N° 201
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016
Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 novembre 2015 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne présentée par M. Michel BILLOUT et plusieurs de ses collègues, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur les conséquences du traité transatlantique pour l' agriculture et l' aménagement du territoire ,
Par MM. Philippe BONNECARRÈRE et Daniel RAOUL,
Sénateurs
et TEXTE DE LA COMMISSION
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM. Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard et Alain Vasselle . |
Voir le numéro :
Sénat : |
115 (2015-2016) |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Conformément à l'article 73 quinquies du règlement du Sénat, votre commission des affaires européennes est chargée d'examiner la proposition de résolution européenne n°115 (2015-2016) sur les conséquences du traité transatlantique pour l'agriculture et l'aménagement du territoire, présentée par M. Michel Billout et plusieurs de ses collègues le 27 octobre 2015.
Les négociations en vue de conclure un partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement (PTCI) entre les États et l'Union européenne ont été officiellement engagées à l'été 2013. En réalité, si les dix premiers « rounds » de négociation ont permis aux négociateurs des deux parties de poser les problèmes sur la table et, pour l'Union européenne de formuler des propositions de textes, le contenu d'un futur projet reste à peine ébauché.
La partie américaine a été prioritairement orientée vers la conclusion du Partenariat Transpacifique (TPP) qui, après plus de cinq années de négociation, n'a été signé que le 5 octobre dernier. Côté européen, le renouvellement de la Commission - seule en charge des négociations commerciales, en 2014 - a également contribué au démarrage tardif des pourparlers.
Depuis la tenue du onzième round en octobre 2015, l'espoir est permis d'une accélération du tempo et de voir les États-Unis entrer avec la Commission dans le vif des trois sujets qui structureront un futur accord : l'accès au marché, les régulations et les normes (obstacles non tarifaires) enfin les règles générales à appliquer aux échanges commerciaux.
L'agriculture, secteur stratégique sur le plan économique, commercial mais aussi, et singulièrement en France, par ses enjeux de société et d'environnement, constitue un élément essentiel des négociations.
Le secteur relève des trois grands sujets de l'accord : de l'accès au marché avec des niveaux de tarifs douaniers encore substantiellement élevés de part et d'autre ; des normes et des réglementations surtout, tant les obstacles non tarifaires constituent aujourd'hui le plus grand frein aux échanges, en particulier dans le cadre des mesures sanitaires et phytosanitaires ; des « règles » en général, singulièrement par le volet « propriété intellectuelle » qui comprend l'enjeu, essentiel pour la France, des indications géographiques.
Vos rapporteurs présenteront les principales caractéristiques des échanges agricoles et agro-alimentaires entre les États-Unis et l'Union européenne, avant de concentrer leur analyse sur les deux secteurs mis en avant dans la proposition de résolution : la filière viande bovine et la filière laitière. Ils évoqueront également les problématiques des obstacles non tarifaires, des règlements sanitaires et phytosanitaires et des Indications géographiques, étroitement liées à l'impact d'un éventuel traité de commerce transatlantique sur les deux filières concernées et sur l'agriculture en général. Ils concluront leur rapport en proposant des compléments à la proposition de résolution, qui n'en n'altèreront pas l'économie générale.
I. LES ENJEUX DU PROJET D'ACCORD COMMERCIAL TRANSATLANTIQUE POUR LE SECTEUR AGRICOLE
Les États-Unis sont premier exportateur mondial de denrées agricoles - 10 % des exportations mondiales ; premier producteur et premier exportateur mondial de viande de boeuf ; deuxième exportateur mondial de viande porcine et d'éthanol. Avec 20 % des exportations mondiales, ils sont deuxième exportateur pour la viande de volaille et le maïs doux.
Dans ce secteur, l'Union européenne et la France présentent toutes deux une balance commerciale excédentaire. Notre pays y a été, en 2014, bénéficiaire de près de 2 milliards d'euros, soit 21 % de son excédent commercial. Les États-Unis, septième client de la France en ce domaine, sont aussi la première destination des exportations de l'Union européenne pour les produits de l'industrie agro-alimentaire.
Les importations américaines de produits européens portent principalement, en valeur, sur les spiritueux, les vins et la bière, viennent ensuite les fromages, les boissons non alcoolisées et l'huile d'olive.
Symétriquement, l'Union européenne importe principalement des États-Unis des produits oléagineux, fruits, noix et spiritueux.
Pour la France, les exportations de produits agroalimentaires vers les États-Unis sont très concentrées sur les vins et spiritueux, (74 % des exportations), les produits laitiers (6 %) les boissons non alcoolisées (4 %) et les préparations à base de fruits et légumes (3 %).
A. L'ACCÈS AU MARCHÉ : LA FIN PROGRAMMÉE DES DROITS DE DOUANE DANS UN CONTEXTE DE COMPÉTITIVITÉ INÉGALITAIRE
Le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI) a entre autres objectifs, celui de parachever la disparition des droits de douane pour l'ensemble des biens et services échangés entre les États-Unis et l'Union européenne,.
S'agissant des produits agricoles et agroalimentaires, globalement, les droits de douane appliqués dans l'Union européenne sont deux fois supérieurs à ceux qui sont appliqués aux États-Unis : 6,6 % en moyenne aux États-Unis contre 12,2 % dans l'Union européenne (en équivalent ad valorem ). Des deux côtés sont aussi appliqués des pics tarifaires élevés : dans l'Union européenne pour ses produits sensibles (viandes notamment), aux États Unis pour certains produits européens : 112 % sur le lactoserum, 39 % pour certains fromages à pâte persillée.
L'objectif de la négociation du PTCI sur les droits de douane est d'aboutir à leur suppression ou quasi suppression, soit immédiatement à l'entrée en vigueur de l'accord, soit sur une période de 3, 7, voire 10 ans. Certains produits déclarés « sensibles », compte tenu de leur fragilité économique ou commerciale ne sont pas concernés par cette réduction des droits. Leur traitement spécifique est déterminé à l'issue de la négociation et peut aboutir à l'octroi au partenaire -en l'espèce les États-Unis, d'un contingent à droit réduit ou nul. C'est ce qui a été fait dans le cadre de l'accord économique et commercial global (AECG) conclu l'an passé avec le Canada, à concurrence de 45.840 tonnes de viande bovine (en tonnes équivalent carcasse).
Au lendemain du onzième round de négociation du PTCI en octobre dernier, les négociateurs européens et américains se sont accordé chacun - tous biens confondus, pas seulement agricoles ou agroalimentaires - sur une réduction des droits de douane portant sur 97 % de leurs lignes tarifaires. Les 3% restant sont toutes des lignes tarifaires agricoles et incluent les produits sensibles. Ces derniers recouvrent la viande de boeuf, de porc et la volaille, les ovoproduits, le maïs doux les petits légumes, les produits à base d'amidon, l'éthanol et les produits dérivés et le rhum.
L'accès des produits européens au marché des États-Unis est largement impacté par l'écart de compétitivité, singulièrement pour l'élevage et de la production de viande bovine en particulier. Qu'il s'agisse du coût de l'énergie, des différences de réglementation - bien-être animal, traçabilité, de la réglementation sanitaire - , des écarts de coût du travail, enfin et surtout de la taille et de la structure respective des exploitations et des appareils de production, tous ces paramètres constituent autant d'éléments d'une concurrence inégalitaire.
Enfin le récent Farm bill, entré en vigueur l'an passé aux États-Unis, a renforcé le mécanisme - largement financé sur ressources fédérales -, d'assurances des revenus agricoles en cas de volatilité des marchés. Il avantage principalement les producteurs de céréales et les producteurs de lait par rapport à leurs homologues européens en cas de fortes baisses des cours.