B. AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES (28 MAI 2015)

Réunie le jeudi 28 mai 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil relatif au solde structurel des administrations publiques en 2014.

Mme Michèle André , présidente . - Conformément à l'article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, en vue du dépôt du projet de loi de règlement, le Haut Conseil des finances publiques rend un avis portant sur les résultats de l'exécution de l'année écoulée. À cette occasion, l'avis identifie, le cas échéant, les écarts importants apparus entre le solde structurel et la trajectoire définie par la loi de programmation des finances publiques ; il convient de rappeler que l'identification de tels écarts par le Haut Conseil « déclenche » le mécanisme de correction institué en application du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG).

Le 22 mai 2015, le Haut Conseil a donc rendu un avis portant sur les résultats de l'année 2014 ; à cet égard, il a examiné le solde structurel constaté au titre de cet exercice à l'aune des orientations arrêtées par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, adoptée en décembre dernier.

Afin d'éclairer les travaux de notre commission sur le projet de loi de règlement, Didier Migaud, en qualité de président du Haut Conseil des finances publiques, a bien voulu nous présenter les appréciations formulées par le Haut Conseil dans l'avis précité. Monsieur le Président, je vous laisse maintenant la parole.

M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques . - C'est donc à présent en tant que président du Haut Conseil des finances publiques que je prends la parole pour vous rappeler brièvement les principales conclusions de l'avis relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2014.

Cet avis est rendu en application de l'article 23 de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Pour mémoire, cet article prévoit que le Haut Conseil rend un avis identifiant, le cas échéant, un « écart important » entre le solde structurel constaté et les orientations pluriannuelles présentées dans la loi de programmation des finances publiques en vigueur.

Comme l'y invite la loi organique, le Haut Conseil a donc comparé l'exécution constatée en 2014 avec la trajectoire de solde structurel définie dans la loi de programmation pour les années 2014 à 2019 promulguée le 29 décembre 2014. Cette nouvelle loi constitue désormais la référence, alors que pour les deux années précédentes, les écarts étaient appréciés par rapport à la loi de programmation pour les années 2012 à 2017 promulguée en décembre 2012.

Je rappelle, à cet égard, que l'avis du Haut Conseil porte uniquement sur le solde structurel, c'est-à-dire le solde des administrations publiques corrigé des effets liés à la conjoncture économique et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires.

Le solde effectif s'établit, d'après les données des comptes nationaux publiées par l'Insee le 13 mai 2015, à - 4,0 % contre - 4,4 % prévu dans la loi de programmation. Cet écart de 0,4 point de PIB se retrouve intégralement sur le solde structurel, la composante conjoncturelle (- 1,9 % de PIB) et l'estimation des mesures ponctuelles et temporaires (0 point de PIB) étant inchangées.

En 2014, le déficit structurel s'établit ainsi à 2,1 % du PIB contre 2,4 % prévu par la loi de programmation. Le Haut Conseil constate donc que le déficit structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement est inférieur de 0,4 point de PIB - aux arrondis près - à ce qui était prévu par la loi de programmation en vigueur.

Cet écart résulte, en partie, d'une moindre croissance de la dépense publique (+ 0,9 % en valeur contre 1,4 % initialement prévu), notamment du fait d'un recul marqué de l'investissement local et de la poursuite de la baisse des charges d'intérêt.

Par rapport à 2013, le solde structurel se redresse de 0,6 point de PIB au lieu de 0,1 point prévu dans la loi de programmation. L'ajustement structurel, soit la variation du solde structurel, est supérieur de 0,5 point à celui prévu. En cumulé sur les années 2013 et 2014, l'amélioration du solde structurel est de 1,4 point de PIB contre 1,2 point prévu dans la loi de programmation, soit un écart limité à 0,2 point. En effet, si l'ajustement structurel est supérieur à la prévision en 2014, il est en revanche révisé à la baisse pour l'année 2013.

S'agissant de l'effort structurel, qui reflète à proprement parler l'impact des décisions des pouvoirs publics en matière de dépenses et de recettes, il s'établit à 0,5 % de PIB en 2014 et porte à 70 % sur les dépenses, hors crédits d'impôts, dont la croissance en volume a été de 0,3 % en 2014.

Le Haut Conseil s'exprimait pour la troisième fois ex post sur le solde public des administrations publiques présenté dans un projet de loi de règlement. Lors de son dernier avis relatif à la loi de règlement de 2013, il avait constaté un « écart important », de 1,5 point de PIB, par rapport à la trajectoire prévue par la précédente loi de programmation. Plutôt que de corriger cet écart, le Gouvernement a fait le choix de définir une nouvelle trajectoire, intégrant les déviations passées et fixant de nouveaux objectifs dont l'ambition est revue à la baisse.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Ma première question est quelque peu rhétorique : n'y a-t-il pas eu une volonté de surestimer les soldes effectif et structurel de l'exercice 2014 à la fin de l'année dernière, et ce afin d'afficher de meilleurs résultats budgétaires aujourd'hui ? Chacun est libre d'apporter la réponse qu'il souhaite... En outre, l'avis du Haut Conseil note qu'une part de l'amélioration du solde structurel en 2014 résulte « d'une élasticité des recettes à la croissance plus élevée qu'attendu dans la LPFP » ; quels sont, selon vous, les facteurs explicatifs d'un tel « rebond » de l'élasticité des recettes ?

M. François Marc . - Tout d'abord, je relève que les comptes de l'État sont certifiés, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Il n'en demeure pas moins que, de toute évidence, l'évaluation des immobilisations financières de l'État se doit encore d'être approfondie ; le chiffrage demeure approximatif et provient d'une multitude de sources. Peut-être serait-il souhaitable que le Parlement se saisisse de cette question ; à cet égard, une enquête parlementaire pourrait être envisagée.

Ensuite, je note que les résultats pour l'exercice 2014 sont meilleurs que prévus, les déficits effectif et structurel ayant été inférieurs à la prévision ; aussi le Gouvernement semble-t-il avoir fait preuve d'une véritable prudence dans ses anticipations budgétaires, alors qu'un certain optimisme en la matière lui était reproché lors des années passées.

Enfin, en ma qualité de rapporteur spécial en charge des affaires européennes, je souhaiterais revenir sur le traitement comptable réservé par le Gouvernement à la moindre dépense résultant du budget rectificatif européen n° 6. L'avis du Haut Conseil relève, me semble-t-il pour le critiquer, que cette moindre dépense a été comptabilisée parmi les mesures ponctuelles et temporaires, également appelées one-offs , au titre de l'exercice 2014 ; pour autant, cette décision du Gouvernement me semble justifiée et s'inscrire dans une démarche prudente. Aussi l'opinion du Haut Conseil sur ce point pourrait-elle être précisée ?

M. Charles Guené . - Ainsi que le relève l'avis du Haut Conseil, l'effort en dépenses consenti en 2014 s'est élevé à 0,35 point de PIB ; est-il possible de préciser la part de cet effort imputable au ralentissement de l'investissement local ?

M. Claude Raynal . - Je souhaiterais, quant à moi, solliciter l'avis du président du Haut Conseil quant à l'estimation de l'élasticité des recettes à la croissance et, en particulier, sur les possibles incidences d'un rebond de l'activité sur celle-ci. L'avis du Haut Conseil note que l'élasticité s'est révélée plus forte que prévu en 2014 ; par suite, dans le contexte actuel, je me demandais quelle pouvait être l'élasticité des recettes qu'il était raisonnable d'attendre au titre de l'exercice en cours.

M. Michel Bouvard . - Le déficit public de l'année 2014 est certes meilleur que ce que prévoyait la dernière loi de programmation des finances publiques ; pour autant, un tel résultat n'est pas sans lien avec le recul significatif des taux d'intérêt, de même qu'avec le ralentissement de l'investissement local - et ne saurait donc être attribué à une diminution de la dépense ordinaire.

Par ailleurs, disposons-nous d'ores et déjà d'éléments permettant de comparer la réduction du déficit public de la France à celui des autres pays de la zone euro ?

M. Didier Migaud . - Concernant le rebond de l'élasticité des recettes à la croissance, celui-ci est à attribuer au fait que le niveau des recettes est resté inchangé alors que le produit intérieur brut (PIB), lui, a été revu à la baisse. En effet, si les recettes de l'État n'ont pas évolué de manière particulièrement favorable, celles des administrations publiques locales et des administrations de sécurité sociale ont mieux résisté ; en particulier, la masse salariale est restée relativement dynamique.

D'aucuns se sont félicités de ce que les résultats de l'année 2014 aient été meilleurs que ce que prévoyait la loi de programmation ; mais il est heureux que ces résultats soient en ligne avec des objectifs qui ont été arrêtés en décembre dernier...

Pour ce qui est de l'inscription de la moindre dépense résultant du budget rectificatif européen n° 6 parmi les mesures exceptionnelles et temporaires, le Haut Conseil n'a formulé aucune critique à l'encontre du Gouvernement à ce titre ; seulement, il relève que le traitement réservé à cette opération s'éloigne de la doctrine qui avait, jusqu'à présent, été celle du Gouvernement - aussi aurait-il été préférable que, si changement de doctrine il y a eu, cela soit explicité. Sur le fond, la décision du Gouvernement nous semble, d'ailleurs, plutôt justifiée ; toutefois, il est essentiel que ce dernier soit constant dans ses pratiques.

Le ralentissement de l'investissement des collectivités territoriales a représenté un effort en dépenses de 0,05 point de PIB, soit 15 % environ de l'effort en dépenses total, qui s'est élevé à 0,35 point de PIB en 2014.

Quant à la comparaison de la situation budgétaire de la France avec celle des autres pays européens, la Cour des comptes s'attachera à examiner ce point dans le rapport à venir sur la situation et les perspectives des finances publiques. Néanmoins, l'on peut d'ores et déjà indiquer qu'en 2014 la zone euro, considérée dans son ensemble, a eu une politique budgétaire neutre, dans la mesure où la majorité des États membres sont parvenus à ramener leur déficit public en deçà de 3 % du PIB, ce qui n'est pas le cas de la France - qui est le seul grand pays, avec l'Espagne, à présenter un déficit supérieur au seuil de 3 % à ce jour.

M. Claude Raynal . - S'agissant de l'élasticité des recettes à la croissance, pouvez-vous nous indiquer la prévision qu'il serait, selon vous, raisonnable de retenir ?

M. Didier Migaud . - Nous considérons qu'il faut faire preuve de prudence en la matière. Force est de constater que l'élasticité des recettes à la croissance est égale à 1 en moyenne sur longue période. Celle-ci est généralement supérieure à cette moyenne en période de croissance et inférieure lorsque la conjoncture est plus morose. Les calculs de l'élasticité présentent une fragilité certaine ; la Cour des comptes avait, d'ailleurs, publié un référé à ce sujet en octobre 2013. La Cour estime qu'il faut donc que le Gouvernement fasse preuve de prudence et qu'il s'applique à expliquer les modalités de calcul de l'élasticité qu'il retient.

M. Claude Raynal . - Je vous remercie d'avoir proposé un chiffre malgré tout !

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page