J. AUDITION DE M. HERVÉ DURAND, DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT DE LA PERFORMANCE ÉCONOMIQUE ET ENVIRONNEMENTALE DES ENTREPRISES (24 JUIN 2015)

Réunie le mercredi 24 juin 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'audition de M. Hervé Durand, directeur général adjoint de la performance économique et environnementale des entreprises au ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt sur le refus d'apurement des dépenses agricoles par le budget de l'Union européenne.

Mme Michèle André , présidente . - Nous poursuivons notre série d'auditions préparatoires à l'examen du projet de loi de règlement en procédant à l'audition d'Hervé Durand, directeur général adjoint de la performance économique et environnementale des entreprises du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Vous êtes entendu ce matin car vous êtes l'adjoint de la responsable du programme 154 « Économie et développement durable de l'agriculture et des territoires » de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».

Je salue la présence parmi nous ce matin de Gérard César, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».

Nous avons choisi de faire porter cette audition, ouverte à la presse, sur les refus d'apurement des dépenses agricoles par le budget de l'Union européenne car les montants en jeu sont élevés. Pour la seule année 2014 ces refus d'apurement communautaires sont évalués à 429 millions d'euros et ils devraient représenter, pour les exercices 2015 à 2017, un minimum de 1,1 milliard d'euros, soit 360 millions d'euros par an. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget a d'ailleurs confirmé ces montants la semaine dernière lors de son audition par notre commission le mercredi 17 juin.

J'ajoute qu'il demeure, de plus, un risque que la Commission européenne nous oppose de nouveaux refus d'apurement au titre de la politique agricole commune (PAC) et il s'agira de savoir à quel niveau se situent les enjeux de ces refus d'apurement pour les exercices à venir.

Il faudra donc faire la lumière sur les causes de ces phénomènes en 2014 mais également aller au-delà du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes pour comprendre ces risques budgétaires futurs considérables.

Sans plus attendre, je donne la parole à Alain Houpert, rapporteur spécial, pour une première séquence de questions-réponses. Je poserai ensuite quelques questions au nom de notre collègue Yannick Botrel, lui-aussi rapporteur spécial, retenu ce matin.

M. Alain Houpert . - Pouvez-vous revenir sur les faits marquants de l'exécution 2014 ? J'ai relevé que l'exécution était nettement supérieure aux crédits inscrits en loi de finances initiale - 499 millions d'euros en engagement, soit 16,7 % et 421 millions d'euros en paiement soit 13,2 % - et m'interroge sur cet écart, qui proviendrait d'ailleurs très largement des refus d'apurement communautaire.

De même, j'observe que sur le titre 2, la mission n'a respecté ni le plafond d'emplois ni l'enveloppe ouverte en loi de finances initiale, quels commentaires pouvez-vous faire à ce sujet, étant entendu que ma question déborde le champ du programme 154 ?

M. Hervé Durand, directeur général adjoint de la performance économique et environnementale des entreprises du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt . - Frédéric Lambert, en tant que chef du service gouvernance et gestion de la PAC du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, est plus à même de vous répondre.

M. Frédéric Lambert, chef du service gouvernance et gestion de la PAC du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt . - L'exécution 2014 du programme 154 « Économie et développement durable de l'agriculture et des territoires » se caractérise par deux faits marquants.

Tout d'abord, les 429,3 millions d'euros de refus d'apurement communautaire, ont pu être couverts par l'ouverture de crédits par la dernière loi de finances rectificative pour 2014 ainsi que par la mobilisation de la réserve de précaution, mais pas par redéploiement. Ce montant fait suite à des échanges avec la Commission européenne et a nécessité des audits par les services de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises du ministère.

Ensuite, l'écart s'explique par une dotation de 120 millions d'euros du programme d'investissement d'avenir (PIA) au profit de projets dans les secteurs agricoles et agroalimentaires. La somme a été versée à FranceAgriMer (FAM), chargé de dépenser ces crédits.

Voici donc les deux facteurs principaux de la surexécution constatée au cours de l'exercice 2014. J'indique aussi que les dispositifs obligatoires tels que les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), destinées aux zones de montagne en particulier, conduisent traditionnellement à des dégels en fin d'année, mais que l'évolution des cofinancements européens étant inconnue au moment de la préparation de la loi de finances initiale pour 2014, on a inscrit des montants supérieurs à ce qui était nécessaire.

M. Michel Bouvard . -  Pour 20 millions d'euros !

M. Frédéric Lambert . - Oui, sur l'ICHN il s'agit bien de 20 millions d'euros. Mais je précise que l'intégralité des aides prévues au titre de l'ICHN a bien été versée en 2014.

M. Alain Houpert . - Pour en revenir plus précisément au sujet qui a motivé votre audition ce matin, les refus d'apurement des dépenses agricoles par le budget de l'Union européenne, sujet sur lequel j'effectue un contrôle avec nos collègues Yannick Botrel et François Marc, pouvez-vous nous dresser un portrait des masses en jeu depuis 2007 et pour les exercices à venir, en indiquant quelles en sont les causes principales.

M. Hervé Durand . - Il faut savoir que ces refus d'apurement concernent aussi d'autres États membres que la France. Ce montant de plus d'un milliard d'euros doit être rapproché des années concernées : 2008 à 2012, soit cinq ans.

Mme Michèle André , présidente . - Il était plus important au départ, non ?

M. Hervé Durand . - Oui, à l'origine c'était plus. Nous avons conduit un travail pour affiner la somme en question. Il faut noter que cette dernière ne représente que 2 % du total des aides reçues en France au titre de la PAC sur l'ensemble de la période : la question reste un sujet et une source de mobilisation mais il faut relativiser. Nous avons mis en place un plan d'action pour répondre aux observations de la Commission européenne. En 2014 et en 2015 la discussion avec celle-ci s'est faite en toute transparence.

Les corrections infligées font suite à plusieurs éléments soulignés par la Cour des comptes européenne et par la Commission européenne. Il s'agit d'abord des modalités de calcul des droits à paiement unique, mais cette question est maintenant derrière nous. Il s'agit ensuite de la mise en oeuvre des contrôles au titre de la conditionnalité, au sujet de laquelle nous avons eu un dialogue avec la Commission européenne. Enfin, la question des aides à la surface renvoie aux outils pratiques qui sont mis en oeuvre. Il s'agit à la fois des photographies aériennes ainsi que de leur traitement informatique. Il nous a été reproché l'ancienneté de ces photos - ce qui pose la question du registre parcellaire graphique - et notre travail de photo-interprétation, à savoir la façon de distinguer les éléments de paysage et donc d'identifier les surfaces admissibles.

Les sommes dues sont importantes mais nous avons engagé des plans d'action marqués par la préoccupation de réduire les difficultés. Les enjeux futurs se situent au niveau du déploiement actif de ces plans et de la progression des échanges avec la Commission européenne. En effet, nous rendons compte régulièrement à cette dernière du déploiement des plans et nous tenons compte de ce qui nous est dit en retour : nos plans doivent permettre de répondre pleinement aux critiques. Le ministère s'appuie sur les compétences de l'Institut géographique national (IGN) en particulier concernant l'actualisation des photos ainsi que sur son expertise en matière de photo-interprétation.

M. Alain Houpert . - Le satellite, toujours le satellite, je me souviens que c'est grâce à lui qu'on a sauvé l'IGN. Ma question porte sur la négociation entre le Gouvernement et la Commission européenne permettant de ramener le niveau de refus d'apurement de 4 milliards d'euros à un peu plus d'un milliard d'euros. Comment s'est-elle déroulée ?

M. Hervé Durand . - Voici la manière dont les choses se sont passées : au tout début du dialogue avec la Commission européenne, le ministère s'est mobilisé car les enjeux financiers nous paraissaient injustes et éloignés du niveau d'erreurs que nous estimions. Nous n'avons pas fait qu'écrire à la Commission européenne, nous nous sommes déplacés. Nous avons proposé de procéder à une analyse détaillée afin d'identifier le niveau réel d'erreurs. Un travail conséquent a été engagé par les services du ministère, qui ont été mobilisés dans tous les départements en s'appuyant sur des agents titulaires mais aussi sur des personnels contractuels. Nous avons pu établir nos propres chiffrages et communiquer ces informations à la Commission européenne, qui a apprécié cette démarche puisqu'elle a elle-même révisé le montant des corrections à la baisse.

M. Alain Houpert . - Lors d'un déplacement à Bruxelles, nous avons eu le sentiment que la négociation entre le Gouvernement et la Commission européenne avait été une discussion de marchands de tapis. À l'occasion de ce déplacement, il nous a été expliqué par la direction générale de l'agriculture (DG Agri) de la Commission européenne que la France avait fait le choix pour la PAC 2007-2013 de ne pas comptabiliser les « éléments paysagers » dans le calcul des aides à la surface. Dans un deuxième temps, une fois ces règles fixées, nous aurions versé des aides au mépris de la règle, qu'en est-il exactement ? Quel poids pèse ce type d'erreur dans le milliard d'euros de refus d'apurement ?

M. Hervé Durand . - Ce n'était pas une discussion de marchand de tapis : nous avons objectivé la situation réelle et concrète en nous appuyant sur un travail rigoureux.

Mme Michèle André , présidente . - C'était une négociation ?

M. Hervé Durand . - Oui c'était une négociation qui s'est déroulée selon une procédure contradictoire avec la DG Agri. Je suis fier du travail accompli par nos services. La PAC a toujours été un sujet d'importance pour nous. Dire qu'il s'agit d'une discussion de marchands de tapis serait méconnaître le travail engagé et la rigueur déployée dans la conduite de ces contrôles. La PAC est une politique d'ampleur. Or notre pays est très marqué par ses spécificités, en termes de territoires tout particulièrement. Il est difficile de prendre en compte ces spécificités surtout quand les dispositifs s'empilent et que l'éligibilité de tel ou tel élément paysager - rochers, haies etc. - est incertaine. Notre souci est de réduire les sources de griefs en retenant la définition des règles applicables au niveau national et en évitant les aménagements locaux. Nous sommes vigilants à ce sujet afin d'assurer un bon équilibre entre les règles nationales et les singularités des territoires locaux.

M. Alain Houpert . - En sus des 360 millions d'euros par an pour les exercices 2015 à 2017, on estime que les propositions de correction de la Commission européenne susceptibles d'avoir un impact sur 2015 ou sur les années suivantes se situent dans une fourchette de 200 à 300 millions d'euros. Allez-vous budgétiser dans les lois de finances pour 2016 et 2017 les sommes d'ores et déjà connues (360 millions d'euros) et même aller au-delà en intégrant une partie du risque futur de refus d'apurement ? Une telle budgétisation est réclamée chaque année, loi de finances après loi de finances, par notre commission et par la Cour des comptes...

M. Hervé Durand . - Par construction et par nature, il est difficile de prévoir ces refus d'apurement. Et surtout, répondre favorablement à cette demande, ce qui n'est pas notre position, conduirait à s'accommoder de ces corrections, ce qui constituerait un signal contreproductif. Nous devons réduire ces risques financiers et répondre point par point aux critiques de la Commission européenne. C'est pour cela que nous avons pris en compte les remarques de cette dernière et que nous avons travaillé à la réforme de la nouvelle PAC 2014-2020. Nous sommes aujourd'hui mobilisés pour éviter ces refus d'apurement, investis dans la mise en oeuvre de plans d'actions et préoccupés par le fait d'être compris des agriculteurs.

Mme Michèle André , présidente . - Yannick Botrel, qui est le second rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », m'a transmis quelques questions.

La première porte sur la répartition géographique des refus d'apurement. Je sais que les rapporteurs spéciaux ont interrogé le ministère sur ce point dans un questionnaire, et j'ai moi-même écrit au ministre de l'agriculture le 17 mars dernier pour obtenir des informations à ce sujet, après avoir entendu la directrice du budget à la Commission européenne à Bruxelles avec le rapporteur général, sur cette somme de quatre milliards d'euros renégociée à un milliard d'euros. Malheureusement, nous n'avons pas de réponse à ce jour. Il semblerait que ce travail soit difficile. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Pourriez-vous, en dépit de ces difficultés, nous fournir tout de même une note sur le niveau de ces refus d'apurement par département. Vous nous avez en effet indiqué avoir réalisé un travail très fin avec les directions régionales. C'est important pour nous.

La seconde question concerne les contrôles réalisés par l'administration nationale dans le versement des aides au titre de la PAC. Les difficultés rencontrées par la France en termes de refus d'apurement correspondent-elles à un problème de moyens mis en oeuvre dans les contrôles ? La responsabilité doit-elle être imputée au ministère de l'agriculture ou aux organismes payeurs dont il a la tutelle ? Quels moyens précis le ministère et les opérateurs payeurs mettent-ils en oeuvre pour améliorer leurs contrôles et leur interprétation du droit communautaire ?

La troisième question a trait aux plans d'action mis en place pour améliorer les contrôles du ministère de l'agriculture et des organismes payeurs dont il a la tutelle : ces plans d'action ne rendent-ils pas encore plus complexes le travail d'élaboration des déclarations pour les agriculteurs ? Nous avons bien noté que vous souhaitez une amélioration sur ces différents points.

Enfin, j'aurais une question plus personnelle sur la photo aérienne parcellaire et l'ancienneté des photos : à partir de quelle durée la Commission européenne considère-t-elle les photos comme caduques ?

M. Hervé Durand . - Trois ans.

Mme Michèle André , présidente . - Je suppose que ce délai complexifie encore la situation.

M. Hervé Durand . - Le délai de caducité des photos s'avère nécessairement coûteux et difficile, et nous sommes à cet égard très dépendants du travail de l'IGN. C'est pourquoi nous étions présents au Salon du Bourget la semaine dernière. En effet, nous réfléchissons à la possibilité de substituer, à terme, les images satellitaires aux photographies. Un accord de consortium a été signé. Disposer de données qui pourraient être régulièrement actualisées - par exemple tous les ans - constitue pour nous une réelle perspective de progrès, mais aucune décision n'est prise à ce stade.

Nous comprenons le point de vue de la Commission européenne qui impose la caducité des photos au bout de trois ans. En effet, comme vous pouvez tous le constater au quotidien, sur un tel laps de temps, la physionomie des territoires évolue significativement.

En ce qui concerne la ventilation de l'apurement par département, je vous répondrai que la France est une et indivisible par rapport à cette problématique. Nous parlons ici du déploiement de la PAC, soit des règles, des anomalies et des griefs qui sont intimement liés au processus mis en oeuvre globalement. Du coup, nous ne sommes pas en capacité de le faire et si nous l'étions je ne sais pas à quoi cela aboutirait. Tous ces éléments ne renvoient pas à des problématiques locales ou départementales, mais à un ensemble systémique par rapport à tout le dispositif. C'est pourquoi nous ne sommes pas en capacité d'identifier une répartition géographique par département des refus d'apurement.

En réponse à votre seconde question, je dirai que l'apurement n'est pas qu'un problème de contrôle. Pour qu'une règle soit bien appliquée, elle doit être claire. Dans la mise en oeuvre de la PAC, notre souci est donc de rester le plus fidèle possible au cadre communautaire, puis de mettre en place des règles au niveau national qui soient claires, comprises et surtout applicables. Bien sûr, une part de contrôles est nécessaire, et l'Union européenne nous y oblige d'ailleurs. Il s'agit de les conduire correctement, car les éléments qu'on peut en tirer permettent, également, d'objectiver concrètement auprès de la Commission européenne la façon dont la PAC est mise en oeuvre dans les exploitations.

Toutefois, lorsqu'on utilise dans l'outil une photo aérienne trop ancienne, il ne s'agit pas d'un problème de contrôle. C'est bien cela qu'il faut arriver à corriger. Les contrôles ne sont pas les seuls éléments à prendre en compte.

En ce qui concerne le travail de déclaration des agriculteurs, je précise qu'on vient de sortir de la période de déclaration pour l'année 2015. À ce stade, nous pouvons en dresser un bilan positif du point de vue du recours à la télédéclaration, puisqu'elle a progressé. Ainsi, nonobstant le plan d'action et le déploiement de la réforme de la PAC, nous atteignons le chiffre de 90 % de télédéclarations, qui demeure malgré tout insuffisant. Je pense aussi que, dans la mise en oeuvre de la PAC, il nous faut promouvoir des services aux agriculteurs, en nous efforçant de mobiliser toutes les structures qui travaillent à leurs côtés pour rendre les processus déclaratoires beaucoup plus fluides, objectiver les problèmes quand on en rencontre, et faire en sorte d'installer des relations professionnelles et de confiance avec nos usagers.

Mme Michèle André , présidente . - Nous supposons que c'est déjà le cas.

M. Hervé Durand . - C'est déjà le cas mais il faut renforcer encore cette relation de confiance, car c'est aussi une manière de sécuriser l'ensemble du dispositif.

M. Gérard César , rapporteur pour avis . - Permettez-moi d'excuser Jean-Jacques Lasserre retenu à la commission des affaires économiques, qui examine le projet de loi sur la biodiversité. Je voudrais revenir sur la question des télédéclarations. Aujourd'hui, ce sont les syndicats, les coopératives agricoles et les chambres d'agriculture qui aident les agriculteurs à rédiger leurs déclarations. Il est vrai que ces dernières sont de plus en plus compliquées. C'est pourquoi, les professionnels souhaiteraient que l'on puisse les simplifier. Vous avez parlé de spécificités et effectivement, s'il y avait moins de spécificités dans la PAC, ce serait déjà une bonne chose. En outre, si l'on pouvait simplifier les procédures de demandes d'aides au titre de la PAC, cela aiderait à les remplir correctement et cela contribuerait sans doute à éviter les refus d'apurement. Il me semble de ce point de vue que votre position à l'égard de la Commission européenne est excellente. Mais, sur ce sujet, il faudrait une harmonisation avec les vingt-huit pays de l'Union européenne. En effet, il ne faut pas que chaque pays ait sa propre politique en la matière ; au contraire, celle-ci doit être convergente et harmonieuse.

M. Francis Delattre . - Vous connaissez le problème des marges de nos entreprises françaises, bien que l'on constate actuellement un léger redressement. Dans le secteur agroalimentaire, avez-vous le sentiment que les marges de ces entreprises vont leur permettre de réinvestir ?

Ma deuxième question porte sur la concentration des centrales d'achat des grands groupes. Pensez-vous qu'il soit sain de n'avoir que trois ou quatre grandes centrales se partageant 90 % du marché. Quelle est votre analyse à cet égard ? Pouvez-vous intervenir ?

J'ai aussi une question sur le sujet de la cartographie. Je suis très surpris des difficultés que vous rencontrez pour analyser le territoire. En effet, il y a quinze ans déjà, les agriculteurs céréaliers connaissaient dès le début de l'année la teneur réelle de leurs futures récoltes grâce à des systèmes satellitaires. Certes, il peut y avoir un problème sur la cartographie en zone de montagne mais je ne vois pas la difficulté en plaine. Je pense que les difficultés sont arrivées au moment où l'on est passé au système des droits à produire. Il est en effet complexe de faire en sorte que le propriétaire du sol ne soit plus forcément le titulaire du droit à produire. Cela a posé beaucoup de difficultés et j'imagine que cela a complexifié la cartographie. J'ai du mal à croire qu'avec les systèmes satellitaires on ne puisse pas savoir ce qui se passe avec une très grande précision sur tel ou tel sol.

M. Serge Dassault . - Je souhaiterais savoir, s'agissant de l'activité photographique, si vous utilisez des satellites ou des drones.

En outre, en ce qui concerne la PAC, avez-vous d'ores et déjà des orientations pour 2015 et 2016 ? Cela va-t-il augmenter ou diminuer ? Quelles difficultés peut-on anticiper s'agissant de nos désaccords avec la Commission européenne ?

Ensuite, vous parlez d'apurement. Pouvez-vous nous en donner une définition ?

M. Hervé Durand . - Il s'agit d'un solde de tout compte en quelque sorte et les refus d'apurement sont des corrections financières.

M. Serge Dassault . - Mais à quoi doivent s'attendre nos agriculteurs en ce qui concerne le budget de la PAC pour les années 2015 et 2016 ?

M. François Marc . - L'audition de ce matin s'inscrit dans la préparation de l'examen du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2014, préoccupation budgétaire essentielle, qui est mise en oeuvre dans le cadre issu de la loi organique relative aux lois de finances, avec l'identification des objectifs, des missions, des programmes, des indicateurs de performance et des responsables. C'est sur ce dernier point que je souhaiterais bénéficier de votre éclairage. Pour nous expliquer les refus d'apurement, dont le niveau élevé justifie une information suffisante du Parlement, vous avez mis en avant jusqu'ici des facteurs essentiellement techniques, tenant à la caducité des photos et à leur interprétation.

Je souhaiterais éclaircir un point. En effet, lorsque nous nous sommes rendus à la direction générale de l'agriculture (DG Agri) à Bruxelles, il nous a été dit que si la France était aujourd'hui tenue de payer, c'est parce qu'elle avait eu une interprétation différente de celle d'autres pays en 2007 en matière de prise en compte des éléments paysagers. Par exemple, l'Allemagne, à situation équivalente, a défini les modalités d'attribution des droits de paiement sur une base différente. D'après la DG Agri, l'exigence de remboursement tient au fait que la France a choisi un mode d'attribution des droits qui n'a pas respecté in fine les termes prévus.

J'ai donc une question simple : que pouvez-vous nous dire de cette interprétation de la DG Agri sur la situation de la France ? A-t-on réellement pris en 2006-2007 une décision politique ou administrative inopportune et peu perspicace, qui explique la situation actuelle de refus d'apurement ? Cette décision n'explique-t-elle pas plus la situation que des explications techniques qui servent à habiller la chose ? Je voudrais que les choses soient claires sur ce point.

M. Hervé Durand . - Pour vous répondre sur les difficultés que l'on rencontre dans la gestion quotidienne de la PAC, je soulignerai deux problèmes particulièrement épineux pour nous. D'une part, un problème que l'on rencontre sur le terrain, celui des chevauchements entre parcelles, que l'on appelle des doublons, qui interviennent lorsque deux agriculteurs voisins revendiquent une portion de parcelle, et que l'on n'arrive pas à attribuer.

M. Francis Delattre . - Nous connaissons le terrain aussi bien que vous.

M. Hervé Durand . - Deuxième sujet, la mesure de la surface admissible, qui nécessite un niveau de précision extrêmement élevé. Concrètement, quand un agriculteur présente ses parcelles et son exploitation à la PAC, il faut que l'on arrive à faire le décompte de ce qui est admissible au titre des règles de la PAC. Cela implique d'enlever les écarts entre voisins, les limites parcellaires, de ne pas mordre sur le chemin, de ne pas mordre sur le fossé, autant de sujets très complexes, qui rendent le processus difficile.

En outre, actuellement, quand on mesure l'écart entre photo et satellite, le niveau de précision des images satellite qui peuvent être mises à disposition dans un processus comme le nôtre se situe à 1,5 m. Or, le niveau d'exigence de la Commission européenne est de 0,5 m. C'est cette complexité que je souhaite expliquer et traduire devant vous. Il ne s'agit pas de dire que je connais mieux le terrain que vous. Cette complexité explique d'ailleurs que, dans tous les États membres, on trouve forcément, à un moment ou à un autre, matière à redressement.

Certaines portions de territoires sont plus faciles à traiter que d'autres. C'est le cas de la Marne par rapport au Lot ou à l'Ardèche par exemple, où existent des problématiques très particulières d'espaces agricoles que l'on veut maintenir. Dans de telles situations, il faut que l'on arrive à décomposer ces surfaces pour en déterminer la part d'admissibilité, en respectant les règles européennes. Ce n'est pas toujours simple, alors que chacun revendique une spécificité pour intégrer le cadre de règle et bénéficier des aides de la PAC.

S'agissant des propos tenus par les collègues de la DG Agri, nous avons rencontré certaines difficultés d'application entre 2008 et 2013, que l'on s'emploie à surmonter. Je pense que c'est bien l'essentiel. L'une de ces difficultés concernait la problématique des normes locales, qui renvoie à une difficulté de politique publique, la question étant de déterminer quel est le bon équilibre entre le niveau national et le niveau local. Nous avons tranché en faveur du niveau national et nous nous sommes efforcés de redresser un peu les choses.

À cet égard, un sujet nous a beaucoup occupés cette année : la question de l'admissibilité des haies. Ces dernières sont admissibles depuis 2010 mais l'on a renforcé leur admissibilité. La haie fait donc partie de la surface comptabilisée au titre de l'admissibilité des surfaces. Là encore, sur le terrain, on se heurte à des réalités très diverses, les haies n'ayant pas toutes la même longueur ou la même largeur. Nous nous efforçons d'encadrer les choses au maximum et de rassurer régulièrement la DG agriculture, qui dispose, de notre part, de toutes l'information sur la manière dont on a déployé la réforme de la PAC et sur la mise en oeuvre du nouveau plan d'action pour la mise en oeuvre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) 2014-2020.

M. François Marc . - L'Allemagne n'avait pas adopté la même règle que la France concernant la prise en compte des éléments paysagers, ce qui l'aurait protégée de corrections au titre des surfaces éligibles. Est-ce vrai ou pas ? L'Allemagne subirait-elle de moindres refus d'apurement parce qu'elle se serait montrée plus souple ?

M. Hervé Durand . - Tout ce que dit la Commission européenne est vrai mais faisons attention aux approximations. La manière dont l'Allemagne met en oeuvre la PAC est très différente de la nôtre. Chez nos voisins, les länder ont la maîtrise des conditions d'application de la PAC et cette spécificité constitutionnelle conduit l'Allemagne à connaître des règles d'éligibilité différentes. Je précise également que le registre parcellaire graphique n'est pas une spécificité française mais une obligation pour tous les États membres. Nous devons donc renforcer nos photos et leur interprétation. Je répète que nos difficultés résultent largement des normes locales d'application de la PAC. Entre 2007 et 2013, nous avons offert des latitudes aux départements, ces écarts d'application ont été relevés par la Commission européenne qui les a durement critiqués. Nous les avons donc supprimés. Nos photos et nos éléments topographiques manquaient de cohérence mais nous avons progressé. Par exemple, nous disposons désormais d'un dictionnaire de photo-interprétation.

M. Frédéric Lambert, chef du service gouvernance et gestion de la PAC du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt . - L'Allemagne a rendu éligibles les éléments paysagers mais dans le respect d'une règle de maintien individuel à l'identique de chacun des éléments. Notre pays a utilisé un pourcentage d'éléments topographiques de 3 % ou 4 % mais sans obliger au maintien individuel des éléments. Nous n'avons donc pas vérifié ce maintien, qui n'a fait l'objet d'aucun traçage ni de numérisation.

M. Hervé Durand . - L'IGN est justement en train de numériser ces éléments non agricoles, les mares, les bosquets, les rochers, etc. Nous disposons déjà d'un inventaire de 200 millions d'objets. Or ces éléments paysagers conduiront à inclure 40 millions d'objets supplémentaires.

M. Bernard Lalande . - J'ai eu l'occasion de tester la télé-procédure de déclaration. C'est tout de même compliqué. Il faut déterminer la parcelle et s'assurer que la déclaration soit réaliste par rapport à la surface. En fin d'opération, on utilise une nomenclature qui ne fait pas suffisamment l'objet d'explication. Au total, chaque agriculteur agit comme un auto-contrôleur qui « fait coller pour que ça colle » : il fait sa déclaration en veillant à ce que cette dernière rentre dans un cadre prédéfini. J'estime qu'on demande aux agriculteurs des choses que l'on ne demanderait pas aux autres professions.

M. Hervé Durand . - Je suis d'accord avec vous. C'est vrai qu'il faut un investissement mais je note que 90 % des usagers recourent à la procédure. Nous devons continuer à avancer. Cette procédure de télédéclaration traduit également la complexité de certaines exploitations agricoles : quand on a cent parcelles, c'est plus compliqué. Il est intéressant d'interroger les agriculteurs sur le temps passé à cette déclaration. Ce temps est variable mais il n'est pas si long que cela : deux à trois heures, une fois par an.

M. Bernard Lalande . - Ce n'est pas une question de temps. Je prends le cas d'un vignoble dont la surface est connue de par la déclaration aux services des douanes : votre terrain fait 1,127 hectare et il vous incombe de retrouver cette surface avec la souris de votre ordinateur pendant la télédéclaration. Votre travail ne peut pas être exact et vous faites donc coller votre déclaration avec la surface connue. Personnellement, j'y ai passé trois heures.

M. Maurice Vincent . - Je m'interroge sur la raison de ces normes locales. Correspondent-elles à une demande des agriculteurs ou des responsables publics locaux ? Sont-elles abandonnées ?

M. Hervé Durand . - Les normes locales, c'est bien fini et sur leur origine, il existe plusieurs raisons de divers ordres. En réponse à Serge Dassault, je précise que l'IGN utilise quatre avions abrités dans la base de Creil et que nous n'avons pas recours à des drones. Concernant l'avenir de la PAC et ses enjeux budgétaires pour les agriculteurs, nous en sommes à la première année de mise en oeuvre de la réforme du cadre 2014-2020 mais il faut anticiper les futures échéances et commencer à formuler nos attentes. Il faut avoir en tête que nous ne sommes qu'un État membre parmi vingt-huit, nous devons donc sensibiliser nos partenaires et dialoguer avec la Commission européenne.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page