C. UNE VOIE ÉTROITE DE RÉFORME : MIEUX CIBLER LE DISPOSITIF SUR LES PUBLICS ET LES SOINS PRIORITAIRES, EN ÉVITANT L'ÉCUEIL D'UN REPORT DE CHARGES SUR LES HÔPITAUX
1. La proposition d'« aide médicale d'urgence » adoptée par le Sénat
Dans le cadre de l'examen, en première lecture, du projet de loi relatif au droit des étrangers en France - rebaptisé par le Sénat projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration - le Sénat a adopté, le 8 octobre 2015, à l'initiative de notre collègue Roger Karoutchi, un amendement portant article additionnel visant à remplacer l'AME de droit commun existante par une « aide médicale d'urgence » . Ce dispositif, dont les modalités de financement seraient identiques à celles de l'AME de droit commun, prévoit :
- de recentrer l'accès gratuit aux soins sur un panier plus ciblé . Seraient ainsi prises en charge gratuitement, sans avance de frais, les mesures relatives à la prophylaxie , le traitement des maladies graves et des douleurs aiguës , les soins liés à la grossesse et ses suites , les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive ;
- d'ouvrir ce dispositif à tout étranger en situation irrégulière dont les ressources sont inférieures au plafond de la CMU-C, sans condition de durée de résidence minimale - contrairement à la condition de résidence de trois mois actuellement en vigueur pour l'AME de droit commun ;
Sur proposition du rapporteur, François-Noël Buffet, cette proposition a été sous-amendée afin de prévoir le paiement d'un droit annuel pour les majeurs, dont le montant serait fixé par décret .
Extrait du projet de loi portant diverses dispositions
relatives à la maîtrise de l'immigration modifié en
première lecture par le Sénat
Article 13 octies (nouveau) Le titre V du livre II du code de l'action sociale et des familles est ainsi modifié : 1° Le chapitre I er est ainsi rédigé : « CHAPITRE I ER « Aide médicale d'urgence « Art. L. 251-1. - Tout étranger résidant en France sans remplir la condition de régularité mentionnée à l'article L. 380-1 du code de la sécurité sociale et dont les ressources ne dépassent pas le plafond mentionné à l'article L. 861-1 du même code a droit, pour lui-même et les personnes à sa charge au sens de l'article L. 161-14 et des 1° à 3° de l'article L. 313-3 dudit code, à l'aide médicale d'urgence, sous réserve, s'il est majeur, de s'être acquitté, à son propre titre et au titre des personnes majeures à sa charge telles que définies ci-dessus, d'un droit annuel dont le montant est fixé par décret. « En outre, toute personne qui, ne résidant pas en France, est présente sur le territoire français, et dont l'état de santé le justifie, peut, par décision individuelle prise par le ministre chargé de l'action sociale, bénéficier de l'aide médicale d'urgence dans les conditions prévues à l'article L. 251-2 du présent code. « De même, toute personne gardée à vue sur le territoire français, qu'elle réside ou non en France, peut, si son état de santé le justifie, bénéficier de l'aide médicale d'urgence, dans des conditions définies par décret. « Art. L. 251-2. - La prise en charge, assortie de la dispense d'avance des frais, concerne : « 1° La prophylaxie et le traitement des maladies graves et des douleurs aiguës ; « 2° Les soins liés à la grossesse et ses suites ; « 3° Les vaccinations réglementaires ; « 4° Les examens de médecine préventive. « La prise en charge est subordonnée, lors de la délivrance de médicaments appartenant à un groupe générique tel que défini à l'article L. 5121-1 du code de la santé publique, à l'acceptation par les personnes mentionnées à l'article L. 251-1 du présent code d'un médicament générique, sauf : « a) Dans les groupes génériques soumis au tarif forfaitaire de responsabilité défini à l'article L. 162-16 du code de la sécurité sociale ; « b) Lorsqu'il existe des médicaments génériques commercialisés dans le groupe dont le prix est supérieur ou égal à celui du princeps ; « c) Dans le cas prévu au troisième alinéa de l'article L. 5125-23 du code de la santé publique. « Art. L. 251-3. - Sauf disposition contraire, les modalités d'application du présent chapitre sont déterminées par décret en Conseil d'État. » ; 2° Le chapitre II est abrogé ; |
3° Le chapitre III est ainsi rédigé : « CHAPITRE III « Dispositions financières « Art. L 253-1. - Les prestations prises en charge par l'aide médicale d'urgence peuvent être recouvrées auprès des personnes tenues à l'obligation alimentaire à l'égard des bénéficiaires de cette aide. Les demandeurs de l'aide médicale d'urgence sont informés du recouvrement possible auprès des personnes tenues à l'obligation alimentaire à leur égard des prestations prises en charge par l'aide médicale. « Art. L. 253-2. - Les dépenses d'aide médicale sont prises en charge par l'État. « Lorsque les prestations d'aide médicale ont pour objet la réparation d'un dommage ou d'une lésion imputable à un tiers, l'État peut poursuivre contre le tiers responsable le remboursement des prestations mises à sa charge. « Lorsqu'une provision a été versée à un établissement de santé pour couvrir des frais de soins et de séjour ou qu'un engagement de versement a été souscrit, la partie des frais correspondant à la provision ou à l'engagement reste à la charge des bénéficiaires. « Art. L. 253-3. - Les demandes en paiement des prestations fournies au titre de l'aide médicale par les médecins, chirurgiens, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, établissements de santé et autres collaborateurs de l'aide sociale doivent, sous peine de forclusion, être présentées dans un délai de deux ans à compter de l'acte générateur de la créance. « Art. L. 253-4. - Sauf disposition contraire, les conditions d'application du présent chapitre sont déterminées par décret en Conseil d'État. » |
Cette proposition constitue une piste intéressante de réforme, qui tendrait à rapprocher le dispositif français du modèle de prise en charge prévu en Allemagne . Le système existant outre-Rhin garantit en effet l'accès gratuit au traitement des maladies graves, des douleurs aiguës et des soins liés à la grossesse pour les demandeurs d'asile et les étrangers en situation irrégulière. Lorsque l'urgence n'est pas justifiée, ces personnes ne peuvent consulter directement un médecin mais doivent, au préalable, demander un certificat maladie ( Krankenschein ) au centre d'action sociale de la commune dans laquelle ils résident, ce dernier assurant ensuite la prise en charge de la consultation et des médicaments. Ces dépenses sont financées par les Länder , dont la politique en la matière est assez variable, même si une dotation de l'État fédéral leur est versée . Cette dotation s'élèverait à 1 milliard d'euros au total en 2015 19 ( * ) .
En-dehors de ces critères, aucune prise en charge publique n'est prévue, les personnes devant ainsi régler elles-mêmes les soins liés, par exemple, à des maladies chroniques, de rééducation à la suite d'une opération ou encore la pose d'une prothèse dentaire. Dans un contexte de très forte hausse du nombre de demandes d'asile, une réforme de l'accès de ces derniers et des étrangers en situation irrégulière au système de santé est toutefois en cours, en vue de leur permettre d'obtenir une carte d'assurance maladie spécifique, sur le modèle du dispositif existant dans les villes-Länder de Hambourg et de Brême 20 ( * ) .
2. Un impératif : conserver un dispositif suffisant de prise en charge par l'État afin d'éviter des reports de charges importants sur les hôpitaux
Si le périmètre du panier de soins de l'AME de droit commun pourrait être révisé afin d'assurer la soutenabilité de la dépense, le maintien d'un dispositif de prise en charge spécifique en faveur des étrangers en situation irrégulière financé par l'État apparaît indispensable afin de préserver la santé publique sur le territoire.
Lors des auditions et des déplacements effectués par votre rapporteur spécial, il a pu être constaté que les modalités de gestion de l'AME de droit commun par les CPAM sont rigoureuses et que les cas de fraude sont relativement rares, même si des « filières » d'arrivées en France pour des raisons médicales ont pu être détectées ces dernières années . À titre d'exemple, la CPAM de Paris a notamment signalé, en décembre 2013, l'existence d'une « filière géorgienne » concernant 73 personnes, atteintes majoritairement de tuberculose multi-résistante, sont le montant moyen des soins pris en charge s'élevait à 240 500 euros.
Les abus concerneraient plus spécifiquement les hôpitaux parisiens et franciliens, en particulier ceux situés à proximité des aéroports, qui sont souvent déjà confrontés à une patientèle précaire, disposant de faibles ressources.
Dans la mesure où les établissements publics de santé et leurs praticiens, ne peuvent, pour des raisons d'éthique professionnelle, refuser de prendre en charge certains patients, un écueil de la réforme de l'AME de droit commun serait donc d'entraîner un report de charge important vers les hôpitaux. Un dispositif de prise en charge minimale doit donc être conservé ; il apparaît plus pertinent que celui-ci continue d'être financé par le budget de l'État et en particulier par la mission « Santé » .
Observation n° 12 : la proposition d' « aide médicale d'urgence » adoptée par le Sénat dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration constitue une piste intéressante de réforme, sur le modèle existant en Allemagne. Néanmoins, un financement minimal de l'État doit être conservé afin d'éviter un report de charges vers les établissements publics de santé et que des affections contagieuses non soignées ne s'étendent au reste de la population. |
* 19 Réponse de la direction de la sécurité sociale au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial.
* 20 Hambourg et Brême disposent d'un dispositif de prise en charge sanitaire des demandeurs d'asile et des étrangers en situation irrégulière spécifique en Allemagne. Une carte d'assurance maladie est dispensée à ces personnes à leur arrivée sur le territoire, leur permettant de consulter un médecin de leur choix, pour n'importe quelle prestation médicale. En compensation de la charge administrative, les communes versent aux caisses d'assurance maladie un montant mensuel de 10 euros par personne bénéficiaire du dispositif.