membres de la commission ont suggéré la mise en place d'un groupe de travail pour approfondir le sujet et y apporter une réponse consensuelle.
En conséquence, votre commission a rejeté la proposition de loi.
EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI
I. UNE INTENTION LOUABLE : ANCRER LE TRAVAIL DE MÉMOIRE DANS LE TEMPS SCOLAIRE
A. DANS LE CADRE DE LEUR ÉDUCATION MORALE ET CIVIQUE, ASSOCIER DAVANTAGE LES ÉLÈVES AUX COMMÉMORATIONS NATIONALES
1. La mémoire nationale : un repère plus que jamais nécessaire...
Les réactions aux attentats de janvier et novembre 2015 ont mis en évidence une aspiration générale à l'unité nationale et à l'affirmation de nos valeurs.
La mémoire des sacrifices consentis pour la patrie, occupe une place fondamentale dans notre identité en tant que nation. Dans son discours Qu'est-ce qu'une nation ? , Ernest Renan définit le « principe spirituel » qu'est la nation comme reposant sur deux éléments : « [l'un] est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis (...) . La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements ». La conception française de la nation, entendue comme une communauté d'adhésion, fait donc de cette dernière « une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune ».
Dès lors, la mémoire des sacrifices consentis pour la nation, des dévouements, des gloires et des souffrances partagées, tiennent une place éminente dans notre identité. La mémoire prend forme dans les différentes commémorations, qui constituent « des manifestations et des rituels nationaux qui visent à rassembler la communauté nationale, les citoyen s » 1 ( * ) .
Cette mémoire est une dette pour le citoyen, contractée envers ceux qui se sont dévoués pour que nous puissions vivre libres ; il s'agit de reconnaître, à l'instar de Georges Clemenceau, que « ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous » 2 ( * ) . Face aux épreuves et aux dissensions, elle nous rappelle, selon les mots du Président de la République devant le Congrès, que nous sommes « un peuple libre qui est invincible quand il est uni et rassemblé » 3 ( * ) .
2. ... dont la place dans l'institution scolaire demeure encore incertaine
Lieu de la formation morale du citoyen, l'école est le lieu privilégié de la transmission de la mémoire , qui ne se confond pas avec l'enseignement de l'histoire. En effet, cette dernière « n'a pas pour but de célébrer telle ou telle mémoire particulière ni de ressusciter ce qui s'est passé, mais de faire comprendre, dans toute leur complexité, les rapports qui unissent ou divisent » 4 ( * ) .
Toutefois, la place de la mémoire nationale , en partie celle liée aux conflits majeurs du XX e siècle, au sein de l'institution scolaire est rendue incertaine par la conjonction de plusieurs facteurs.
D'une part, des injonctions mémorielles, diverses et changeantes , assises le plus souvent sur des notes de service du ministère, parfois non renouvelées. C'est le cas notamment de la commémoration de l'exécution de Guy Môquet et des otages de Châteaubriant, fixée le 22 octobre par une note de service du 2 août 2007 5 ( * ) , ou encore le projet de confier à des élèves de l'école primaire le soin d'entretenir la mémoire d'enfants juifs victimes de la Shoah 6 ( * ) .
La multiplication des commémorations , qualifiée par Pierre Nora de « boulimie commémorative » 7 ( * ) , s'observe aussi bien au niveau de la société que de l'école . Fin 2008, la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques, présidée par André Kaspi, aboutissait à la conclusion que « les commémorations publiques ou nationales sont trop nombreuses . Elles atteignent aujourd'hui le nombre de douze, soit deux fois plus qu'en 1999. Leur nombre pourrait encore augmenter dans les années à venir. Ce qui entraîne une désaffection et une incompréhension de la part d'une très grande majorité de la population, un affaiblissement de la mémoire collective, des particularismes qui vont à l'encontre de l'unité nationale » 8 ( * ) .
On compte ainsi au moins treize commémorations nationales ayant un ancrage juridique ; d'autres cérémonies ou commémoration s'y ajoutent, à l'instar de l'hommage à Jean Moulin le 17 juin ou celles liées aux grands anniversaires. L'hommage à tous les morts pour la France prévu le 11 novembre par la loi du 28 février 2012, équivalent du Memorial Day américain, ne s'est substitué à aucune de ces commémorations, en application de son article premier 9 ( * ) .
Les commémorations nationales - journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l'humanité, le 27 janvier (déclaration des ministres de l'éducation du Conseil de l'Europe du 18 octobre 2002) ; - journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, le 19 mars (loi du 6 décembre 2012 10 ( * ) ) ; - journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation, le dernier dimanche d'avril (loi du 14 avril 1954) ; - commémoration de la victoire de 1945, le 8 mai (loi du 2 octobre 1981) ; - journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, le 10 mai (loi du 21 mai 2001 11 ( * ) et décret du 31 mars 2006 12 ( * ) ) ; - journée nationale de la Résistance, le 27 mai (loi du 19 juillet 2013 13 ( * ) ) ; - fête nationale de Jeanne d'Arc et du patriotisme, le deuxième dimanche de mai (loi du 10 juillet 1920) ; - journée nationale d'hommage aux « morts pour la France » en Indochine, le 8 juin (décret du 26 mai 2005 14 ( * ) ) ; - journée nationale commémorative de l'appel du général de Gaulle du 18 juin 1940 (décret du 10 mars 2006 15 ( * ) ) ; - journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux « Justes » de France, le dimanche le plus proche du 16 juillet (loi du 10 juillet 2000 16 ( * ) ) ; - journée nationale d'hommage aux harkis et aux membres des formations supplétives, le 25 septembre (décret du 31 mars 2003 17 ( * ) ) ; - commémoration de l'armistice du 11 novembre 1918 (loi du 24 octobre 1922) ; - journée nationale d'hommage aux morts de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, le 5 décembre (décret du 26 septembre 2003 18 ( * ) ). |
Si ces commémorations ne sont pas toutes relayées par l'institution scolaire, le temps scolaire est scandé d'autres « journées de », notamment :
- la journée de l'Europe, le 9 mai ;
- la journée de sensibilisation et de mobilisation des élèves des écoles, collèges et lycées pour les droits des femmes et l'égalité hommes-femmes, le 8 mars ;
- la journée de la laïcité, le 9 décembre 19 ( * ) ;
- plus récemment, la journée nationale « Non au harcèlement », dont la première a eu lieu le 5 novembre 2015.
De ce fait, la mémoire des combattants et des victimes de la guerre occupe une place relativement faible dans le temps scolaire. Les principaux jours de commémoration - 11 novembre et 8 mai - étant chômés, la participation des élèves à ces cérémonies , bien qu'encouragée par le ministère, demeure aléatoire et dépend souvent d'initiatives personnelles d'enseignants et surtout d'élus locaux .
La présente proposition de loi vise ainsi à pallier cette insuffisance, en instituant un jour de mémoire consacré notamment à la transmission de la mémoire combattante.
B. DONNER UNE PLUS GRANDE VISIBILITÉ AUX ACTIONS MENÉES DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES
1. Une mesure qui s'inscrit dans la politique de sensibilisation aux enjeux mémoriels menée par l'éducation nationale
L'institution scolaire participe d'ores et déjà à la politique de mémoire nationale, qui est « adossée à l'enseignement de l'histoire en classe » et « qui met l'accent sur certains faits historiques dans le but de construire une mémoire collective autour de valeurs partagées et de contribuer au sentiment d'appartenance commune : le vivre ensemble » 20 ( * ) .
a) L'éducation nationale et le centenaire de la Première Guerre mondiale
Le centenaire de la Première Guerre mondiale a certainement contribué à relancer la transmission de la mémoire de ce conflit 21 ( * ) . Le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche est membre fondateur de la Mission pour le centenaire de la Première Guerre mondiale, groupement d'intérêt public (GIP) chargé de définir les grandes orientations du centenaire et d'organiser les manifestations de référence. Le premier conflit mondial constitue en effet un enjeu pédagogique et éducatif majeur. Comme l'écrivait Marcel Gauchet, « il y a peu d'exemples (...) d'événements qui aient à ce point modelé le cours de l'histoire, fixé les enjeux d'une époque et déterminé ses contours » 22 ( * ) . À la différence d'évènements plus récents, la Grande Guerre est une mémoire unie, « qui rassemble plus qu'elle ne divise » de par son message de cohésion et d'unité nationale 23 ( * ) .
La transmission de cette mémoire s'inscrit tout d'abord dans les programmes d'enseignement, particulièrement ceux d'histoire en cycle 3 (classes de CM1, CM2 et de sixième) et dans les classes de troisième et de première. Les autres disciplines peuvent également être associées au travers de l'étude de certaines oeuvres en rapport avec la Grande Guerre. Des actions spécifiques sont également menées, à l'instar du concours « Les petits artistes de la mémoire » organisé en 2015-2016 par l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) à destination des élèves de CM2, ou bien du concours d'histoire à dimension franco-allemande « EUstory Verdun 2016 », qui concerne les classes de quatrième, troisième et de lycée 24 ( * ) .
Au final, « la mobilisation de la communauté éducative s'est ainsi traduite entre 2013 et 2015 par la labellisation de 857 projets pédagogiques soumis à la Mission du Centenaire par les écoles et établissements scolaires du second degré [et par] l'implication des élèves lors des cérémonies commémoratives sur les hauts lieux de mémoire de la Première Guerre mondiale et devant les monuments aux morts des communes à l'occasion des temps forts de commémorations internationales, nationales et locales » 25 ( * ) .
b) Une politique relancée par la mobilisation pour les valeurs de la République
Lancée à la suite des attentats de janvier 2015, la mobilisation de l'école pour les valeurs de la République met la formation du citoyen au centre de la scolarité ; elle prévoit ainsi de « rétablir l'autorité des maîtres et les rites républicains » et de « créer un nouveau parcours éducatif de l'école élémentaire à la terminale : le parcours citoyen » 26 ( * ) .
Parmi ces mesures, le plan prévoit de mettre l'accent sur « la compréhension et la célébration des rites républicains et des symboles de la République (hymne national, drapeau, devise) », auxquelles concourt le nouvel enseignement moral et civique, créé par la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, dont les programmes ont été fixés à l'été 2015 27 ( * ) . De plus, « les projets d'écoles et d'établissements détailleront les modalités de la participation active des élèves aux journées ou semaines spécifiques (semaine de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, semaine de l'engagement), commémorations patriotiques (...) » 28 ( * ) .
2. Donner une assise solide au travail de mémoire afin de le faire vivre
Faisant le constat que « les cérémonies nationales actuelles ne rassemblent souvent plus que des élus et des anciens combattants autour d'une gerbe, de drapeaux et d'un discours qui n'est plus entendu par le plus grand nombre », et que celles-ci ne parviennent pas à « développer le devoir de mémoire, en particulier auprès de la jeunesse », qui « ne se sent pas concernée » , la présente proposition de loi vise à instaurer un jour de mémoire dans les établissements scolaires afin de « perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française » 29 ( * ) .
En ce qu'elle aurait lieu un jour de classe, cette journée permettrait de mieux associer les élèves au travail de mémoire et ancrerait ce dernier dans le temps scolaire. En inscrivant dans la loi cette journée, la proposition de loi permettrait de donner une assise solide à ces questions mémorielles, dont la mise en oeuvre repose aujourd'hui sur de simples notes de service.
Visant particulièrement les classes de CM2, de cinquième et de seconde, ce jour de mémoire a pour objectif de « sensibiliser les élèves aux enjeux liés à la transmission de la mémoire combattante de notre nation » . Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi prévoit que cette journée ait lieu pendant le temps scolaire, le dernier jeudi du mois de mai . Toutefois, « cette date peut être adaptée par décret du ministre chargé de l'éducation pour tenir compte des situations locales ou de l'organisation du calendrier scolaire national ».
En ce qui concerne le contenu des activités conduites au cours de cette journée, il est « librement déterminé par les enseignants, dans le respect du programme scolaire », sa mise en oeuvre étant « coordonnée par l'autorité scolaire responsable et les maires ». Enfin, la proposition de loi prévoit que le Conseil supérieur des programmes « détermine les objectifs pédagogiques, adaptés pour chaque niveau de classe, des actions et manifestations pouvant être menées à l'occasion de cette journée ».
II. UN DISPOSITIF QUI POSE DE GRAVES DIFFICULTÉS
A. UN RECOURS À LA LOI QUI N'EST PAS PERTINENT
La proposition de loi vise à instaurer dans la partie législative du code de l'éducation une journée consacrée à la mémoire combattante dans les écoles et les établissements du second degré. Si elle enverrait un signal fort en faveur de la transmission de cette mémoire et affranchirait les actions déjà menées des aléas de la politique ministérielle, votre commission n'est pas convaincue de la nécessité de légiférer sur ce sujet .
Saisi au sujet de la constitutionnalité de la loi du 6 décembre 2012, qui reconnaissait le 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre et des combats en Afrique du Nord, le Conseil constitutionnel n'avait pas relevé les moyens liés à la méconnaissance du domaine de la loi ou à son absence de normativité 30 ( * ) . Mais ce texte avait pour objet la création d'une journée nationale de commémoration ; au contraire, les journées de mobilisation ou de commémoration qui ont lieu uniquement au sein des établissements scolaires relèvent d'une circulaire , à l'instar de la journée des droits de l'enfant ou de la journée de la laïcité 31 ( * ) .
Alors qu'il s'agit aujourd'hui de légiférer moins pour légiférer mieux , ainsi que de donner davantage d'autonomie aux établissements et aux équipes enseignantes, votre commission a considéré que l'intervention du législateur dans ce domaine n'était peut-être ni nécessaire ni désirable .
B. UN DISPOSITIF PEU COHÉRENT
1. Un dispositif peu clair
Votre rapporteur s'interroge sur la clarté du dispositif de la proposition de loi , qui tendrait à empiéter sur le domaine règlementaire et sur les compétences de l'État en matière éducative, notamment dans la première phrase du troisième alinéa et les deux derniers alinéas. De plus, la proposition de loi prévoit que l'institution de la journée et la mise en oeuvre des activités qui sont conduites à cette occasion seraient du ressort conjoint de « l'autorité scolaire responsable et [des] maires ». Or l'organisation et le contenu des enseignements relevant uniquement de l'État, en application de l'article L. 211-1 du code de l'éducation, ces dispositions sont de nature à faire naître une ambiguïté et nuiraient à l'intelligibilité de la loi . L'implication du Conseil supérieur des programmes dans la définition des objectifs de cette journée ne paraît également pas justifiée.
De surcroît, la proposition de loi prévoit de compléter le chapitre unique du titre II du livre V de la deuxième partie du code de l'éducation, relatif à « l'organisation du temps et de l'espace scolaires ». Cette insertion au sein du code n'est pas en rapport avec les objectifs poursuivis par le texte . Votre rapporteur souligne qu'il aurait été préférable d'insérer cet article dans le chapitre II du titre premier du livre troisième de la deuxième partie du code, relatif aux enseignements scolaires, et de créer de ce fait un nouvel article L. 312-15-1, qui compléterait la section VIII relative à l'enseignement moral et civique.
2. Une nouvelle échéance mémorielle qui n'irait pas dans le sens d'une simplification ou d'une plus grande mobilisation des élèves
Votre commission s'est longuement interrogée sur l'opportunité d'instaurer une journée supplémentaire consacrée au devoir de mémoire qui, de surcroît, ne correspondrait à aucun événement particulier . Le mois de mai est celui qui compte le plus grand nombre de commémorations ; en 2013, le législateur a créé la journée nationale de la Résistance le 27 mai 32 ( * ) . En ce qu'il ne se substituerait à aucune des dates existantes, ce jour ne serait pas le gage d'un « resserrement » des échéances mémorielles.
Votre rapporteur aurait envisagé de substituer à cette date celle du jour de classe précédant immédiatement le 11 novembre , qui constitue depuis 2012 le jour à l'occasion duquel il est rendu hommage à tous les morts pour la France 33 ( * ) . Cette solution aurait emporté un changement de l'intitulé de cette journée ainsi que de ses modalités d'organisation.
Toutefois, votre commission a considéré que ce texte ne constituait pas une réponse adéquate aux enjeux de la transmission de la mémoire et de l'éducation morale et civique ; son adoption créerait davantage de difficultés qu'elle n'en résoudrait .
*
* *
Votre commission a rejeté la proposition de loi.
En conséquence, en application de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi.
EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 16 DÉCEMBRE 2015
_______
M. Claude Kern, rapporteur . - La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a été déposée par notre collègue Vincent Delahaye le 6 novembre dernier. Elle a pour objet d'instaurer un « jour de mémoire », afin de « sensibiliser les élèves aux enjeux liés à la transmission de la mémoire combattante de notre nation ». Le texte précise que cette journée est organisée pendant l'année scolaire, hors période de vacances et jours fériés, le dernier jeudi du mois de mai, et qu'elle concerne particulièrement les classes de CM2, de cinquième et de seconde. Le dispositif de la proposition de loi précise également que les objectifs pédagogiques de la journée sont déterminés par le Conseil supérieur des programmes ; le contenu des activités étant « librement déterminé par les enseignants, dans le respect du programme scolaire » et leur mise en oeuvre « coordonnée par l'autorité scolaire responsable et les maires ».
Cette proposition de loi part d'un triste constat : les cérémonies officielles organisées lors des jours de commémoration ne rencontrent qu'un très faible écho auprès de la jeunesse de notre pays. Nous en avons tous fait l'expérience : les cérémonies d'hommage ne rassemblent qu'une poignée d'élus et d'anciens combattants. Qui n'y a pas regretté l'absence de notre jeunesse ?
Cela est d'autant plus paradoxal que les commémorations et les « journées de » n'ont jamais été aussi nombreuses. En 2008, le rapport de la commission Kaspi recensait douze commémorations nationales ; depuis, de nouvelles ont encore été créées. L'augmentation des injonctions mémorielles et des journées de mobilisation n'épargne pas l'éducation nationale, bien au contraire. Toutefois, le caractère rassembleur et unitaire de ces cérémonies tend à disparaître. Le rapport de la commission Kaspi notait que « la multiplication des commémorations diminue l'effet de chacune d'entre elles ». Les tentatives de remédier à l'émiettement commémoratif ont toutes échoué.
Nous sommes donc face à un double défi : transmettre de manière effective aux élèves la mémoire de notre nation tout en resserrant ces commémorations dans le cadre scolaire.
C'est l'objectif que poursuit la présente proposition de loi et je pense pouvoir affirmer que nous le partageons tous. La participation des élèves aux commémorations et aux cérémonies nationales constitue un axe clef de la mobilisation de l'école pour les valeurs de la République, décidée suite aux attentats de janvier dernier. Nous savons que, comme le déclarait Renan, « la nation ( ... ) est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements » ; d'où l'urgence de transmettre cette mémoire partagée, qui est le ciment de notre identité en tant que nation et de notre unité. Il nous revient, par la présente proposition de loi, d'y apporter notre concours.
Inscrire dans la loi la transmission de cette mémoire permettrait de consacrer les nombreuses initiatives qui sont d'ores et déjà menées et de les affranchir des variations de la politique ministérielle. Le travail de mémoire n'aurait plus pour seul fondement des notes de service, qui ne sont parfois pas renouvelées d'année en année, mais un article de loi. Ainsi la mobilisation de l'éducation nationale depuis 2014, à l'occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale a été suivie d'effet, notamment en matière de présence des élèves aux commémorations. Il s'agit aujourd'hui de reconnaître et de prolonger ces efforts, en consacrant dans le code de l'éducation une journée spécifique dédiée à la mémoire des combattants et des victimes de guerre.
À cette fin, je vous proposerai néanmoins deux amendements, qui garantissent le respect du domaine de la loi et des compétences de chacun en matière éducative.
En outre, dans sa rédaction initiale, l'article unique de la proposition de loi est assez confus quant à la responsabilité de la mise en oeuvre de cette journée ; le contenu des enseignements relevant uniquement de l'État, je vous propose de supprimer ces dispositions. En conséquence, l'article renverrait les modalités d'organisation au pouvoir règlementaire.
Sur le plan juridique, la situation de l'article dans le code de l'éducation est contestable. La proposition de loi vise à l'insérer dans la partie du code de l'éducation relative à « l'organisation du temps et de l'espace scolaires » qui concerne, par exemple, l'heure de début de cours ; je vous propose de le déplacer dans la partie du code relative aux enseignements scolaires, et de créer de ce fait un nouvel article L. 312- 15 1, qui compléterait la section VIII relative à l'enseignement moral et civique.
Dans la nouvelle rédaction que je vous propose d'adopter, l'article unique fixe clairement les objectifs de la journée et précise que les anciens combattants et les élus locaux sont associés aux activités menées.
Les dernières modifications - et les plus importantes - que je vous propose concernent la date et l'intitulé de cette journée. En accord avec la volonté de « simplifier » le paysage des commémorations, il me semblerait préférable d'inscrire cet évènement le jour de classe qui précède immédiatement le 11 novembre, qui est depuis la loi du 28 février 2012 le jour à l'occasion duquel il est rendu hommage à tous les morts pour la France. D'autant que la solution retenue par notre collègue auteur de la proposition de loi, le dernier jeudi du mois de mai, avait l'inconvénient d'avoir lieu dans un mois très « chargé » du point de vue commémoratif, surtout depuis l'instauration d'une journée nationale de la Résistance le 27 mai.
Ce changement nécessiterait de faire évoluer le nom de cette journée et, par extension, l'intitulé de la proposition de loi. Il s'agirait désormais de la journée de la mémoire de tous les morts pour la France et des victimes de guerre. Ce nouvel intitulé serait cohérent avec la nouvelle qualification du 11 novembre, qui résulte de la loi de 2012.
En conséquence, mes chers collègues, je vous invite à adopter la présente proposition de loi modifiée par les deux amendements que je vous ai présentés.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Pour votre information, cette proposition de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance du mercredi 13 janvier.
M. Jean-Louis Carrère . - Si l'idée est intéressante, nous sommes quand même sensibles à certaines contradictions. Vous nous dites qu'il y a une fréquentation moindre des journées dévolues à la mémoire et vous voulez en rajouter une ! Ou alors, il faudrait supprimer les autres. Mais nous ne sommes pas engagés dans cette voie.
Pour atteindre l'objectif, nous pensons qu'il eût été préférable de procéder de manière plus rationnelle, consensuelle avec nos partenaires des ministères de la défense et de l'éducation nationale.
De plus, je trouve anormal l'idée que cela ne s'impose qu'aux élèves de CM2, de cinquième et de seconde. Je ne peux pas vous suivre sur ce point.
Enfin, je ne pense pas que l'on puisse se départir d'une concertation avec nos collègues de la commission des affaires étrangères. Ils sont également très attentifs à cette question.
Par conséquent, nous regrettons cette précipitation et le manque d'une concertation même encadrée et limitée dans le temps. Il faut se concerter pour réussir !
M. Guy-Dominique Kennel . - Cette proposition de loi me laisse perplexe. Il existe une incohérence et j'aurais tendance à rejoindre le point de vue de notre collègue Jean-Louis Carrère. Il existe déjà beaucoup de journées commémoratives, où il y a fort peu de monde ; ajouter une nouvelle journée est difficile à comprendre et à admettre.
Dans ma commune et dans mon canton, les maires ont l'habitude d'inviter les élèves des écoles à participer à la journée du 11 novembre et à chanter La Marseillaise . Je crains que proposer une nouvelle journée de commémoration la veille du 11 novembre soit contre-productif. Nous serons seuls le 11 novembre ! À titre personnel, je ne voterai pas cette proposition de loi.
M. Loïc Hervé . - En tant que co-signataire de cette proposition de loi, je rejoins complètement le rapporteur dans ses conclusions et sa clarification. Il ne s'agit pas d'une journée supplémentaire car nous sommes dans le cadre des établissements scolaires. C'est une journée qui préparera le 11 novembre. La mémoire de notre pays fait place parfois à un certain relativisme qu'il est important de combattre aussi dans les établissements scolaires et avec beaucoup de clarté. Ce type d'usage doit pouvoir être développé. Je suis très attaché à cette notion de mémoire et aux valeurs qu'elle traduit. Je me réjouis que ce débat soit ouvert.
Mme Marie-Christine Blandin . - Le texte initial et le texte proposé par le rapporteur n'ont plus rien à voir, sauf l'idée généreuse de mobiliser les enfants sur cette notion de mémoire. Les objections émises me semblent pertinentes. Je pense que le but à poursuivre est celui de la pédagogie et de la sensibilisation. Le déplacement des enfants devant un monument aux morts lors d'une cérémonie ne devrait être que l'aboutissement de la conscience qu'ils portent en eux. Il faut un travail pédagogique. L'ouvrage de Rémy Cazales « 500 témoins de la Grande Guerre », peut y contribuer grandement. Vous avez fait certaines corrections utiles, mais je reste très gênée par le terme de mémoire combattante, même si c'est le langage consacré. La mémoire ne combat pas !
Votre rédaction prévoit que les élus locaux, les anciens combattants, les victimes de guerre soient associés aux actions menées ; cela risque de devenir un droit, revendiqué par certains et qui pourrait donner lieu à des affrontements entre, par exemple, des associations concurrentes d'anciens combattants. Il faut laisser la main à l'école.
Enfin, en tant que membre du Conseil supérieur des programmes (CSP), je puis vous préciser que le parcours citoyen que nous sommes en train d'élaborer comporte ce travail pédagogique, cette sensibilisation à cette mémoire, en interdisciplinarité avec le programme d'histoire. Le but que vous poursuivez sera rempli par notre travail qui devrait être publié prochainement.
M. Pierre Laurent . - Si je suis sensible au travail de mémoire dans notre pays, je note que cette proposition de loi soulève plusieurs problèmes. Il existe déjà des initiatives en direction de la jeunesse, comme le concours de la Résistance, afin de leur faire partager cette idée. Et je suis favorable au développement de ce type d'initiatives qui comporte un volet pédagogique et citoyen. Il faudrait, peut-être, être plus complet dans l'évaluation de la réalité. Par ailleurs, il ne faut pas remplacer les cours d'histoire par des journées mémorielles. Or, l'enseignement de l'histoire est souvent très maltraité. Il faut donner aux jeunes les moyens d'une évaluation critique. Toutes les journées mémorielles ne se valent pas. Elles sont difficilement regroupables. Je constate avec regret l'affaiblissement progressif de la journée du 8 mai, ce qui me semble paradoxal au vue de la situation politique européenne actuelle.
Mme Françoise Laborde . - Faisons davantage confiance aux enseignants, en particulier aux professeurs d'histoire, pour respecter leur programme. Certaines journées mémorielles existantes rencontrent un franc succès : tous les enfants des collèges de ma région vont au moins une fois au musée de la Résistance. Dans le cadre de la journée de la laïcité, de nombreuses activités sont menées. Je salue l'important travail réalisé par le rapporteur mais j'estime que ce texte ne peut être adopté en l'état.
Le groupe RDSE s'abstiendra.
Mme Françoise Cartron . - Je voudrais souligner deux paradoxes. D'une part, nous, parlementaires, déclarons régulièrement que nous légiférons trop. Le texte dont nous débattons ce matin, si son objet est louable, ne me semble pas relever de la nécessité législative la plus absolue. D'autre part, nous rappelons souvent l'idée qu'il faut laisser davantage d'autonomie aux établissements scolaires ; or ce texte se présente comme une injonction faite aux enseignants d'organiser une journée de mémoire. Les amendements que nous propose notre rapporteur illustrent bien cette ambiguïté puisqu'ils constituent une véritable réécriture du dispositif.
Autre point délicat, je ne suis pas sûre que ce texte règle le problème de l'absence des enfants aux commémorations auquel il aspire à remédier. Un jour férié commémoratif est souvent le prétexte de week-ends allongés ou de « ponts »... L'engagement citoyen passe après le temps de loisir. C'est malheureux mais notre société est ainsi faite.
Un travail de mémoire est déjà fait au sein des établissements scolaires dans le cadre des classes d'histoire. Si affaiblissement en la matière il y a, c'est à l'éducation nationale d'agir et de renforcer les outils pédagogiques. La mémoire partagée que vous appelez de vos voeux est nécessaire mais sa transmission peut se faire selon d'autres modes. Ainsi, au cours d'un déplacement récent dans le cadre de ma mission d'évaluation des nouveaux rythmes scolaires, j'ai pu assister à un atelier organisé dans une petite commune dont l'objet était le monument aux morts local. L'animatrice a ainsi pu apporter aux enfants rassemblés autour du monument des explications d'ordre historique et patrimonial, qui ont permis de donner du sens à ce travail de mémoire.
En conclusion, nous n'avons pas besoin d'une loi supplémentaire ; faisons plutôt confiance aux équipes enseignantes pour faire vivre notre mémoire nationale.
Mme Colette Mélot . - Je remercie Claude Kern pour son rapport qui nous permet de débattre de ce sujet si important. Même si l'on considère qu'une loi n'est pas nécessaire, nous devons en effet veiller à sensibiliser davantage les jeunes à l'histoire de notre nation et à faire en sorte qu'ils s'approprient les valeurs républicaines.
On ne peut que faire le constat, regrettable, d'une participation de moins en moins importante aux cérémonies commémoratives dans nos communes ; je sais que les anciens combattants en conçoivent parfois une certaine amertume. Il y a pourtant un devoir de mémoire qui s'impose à nous. Il est nécessaire de rechercher une solution pour rendre effective la participation des publics scolaires. Peut-être faudrait-il s'inspirer de l'exemple d'autres pays, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, qui ont institué au niveau national un jour de mémoire unique auquel sont associées les associations de jeunesse ?
M. David Assouline . - Cette proposition de loi appelle au débat, et celui-ci est légitime. Mais peut-être faudrait-il lui réserver un espace autre et éviter de galvauder la loi... Ce ne serait pas bon pour la cause qu'elle cherche à défendre, qui est juste.
Tout d'abord, sur le plan de la méthode, il aurait été utile d'entendre le secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire afin de savoir si l'instauration d'un jour de mémoire est cohérente avec ses projets et ses objectifs. De même, il aurait fallu se rapprocher de la communauté éducative au sens large afin de recueillir son ressenti et son expérience. Sur le fond, ensuite : il y a déjà une douzaine de journées à but commémoratif. Instituer une journée de mémoire va permettre de rationaliser cette multiplicité d'événements nous dites-vous, mais c'est faux car les autres journées ne vont pas être supprimées. Au final, il y aura une journée de plus !
Dans le vingtième arrondissement de Paris où je suis élu, des jeunes sont toujours présents lors des journées du souvenir, souvent avec l'appui d'équipes pédagogiques. Je crois que la ferveur qui peut se manifester à l'occasion des commémorations est très liée à l'état d'esprit du pays ; on le constate en ce moment.
Je m'interroge par ailleurs sur ce que la notion de mémoire combattante doit recouvrir. La guerre prend de nouvelles formes aujourd'hui. Notre pays est ainsi dans une situation de guerre face à des groupes terroristes. La mémoire combattante peut-elle inclure les victimes des attentats du 13 novembre au même titre qu'un soldat mort en opération au Mali ? Je pense que oui, mais il est évident qu'il peut en sortir une certaine confusion.
Est-il possible, souhaitable, de rassembler le souvenir de différents événements qui ont marqué la mémoire nationale en une seule journée ? Je considère, pour ma part, que le 11 novembre, la Résistance ou la Shoah ne peuvent pas faire l'objet d'un traitement équivalent ou commun par les enseignants. Là encore, ce serait matière à confusion.
Pour ces raisons, je ne crois pas qu'il soit possible pour nous de légiférer juste en quelques heures sur de tels sujets. Le groupe socialiste s'opposera donc à l'adoption de cette proposition de loi, dont l'objet, je le répète, n'est pas en cause.
M. Bruno Retailleau . - Permettez-moi d'abord de saluer le travail exceptionnel réalisé par notre rapporteur qui n'a disposé que de quelques jours et qui a profondément remanié le texte d'origine.
Cette proposition de loi, qui intervient dans un contexte marqué par la série d'attentats qu'a connue l'année 2015, a le mérite de rappeler les liens entre mémoire et civisme. La réponse de la démocratie face à la barbarie ne peut être que sécuritaire : elle suppose que le peuple, uni, fasse front. Or, cette unité repose nécessairement sur une mémoire collective, qui ne doit pas être appréhendée comme étant uniquement tournée vers le passé, mais comme un moyen de se projeter dans l'avenir. Profondément marqué par l'ouvrage de Paul Ricoeur La Mémoire, l'histoire, l'oubli , j'observe que la France a toujours eu une attitude ambivalente avec son passé, oscillant entre un profond dénigrement et un appétit insatiable pour les commémorations.
Il me semble fondamental que les morts ne soient pas oubliés et j'avais, à ce titre, fermement soutenu la loi du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France. Si je souscris aujourd'hui aux objectifs du texte qui nous est présenté, je suis plus circonspect sur la forme : cette question ne peut être traitée au détour d'une proposition de loi déposée par un groupe et examinée dans un espace réservé ; elle doit procéder d'un large consensus car parler de mémoire, c'est nécessairement toucher des plaies.
M. Jean-Claude Carle . - Je souhaite tout d'abord saluer le travail qu'a réalisé notre rapporteur dans les délais qui lui ont été accordés, moins d'une semaine.
Je suis en accord avec le fond de la proposition de loi : il est essentiel d'impliquer les jeunes dans les commémorations. Pour autant, je m'interroge sur l'opportunité d'instituer un jour de mémoire dans les écoles le 10 novembre. Je crains d'abord qu'à trop instaurer de jours de mémoire, on ne finisse par diluer leur effet : 365 jours dans l'année n'y suffiront bientôt plus ! En outre, le fait de retenir la date du 10 novembre pour cette journée commémorative pourrait se traduire, non par une mobilisation, mais par une démobilisation des jeunes le 11 novembre. Par conséquent, j'estime que ce sujet mérite de notre part davantage de réflexion.
M. Gilbert Bouchet . - Je salue, moi aussi, le travail mené par Claude Kern sur cette proposition de loi. En réponse à Jean-Claude Carle, je citerai l'exemple de ma ville qui organise une veillée des jeunes le 10 novembre ; celle-ci ne nuit en aucune manière à la mobilisation pour les cérémonies qui ont lieu le lendemain.
Je pense qu'au-delà même de son objectif initial, cette proposition de loi pourrait répondre à plusieurs attentes : celle des anciens combattants, d'une part, toujours très désireux de nouer le dialogue avec la jeunesse ; de l'autre, celle de sensibiliser les jeunes, par le biais de la pédagogie, aux commémorations du 11 novembre.
M. René Danesi . - Le travail du rapporteur a permis de lever les interrogations que suscitait la proposition de loi initiale. Toutefois, je pense que ce texte ne prend pas le problème à sa racine. Depuis des années, l'enseignement de l'histoire est envisagé sous l'angle de la repentance. Il conviendrait de remettre l'éducation civique au coeur de l'enseignement.
Mme Marie-Annick Duchêne . - Certes, les enfants peuvent se rendre aujourd'hui aux commémorations en famille. Mais n'est-ce pas aussi le rôle de l'école de sensibiliser notre jeunesse ? Je déplore que l'école soit aujourd'hui si repliée sur elle-même. Le texte, tel qu'amendé par notre rapporteur, a le mérite de contribuer à ouvrir l'école à des pratiques essentielles.
M. Jacques-Bernard Magner . - Il ne me paraît pas opportun de confier à l'école un rôle de premier plan dans la prise en charge du devoir de mémoire. L'école a une mission en matière de transmission des savoirs et des valeurs mais il ne lui appartient pas de commémorer les guerres. La commémoration relève de la société. Ce sont avant tout les maires qui ont la responsabilité d'entretenir l'esprit civique. De ce fait, cette proposition de loi ne me paraît pas nécessaire.
M. Claude Kern, rapporteur. - C'est un sujet très sensible et important. Il ne s'agit pas de créer une journée supplémentaire de congé ni de commémoration, mais de consacrer une journée dédiée à un travail pédagogique, afin de sensibiliser les élèves aux enjeux de la transmission de la mémoire et de préparer ainsi le 11 novembre. Il s'agit de faire participer davantage les enfants aux cérémonies commémoratives.
Je n'ai pas trouvé d'autre formulation que celle de la « mémoire combattante » dont je reconnais qu'elle n'est pas parfaitement satisfaisante. J'ai pris contact avec le secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire, qui a montré de l'intérêt pour la démarche, mais les délais contraints n'ont pas permis d'organiser une rencontre.
J'ai essayé de retravailler la proposition de loi en partant du principe qu'il fallait faire confiance aux enseignants. Je constate que les propositions de modification ne permettent pas d'aboutir à un consensus sur les solutions techniques qui pourraient être adoptées, ce qui m'amène à retirer mes amendements pour que nous puissions débattre en séance publique du texte initial.
M. Jean-Louis Carrère . - Je souhaite faire une proposition alternative. Compte tenu de l'intérêt de la proposition de loi, nous pourrions constituer une équipe plurielle afin de retravailler le texte et démontrer ainsi que nous sommes capables de travailler ensemble pour défendre les valeurs républicaines.
M. David Assouline . - La proposition de loi étant inscrite à l'ordre du jour, elle devra être débattue à la date prévue. Dans ces conditions, soit il s'agit d'essayer d'aboutir et il faut s'inscrire dans une logique d'amendement, soit il s'agit d'avoir d'abord un débat, et le contenu technique du texte apparaît moins déterminant. Je suis favorable à ce qu'on débatte du texte initial.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente - Nous en débattrons le 13 janvier. Chacun a tenu des propos responsables sur les objectifs de cette proposition de loi compte tenu des propositions du rapporteur qui a voulu améliorer un texte confus.
M. Bruno Retailleau . - La première suggestion était la bonne, consistant à revenir au texte initial Je souhaite qu'on réserve notre vote pour la séance publique. Nous sommes tous prêts à débattre sereinement des meilleurs moyens d'accroître le civisme.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je soumets au vote le texte initial de la proposition de loi.
La proposition de loi est rejetée .
TABLEAU COMPARATIF
* 1 Henry Rousso, « Réflexions sur l'émergence de la notion de mémoire », in Histoire et mémoire, CRDP de Grenoble, 1998.
* 2 Discours devant la Chambre des députés, 20 novembre 1917.
* 3 Discours devant le Congrès, 16 novembre 2015.
* 4 Krzysztof Pomian, Sur l'histoire , Paris, Gallimard, 1991.
* 5 Note de service n° 2007-138 du 2 août 2007 relative à la commémoration du souvenir de Guy Môquet et de ses vingt-six compagnons fusillés.
* 6 Note de service n° 2008-085 du 3 juillet 2008 relative à l'enseignement de la Shoah à l'école élémentaire.
* 7 Pierre Nora, Les Lieux de mémoire , Paris, Gallimard, 1992.
* 8 Rapport de la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques, sous la présidence d'André Kaspi, novembre 2008.
* 9 Loi n° 2012-273 du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.
* 10 Loi n° 2012-1361 du 6 décembre 2012 relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
* 11 Loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité.
* 12 Décret n° 2006-388 du 31 mars 2006 fixant la date en France métropolitaine de la commémoration annuelle de l'abolition de l'esclavage.
* 13 Loi n° 2013-642 du 19 juillet 2013 relative à l'instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance.
* 14 Décret n° 2005-547 du 26 mai 2005 instituant une journée nationale d'hommage aux « morts pour la France » en Indochine, le 8 juin de chaque année.
* 15 Décret n° 2006-313 du 10 mars 2006 instituant le 18 juin de chaque année une Journée nationale commémorative de l'appel historique du général de Gaulle à refuser la défaite et à poursuivre le combat contre l'ennemi.
* 16 Loi n° 2000-644 du 10 juillet 2000 instaurant une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux « Justes » de France.
* 17 Décret du 31 mars 2003 instituant une Journée nationale d'hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives.
* 18 Décret n° 2003-925 du 26 septembre 2003 instituant une journée nationale d'hommage aux « morts pour la France » pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, le 5 décembre de chaque année.
* 19 Celle-ci a fait l'objet d'une résolution n° 269 (2010-2011) présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution instituant une « journée nationale de la laïcité », adoptée par le Sénat le 31 mai 2011.
* 20 Dossier « Mémoire et histoire » du site Eduscol : http://eduscol.education.fr/pid23340/memoire-et-histoire.html
* 21 Note de service n° 2013-094 du 7 juin 2013 relative aux commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale.
* 22 Marcel Gauchet, L'avènement de la démocratie, III, à l'épreuve des totalitarismes, 1914-1974 , Paris, Gallimard, 2010 .
* 23 Commémorer la Grande Guerre 2014-2020, rapport de M. Joseph Zimet au Président de la République, septembre 2011.
* 24 Note de service n° 2015-150 du 2 septembre 2015 relative aux commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale - année scolaire 2015-2016.
* 25 Idem .
* 26 Grande mobilisation de l'École pour les valeurs de la République, dossier de presse, 22 janvier 2015.
* 27 Bulletin officiel spécial n° 6 du 25 juin 2015.
* 28 Grande mobilisation de l'École pour les valeurs de la République, ibid .
* 29 Exposé des motifs.
* 30 Conseil constitutionnel, décision n° 2012-657 DC du 29 novembre 2012, Loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
* 31 Note de service n° 2015-190 du 15 novembre 2015 relative à la journée internationale des droits de l'enfant, circulaire n° 2015-182 du 28 octobre 2015 relative au 110 e anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'État.
* 32 Loi n° 2013-642 du 19 juillet 2013 relative à l'instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance.
* 33 Loi n° 2012-273 du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.