EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue mardi 17 novembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a examiné le rapport de M. Francis Delattre, rapporteur spécial, sur la mission « Santé » et l'article 62 quinquies .

M. Francis Delattre , rapporteur spécial pour la mission « Santé » . - La mission « Santé » recouvre quelques actions sanitaires ponctuelles assurées par l'État, pour un budget total de 1,257 milliard d'euros. Ce sont des politiques sensibles mais qui représentent peu au regard des 200 milliards d'euros de dépenses de l'assurance maladie.

Le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » regroupe des subventions de l'État aux opérateurs sanitaires et aux agences régionales de santé (ARS). Le programme 183 « Protection maladie » concerne principalement le financement de l'aide médicale d'État (AME), un sujet particulièrement sensible et une dotation de 10 millions d'euros au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva). Les crédits du premier programme sont réduits de 2,4 %, ceux du second augmentent de près de 10 %.

Le budget pour 2016 se situe dans le prolongement de la tendance observée en 2014 et 2015 avec, d'abord, une diminution de 3,1 % des moyens alloués aux agences sanitaires, après une baisse de 4,4 % en 2015. La mise en oeuvre du schéma d'emploi supprimerait cinquante équivalents temps plein (ETP) chez cinq des opérateurs financés par la mission.

Une réforme est en cours afin de fusionner trois opérateurs de la mission : l'Institut national de veille sanitaire (InVS), l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé (Inpes) et le moins connu, l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), dont la genèse remonte à l'épidémie de grippe A/H1N1. Cette fusion est souhaitable en raison du caractère complémentaire de leurs missions : c'est la veille sanitaire qui, le cas échéant, doit mettre l'Eprus en éveil. Je rappelle que l'Eprus s'appuie sur un réseau de deux mille volontaires ; il s'agit d'un système original et réactif qu'il convient de conserver au sein de la nouvelle agence. Sept dépôts répartis sur le territoire sont utilisés pour le stockage de médicaments de première nécessité en cas d'épidémie ou de toute autre urgence sanitaire.

Le deuxième point d'attention est la stabilisation des crédits de prévention, alloués aux ARS dans le cadre du Fonds d'intervention régionale (FIR) : ils s'élèveront à 124,5 millions d'euros.

La troisième évolution marquante de la mission en 2016 est la hausse de 10 % des crédits dévolus à l'AME, qui assure la prise en charge gratuite, sans avance de frais, des soins aux étrangers en situation irrégulière, présents sur le territoire français depuis au moins trois mois et dont les ressources sont inférieures à environ 720 euros mensuels pour une personne seule.

Environ 300 000 personnes ont bénéficié de cette aide en 2014, majoritairement des hommes jeunes, même si environ 20 % des séjours hospitaliers concernent des grossesses et des accouchements. Près de 70 % des dépenses sont des prises en charge à l'hôpital, en particulier aux urgences.

L'augmentation de 10 % des crédits du programme 183 « Protection maladie », qui finance presque exclusivement l'AME, et l'ouverture de 87,6 millions d'euros de crédits supplémentaires par le projet de loi de finances rectificative pour 2015 révèlent surtout la sous-budgétisation chronique de ce dispositif.

Il y a en réalité trois types d'AME : l'AME de droit commun, qui couvre les soins aux étrangers résidant en France depuis plus de trois mois et dont la dotation s'élève à 700 millions d'euros en 2016, les soins urgents pour les étrangers ne remplissant pas la condition de résidence de l'AME de droit commun mais pour qui une absence de soins mettrait en jeu le pronostic vital ou entraînerait une incapacité définitive pour lesquels une dotation forfaitaire de 40 millions est prévue et, enfin, une AME dite « humanitaire », accordée au cas par cas sur décision gouvernementale.

Les dépenses totales de l'AME sont passées de 636 millions d'euros en 2009 à 831 millions d'euros en 2014, avec une pointe à 845 millions d'euros en 2013 suivie d'une stabilisation. La dette cumulée de l'État vis-à-vis de l'assurance maladie s'élevait à 57,3 millions d'euros fin 2014. Aussi souhaitable que soit un resserrement du dispositif, une baisse trop importante du financement de l'État se traduirait par un report de charges sur les hôpitaux, puisque les malades qui se présentent aux urgences sont systématiquement soignés. La stabilisation des dépenses s'explique surtout par la réforme de la tarification hospitalière. Nous avons pu nous rendre compte, lors de nos visites, du climat difficile au sein des urgences. Les soins prodigués aux étrangers en situation irrégulière sont en général importants et la durée du séjour tend à être plus longue ; certaines patientes venues accoucher n'ont nulle part où aller à leur sortie de l'hôpital.

À l'évidence, le budget de 604 millions d'euros pour 2015 n'était pas suffisant, comme le prouve la rallonge de 87,5 millions d'euros qui nous est proposée en fin d'année. Au 31 décembre, 294 000 personnes disposaient de l'attestation donnant droit à l'AME, et ce nombre est en augmentation. Pour les 30 % de dépenses qui concernent les consultations de ville, il n'existe pas de système de collecte de données permettant d'identifier les pathologies soignées.

Notre collègue Roger Karoutchi a proposé un resserrement du dispositif inspiré du système allemand, adopté dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration. Il faut rappeler qu'en Allemagne, la plus grande partie des dépenses est assumée par les Länder. Seuls les soins urgents et les douleurs aiguës peuvent, en principe, donner lieu à un accès gratuit aux soins. Si le malade étranger en situation irrégulière ne peut justifier de l'urgence, il doit, pour consulter un médecin, obtenir un certificat maladie au centre social de sa commune de résidence. La commune avance alors le prix des soins, qui lui est remboursé par le Land. L'État fédéral verse à cet effet une dotation aux Länder, d'un montant global d'environ 1 milliard d'euros. Au total, le coût du système semble par conséquent comparable au système français.

Pour toutes ces raisons, et compte tenu des observations de la Cour des comptes sur l'AME, envisager des critères pour resserrer le dispositif, comme le propose Roger Karoutchi, me paraît pertinent. Il est faux d'affirmer que le contrôle de l'assurance maladie est insuffisant - grâce aux recoupements effectués par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, une filière de fraude a récemment été démantelée - mais la réforme proposée permettrait de responsabiliser davantage les acteurs.

Je propose par conséquent d'adopter les crédits de la mission « Santé » sous réserve de l'adoption d'un amendement visant à baisser de 200 millions d'euros les crédits de l'AME. En 2016, la dotation budgétaire était de 700 millions d'euros pour l'AME de droit commun ; l'amendement ramènerait ce montant à 500 millions d'euros.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La question du contrôle est complexe. On comprend bien pourquoi l'on ne peut avoir un tri aux urgences. La position des hôpitaux sur ce sujet est parfois ambiguë. Cependant, le projet annuel de performances de la mission « Santé » ne fixe aucun objectif pour 2016 et 2017 en matière de pourcentage de dossiers contrôlés ayant conduit à un refus de droit à l'AME. C'est inquiétant. Dans d'autres pays européens, cette dépense est mieux maîtrisée. Nous ne pouvons refuser les soins d'urgence ; la lutte contre la tuberculose et d'autres maladies est également une nécessité. Cependant, il convient de mettre en place une politique de contrôle efficace. Je m'étonne que la carte Vitale biométrique n'ait pas encore vu le jour ; on nous fait valoir que c'est compliqué, que les caisses primaires d'assurance maladie ne souhaitent pas le faire... Je soutiens par conséquent l'amendement de crédit.

Mme Corinne Imbert , rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales . - Je ne m'exprime ici pas au nom de la commission des affaires sociales, puisque je ne présenterai mon rapport pour avis en commission que la semaine prochaine. Dans le cadre de mes travaux, j'ai reçu des représentants de la caisse nationale et de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, de l'InVS et de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Je partage la position du rapporteur Francis Delattre sur l'évolution des crédits de la future agence nationale de santé publique et la nécessité de préserver les moyens de l'Eprus, en particulier concernant l'achat de médicaments et l'indemnisation des professionnels de santé. J'ai été pleinement rassurée sur l'efficacité du dispositif.

Les hôpitaux sont effectivement en première ligne pour accueillir les bénéficiaires de l'AME. Je ne sais s'il faut réduire les crédits ou si ces crédits sont sous-évalués. Quant aux contrôles ou aux inquiétudes sur les séjours médicaux des étrangers, les caisses primaires d'assurance maladie peuvent être forces de proposition ; elles souhaitent d'ailleurs accéder au logiciel de visas du ministère des affaires étrangères, ce que la commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) leur refuse. Il reste que ceux qui se présenteront dans les hôpitaux continueront à être pris en charge quoi qu'il arrive.

M. Marc Laménie . - Voilà un dossier bien complexe, même si les sommes en jeu sont limitées. Quels sont les liens entre les huit opérateurs de la mission « Santé » et les ARS ? Pourquoi la dotation pour les victimes de l'amiante n'est-elle que de 10 millions d'euros ? Ce sujet si sensible est-il abondé par d'autres lignes budgétaires ?

M. Maurice Vincent . - Je remercie Francis Delattre pour ce rapport clair, modéré et pragmatique. Il me paraît difficile d'adopter l'amendement proposé tirant les conséquences de la proposition de Roger Karoutchi, dont je comprends néanmoins l'objectif. D'abord, les vases communicants entre les dépenses engagées quoi qu'il arrive par les hôpitaux pour les cas d'urgence et la dotation de l'État rendent l'amendement inopérant. Ensuite, les membres de notre commission ne sont ni formés, ni suffisamment informés pour distinguer ce qui relève de l'urgence de ce qui n'en relève pas. Je suis favorable à davantage de rigueur, mais je ne vois pas d'autre approche qu'un renforcement des contrôles pour débusquer, quand il y en a, des cas de fraude avérée.

M. Claude Raynal . - Je salue à mon tour le travail du rapporteur et la qualité de ses explications sur un dossier qu'il maîtrise bien, à rebours des propos quelque peu provocateurs qu'il lui arrive de tenir. Il est évident que l'amendement proposé, en aggravant la sous-budgétisation, ne répond pas aux besoins. Je le considère comme un amendement d'appel. Quant aux « soins non urgents liés à une maladie chronique », je suis dubitatif. Le traitement d'une maladie comme le diabète n'est-il pas obligatoire ? Je ne voterai pas l'amendement.

M. Roger Karoutchi . - Je regrette que ce débat prenne un tour théorique, voire théologique d'affrontement gauche-droite. Les dépenses de l'AME ont été multipliées par quatre en douze ans, pour atteindre au total près de 1 milliard d'euros. Par conséquent, une remise à plat du dispositif est nécessaire. Depuis plus de dix ans, des réseaux tirent profit de la prise en charge gratuite des étrangers en situation irrégulière par les hôpitaux. Dans cinq ans, les dépenses de l'AME atteindront 1,5 milliard d'euros, alors que nous demandons aux Français des efforts sur leurs dépenses de santé. L'opinion publique y mettra le holà. Je ne me fais pas d'illusion sur le parcours de l'amendement à l'Assemblée nationale. C'est un avertissement : si nous n'équilibrons pas le système, il explosera et nous évoluerons vers un dispositif beaucoup moins favorable comme celui qu'a mis en place l'Espagne.

Mme Marie-France Beaufils . - Vous signalez une stabilisation des besoins financiers du Fiva. Ce n'est pas ce qui ressort sur le terrain, où l'on se plaint surtout d'un ralentissement dans le traitement des dossiers. La stabilisation dont vous faites état ne s'explique-t-elle pas par cet allongement des délais ?

Ma ville, qui mène depuis très longtemps des actions de prévention, est de moins en moins accompagnée. Vous annoncez, dans votre note de présentation, des baisses de crédits non négligeables en matière de prévention sanitaire. Cette diminution est-elle bien réaliste ?

Enfin, je me souviens qu'il y a quelques années, Roger Karoutchi avait signalé que négliger la situation de santé des migrants accueillis sur notre territoire favoriserait la transmission des maladies. Comment réduire les crédits en tenant compte de la réalité ? Il y a déjà sous-estimation ! Je ne suis pas partisante de réduire les crédits de l'AME.

M. Éric Bocquet . - Concernant le schéma d'emploi du programme 204, vous signalez cinquante ETP en moins. Cela signifie-t-il que les opérateurs étaient en sureffectif ? Si ce n'est pas le cas, qu'en est-il des missions qu'assumaient les agents dont on a supprimé le poste ? Sont-elles assumées par d'autres avec des gains de productivité ou avec des heures supplémentaires ? A-t-on évalué l'impact de la suppression des cinquante-deux emplois prévue en 2015 sur le fonctionnement des agences sanitaires ?

M. Francis Delattre , rapporteur spécial . - La seule année où la prévision initiale de dépenses de l'AME - de 588 millions d'euros - a été conforme avec l'exécution a été l'année 2012. En 2009, la prévision s'agissant de l'AME était de 490 millions d'euros. La proposition de ramener les dépenses d'AME de droit commun à 500 millions d'euros n'est donc pas très éloignée, et reste tout à fait réaliste. Comme l'a dit Roger Karoutchi, si on laisse les dépenses filer jusqu'au milliard d'euros, c'est tout le dispositif qui explosera. D'où l'urgence de l'améliorer, d'autant que la Cour des comptes le critique régulièrement. Certes, nous ne sommes pas médecins mais soyons efficaces dans la gestion des finances publiques. Je peux tout supporter, hormis le déni de réalité. Même s'il est difficile d'avoir une approche scientifique concernant cette baise de crédits de 200 millions d'euros, une réforme est indispensable pour pérenniser le dispositif.

Si les dossiers d'indemnisation des victimes de l'amiante ont pris du retard, c'est notamment à cause de conflits de jurisprudences entre cours d'appel. Les parlementaires étaient d'ailleurs intervenus auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé pour mettre fin à un cafouillage scandaleux. L'État et l'assurance maladie consacrent au total un milliard d'euros à l'indemnisation des victimes de l'amiante : ce n'est pas rien. La remise de créances accordée aux victimes ou ayants droit débiteurs du Fiva, prévue par l'article 62 quinquies , est estimée à 3,4 millions d'euros.

Concernant l'AME, il me semble que le travail de vérification des dossiers est fait. Les déclarations de ressources nulles font l'objet de contrôles. Les recoupements ont d'ailleurs permis de mettre en évidence l'existence d'une filière de malades issus de Géorgie qui ont reçu des soins en France pour un coût moyen très élevé. Ce genre d'abus a été éradiqué.

Si l'on doit être soigné en France, alors que l'on vient d'un pays où il existe un système de couverture sociale, c'est d'abord l'assurance maladie de ce pays qui doit financer les soins. Or il existe des problèmes d'échange d'information concernant les ressortissants de certains États de l'Union européenne. Comme l'a rappelé Corinne Imbert, le ministère des affaires étrangères et du développement refuse aux caisses primaires d'assurance maladie l'accès aux informations du logiciel relatif aux visas. Cela devrait pourtant être possible à l'ère numérique. Un amendement d'appel pour favoriser la coopération contribuerait à réduire les abus.

Éric Bocquet sait, pour exercer les fonctions de rapporteur spécial, qu'on se plaît à nous vanter des gains de productivité. Il faudra nous montrer vigilants au sujet des trois agences qui vont fusionner, même si ce rapprochement devrait faciliter la coordination entre la veille sanitaire et l'opérationnel. En particulier, l'Eprus, avec ses stocks répartis sur l'ensemble du territoire, est un outil à conserver.

Mme Michèle André , présidente . - Merci pour votre présentation de ce rapport d'autant plus précieuse dans le contexte actuel. Dans nos hôpitaux, des hommes et des femmes se relaient pour donner les meilleurs soins à toutes les victimes, quelles que soient leur histoire et leurs origines. Saisissons cette occasion pour remercier le corps de santé dans son ensemble.

L'amendement n° 1 est adopté.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Santé » ainsi modifiés, ainsi que l'article 62 quinquies .

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Réunie le jeudi 19 novembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a décidé de confirmer sa décision de proposer au Sénat l'adoption, avec modification, des crédits de la mission « Santé » et l'adoption, sans modification, de l'article 62 quinquies .

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