C. LES TRAVAUX MENÉS EN FRANCE POUR RECENSER LES LANGUES SUSCEPTIBLES DE BÉNÉFICIER DES STIPULATIONS DE LA CHARTE
Les personnes entendues par votre rapporteur ont rappelé la distinction entre langues régionales et langues parlées en France. Si les secondes renvoient aux langues utilisées par des populations immigrées, les premières sont celles parlées par des populations vivant sur des territoires déterminés, et relevant d'une histoire locale ancienne. Cette distinction apparaît, aux yeux de votre rapporteur, fondamentale pour comprendre l'importance symbolique et juridique que revêt la ratification de la Charte.
1. Une connaissance imparfaite des langues régionales en France
Les différentes études consacrées à la pratique française des langues régionales mettent en exergue la connaissance imparfaite de la situation des langues de France, d'un point statistique. L'étude la plus complète remonte à l'édition de 1999 de l'enquête « Famille » de l'INSEE, issue du recensement de 1999, et portait exclusivement sur les langues de métropole, complétée par le recensement de 2007 qui concernait Mayotte et la Polynésie française.
En 1999, les langues régionales les plus pratiquées étaient :
- l'occitan (1 670 000 locuteurs, dont 610 000 locuteurs réguliers) ;
- les langues d'oïl (1 420 000 locuteurs, dont 570 000 locuteurs réguliers) ;
- l'alsacien (900 000 locuteurs, dont 660 000 locuteurs réguliers) ;
- le breton (680 000 locuteurs, dont 280 000 locuteurs réguliers).
Toutefois, des études plus ponctuelles font apparaître des différences importantes du nombre de locuteurs.
En revanche, les recensements ne permettent pas d'apprécier le poids des langues régionales moins répandues en France métropolitaine, ainsi que de la plupart des langues utilisées dans les territoires ultramarins.
2. L'identification de 75 langues par un rapport de 1999
En vue de la signature de la Charte, le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie et la ministre de la culture et de la communication avaient confié à M. Bernard Cerquiglini, directeur de l'Institut national de la langue française (CNRS), la rédaction d'un rapport visant à proposer une liste des langues pratiquées en France susceptibles d'être inscrites comme bénéficiaires des stipulations de la Charte, c'est-à-dire répondant aux critères et définitions établis par la Charte.
Remis en avril 1999, ce rapport 17 ( * ) intitulé Les langues de la France précise les termes utilisés par l'article 1 er de la Charte afin de dresser la liste des langues qui seraient soumises aux stipulations de celle-ci.
D'après ce rapport, les langues reconnues par la Charte sont les seules langues parlées par les ressortissants du pays à distinguer ainsi des idiomes de l'immigration. Ainsi, conformément au rapport explicatif accompagnant la Charte, celle-ci « ne traite pas la situation des nouvelles langues, souvent non européennes, qui ont pu apparaître dans les États signataires par suite des récents flux migratoires à motivation souvent économique ».
Ensuite, la Charte renvoie également aux langues régionales ou minoritaires pratiquées « traditionnellement », ce qui écarte de fait les langues issues de l'immigration récente, mais vise à prendre en compte celles ayant un ancrage historique plus ancien.
Par ailleurs, les langues visées sont celles qui sont pratiquées sur un territoire, c'est-à-dire une aire géographique déterminée au sein de laquelle la langue est le mode d'expression d'un nombre important de personnes. Le rapport estime que la localisation géographique va d'ailleurs de pair avec la notion d'enracinement historique.
C'est à partir de cette analyse sémantique de l'article 1 er de la Charte, relatif à la définition des langues régionales ou minoritaires, que le rapport a présenté une liste de soixante-quinze langues parlées par des ressortissants français sur le territoire national. Cette longue liste regroupe, ainsi que l'a précisé le rapporteur lui-même, « des idiomes de statut sociolinguistique très divers » 18 ( * ) : ainsi, selon ce rapport, la Charte « concerne les langues régionales ou minoritaires pratiqués "traditionnellement" ; on dit aussi "historiques". Si cette notion invite à ne pas retenir les langues de l'immigration récente, elle incite au rebours à considérer, du point de vue linguistique, l'histoire de notre pays . »
Il convient cependant de nuancer ce travail considérable. En effet, la distinction entre dialecte et langue est scientifiquement controversée.
Langues parlées par des ressortissants
français sur le territoire de la République,
1. France métropolitaine - dialecte allemand d'Alsace et de Moselle ; - basque ; - breton ; - catalan ; - corse ; - flamand occidental ; - franco-provençal ; - occitan (gascon, languedocien, provençal, auvergnat-limousin, alpin-dauphinois) ; - langues d'oïl (franc-comtois, wallon, picard, normand, gallo, poitevin-saintongeais, bourguignon-morvandiau, lorrain) ; - berbère ; - arabe dialectal ; - yiddish ; - romani chib (langue des tsiganes, représentée en France par les dialectes sinti, vlax et calò) - arménien occidental. 2. Départements d'outre-mer - créoles à base lexicale française : martiniquais, guadeloupéen, guyanais, réunionnais ;
- créoles bushinenge de Guyane (à base
lexicale anglo-portugaise) : saramaca, aluku, njuka,
paramaca ;
- hmong. 3. Territoires d'outre-mer a. Nouvelle-Calédonie 28 langues kanak : . Grande Terre : nyelâyu, kumak, caac, yuaga, jawe, nemi, fwâi, pije, pwaamei, pwapwâ, dialectes de la région de Voh-Koné, cèmuhî, paicî, ajië, arhâ, arhö, ôrôwe, neku, sîchë, tîrî, xârâcùù, xârâgùrè, drubéa, numèè ; . Iles Loyauté : nengone, drehu, iaai, fagauvea. b. Territoires français de Polynésie - tahitien ; - marquisien ; - langue des Tuamotu ; - langue mangarévienne ; - langue de Ruturu (Iles Australes) ; - langue de Ra'ivavae (Iles Australes) ; - langue de Rapa (Iles Australes) ; - wallisien ; - futunien. c. Mayotte - shimaoré ; - shibushi. Source : rapport Les langues de la France, 2009 |
3. Une mise à jour de la liste des langues par un rapport de 2013
Le 6 mars 2013, à l'initiative de la ministre de la culture et de la communication, a été installé un comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne. Son objectif était d'« éclairer les pouvoirs publics sur les modalités d'application des trente-neuf engagements pris par la France » au titre de la partie III de la Charte. Le comité s'est attaché, en particulier, à examiner la situation des langues de France et les politiques mises en oeuvre à leur égard, ainsi qu'à formuler des propositions destinées à les promouvoir, dans le respect du cadre constitutionnel actuel. Le comité n'avait pas pour mission de « résoudre le problème d'ordre constitutionnel » posé par la ratification de la Charte. Les conclusions de ce rapport ont été rendues le 15 juillet 2013 19 ( * ) .
Ce rapport met en exergue le fait que « l'usage des langues régionales et étrangères serait en constante diminution ». Ainsi, le nombre de locuteurs en langues régionales baisserait régulièrement. Ce constat s'applique aussi, paradoxalement, aux langues dites « transfrontalières » : le basque, le catalan, l'alsacien et le flamand occidental. Pour y faire face, le comité propose l'adoption d'une loi à « haute valeur symbolique » pour « affirmer l'importance » des langues régionales. Cette loi serait accompagnée d'une campagne de communication nationale, pour améliorer l'information sur l'enseignement bilingue et mieux prendre en compte l'existence des langues régionales dans les cours d'histoire et de géographie. Cette loi viserait aussi à confirmer la reconnaissance par l'État de l'existence et du rôle des langues dans notre patrimoine. Elle permettrait de doter la France d'une « Charte nationale » prenant la forme d'un « Code des langues de France », destiné à protéger les droits individuels des locuteurs des langues régionales.
Et le comité de préciser que « chaque enfant doit pouvoir apprendre à lire et à écrire dans sa langue maternelle », qui peut être différente du français, comme en témoigne la vitalité des langues ultramarines. À cet égard, votre rapporteur estime que, pour un enfant français dont la langue maternelle n'est pas le français, il convient d'expérimenter largement l'apprentissage scolaire bilingue 20 ( * ) , de façon à ce que les difficultés en langue française ne constituent pas, à l'école primaire, un frein à la réussite scolaire : la maîtrise du français adviendra dans la suite de la scolarité.
Le comité a proposé une actualisation de la liste des langues parlées en France établie en 1999 par le rapport de M. Bernard Cerquiglini, à travers une classification affinée de ces langues. Toutefois, tout en reconnaissant la liste de 1999 comme une référence, le comité a estimé que, au-delà de l'effort de classification qu'il a opéré, un travail plus précis s'imposait, afin de parvenir à un recensement réellement actualisé de toutes les langues parlées sur le territoire national.
Langues parlées en France,
1. Dans l'hexagone - basque ; - breton ; - catalan ; - corse ; - dialectes alémanique et francique (alsacien et francique mosellan) ; - flamand occidental ; - franco-provençal ; - langues d'oïl (franc-comtois, wallon, champenois, picard, normand, gallo, poitevin-saintongeais, lorrain, bourguignon-morvandiau) ; - occitan ou langue d'oc (gascon, languedocien, provençal, auvergnat, limousin, vivaro-alpin) ; - parlers liguriens. 2. Dans les outre-mer a. Créoles des départements d'outre-mer - créoles à base lexicale française : guadeloupéen, guyanais, martiniquais, réunionnais. b. Mayotte - mahorais (shimaoré) ; - malgache de Mayotte (shibushi). c. Polynésie française - tahitien ; - marquisien ; - langue des Tuamotu ; - mangarévien ; - langues des Iles Australes. d. Wallis et Futuna - wallisien ; - futunien. e. Guyane - créole à base lexicale française ; - créoles bushinenge (à base anglo-portugaise) : saramaka, aluku, njuka, paramaca ; - langues amérindiennes : kali'na (ou galibi), wayana, palikur, arawak (ou lokono), wayampi, émerillon ; - hmong. f. Nouvelle Calédonie 28 langues kanak : . Grande Terre : n yelâyu, kumak, caac, yuaga, jawe, nemi, fwâi, pije, pwaamei, pwapwâ, langue de Voh-Koné, cèmuhi, paicî, ajië, arhâ, arhö, `ôrôê, neku, sîchë, tîrî, xârâcùù, xaragurè, drubéa, numèè ; . Iles Loyauté : n engone, drehu, iaai, fagauvea. 3. Langues « non territoriales » - arabe dialectal ; - arménien occidental ; - berbère ; - judéo-espagnol ; - romani ; - yiddish ; - langue des signes française (LSF).
Source : rapport du
comité consultatif
pour la promotion des langues régionales
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* 17 « Les langues de France », rapport au ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie et à la ministre de la culture et de la communication, Bernard Cerquiglini, avril 1999. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/994000719.pdf .
* 18 Le rapport précise en effet :
« Entre les créoles, langues régionales sans doute les plus vivantes, essentiellement parlées, pratiquées maternellement par plus d'un million de locuteurs, et le bourguignon-morvandiau, langue essentiellement écrite et que n'utilisent plus que quelques personnes, sans transmission maternelle au nourrisson, les divers cas de figure prennent place. »
* 19 « Redéfinir une politique publique en faveur des langues régionales et de la pluralité linguistique interne », rapport à la ministre de la culture et de la communication, comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, juillet 2013. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
* 20 De telles méthodes d'apprentissage sont utilisées, notamment, à Mayotte.