II. LE TEXTE DE LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE
Votre rapporteur rappelle que le dépôt du présent projet de loi par le Gouvernement a été précédé de l'examen, par l'Assemblée nationale, d'une proposition de loi dont il avait explicitement été dit qu'elle visait à vérifier la possibilité politique de réunir une majorité suffisante de parlementaires pour aboutir à une telle révision par la voie du Congrès.
A. LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE « EXPLORATOIRE » ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
En janvier 2014, sur le rapport de notre collègue député Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois 23 ( * ) , l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
S'apparentant dans sa rédaction au présent texte, cette proposition reprenait, dans une formulation très similaire, les termes de la déclaration interprétative formulée en 1999, pour ses seules dispositions correspondant aux objections exprimées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 juin 1999 précitée. Elle prévoyait que la République peut ratifier la Charte, complétée par la « déclaration interprétative exposant » que la notion de groupe de locuteurs ne confère pas de droits collectifs, de façon à interpréter la Charte « dans un sens compatible avec la Constitution, qui assure l'égalité de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion », et que la Charte ne doit pas être comprise comme s'opposant au principe selon lequel la langue de la République est le français ainsi qu'à ses conséquences nécessaires sur l'emploi du français dans la vie publique.
Ainsi, en quelque sorte, le texte adopté par l'Assemblée nationale dictait au Président de la République le texte de la déclaration interprétative qu'il devait joindre à l'instrument de ratification, tandis que le présent projet de révision préfère se référer à la déclaration émise en 1999.
Curieusement, alors que l'objectif affiché était d'écarter tout effet de la Charte susceptible de déroger aux principes fondamentaux de notre ordre constitutionnel, la proposition de révision n'a pris en compte qu'une partie seulement des objections du Conseil constitutionnel. En effet, elle ne vise pas le droit imprescriptible de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie publique, figurant dans le préambule de la Charte, ni le respect de l'aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire par les divisions administratives, ni la prise en compte des besoins et des voeux des groupes de locuteurs, au travers d'organes créés à cet effet. Dès lors, adopter une telle proposition de révision conduirait tout de même, au regard de la décision du Conseil, à déroger à nos principes constitutionnels, du fait de certaines dispositions de la Charte non écartées.
Selon l'article 89 de la Constitution, une révision constitutionnelle n'est définitive qu'après avoir été votée en termes identiques par les deux assemblées puis approuvée par référendum. Comme le Congrès ne peut être réuni pour adopter une proposition de révision, le référendum est la seule option dans le cas de la proposition de révision adoptée en janvier 2014 par l'Assemblée nationale. Or, il est peu probable que le Gouvernement envisage in fine de soumettre ce texte au référendum, dans l'hypothèse où le Sénat l'adopterait s'il en était saisi : le Gouvernement n'en a d'ailleurs pas exprimé l'intention, tout au contraire.
Ainsi, lors de l'examen du texte en séance publique par l'Assemblée nationale, le 22 janvier 2014, la ministre de la culture et de la communication a fait savoir qu'il était « légitime et nécessaire (...) que le Gouvernement puisse connaître les conditions que mettrait la représentation nationale à l'adoption à la majorité des trois cinquièmes d'un texte constitutionnel ». En d'autres termes, il s'agissait pour le Gouvernement d'apprécier la capacité d'une telle révision à réunir la majorité des trois cinquièmes du Parlement.
À cet égard, le rapport de notre collègue Jean-Jacques Urvoas était particulièrement clair, puisqu'il indique 24 ( * ) :
« En dépit de l'importance de la question de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, l'organisation d'un tel référendum paraîtrait quelque peu inadaptée au regard des enjeux en cause et de la relative complexité de ce sujet, comme on va pouvoir en juger. L'un des objectifs de la discussion de la présente proposition est, après un premier débat approfondi au sein de notre assemblée, d'évaluer si ce texte est susceptible de recueillir trois-cinquièmes des suffrages parlementaires, ce qui ouvrirait alors la voie au dépôt par le Gouvernement d'un projet de loi constitutionnelle ayant le même objet, en vue, après son adoption par chacune des assemblées, d'être soumis à l'approbation du Congrès. »
Votre rapporteur ne peut que s'étonner de cette instrumentalisation de la procédure constitutionnelle, en vue de calculer le nombre de suffrages favorables à la perspective d'une telle révision. En tout état de cause, le dépôt du présent projet de loi n'a pas été précédé de la vérification de ce que le Sénat était aussi disposé à approuver une telle révision, avec une majorité suffisante pour envisager la réunion du Congrès...
En effet, selon l'article 89 de la Constitution, un projet de révision ne peut être approuvé par le Congrès du Parlement que s'il réunit une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, à condition d'avoir été adopté préalablement en termes identiques par les deux assemblées.
Sur 510 suffrages exprimés, la proposition de loi constitutionnelle de janvier 2014 a été adoptée par une majorité de 361 de nos collègues députés, soit 70,78 %. Il faudrait un vote favorable d'au moins 154 de nos collègues sénateurs, en supposant que tous s'expriment, pour qu'un Congrès approuve une telle révision à la majorité requise, sous la condition préalable bien sûr que le Sénat adopte une telle révision.
Adoptée par l'Assemble nationale le 28 janvier 2014, la proposition de loi autorisant la ratification de la Charte n'a, depuis, fait l'objet d'aucun examen par le Sénat.
* 23 Rapport n° 1703, 14 janvier 2014, sur la proposition de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r1703.asp .
* 24 Pages 9 et 10.