ANNEXE 1 - COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE MME CHRISTIANE TAUBIRA, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE
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M. Philippe Bas , président . - Je remercie Mme la garde des sceaux de venir nous présenter deux textes très importants : le projet de loi organique relatif à l'indépendance et à l'impartialité des magistrats et à l'ouverture de la magistrature sur la société ; le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXI e siècle - n'avez-vous pas été en dessous de l'ambition nécessaire ? Vous auriez pu parler de la justice du III e millénaire...
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice . - Je remercie pour son accueil une commission où j'ai toujours plaisir à venir. Sans être millénariste, l'idée est bien celle-ci : répondre aux besoins objectifs de justice dans une période difficile où les citoyens ont de plus en plus besoin d'aide de l'État, et en priorité de celle de l'autorité judiciaire, mais aussi où la culture judiciaire a changé, avec la systématisation de la recherche d'une réponse judiciaire à des litiges du quotidien, autrefois traités autrement. Il faut aussi tenir compte, en l'objectivant, du malaise ressenti par les magistrats, les greffiers et les fonctionnaires.
Pour la réforme pénale, nous avions rassemblé une conférence de consensus, créé un espace où des personnes de sensibilités différentes avaient travaillé sur la base d'un état des lieux partagé. Sans suivre la même méthode, car la justice civile est moins sensible, nous avons procédé avec la même rigueur. Sur la base des préconisations de groupes de travail lancés depuis deux ans, un grand débat national a été organisé au siège de l'Unesco, dont nous avons soumis le résultat aux juridictions, qui nous ont adressé 2 000 contributions ; ce texte est bien le produit d'une intelligence collective, de la réflexion de ceux qui pratiquent le droit quotidiennement.
Ces deux supports de normes législatives appartiennent au même écosystème, dans lequel des décrets en Conseil d'État et des décrets simples sont prévus. Nous avons lancé des expérimentations et vous proposons d'en généraliser certaines. Nous intégrons les nouvelles technologies, comme la dématérialisation, indispensable pour construire une justice plus proche des citoyens.
Ce n'est pas polémiquer que de dire que la réforme de 2008, quoique nécessaire, car la carte judiciaire n'avait guère changé depuis 1958, a créé des déserts judiciaires. Vous-mêmes avez témoigné au Sénat de cet éloignement. C'est pourquoi nous réimplanterons des tribunaux de grande instance (TGI), des chambres détachées et des maisons de la justice et du droit. Des greffiers seront affectés à ces dernières et y travailleront avec les délégués du Défenseur des droits.
Dès le titre I er , nous améliorons l'accès à la justice par le maillage territorial des conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD). L'expérimentation depuis 2014 des services d'accueil unique du justiciable (SAUJ) a donné de si bons résultats que j'ai lancé la deuxième vague d'expérimentation. Le justiciable peut ainsi se rendre au site le plus proche de son domicile, quel qu'il soit, pour y accomplir toute sorte de démarches judiciaires, y compris des demandes d'aide juridictionnelle. Il n'a plus à identifier le site compétent pour son besoin ; s'il est normal que l'institution soit complexe, le citoyen en besoin de justice ne devrait pas être titulaire d'un bac + 24 pour comprendre à qui s'adresser. Nous neutralisons cette complexité, de sorte qu'un litige relevant du TGI puisse être introduit auprès du conseil de prud'hommes. Cela suppose évidemment que nous formions les greffiers.
La dématérialisation permettra de relier entre
elles les juridictions, notamment celles compétentes pour ces petits
contentieux familiaux, de surendettement, d'expulsions locatives... Dès
décembre 2015, un premier volet de l'application Portalis sera mis en
place. Face à la massification de certains contentieux, nous avons
décidé de favoriser les modes alternatifs de règlement des
litiges : la conciliation devient obligatoire pour les litiges en dessous
de 4 000 euros ; nous harmonisons les fonctions de médiation
- formation, qualification, règles déontologiques -
et allons favoriser la procédure coopérative.
Le titre II remet ainsi du lien et du dialogue dans la société : les citoyens sont souvent en mesure de trouver des solutions ensemble. Le juge n'est jamais bien loin, pour homologuer la décision si c'est nécessaire. Attentifs aux plus fragiles, qui ont du mal à se retrouver dans la constellation des juridictions sociales, entre celles qui relèvent des ministères de la santé, du travail ou de la justice, nous fusionnons les tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) avec les tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI) et une partie des attributions des commissions départementales d'aide sociale (CDAS).
Le titre suivant recentre les juridictions sur leur coeur de compétence, suivant une dynamique, que vous avez validée sur les tutelles ou sur l'administration légale. Nous mettons un terme à la segmentation dans notre droit des actions de groupes, l'une ayant été créée par la loi « Consommation », l'autre par la loi « Santé ». Nous en créons une pour la lutte contre toutes les discriminations ; il y a eu un débat à l'Assemblée nationale : nous apporterons plus de sécurité juridique à ce dispositif.
Nous modifierons l'organisation du travail dans les juridictions ainsi que les missions et statuts, en particulier des greffiers. Le greffier assistant de magistrat, suscite une telle demande que nous avons dû lancer la deuxième vague d'expérimentation, pour laquelle nous avons pris des dispositions en termes de création de postes. Nous équipons les magistrats du ministère public et certains magistrats du siège de tablettes et de téléphones portables ; nous en distribuerons 4 000 l'année prochaine, le parquet étant prioritaire en raison de contraintes plus fortes. Le système autocom optimisant le traitement en temps réel a été audité par l'inspection générale des services judiciaires. Nous avons développé des applications informatiques qui méritent d'être généralisés.
Le projet de loi organique relatif à l'indépendance et l'impartialité des magistrats et à l'ouverture de la magistrature sur la société comprend notamment la fin de la nomination des procureurs généraux en conseil des ministres. L'impartialité requiert des conditions objectives ; l'indépendance dépend des conditions de nomination ou du régime disciplinaire ; les deux doivent aussi se donner à voir. L'indépendance s'entend par rapport à soi-même : préjugés, réseaux, appartenances sociales peuvent influencer une décision. Cette indépendance doit être garantie par le comportement des magistrats eux-mêmes. Il faut donc supprimer les liens entre magistrature et exécutif.
Nous créons une fonction spécialisée de juge des libertés et de la détention (JLD), ce garant des libertés, avec une formation spécifique, des conditions particulières de nomination et de remplacement. Nous introduisons la notion de conflit d'intérêts avec un entretien déontologique et une déclaration de patrimoine pour les hauts magistrats.
M. François Pillet , rapporteur du projet de loi organique relatif à l'indépendance et l'impartialité des magistrats et à l'ouverture de la magistrature sur la société . - J'entends avec beaucoup d'intérêt votre définition de l'indépendance de la justice : une attitude personnelle par laquelle le magistrat s'extrait de lui-même. L'indépendance n'a d'intérêt qu'autant qu'elle garantit l'impartialité, à laquelle doit tendre le magistrat.
J'aurai principalement des observations rédactionnelles à faire au projet de loi organique ; mes remarques prépareront un débat technique et d'opportunité : le Sénat restera lui-même, sage et calme. La nomination par décret du JLD a été critiquée par toutes les personnes entendues, à l'exception de trois, les représentants des syndicats. Je comprends le but d'afficher l'indépendance de ce juge. Celle-ci risque néanmoins d'être toute relative pour un JLD frais émoulu de l'école, face à un procureur chevronné. En outre, je ne sache pas qu'aucun JLD ait été révoqué par son président parce que sa jurisprudence ne lui convenait pas. La fonction n'est pas très prisée : JLD signifie « jamais libre pour dîner », disent-ils eux-mêmes... Son indépendance serait plus solide s'il s'agissait obligatoirement d'un magistrat du premier grade. Il serait important qu'il puisse faire appel à une collégialité en cas de problème, comme le juge des référés. Bien sûr, il décide très souvent dans l'urgence et n'en aura pas toujours le temps ; il n'en serait pas moins satisfaisant qu'il puisse le faire de temps en temps.
Sur le statut du parquet, vous échappez à l'obligation de révision constitutionnelle. Pourquoi ne pas avoir inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le projet de loi voté par le Sénat, y compris par sa minorité d'alors, sur un amendement de Michel Mercier ?
La déontologie passe par la lutte contre les conflits d'intérêts ; même sans aller jusqu'à la déclaration que remplissent les ministres et les membres de leurs cabinets, n'aurait-il pas été préférable de garder une trace de l'entretien déontologique avec le chef de cour ? Les conflits d'intérêts couvrent un champ très vaste : réseaux, appartenance à certaines associations, avoir un conjoint avocat quand l'on est magistrat ou procureur si l'on est juge d'instruction... Ne faut-il pas aller plus loin pour convaincre ?
Un détail reviendra sur le devant de la scène : les décorations. Lorsqu'un magistrat dépend sur ce point de l'exécutif, s'il n'est pas certain que cela influe sur son comportement, il est possible que cela ne soit pas impossible.
Je ne saisis pas l'intérêt d'une déclaration de patrimoine des chefs de cour qui ne rendent plus de décisions. Dans l'esprit du public, une telle déclaration est une mesure préventive contre un enrichissement lié à la corruption ; plus que le premier président de la Cour de cassation, le juge de l'expropriation, le juge d'instruction ou le juge unique pourraient être concernés. Cela pose de surcroît des problèmes matériels importants. Pourquoi ne pas élargir le périmètre au moins aux chefs de juridictions, ce qui homogénéiserait leurs obligations avec celles des présidents de tribunaux de commerce ? Même comme cela, les déclarations que vous proposez restent dans la famille puisqu'elles sont soumises à une commission ad hoc ; or, avec plus ou moins d'enthousiasme, les magistrats que nous avons entendus se sont montrés prêts à ce que leur déclaration soit transmise à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique : y voyez-vous un inconvénient ?
M. Yves Détraigne , rapporteur du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXI ème siècle . - Nous avons procédé ensemble aux auditions. Je suis sensible à votre projet de loi en tant que co-auteur avec Virginie Klès du rapport de votre commission sur la justice de première instance.
Si le SAUJ est une bonne chose, pour reprendre les termes de mon dernier rapport pour avis sur le budget de la justice, Portalis est la condition sine qua non des réformes de l'organisation judiciaire annoncées. Or nous sommes loin du compte : le SAUJ est une version allégée du guichet universel du greffe qui avait été envisagé. Il ne faudrait pas que sa mise en place fasse perdre du temps aux greffiers, faute pour ceux-ci de disposer d'un outil informatique adapté.
Nous évoquions dans notre rapport la mutualisation des effectifs des différents greffes au sein des juridictions, ce qui semble ne pas avoir été repris. Y avez-vous renoncé ?
Vous prévoyez une conciliation obligatoire avant toute procédure devant le juge d'instance ou de proximité. Je partage cette idée ; mais avec 1 800 conciliateurs c'est impossible. Or je n'ai pas le sentiment que le projet de budget que j'ai pu consulter réponde à cet impératif.
Vous avez évoqué la fusion des TASS et des TCI, intégrés dans les TGI, mais vous renvoyez ce sujet à des ordonnances, indiquant que vous avez missionné les inspections générales des affaires sociales et des services judiciaires pour en fixer les modalités. N'est-ce pas prendre les choses dans le désordre ?
Vous avez annoncé il y a quelques semaines que vous renonciez à la contraventionnalisation de différents délits routiers, comme la conduite sans permis ou sans assurance. Je comprends l'émotion des associations de victimes de la route ; pourtant, au fur et à mesure des auditions, nous avons pu comprendre que cela décevrait un certain nombre de professionnels de la justice : la contraventionnalisation donne de l'effectivité à une sanction...
M. Jean-Pierre Sueur . - Oui !
M. Yves Détraigne , rapporteur . - ... difficile à infliger lorsque le tribunal doit se prononcer deux ans après, alors que l'émotion sera passée ou que la décision ne sera pas mise en oeuvre ou n'aura plus de sens. Cette position est difficile à tenir devant l'opinion publique, parce qu'elle pourrait donner un sentiment de laxisme.
Un article du projet de loi reporte à nouveau l'obligation statutaire de mobilité des magistrats ; vous avez proposé il y a quelque temps de remettre à plus tard l'entrée en vigueur de la collégialité de l'instruction. Pourriez-vous nous faire un point sur ces deux réformes ?
M. Jean-Pierre Sueur . - Après le tumulte, il est très important que vous présentiez votre grand oeuvre, ce texte que vous préparez depuis trois ans. Nous voyons bien, au climat qui règne dans cette salle, que bien des points peuvent nous rassembler. Il est bon que des gens puissent être accueillis dans des lieux proches de chez eux, que la conciliation soit favorisée, que les juridictions sociales soient réformées - nous savons grâce à Pierre Joxe combien elles sont inadaptées. L'extension de l'action de groupe aux discriminations n'est pas sans incidence.
Si le texte est voté, comme je l'espère, il faudra prendre le temps de le mettre en oeuvre ; le guichet unique suppose que des fonctionnaires du ministère de la justice y soient préparés. De même, la fusion des juridictions sociales requiert une préparation. J'aimerais que cette réforme fût menée selon un calendrier de cinq à six ans, plutôt qu'avec précipitation.
Enfin, nous aurions certainement pu trouver un accord autour d'une réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui nous éviterait les foudres de la Cour européenne des droits de l'homme. Les éléments de cet accord sont là, nous le savons tous.
M. Pierre-Yves Collombat . - La religion de la transparence nous conduit dans l'impasse. La nature même de la fonction juridictionnelle voudrait que le juge n'ait pas à justifier de son impartialité ; or il lui est demandé de déclarer ses intérêts. C'est rester au milieu du chemin. Interrogées sur les fréquentes nominations de membres du Conseil d'État et de la Cour de cassation au sein des autorités administratives indépendantes, les personnes entendues par notre commission d'enquête sur lesdites autorités ont mis en avant leur qualité de juges, partant leur indépendance. Pourtant, les juges ont eux aussi des amis, un passé, et peuvent ne pas rester insensibles à certains intérêts ; mais vous n'allez pas jusqu'au bout.
Quant à la déclaration de patrimoine, pourquoi la limiter à quelques hauts magistrats, et pourquoi en prévoir la transmission à une commission ad hoc , et non à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique comme pour les parlementaires ? Vous arguez de l'indépendance de la magistrature ; pourtant, les juges transmettent bien une déclaration de revenus et de patrimoine à l'administration pour le paiement de leurs impôts. Ou on déclare le juge à l'abri de la corruption en raison de la nature particulière de la fonction ; ou on admet le risque, et dans ce cas pourquoi un statut particulier ?
M. René Vandierendonck . - Votre texte, qui s'inscrit dans un effort de rattrapage du retard accumulé depuis quarante ans mériterait d'être accompagné d'une loi de programmation. On suivrait ainsi suivre l'exécution des investissements, des partenariats public-privé comme celui des Batignolles, des créations de postes... Chaque année, notre examen reste parcellaire... Nous devons nous forcer à la pluri-annualité.
L'outil informatique n'est pas parfait. Aux dires des greffiers, la mise en place de Portalis reste un défi en matière d'appropriation et suscite des réticences chez certains ; de là l'importance du volet formation. Au-delà des progrès réalisés depuis trois ans, nous avons besoin d'outils méthodologiques de suivi des réformes.
M. Alain Vasselle . - Aurez-vous les moyens de votre politique, et selon quel calendrier la mettrez-vous en oeuvre ?
M. Christophe-André Frassa . - Pourquoi ne pas inclure les artisans dans le corps électoral des juges consulaires, et leur étendre l'éligibilité et la compétence des tribunaux de commerce ? Ils sont écartelés entre les tribunaux de commerce, en cas de difficultés économiques, et les tribunaux de grande instance pour les autres contentieux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - Monsieur Pillet, je ne m'oppose pas à l'idée, non dénuée de panache, de ne pas décorer les magistrats au cours de leur vie professionnelle ; mais cela suggère implicitement une relation de subordination. Je propose régulièrement à la décoration des magistrats dont les états de service le méritent. Sur le plan éthique, votre proposition se tient. Soyez néanmoins assuré que l'attribution des distinctions n'est ni un moyen d'influence, ni la récompense d'une attitude de subordination.
Lors de la consultation, la demande unanime d'un statut particulier du JLD. m'était remontée ; mais, entendant certaines réserves lors d'un déplacement en juridiction, j'ai décidé de rouvrir la consultation sur ce point. Il semble que les conditions de nomination et de dé-nomination du JLD inquiètent. Comme nous avions expérimenté les conseils de juridiction en 2014 et renforcé l'expression démocratique dans les juridictions par décret l'an dernier, les assemblées générales ont demandé que le président de la juridiction ne puisse mettre fin aux fonctions de ses JLD. Nommés par décret, ils restent des magistrats du siège et à ce titre, leurs liens avec l'exécutif ne seront en aucun cas resserrés.
M. François Pillet , rapporteur . - Ce cadre plus rigide complique les choses en cas de nomination particulièrement inopportune.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - On a plutôt porté à ma connaissance des cas où un président de tribunal avait mis fin aux fonctions d'un JLD sans autre forme de procès.
La nomination par décret diminue, incontestablement, les pouvoirs du président du tribunal, et le prive d'un outil de gestion des ressources humaines puisqu'il pouvait auparavant nommer un JLD quand le besoin s'en faisait sentir. Elle reste néanmoins un progrès : nous aurons désormais des JLD spécialisés, formés dès l'École nationale de la magistrature, ou qui auront reçu une formation spécifique.
La collégialité n'est pas envisagée pour les décisions du JLD, mais celles-ci sont susceptibles d'appel.
Le projet de loi constitutionnelle relative au CSM est sorti dans toute sa splendeur sous la forme de l'amendement Mercier, après un débat assez vif. Conformément à la volonté du Président de la République, il reprendra prochainement son parcours parlementaire ; la commission des lois de l'Assemblée nationale envisage de l'examiner. Ce texte inscrit dans la Constitution la nomination des membres du parquet après avis conforme du CSM et l'alignement du régime disciplinaire. Nous voulions également attribuer la présidence de l'assemblée plénière à une personnalité qualifiée issue de la société civile.
La suppression des désignations de personnalités qualifiées par les instances institutionnelles que sont le président de la République et les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale a rencontré une forte opposition dans vos rangs. Vous contestiez la légitimité des membres du collège que nous envisagions. À l'époque, nous n'avions pas caché notre mécontentement. Cette réforme répondait aux inquiétudes, rétablissait la confiance des citoyens en éliminant le soupçon. La règle générale, non écrite mais très efficace, est le devoir d'ingratitude du nominé envers l'autorité de nomination.
M. Michel Mercier . - Toujours...
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - Il fallait afficher, aux yeux de la société, le renoncement de l'exécutif à ce pouvoir de nomination. Nous y reviendrons.
Les règles de déontologie s'appliquant aux juges, les procès-verbaux éventuels, le lieu de leur conservation, les déclarations de patrimoine : voilà un véritable casse-tête. Le statut et les conditions d'impartialité des magistrats restent réglés par une ordonnance de 1958, or nous sommes obligés de régler les conditions d'accès à ces déclarations. C'est une question que nous allons approfondir.
Les TCI et les TASS relèvent pour le moment du ministère de la santé et des affaires sociales. Les discussions engagées entre nos deux ministères voilà un an sur leur fusion n'aboutissent pas ; nous avons fait appel à l'inspection générale pour étudier les conditions de la fusion et de la reconversion des personnels - 650, dans un ministère qui n'est pas créateur d'emplois, ce qui justifie notre prudence. Nous sollicitons une habilitation du Parlement pour fixer le cadre. La mise en oeuvre interviendra probablement en 2018. Je crois à l'unité de l'État, même si cela me pénalise depuis un an.
Je vous remercie, monsieur Détraigne, pour votre rapport, sur lequel je me suis appuyée lors du débat à l'Unesco. La création des tribunaux de première instance est un vrai point de blocage, et nous ne pourrons faire appliquer la réforme avec cette mesure. C'est pourquoi j'ai décidé de travailler plutôt sur les objectifs recherchés par cette création, et que vous développez dans votre rapport. Les tribunaux de grande instance seront ainsi organisés en pôles, dont un pôle social traitera des contentieux relevant précédemment des TCI, des TASS et, partiellement, des CDAS. Nous faisons oeuvre de rationalisation et de simplification.
La dématérialisation n'est qu'un instrument. Portalis ne risque pas, à mes yeux, de pénaliser le SAUJ, le futur guichet universel du greffe, porte d'entrée du public vers l'autorité judiciaire. Le titre premier ouvre l'accès à Cassiopée aux greffiers des SAUJ. Le greffier de demain devra savoir répondre à toutes les demandes ; il sera formé sur site et à l'École nationale du greffe. Nous espérons dégager le greffe de milliers d'appels relevant de l'orientation et de la première information. Les instruments informatiques dégagent ainsi du temps de travail des fonctionnaires pour des tâches plus utiles.
Je conviens avec M. Vandierendonck de la formation, du développement, de l'actualisation qu'implique le déploiement de Portalis. Nous actualisons encore Cassiopée ! Lors de ma prise de fonction, on m'a dit que Portalis coûterait quarante millions d'euros et que son déploiement prendrait dix ans. Le délai a été réduit à cinq étapes sur cinq ans, pour un coût moindre. C'est une tâche essentielle, les affaires civiles représentant 60 % de l'activité juridique.
Nous avons prévu dans le budget de multiplier par deux le nombre de conciliateurs de justice (ils sont actuellement 1 800) et doubler également leurs très maigres annuités. Ils sont souvent hébergés par les communes et disposent de la logistique des collectivités.
M. René Vandierendonck . - C'est bienvenu, car ils sont héroïques !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - La répression de la conduite sans permis, seule disposition pénale d'un texte comportant 54 articles, a bloqué l'examen du projet de loi pendant deux mois. J'ai été sensible à l'émoi des associations de victimes de la route autant qu'au contexte de la hausse de la mortalité routière en juillet et août. Toutefois, cette disposition relevait davantage de l'organisation et du fonctionnement des juridictions. Dans 88 % des cas, la conduite sans permis fait l'objet d'une amende par ordonnance pénale, la procédure prenant sept à quatorze mois. Le montant moyen de l'amende est compris entre 250 et 450 euros, pour un taux de recouvrement à peine supérieur à 50 %.
Pour une plus grande efficacité, nous avons envisagé un montant automatique de 500 euros pour l'amende, 750 en cas de majoration ; le procès-verbal électronique offre la possibilité d'un paiement immédiat. Dès la deuxième infraction, le défaut de permis devient un délit passible de un à trois ans de prison et de 30 000 à 75 000 euros d'amende. Le Conseil d'État nous a mis en garde sur le risque de non-respect de la présomption d'innocence parce que l'administration de la preuve dans le cadre de la première infraction serait insuffisante.
Le sujet présente incontestablement une inflammabilité particulière. Toutefois, les associations de victimes que j'ai reçues ont, à une exception près, jugé cette réforme efficace et reconnu que la mesure avait été présentée d'une seule phrase dans les médias. Nous avions pris toutes les précautions nécessaires et travaillé avec le délégué interministériel à la sécurité routière. Objectivement, c'est mieux ; cela se pratique d'ailleurs dans des pays présentant de meilleurs résultats que nous dans ces domaines. La mesure, plus efficace et plus sévère, dégage du temps pour la surveillance et la prévention, qui d'après les organismes de sécurité routière contribuent davantage que la répression à la diminution des accidents. C'est pourquoi, comme je m'y suis engagée en expliquant que les parlementaires en débattraient, je proposerai un amendement de suppression du dispositif, tout en continuant à plaider pour ce système plus efficace.
Non, je ne reporte pas la collégialité de l'instruction. Celle-ci fait l'objet d'un texte déposé à l'Assemblée nationale voici plus de deux ans. Il s'agissait de corriger la loi de 2007 dont le dispositif, qui devait entrer en vigueur en 2014, a été jugé trop systématique. En attendant son inscription à l'ordre du jour, je suis contrainte de présenter dans la précipitation, à chaque loi de finances, des amendements reportant l'application de la loi de 2007. C'est une mauvaise pratique politique, et un manque de respect vis-à-vis du Parlement.
Je ne nie pas les oppositions suscitées par l'entretien déontologique comme par la déclaration de patrimoine. L'hypothèse d'une extension à tous les magistrats a été envisagée. Je reconnais qu'il faut trouver la bonne mesure face à l'exigence de transparence ; mais comment expliquer à la société que les magistrats échappent à une obligation à laquelle le Gouvernement et le Parlement sont désormais soumis ?
M. Pierre-Yves Collombat . - En ce cas, appliquons le même régime !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - Le statut des magistrats nous en empêche.
M. Pierre-Yves Collombat . - Je ne suis pas un adepte de la transparence ; mais dès lors que l'on part dans ce système absurde, et que les responsabilités d'un magistrat sont au moins aussi importantes que celle du maire d'une commune de mille habitants, allons jusqu'au bout !
M. Jean-Pierre Sueur . - L'extension de la transparence suppose des règles : la valorisation du patrimoine par l'administration fiscale, doit être encadrée par des règles et des procédures sécurisées.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - Nous avons projeté la mise en oeuvre de nos réformes dans le temps. Depuis 2013, les promotions de magistrats et de greffiers ont augmenté. Nous avons un solde positif pour la première fois cette année. En 2010, 144 diplômés étaient sortis de l'ENM. J'ai porté ce nombre à 358 en 2013, puis 364 en 2014 382 en 2015, et, l'année prochaine, 482. J'ai renforcé les équipes de l'ENM avec 20 recrutements et une dotation budgétaire en conséquence.
M. René Vandierendonck . - Très bien !
M. Michel Mercier . - En France, le parquet est uniquement constitué de magistrats, susceptibles d'intervenir dès la première minute de la garde à vue, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays réputés les plus amis de la liberté comme le Royaume-Uni. Il faut sauver le parquet à la française en incluant la pratique actuelle dans la loi constitutionnelle. Suivant sur ce point l'excellente analyse du procureur général Marc Robert, je vous invite par conséquent à convaincre le président de la République de ne pas placer cette réforme dans le même ensemble que la charte des langues régionales et la réforme plus générale du CSM : tout rassembler ne ferait que multiplier les adversaires du texte, pour être sûr d'avoir un non...
M. Philippe Bas , président . - Pour la charte sur les langues régionales, nous sommes prêts à aider le Gouvernement à conjurer ce risque ! Si je le comprends bien, notre collègue vous recommande d'aller dans le sens du vote du Sénat de juillet 2013 sur les nominations. Je m'y associe.
M. René Vandierendonck . - Nous gagnerions du temps !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - Dois-je entendre que le texte, tel qu'amendé par le Sénat, recueillerait une majorité des trois cinquièmes ?
M. Michel Mercier . - Je ne suis pas capable de les trouver tout seul, mais je voterais ce texte sans hésiter et m'efforcerais d'en convaincre mes collègues, sans calcul politicien.
M. René Vandierendonck . - Procédez comme pour la réforme territoriale, en mettant en relief les continuités plutôt que les ruptures.
M. Philippe Bas , président . - Ce point n'était pas à l'ordre du jour, mais il nous importait de vous faire connaître un sentiment largement partagé.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - Toutefois, les signes de perplexité sur certains visages ne m'ont pas échappé...
M. Jean-Pierre Sueur . - Il est possible de faire aboutir un texte s'il ne contient que le nécessaire et le suffisant. Ne pas réussir à trouver une majorité de trois cinquièmes autour d'un tel projet, voilà l'échec. Notre commission pourrait élaborer ce texte nécessaire et suffisant, qui ne vous satisferait pas entièrement car il ne contiendrait pas certains des éléments de celui qui est toujours en navette ; il faudrait pour cela que l'Assemblée nationale accepte d'amender le texte du Sénat en ce sens. Finissons-en avec une conception archaïque de la politique.
M. Philippe Bas , président . - Nous vous remercions de vos réponses précises et complètes.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - Je reste à votre disposition.