B. UNE INCITATION A LA PRÉVENTION CONTRARIÉE PAR L'IMPORTANCE DES DÉPENSES MUTUALISÉES
Le renforcement de la prévention constitue l'une des priorités de la branche AT-MP, reconnue par les partenaires sociaux dans le cadre d'une démarche consensuelle. Signée le 30 décembre 2013, la convention d'objectifs et de gestion (Cog) de la branche, qui couvre la période 2014-2017, réaffirme la nécessité d'« assurer une prévention des risques fondée sur le ciblage et l'évaluation ». A cet égard, la branche a choisi de concentrer son activité sur les trois risques principaux que sont les TMS, les risques de chute dans le secteur du BTP et l'exposition à certains agents cancérogènes.
La prévention est également inscrite au coeur du troisième plan « Santé au travail » pour 2015-2019. Les sept orientations de ce plan ont été proposées par les partenaires sociaux au sein du comité permanent du conseil d'orientation des conditions de travail (COCT) avant d'être actées par le ministre chargé du travail le 27 janvier 2015.
Les sept orientations du troisième plan
- Faire de la prévention une priorité, en rupture avec une approche faisant prévaloir la réparation ; - Développer l'accompagnement des travailleurs et des entreprises dans la prévention de la désinsertion professionnelle ; - Faire de la qualité de vie au travail un objet stratégique et en favoriser la mise en oeuvre ; - Simplifier les normes, les rendre plus intelligibles et plus accessibles aux employeurs ainsi qu'aux salariés et à leurs représentants, pour une plus grande efficience des règles de prévention ; - Renouveler la démarche préventive en priorisant quelques risques récurrents (chutes de hauteur et de plain-pied, exposition aux substances classées cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, et risques psychosociaux), émergents (nanotechnologies) et multifactoriels (pratiques addictives au travail et maladies cardiovasculaires au travail) ; - Rassembler et mettre en perspective les données de santé au travail ; - Assurer une gouvernance partagée et opérationnelle de la santé au travail. |
Parmi les nombreux travaux menés pour renforcer l'incitation à la prévention, la poursuite de l'adaptation des règles de tarification constitue l'un des axes stratégiques de l'actuelle Cog. La tarification constitue en effet un levier important de la prévention puisqu'elle permet l'imputabilité aux entreprises des coûts des risques là où ils se réalisent.
Les règles de tarification ont été modifiées par un décret de 2010 6 ( * ) qui prévoit une simplification des modes d'imputation du coût des sinistres sur le compte des entreprises en tarification mixte ou individuelle, une modification des seuils d'effectifs pour le mode de tarification, et la possibilité pour une entreprise d'opter pour un taux unique applicable à l'ensemble de ses établissements appartenant à une même catégorie de risque. L'objectif est d'améliorer la lisibilité de la tarification du risque pour les employeurs et d'en renforcer le rôle incitatif.
Les principes de la réforme de la tarification Le taux des cotisations AT-MP d'une entreprise au titre d'une année N était déterminé en fonction des dépenses de sinistralité qu'elle a générées au titre de l'antépénultième année et des deux années précédant celle-ci (N-3 et N-4). Le taux net de cotisation est constitué d'un taux brut moyen, auquel s'ajoutent quatre majorations destinées à couvrir les accidents de trajet (M1), les charges générales de la branche, notamment les dépenses de prévention et la moitié du versement à la branche maladie au titre de la sous-déclaration des AT-MP (M2), les dépenses correspondant aux compensations inter-régimes, les dotations en faveur des fonds amiante et la seconde moitié du versement à la branche maladie (M3), les dépenses générées par le dispositif de retraite anticipée au titre de la pénibilité prévue par la loi portant réforme des retraites du 9 novembre 2010 (M4). Le taux net moyen des cotisations, qui s'élève à 2,44 % en 2014 après 2,43 % en 2013 et 2,38 % en 2012, est pondéré en fonction de la taille de l'entreprise, de son effectif ou de se son secteur d'activité. Les modalités de cette pondération ont évolué entre 2010 et 2014 dans le cadre de la réforme de la tarification qui se fonde sur trois principes : - une répercussion plus rapide dans la tarification de l'entreprise du coût des sinistres sur la base de coûts moyens (le part individuelle du taux de cotisation n'est plus calculée sur la base du coût de chaque sinistre pris isolément mais en fonction du coût moyen de la catégorie de sinistres dont relève l'accident ou la maladie professionnelle dont les dépenses sont imputées) ; - la modification des seuils d'effectifs pour le mode de tarification conduisant à une hausse de la part de la tarification individuelle au taux réel pour les entreprises de taille intermédiaire dont la sinistralité est la plus élevée (le seuil de la tarification individuelle est abaissé de 200 à 150 salariés et le plafond de la tarification collective est augmenté de 9 à 19 salariés) ; - la possibilité pour une entreprise d'opter pour un taux unique pour l'ensemble de ses établissements appartenant à la même catégorie de risque. |
L'année 2014 est la première année pour laquelle le taux de cotisation a été intégralement déterminé sur la base des coûts moyens des différentes catégories d'arrêts de travail et d'incapacité permanente. La mise en place de ces nouvelles règles permet à l'employeur d'apprécier immédiatement l'enjeu financier lié à la survenue du sinistre, le coût moyen de celui-ci étant une donnée publique. En outre, il peut désormais tirer un bénéfice rapide de la mise en place de mesures de prévention car la sanction liée à la survenue du sinistre n'affecte pas plus de trois années de cotisations. Parallèlement, les entreprises de taille intermédiaire, dont la sinistralité est la plus élevée, ont vu la part de leur taux individuel augmenter, ce qui devrait les inciter à développer leur effort de prévention.
La direction des risques professionnels de la Cnam considère toutefois que l'efficacité de la tarification pourrait encore être améliorée pour qu'elle joue pleinement son rôle d'incitation à la prévention. Le processus « doit encore être simplifié et apporter la preuve formelle qu'il ait une valeur ajoutée importante pour la mise en oeuvre d'une politique de prévention. A contrario, il présente des risques financiers qui, pour être contrôlés, supposent de maintenir des moyens conséquents. C'est pourquoi cette situation doit être revue dans une perspective d'efficience visant, d'une part, à sécuriser les processus à des coûts soutenables et compatibles avec les efforts inscrits dans la Cog AT-MP, d'autre part, à rendre la tarification plus incitative à la prévention. » 7 ( * )
La difficulté de l'exercice tient au fait que, pour établir un lien étroit entre le niveau du taux de cotisation et la prévention des risques, la part des dépenses mutualisées couverte par la tarification doit être contenue. Or, la tendance est plutôt à son accroissement.
En effet, outre les dépenses relatives aux sinistres qui peuvent être rattachés à une entreprise, la branche AT-MP supporte un ensemble de dépenses qui sont mutualisées entre les entreprises car elles ne peuvent pas être attribuées à l'une seule d'entre elles : les accidents de trajet, les frais de gestion, les compensations inter-régimes, la contribution au titre de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles et les dépenses inscrites au compte spécial y compris les dotations aux fonds finançant les coûts liés à l'exposition à l'amiante.
Les transferts mis à la charge de la branche AT-MP représentent aujourd'hui 2,5 milliards d'euros, soit 20 % de ses dépenses totales. Au total, la fraction mutualisée du taux de cotisation AT-MP a augmenté régulièrement depuis 2006 et atteint 62 %.
Figure n° 17 : Part des majorations d'équilibre dans le taux de cotisation net moyen de la branche entre 2009 et 2015
(en %)
Part des majorations d'équilibre |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
M1 (accidents de trajet) |
11,8 |
12,3 |
10,9 |
10,9 |
11,1 |
10,2 |
10,2 |
M2 (charges diverses) |
20,1 |
20,3 |
21,3 |
21,5 |
25,6 |
24,9 |
26,6 |
M3 (compte spécial...) |
27,2 |
27,6 |
29 |
27,7 |
24,3 |
26,2 |
25,0 |
M4 (pénibilité) |
0,8 |
0 |
0 |
0 |
|||
Total de la part mutualisée (M1+M2+M3+M4) |
59 |
60 |
61 |
61 |
61 |
61 |
62 |
Source : Réponses de la Cnam-AT-MP au questionnaire de votre rapporteur
Par construction, dans le calcul du taux de cotisation, la part des dépenses mutualisées limite la partie variable liée à la sinistralité propre de l'entreprise.
* 6 Décret n° 2010-753 du 5 juillet 2010 fixant les règles de tarification des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles.
* 7 Réponses de la direction des risques professionnels de la Cnam au questionnaire de votre rapporteur.